Lucie Castets (Nos SP), « regista » du NFP

Camille (Sophie Breyer), la fille de l’inspecteur Peeters (Yoann Blanc) – le personnage principal de la série belge La Trêve (2016 ; netflix-news.com), dans laquelle apparaît aussi Philippe Résimont ; « Vu de l’étranger. Avec sa “trêve olympique”, Macron “viole tous les usages démocratiques” », courrierinternational.com 31 juill. 2024

Au terme de seize jours de négociations, les partis constitutifs du Nouveau Front Populaire (NFP) se sont accordés, le mardi 23 juillet, sur un nom pour Matignon. Antérieurement, alors que l’opposition du groupe LFI à la mise en avant de Laurence Tubiana a été motivée par sa signature d’une tribune collective, quelques jours plus tôt1Collectif, « Le Nouveau Front populaire doit sans tarder tendre la main aux autres acteurs du front républicain pour discuter d’un programme d’urgence républicaine », lemonde.fr 11-12 juill. 2024 ; J.J., « Laurence Tubiana à Matignon ? Pourquoi son nom divise autant le Nouveau Front populaire », laprovence.com avec AFP le 16, l’on ne sait toujours pas pourquoi le PS a refusé la première vraie proposition publique – et communiste, celle d’Huguette Bello2Ce qui est clair, c’est comment les socialistes l’ont fait, à savoir au motif que l’approbation écologiste n’était pas acquise : v. Daniel Schneidermann, « Qui a tué la candidature Huguette Bello ? », arretsurimages.net 17 juill. 2024 ; elle avait même semblé recueillir le soutien de Carole Delga, avant qu’elle ne se fende d’une « mise au point » (v. Gabriel Kenedi, actu.fr/occitanie le 13). Dans la même période, v. CEDH, 9 juill. 2024, Delga c. France, n° 38998/20 (arrêt non définitif de la cinquième section, rendu à l’unanimité ; Abel Mestre, « Victoire juridique de Carole Delga contre un maire RN du Gard », Le Monde 12 juill. 2024, p. 12).. La troisième sera la bonne avec la désignation par consensus de Lucie Castets, « dont le nom a surgi moins d’une heure avant » l’intervention d’Emmanuel Macron sur France 23« Pas de gouvernement avant la mi-août, rejet de Lucie Castets… les six moments forts de l’interview d’Emmanuel Macron », liberation.fr avec AFP 23 juill. 2024 ; décryptant cette intervention, Théophile Kouamouo, Le Média le 24 ; y voyant « une interprétation erronée de la Constitution », Julien Jeanneney, lemonde.fr le 25 (auparavant et dans le même sens, Pierre Avril, blog.juspoliticum.com le 15 ; contra Dominique Rousseau – cité par Émilie Jehanno, 20minutes.fr le 12)..

Comme lui, elle est issue de l’ENA4L’École nationale d’administration (ENA) a été remplacée par l’Institut national du service public (INSP) le 31 décembre 2021 ; cette réforme avait été présentée en avril par Emmanuel Macron (issu de la promotion 2002-2004, dite Léopold-Sédar-Senghor). et d’aucuns se souviennent de l’avoir vue « ferrailler une nuit durant, dans un chalet des Vosges, pour choisir le nom de [sa promotion (2012-2013)]. À Simone de Beauvoir, l’auteure du Deuxième Sexe que défend Castets, convictions féministes en bandoulière, la majorité préfère Jean Zay5V. mon billet (portrait) du 28 juillet 2018, ministre du Front populaire6V. mon billet du 28 juin 2024, en signalant la modification de ma note 21, et mon nouveau record sur 5km – 21 minutes 43, ce matin même –, en passant par la nouvelle passerelle de Bourg-lès-Valence, que j’ai plaisir à emprunter depuis le 12 avril (avec des coéquipiers de foot puis mon adjoint et mes joueurs du vieux bourg, nous utilisions l’ancienne pour nous rendre à l’entraînement, dans les années 2000) ; c’était donc une « une course avec un tempo relativement lent » (Olivier GH, « Athlétisme JO 2024 : Beatrice Chebet crée la sensation sur le 5000 m femmes », dicodusport.fr le 5 août), à sept minutes du record de France féminin (lequipe.fr ; deux français sont qualifiés pour la finale hommes ce samedi, pour cette épreuve sur piste introduite aux JO de 1912 – selon Wikipédia –, soit entre les premières éditions françaises, en 1900 et 1924). assassiné en 1944 par la Milice. “Elle aime convaincre, par l’argumentation, la force de conviction, la pédagogie”, note un ancien camarade, parti dans le privé »7Lucie Alexandre, Victor Boiteau et Eve Szeftel, « Lucie Castets, une “guerrière” à la croisée des réseaux », Libération 26 juill. 2024, pp. 16-17 ; au passage, recensant le livre de l’historienne américaine Judith Coffin (Sexe, amour et féminisme. Quand on écrivait à « Madame de Beauvoir », Plon, 2023, préfacé par la philosophe Manon Garcia), v. Christian Ruby, nonfiction.fr 8 juin 2024 (ajout le 19 août, à partir de telerama.fr le 10 : Simone de Beauvoir (1908-1986) a été l’une des dix femmes célébrées cet été à Paris, « dont les statues devraient survivre aux JO » ; elle « n’était pas apparue à l’écran lors de la retransmission de la cérémonie [d’ouverture] »)..

Dans la foulée de son affectation au ministère de l’économie et des finances8« Arrêté du 7 janvier 2014 portant affectation aux carrières des élèves (…) de l’École nationale d’administration ayant terminé leur scolarité au 31 décembre 2013 (élèves issus des concours externe, interne et troisième concours) », JORF n° 0007 du 9 janv. 2014, elle était nommée commissaire du Gouvernement auprès du Bureau central de tarification9Arrêté du 14 janvier 2014, JORF n° 0020 du 24 janv.. En 2018, elle a été employée au service du « traitement du renseignement et [d’]action contre les circuits financiers clandestins »10« Tracfin, la cellule de renseignement financier de Bercy » (« Qui est Lucie Castets, proposée par le Nouveau Front populaire pour le poste de Première ministre ? », francetvinfo.fr 24 juill. 2024). avant de rejoindre, deux ans plus tard, la mairie de Paris.

Dans les premiers portraits qui lui ont été consacrés, certains la présentaient aussi comme « footballeuse »11Florent Le Du et Lisa Guillemin, « Lucie Castets, propulsée par la gauche pour Matignon », L’Humanité 24 juill. 2024, p. 6 ; Service politique, « Haute fonctionnaire, engagée pour la défense des services publics… Qui est Lucie Castets, proposée par le NFP pour Matignon ? », nouvelobs.com 23-24 juill. 2024 : « D’après ses amis, c’est aussi dans la vie privée une sportive, joueuse de foot, féministe et mère d’un enfant »., sans toutefois préciser son poste ni citer directement l’intéressée12« À l’école, je participais à tous les cross. J’ai fait du tennis pendant une dizaine d’années, du handball, du taekwondo. J’aime l’effort physique », confie-t-elle – sans confirmer, donc – dans l’entretien publié sous le titre « Je veux dire qui je suis », Paris Match 8-13 août 2024, p. 18 – réalisé par Florent Buisson, qui ajoute : « Fan de surf, elle a aussi parcouru le monde au gré de ses études. Un parcours qui contraste avec l’image de l’énarque toujours le nez dans ses dossiers ». Ajouts de deux textes : son entretien publié dans Libération le 21, pp. 3-4 (annoncé à la Une sous le titre « Nous saurons trouver des accords »), qu’elle terminait en s’affirmant « étonnée [que l]es commentaires n’ont retenu que [l’évocation de sa famille], alors qu’il y avait plein de choses sur [elle, sa vie, sa provenance de Caen et sa pratique] du sport » ; « Avant, elle aimait jouer au foot le soir, quelles que soient les intempéries », est-il écrit dans une tribune publiée en ligne le 30, au terme de l’extrait accessible sans abonnement (v. aussi Clément Machetto, « Judith Godrèche s’attaque à Emmanuel Macron, “le même qui célébrait Gérard Depardieu” », closermag.fr le 31).. En faisant un détour par La Fièvre13Écouter l’entretien avec le réalisateur Ziad Doueiri dans le podcast Affaires culturelles, radiofrance.fr 12 mars 2024, ainsi qu’Ana Girardot et Nina Meurisse revenant « sur leurs rôles » (Canal + le 5 avr.). Pour une critique sans concession, François Bégaudeau, « Une fièvre d’ordre », Le Monde diplomatique juill. 2024, p. 13 (extrait ; v. aussi infra) ; comparer Rémi Lefebvre, « La Fièvre : le thermomètre est-il juste ? », in Raphaël LLorca et Jérémie Peltier (dir.), Sur La Fièvre. Enseignements politiques d’une série, (Fondation) jean-jaures.org 9 avr. 2024, p. 65, spéc. p. 68 : « Si la série ne verse pas dans la caricature de l’antiwokisme (le terme est très peu utilisé), elle tend à rabattre de nouvelles thématiques et revendications (néoféminisme, lutte contre les discriminations…) sur des questions d’identité alors que l’on peut soutenir qu’elle engage aussi des questions d’égalité et qu’elles reformulent les enjeux de l’émancipation (malgré des excès ou des pathologies militantes, fortement mises en avant par la série) ». Oubliant le passage marquant où l’entraîneur Pascal Terret revient sur le licenciement de son père, le politiste écrit que la « question sociale n’affleure dans la série que sous l’angle du statut de coopérative qu’acquiert le Racing. Le club de foot se rallie à « la démocratie corinthiane », modèle d’autogestion démocratique en pleine dictature militaire au Brésil » (v. mon billet du 5 nov. 2018)., une des séries que j’ai appréciées cette année (pour celle en cours, v. l’illustration ci-dessus) et qui a, peut-être, participé à la décision d’Emmanuel Macron de recourir à la dissolution14En ce sens, Solenn de Royer, « “La Fièvre”, nouvelle série de l’auteur de “Baron noir” : Entre la fiction et la politique, un troublant jeu de miroirs », lemonde.fr 2 janv. (extrait) ; Louis Hausalter, « La Fièvre, cette série qui a intoxiqué Emmanuel Macron et ses conseillers », lefigaro.fr 22 juin 2024 (extrait) ; Baptiste Roger-Lacan, « La fièvre de Macron : la dissolution par les séries », legrandcontinent.eu le 23, je dirais que Lucie Castets s’est trouvée placée en box to box15Tel est le titre du premier épisode de la série, explicité à la demi-heure de jeu par une séquence où l’entraîneur précité (Pascal Vannson) décrit, avec passion, ce qu’il attend de Fodé Thiam (Alassane Diong) sur le terrain ; à l’objection de Sam(uelle) Berger (Nina Meurisse), selon laquelle ce choix tactique se fait au détriment de ses statistiques de buteur, il le concède mais répond : « Le football c’est collectif : j’entraîne pas des joueurs moi, j’entraîne une équipe » (à propos de cette phrase, en en améliorant la syntaxe, v. l’entretien avec Grégory Marin du scénariste Éric Benzekri, « Je suis du camp de ceux qui pensent qu’on ne s’en sortira qu’ensemble », humanite.fr 15-18 mars)… Deux épisodes plus loin est imaginé, à partir d’un ouvrage d’un sociologue (blanc), la publication dans Libération d’un article intitulé « Le “Box to box” ou l’animalisation des corps noirs ». Dans sa recension précitée, François Bégaudeau n’en retient que la réaction de Samuelle (« Tissu de mensonges ») et en conclut qu’il serait, selon la série, « exagéré de dire que le racisme existe en France ». C’est oublier un peu vite le contrôle routier dont fait l’objet le sportif (noir, avant d’être relâché une fois sa position sociale connue) ; la scène est en soi assez éloquente pour susciter la réflexion, bien avant sa qualification comme manifestation du « racisme endémique de la police » par la militante décoloniale Kenza Chelbi (Lou-Adriana Bouziouane, par ailleurs au théâtre dans Quartiers de femmes, de Mohamed Bourouissa ; v. sceneweb.fr 17 oct. 2023). ou, plutôt, en regista16Jérôme Latta et Les Dé-Managers, « Lexique tactique / 1 : postes et rôles », cahiersdufootball.com 3-4 sept. 2014 ; Sam Meunier, « Pourquoi et comment faut-il redéfinir le terme de “box-to-box” », cafecremesport.com 9 juill. 2021 du NFP.

Capture d’écran de la vidéo intitulée « UA23 “Le service public a-t-il un avenir ?” – Lucie Castets », LDH France 29 nov. 2023 ; v. aussi son texte « Services publics : dépasser la crise », Droits & Libertés janv. 2024, n° 204, pp. 48 à 50

Avant d’être désignée, elle avait fait montre de ses qualités défensives : fin 2022, elle venait successivement contrer les arguments (et inconséquences) de Stanislas Guerini17« Les cabinets de conseil ont-ils remplacé les fonctionnaires ? », C Ce soir 29-30 nov. 2022 et de Martin Hirsch18« A-t-on laissé le service public dépérir ? », radiofrance.fr 9 déc. 2022 ; le 11 juin dernier, elle faisait partie des personnes invitées par Mediapart en réaction à la victoire du RN aux élections européennes19« Émission spéciale. Contre l’extrême droite, l’indispensable sursaut », Mediapart 11 juin 2024 (l’émission est séquencée, ce qui permet d’aller directement à 1h09 pour l’écouter) ; v. aussi le numéro spécial de La Déferlante, « Extrêmes droites. Résister en féministes » (à paraître fin août 2024, n° 15)..

Entretemps, sa vision du jeu avait été travaillée au sein du collectif Nos services publics (SP)20Dans l’une de ses trois chroniques pour Alter éco, elle invitait plus largement à « observer que les constats dressés par le collectif Nos services publics et le changement de méthode proposé (repartir des besoins) [dans son premier rapport] coïncident avec ceux de la dernière étude annuelle du Conseil d’État, intitulée « L’usager, du premier au dernier kilomètre : un enjeu d’efficacité de l’action publique et une exigence démocratique », également publiée en septembre 2023 » (Lucie Castets, « Services publics : qu’attend-on pour agir ? », alternatives-economiques.fr 20 sept. 2023). Ayant participé à sa rédaction en tant que rapporteure générale adjointe de la section du rapport et des études, Mélanie Villiers était invitée à la présenter après le Grand Reportage d’Ouafia Kheniche, « Services publics, la grande fracture des territoires », radiofrance.fr 2 août 2024 (première diffusion le vendredi 8 mars) ; à propos de la dématérialisation, v. mon billet du 31 déc. 2023, à la note 11 (en la complétant par cet entretien avec Lucie Castets, francetvinfo.fr 17 avr.), et l’article du haut-fonctionnaire Simon Arambourou, « Les déshumanisateurs. De quoi la “dématérialisation” des services publics est-elle le nom ? », Le Monde diplomatique avr. 2024, p. 3 (extrait). et en échangeant des passes au-delà21Elle était en effet co-animatrice (offensive, pour reprendre l’une qualités attendus d’une regista), avec Said Benmouffok et Béligh Nabli – respectivement professeurs de philosophie et de droit public – du podcast « On n’a pas tout essayé », proposé par Le Nouvel Obs (douze épisodes du 3 mars au 30 juill. 2024 ; en complément du premier avec l’économiste Anne-Laure Delatte, v. la formation avec Michaël Zemmour : « Impôts, cotisations sociales : de quoi parle-t-on ? », OnContinue le 25).. Lors de ses premières matinales, elle la confirmait en rappelant que, « pendant la campagne », des personnes ayant voté pour ce parti confiaient « ne pas vouloir avoir à faire des kilomètres de voiture pour pouvoir accoucher, dans une maternité près de chez [elles] » ; ou encore leur (dés)espoir d’avoir un·e « professeur·e dans la classe de leur enfant à la rentrée de septembre »22« Matignon, retraites, nucléaire… L’interview de Lucie Castets, candidate du NFP pour Matignon », BFMTV 25 juil. 2024.

Le premier exemple23Le second m’amène à signaler mon billet du 20 mai 2018, renvoyant aux pages pertinentes de ma thèse à propos du contentieux relatif aux absences d’enseignant·es non remplacé·es ; v. récemment TA Cergy-Pontoise, 3 avril 2024, n° 2211429 et 2301199 (décisions mises en ligne sur le site du tribunal, qui en signale douze dans un communiqué du 10 avr. – dont les n° 2217195 et 2301195 selon Fleur Jourdan le 25 ; le 19, Jérémy Bousquet citait des jugements non mobilisés dans mes travaux : TA Cergy-Pontoise, 21 juill. 2017, M. et Mme Bollérot, n° 1508790 ; TA Lille, 26 juin 2019, n° 1702109 ; TA Nantes, 10 oct. 2019, n° 1608500 ; TA Montreuil, 13 oct. 2020, n° 2003767 ; TA Besançon, 23 fév. 2021, n° 2000557) et, contra, Gérald Camier, « Toulouse : le tribunal administratif déboute les familles qui réclamaient à l’académie réparation après les heures perdues par leur enfant à l’école », ladepeche.fr 1er août 2024 (trois jugements rendus « fin juillet »). Dans une configuration inédite, v. aussi TA Montreuil Ord., 26 avr. 2024, Préfet de la Seine-Saint-Denis, n° 2404825, 2404826, 2404827, 2404828, 2404829, 2404830, 2404831, 2404832, 2404833, 2404834, 2404964 et 2405058 (douze ordonnances en déféré-suspension, contre des arrêtés municipaux « mettant en demeure l’Etat, dans le cadre d’un plan d’urgence, de créer des postes d’enseignants et de personnels éducatifs ») ; près d’un an plus tôt, 25 mai 2023, n° 2305815, sachant que des contentieux indemnitaires portés par Anina Ciuciu ont abouti en mars 2024 (v. Faïza Zerouala, « Refus de scolarisation : un collectif de mères précaires a gagné face à l’État », Mediapart 29 juin 2024, faisant le lien avec l’affaire de Ris-Orangis, à propos de laquelle v. mon billet du 6 juin 2018). est l’occasion pour moi de revenir sur un arrêt rendu, il y a plus de deux ans, par la Cour administrative d’appel de Lyon, bien qu’il concerne un territoire – le diois – qui constitue, d’un point de vue électoral24« Législatives 2024 : la gauche résiste à la vague RN dans deux circonscriptions de la Drôme », francebleu.fr 30 juin 2024 ; arrivée en tête « dans 181 des 239 communes » de la troisième, Marie Pochon « a été réélue avec 56,59 % des voix contre le candidat RN-LR avec Ciotti, Adhémar Autrand. Une victoire claire, qui place l’une des plus grandes circonscriptions de France résolument à gauche » ; alors que ce dernier « s’impose dans les communes du Sédéronnais et du Tricastin et les piedmonts ouest du Royans-Vercors », elle « fait ses meilleurs scores dans (…) le Crestois, le Nyonsais, le pays de Dieulefit » et, « sans surprise, le Diois [qui] a largement plébiscité la candidate écologiste (70 %) comme en 2022. À Die, elle obtient quasiment 76 % des voix, 66,59 % à Châtillon-en-Diois, 67,32 % à Luc-en-Diois ou encore 78,82 % à Saillans. Elle [y] fait un quasi grand chelem, à l’exception de trois communes, Rochefourchat [une voix contre quatre…], Gumiane [et] Volvent. (…) Deux communes se distinguent sur le Diois, Les Prés où aucun électeur n’a voté pour le Rassemblement national ni au premier ni au second tour, et la commune de Beaumont-en-Diois qui a voté [également, le 7 juillet,] à 100 % pour la députée sortante [recueillant respectivement 14 et 70 voix] » (E.P. et SLC, Journal du Diois et de la Drôme 12 juill., p. 2). « Rare députée écologiste d’une circonscription rurale », souligne sa page Wikipédia (au 26)., plutôt un contre-exemple du lien entre la dégradation des services publics et la montée de l’extrême droite25En tout état de cause, ce lien ne saurait en résumer les déterminants : v. l’émission avec la journaliste Camille Bordenet et le sociologue Benoit Coquard (radiofrance.fr 19 juin 2024), ainsi que la recension du livre de Félicien Faury, Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite (Seuil), par François Rulier, politis.fr 10 juill. ; v. encore Jean-Marie Pottier, « Pourquoi ont-ils voté Rassemblement national ? Ethnographie d’une lame de fond », Sciences Humaines juill.-août 2024, n° 370, pp. 27 à 35, avec d’autres références page 31, et la recension pp. 28-29 de l’essai à paraître du philosophe belge Michel Feher, Producteurs et parasites. L’imaginaire si désirable du Rassemblement national (La Découverte)..

Contrairement au tribunal administratif de Grenoble, qui avait donné raison au Collectif de défense de l’Hôpital de Die26V. mon billet du 29 juillet 2020, renvoyant à mes publications antérieures sur cette question des fermetures de maternité, abordée d’un point de vue contentieux à partir du cas de Die ; en complément au reportage d’Élodie Potente publié dans le Cahier spécial Auvergne-Rhône-Alpes de la revue Sans transition ! janv. 2021, n° 27, p. 15 – déjà cité au détour de mes travaux de recherche –, v. le texte de Géraldine Magnan pour Profession Sage-Femme nov. 2020, n° 266, pp. 7-8, citant in fine l’avocate Lucile Stahl – à partir du site de l’association requérante, « Journée des droits des femmes : à quand une réouverture de la maternité de Die ? », collectifhopitaldie.org 8 mars 2021, la Cour est venue conforter « la décision par laquelle le directeur du centre hospitalier a renoncé à solliciter pour le compte [de l’établissement] le renouvellement des autorisations accordées par l’agence régionale de santé des activités de soins de chirurgie et de gynécologie-obstétrique en hospitalisation complète, arrivées à échéance le 31 décembre 2017 »27CAA Lyon, 3 mai 2022, Centre hospitalier de Die, n° 20LY02168, cons. 10, en précisant le 19 août 2024 que cet arrêt a été rendu sur les conclusions contraires de la rapporteure publique.. L’arrêt repose essentiellement sur l’argument – pourtant facilement réversible – des « problèmes » ou « impératifs de sécurité »28Cons. 12 ; « organiser une prise en charge des parturientes de manière sécurisée », pour reprendre une formule du considérant précédent, s’est donc fait – ici comme ailleurs – en les éloignant des maternités ; dans son étude annuelle précitée, le Conseil d’État ne l’ignore pas : notant que « la priorité légitime donnée aux enjeux de sécurité dans le fonctionnement du service » est un « motif qui a pu justifier, par exemple, les fermetures de maternité depuis plus de quarante ans », il se réfère aux données de la DREES « entre 2000 et 2017 » (2021, 6 p.) pour conclure que « les “anecdotes” de bébés naissant dans le VSL des pompiers se multiplient depuis… » (2023, pp. 111-112). V. encore les travaux de la « Mission d’information sur l’avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale », créé par le Sénat et menées au « premier semestre 2024 ». ; pour balayer les droits invoqués par le collectif, la Cour s’est bornée à affirmer que « compte tenu de la situation des services concernés, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse méconnaîtrait les stipulations de l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels29Droit aux « services médicaux »., celles des articles 12 et 14 de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes30Idem et obligation des États parties de tenir « compte des problèmes particuliers qui se posent aux femmes rurales ». et les dispositions de l’article 11 de la charte sociale européenne31« Droit à la protection de la santé ». ne sont, en tout état de cause, pas établis »32Cons. 14 ; comparer Nikitas Aliprantis, « Fonder le caractère juridictionnel des organes supranationaux statuant sur des droits sociaux », La Revue des Droits de l’Homme 2024, n° 24, mis en ligne le 3 nov. 2023, § 30, concluant sur « l’obligation des juges [nationaux] d’intégrer ces normes (…) à la seule condition que l’instrument supranational concerné soit ratifié et mis en vigueur »..

À la fin de cette même année 2022, plusieurs associations avaient plus largement sollicité « la condamnation de l’État à réparer les préjudices causés aux intérêts qu’elles représentent et qu’il lui soit enjoint de prendre différentes mesures de nature à mettre un terme à ses carences en matière hospitalière »33TA Paris, 6 juin 2024, Assoc. « Collectif inter hôpitaux » et a., n° 2222852/6-3 ; mutatis mutandis, Christel Cournil et Marine Fleury, « De « l’Affaire du siècle » au « casse du siècle » ? Quand le climat pénètre avec fracas le droit de la responsabilité administrative », La Revue des Droits de l’Homme ADL 7 févr. 2021, avec des recours récents contre l’orpaillage illégal en Guyane (la1ere.francetvinfo.fr 16 oct. 2023) ou l’éolien offshore (seashepherd.fr 11 mars 2024) ; « La Libre Pensée demande au Tribunal administratif de Paris d’engager la responsabilité de l’État pour inaction en matière de laïcité », fnlp.fr 21 juill. 2024 ; au motif qu’il ne saurait « se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique », le tribunal administratif de Paris a rejeté cette requête, le 6 juin dernier34Ibid., cons. 4 et s. ; à propos des tensions liées à l’accès aux études de santé, CE, 29 mars 2024, Sorbonne Université, n° 487772 ; LIJMEN juill. 2024, n° 231 ; Soazig Le Nevé, lemonde.fr le 15 (v. aussi, même s’il faudrait l’actualiser, mon billet du 5 sept. 2018 relatif au numerus clausus)..

Photo reprise depuis C.T., martinique.franceantilles.fr 20 juill. 2011

Le président de la République refusant pour l’instant que la coalition arrivée en tête aux élections législatives ne le fasse, l’un des noms suggérés à la place de la regista du NFP a permis à cette dernière d’exprimer son talent offensif : « “Comment nommer un premier ministre qui n’a pas de majorité et qui ne représenterait que lui-même ?, lance Lucie Castets dans une interview mardi 6 août au quotidien Sud Ouest. (…) Xavier Bertrand, c’est l’affaiblissement des financements de l’hôpital, une suppression massive de lits, l’explosion des constructions d’Ehpad privés, une réforme injuste des retraites”, assène-t-elle, en référence à ses responsabilités ministérielles passées »35« La nomination de Xavier Bertrand à Matignon serait une “aberration”, fustige Lucie Castets », lefigaro.fr avec AFP 7 août 2024 ; v. plus largement Rob Grams, « Xavier Bertrand : modéré en apparence, le pire du macronisme dans les faits », frustrationmagazine.fr le 5, en ajoutant le 19 août l’article publié sur le même site par Adrien Pourageaud, « [Bernard] Cazeneuve de retour à Matignon ? Comment dire… », le 13, ainsi que la réaction de Lucie Castets sur bfmtv (en 2020, à l’occasion de mes activités pédagogiques, je m’étais amusé d’un texte pour le moins osé de l’avocat d’affaires, intitulé « Bernard Stirn, la Normandie et Alexis de Tocqueville », in La scène juridique : harmonies en mouvement. Mélanges en l’honneur de Bernard Stirn, Dalloz, 2019, p. 131, spéc. pp. 133-134, où il discernait un « lien (…) qui les conduisit l’un et l’autre à penser le droit et à l’interpréter de telle sorte qu’il puisse, par la disposition des choses, contenir le pouvoir pour préserver les libertés » ; c’est donc en ces termes que l’ancien président de la section du contentieux du Conseil d’État voyait son action qualifiée par celui qui était ministre de l’Intérieur durant l’état d’urgence… Comparer ceux de cinq rapporteurs spéciaux des Nations Unies – le 19 janvier 2016 – et de la professeure de droit Danièle Lochak, « Le juge administratif joue-t-il vraiment un rôle politique ? », in Thomas Perroud (dir.), Les grands arrêts politiques de la jurisprudence administrative, LGDJ/Lextenso, 2019,p. 25, spéc. p. 27 : « l’impact [du contrôle du juge] dépend de ce qu’on met sur chacun des plateaux de la balance : en pratique, le triple test dit de nécessité, d’adaptation et de proportionnalité a débouché dans la très grande majorité des cas sur la validation de mesures gravement attentatoires aux libertés »)..

Tout comme il est trop tôt pour savoir si l’équipe de France masculine36L’équipe féminine s’est inclinée en quart de finale contre le Brésil, qui a ensuite « fait chuter l’Espagne et défiera les États-Unis [samedi 10 août 2024 à 17h] » (TB, sofoot.com le 6). de football a su, quarante ans après les Jeux Olympiques d’été de Los Angeles37Benjamin Quarez et Harold Marchetti, « JO Paris 2024, football : les héros de Los Angeles 84 invités au Parc des Princes pour la finale des Bleus [vendredi 9 août, à 18h] », leparisien.fr le 6 ; il est prévu que les jeux de 2028 aient à nouveau lieu dans la ville américaine, et ceux de 2032 à Brisbane (pour la troisième édition australienne)., remporter ceux de Paris38Au cours d’un échange publié dans Le Parisien le mercredi 20 mars, le sélectionneur des Espoirs rappelait que « ça fait longtemps qu’on n’a pas remporté les JO (1984) » ; Thierry Henry confiait aussi avoir « pleuré quand, en qualif en novembre 1999, on s’est fait éliminer par l’Italie de Gattuso et Pirlo » (phrase reprise de façon condensée en titre, n° 24748, pp. 18 et s., spéc. 19 ; extraits initialement placés en note 5 de mon billet du 23 mars 2024, rapatriés ici pour citer la page Wikipédia de ce dernier, au 23 juillet : « Meneur de jeu très bas, pouvant jouer court, long ou individuel, il est l’exemple même du regista ».)., l’on ne sait pas encore sur quoi va déboucher l’actuelle configuration politique. Lorsque j’ai rédigé mon dernier billet, et plus encore au soir du second tour de ces élections législatives, il me semblait – comme à beaucoup – qu’on ne pouvait espérer qu’éviter une majorité absolue du RN ; le pire n’est jamais sûr39Ou pas certain, pour reprendre le titre d’un livre de Catherine et Raphaël Larrère (premierparallele.fr 2020 – la couverture me permettant de consigner ici la date de ma première expérience en parapente, le 21 juillet dernier).

Notes

1 Collectif, « Le Nouveau Front populaire doit sans tarder tendre la main aux autres acteurs du front républicain pour discuter d’un programme d’urgence républicaine », lemonde.fr 11-12 juill. 2024 ; J.J., « Laurence Tubiana à Matignon ? Pourquoi son nom divise autant le Nouveau Front populaire », laprovence.com avec AFP le 16
2 Ce qui est clair, c’est comment les socialistes l’ont fait, à savoir au motif que l’approbation écologiste n’était pas acquise : v. Daniel Schneidermann, « Qui a tué la candidature Huguette Bello ? », arretsurimages.net 17 juill. 2024 ; elle avait même semblé recueillir le soutien de Carole Delga, avant qu’elle ne se fende d’une « mise au point » (v. Gabriel Kenedi, actu.fr/occitanie le 13). Dans la même période, v. CEDH, 9 juill. 2024, Delga c. France, n° 38998/20 (arrêt non définitif de la cinquième section, rendu à l’unanimité ; Abel Mestre, « Victoire juridique de Carole Delga contre un maire RN du Gard », Le Monde 12 juill. 2024, p. 12).
3 « Pas de gouvernement avant la mi-août, rejet de Lucie Castets… les six moments forts de l’interview d’Emmanuel Macron », liberation.fr avec AFP 23 juill. 2024 ; décryptant cette intervention, Théophile Kouamouo, Le Média le 24 ; y voyant « une interprétation erronée de la Constitution », Julien Jeanneney, lemonde.fr le 25 (auparavant et dans le même sens, Pierre Avril, blog.juspoliticum.com le 15 ; contra Dominique Rousseau – cité par Émilie Jehanno, 20minutes.fr le 12).
4 L’École nationale d’administration (ENA) a été remplacée par l’Institut national du service public (INSP) le 31 décembre 2021 ; cette réforme avait été présentée en avril par Emmanuel Macron (issu de la promotion 2002-2004, dite Léopold-Sédar-Senghor).
5 V. mon billet (portrait) du 28 juillet 2018
6 V. mon billet du 28 juin 2024, en signalant la modification de ma note 21, et mon nouveau record sur 5km – 21 minutes 43, ce matin même –, en passant par la nouvelle passerelle de Bourg-lès-Valence, que j’ai plaisir à emprunter depuis le 12 avril (avec des coéquipiers de foot puis mon adjoint et mes joueurs du vieux bourg, nous utilisions l’ancienne pour nous rendre à l’entraînement, dans les années 2000) ; c’était donc une « une course avec un tempo relativement lent » (Olivier GH, « Athlétisme JO 2024 : Beatrice Chebet crée la sensation sur le 5000 m femmes », dicodusport.fr le 5 août), à sept minutes du record de France féminin (lequipe.fr ; deux français sont qualifiés pour la finale hommes ce samedi, pour cette épreuve sur piste introduite aux JO de 1912 – selon Wikipédia –, soit entre les premières éditions françaises, en 1900 et 1924).
7 Lucie Alexandre, Victor Boiteau et Eve Szeftel, « Lucie Castets, une “guerrière” à la croisée des réseaux », Libération 26 juill. 2024, pp. 16-17 ; au passage, recensant le livre de l’historienne américaine Judith Coffin (Sexe, amour et féminisme. Quand on écrivait à « Madame de Beauvoir », Plon, 2023, préfacé par la philosophe Manon Garcia), v. Christian Ruby, nonfiction.fr 8 juin 2024 (ajout le 19 août, à partir de telerama.fr le 10 : Simone de Beauvoir (1908-1986) a été l’une des dix femmes célébrées cet été à Paris, « dont les statues devraient survivre aux JO » ; elle « n’était pas apparue à l’écran lors de la retransmission de la cérémonie [d’ouverture] »).
8 « Arrêté du 7 janvier 2014 portant affectation aux carrières des élèves (…) de l’École nationale d’administration ayant terminé leur scolarité au 31 décembre 2013 (élèves issus des concours externe, interne et troisième concours) », JORF n° 0007 du 9 janv. 2014
9 Arrêté du 14 janvier 2014, JORF n° 0020 du 24 janv.
10 « Tracfin, la cellule de renseignement financier de Bercy » (« Qui est Lucie Castets, proposée par le Nouveau Front populaire pour le poste de Première ministre ? », francetvinfo.fr 24 juill. 2024).
11 Florent Le Du et Lisa Guillemin, « Lucie Castets, propulsée par la gauche pour Matignon », L’Humanité 24 juill. 2024, p. 6 ; Service politique, « Haute fonctionnaire, engagée pour la défense des services publics… Qui est Lucie Castets, proposée par le NFP pour Matignon ? », nouvelobs.com 23-24 juill. 2024 : « D’après ses amis, c’est aussi dans la vie privée une sportive, joueuse de foot, féministe et mère d’un enfant ».
12 « À l’école, je participais à tous les cross. J’ai fait du tennis pendant une dizaine d’années, du handball, du taekwondo. J’aime l’effort physique », confie-t-elle – sans confirmer, donc – dans l’entretien publié sous le titre « Je veux dire qui je suis », Paris Match 8-13 août 2024, p. 18 – réalisé par Florent Buisson, qui ajoute : « Fan de surf, elle a aussi parcouru le monde au gré de ses études. Un parcours qui contraste avec l’image de l’énarque toujours le nez dans ses dossiers ». Ajouts de deux textes : son entretien publié dans Libération le 21, pp. 3-4 (annoncé à la Une sous le titre « Nous saurons trouver des accords »), qu’elle terminait en s’affirmant « étonnée [que l]es commentaires n’ont retenu que [l’évocation de sa famille], alors qu’il y avait plein de choses sur [elle, sa vie, sa provenance de Caen et sa pratique] du sport » ; « Avant, elle aimait jouer au foot le soir, quelles que soient les intempéries », est-il écrit dans une tribune publiée en ligne le 30, au terme de l’extrait accessible sans abonnement (v. aussi Clément Machetto, « Judith Godrèche s’attaque à Emmanuel Macron, “le même qui célébrait Gérard Depardieu” », closermag.fr le 31).
13 Écouter l’entretien avec le réalisateur Ziad Doueiri dans le podcast Affaires culturelles, radiofrance.fr 12 mars 2024, ainsi qu’Ana Girardot et Nina Meurisse revenant « sur leurs rôles » (Canal + le 5 avr.). Pour une critique sans concession, François Bégaudeau, « Une fièvre d’ordre », Le Monde diplomatique juill. 2024, p. 13 (extrait ; v. aussi infra) ; comparer Rémi Lefebvre, « La Fièvre : le thermomètre est-il juste ? », in Raphaël LLorca et Jérémie Peltier (dir.), Sur La Fièvre. Enseignements politiques d’une série, (Fondation) jean-jaures.org 9 avr. 2024, p. 65, spéc. p. 68 : « Si la série ne verse pas dans la caricature de l’antiwokisme (le terme est très peu utilisé), elle tend à rabattre de nouvelles thématiques et revendications (néoféminisme, lutte contre les discriminations…) sur des questions d’identité alors que l’on peut soutenir qu’elle engage aussi des questions d’égalité et qu’elles reformulent les enjeux de l’émancipation (malgré des excès ou des pathologies militantes, fortement mises en avant par la série) ». Oubliant le passage marquant où l’entraîneur Pascal Terret revient sur le licenciement de son père, le politiste écrit que la « question sociale n’affleure dans la série que sous l’angle du statut de coopérative qu’acquiert le Racing. Le club de foot se rallie à « la démocratie corinthiane », modèle d’autogestion démocratique en pleine dictature militaire au Brésil » (v. mon billet du 5 nov. 2018).
14 En ce sens, Solenn de Royer, « “La Fièvre”, nouvelle série de l’auteur de “Baron noir” : Entre la fiction et la politique, un troublant jeu de miroirs », lemonde.fr 2 janv. (extrait) ; Louis Hausalter, « La Fièvre, cette série qui a intoxiqué Emmanuel Macron et ses conseillers », lefigaro.fr 22 juin 2024 (extrait) ; Baptiste Roger-Lacan, « La fièvre de Macron : la dissolution par les séries », legrandcontinent.eu le 23
15 Tel est le titre du premier épisode de la série, explicité à la demi-heure de jeu par une séquence où l’entraîneur précité (Pascal Vannson) décrit, avec passion, ce qu’il attend de Fodé Thiam (Alassane Diong) sur le terrain ; à l’objection de Sam(uelle) Berger (Nina Meurisse), selon laquelle ce choix tactique se fait au détriment de ses statistiques de buteur, il le concède mais répond : « Le football c’est collectif : j’entraîne pas des joueurs moi, j’entraîne une équipe » (à propos de cette phrase, en en améliorant la syntaxe, v. l’entretien avec Grégory Marin du scénariste Éric Benzekri, « Je suis du camp de ceux qui pensent qu’on ne s’en sortira qu’ensemble », humanite.fr 15-18 mars)… Deux épisodes plus loin est imaginé, à partir d’un ouvrage d’un sociologue (blanc), la publication dans Libération d’un article intitulé « Le “Box to box” ou l’animalisation des corps noirs ». Dans sa recension précitée, François Bégaudeau n’en retient que la réaction de Samuelle (« Tissu de mensonges ») et en conclut qu’il serait, selon la série, « exagéré de dire que le racisme existe en France ». C’est oublier un peu vite le contrôle routier dont fait l’objet le sportif (noir, avant d’être relâché une fois sa position sociale connue) ; la scène est en soi assez éloquente pour susciter la réflexion, bien avant sa qualification comme manifestation du « racisme endémique de la police » par la militante décoloniale Kenza Chelbi (Lou-Adriana Bouziouane, par ailleurs au théâtre dans Quartiers de femmes, de Mohamed Bourouissa ; v. sceneweb.fr 17 oct. 2023).
16 Jérôme Latta et Les Dé-Managers, « Lexique tactique / 1 : postes et rôles », cahiersdufootball.com 3-4 sept. 2014 ; Sam Meunier, « Pourquoi et comment faut-il redéfinir le terme de “box-to-box” », cafecremesport.com 9 juill. 2021
17 « Les cabinets de conseil ont-ils remplacé les fonctionnaires ? », C Ce soir 29-30 nov. 2022
18 « A-t-on laissé le service public dépérir ? », radiofrance.fr 9 déc. 2022
19 « Émission spéciale. Contre l’extrême droite, l’indispensable sursaut », Mediapart 11 juin 2024 (l’émission est séquencée, ce qui permet d’aller directement à 1h09 pour l’écouter) ; v. aussi le numéro spécial de La Déferlante, « Extrêmes droites. Résister en féministes » (à paraître fin août 2024, n° 15).
20 Dans l’une de ses trois chroniques pour Alter éco, elle invitait plus largement à « observer que les constats dressés par le collectif Nos services publics et le changement de méthode proposé (repartir des besoins) [dans son premier rapport] coïncident avec ceux de la dernière étude annuelle du Conseil d’État, intitulée « L’usager, du premier au dernier kilomètre : un enjeu d’efficacité de l’action publique et une exigence démocratique », également publiée en septembre 2023 » (Lucie Castets, « Services publics : qu’attend-on pour agir ? », alternatives-economiques.fr 20 sept. 2023). Ayant participé à sa rédaction en tant que rapporteure générale adjointe de la section du rapport et des études, Mélanie Villiers était invitée à la présenter après le Grand Reportage d’Ouafia Kheniche, « Services publics, la grande fracture des territoires », radiofrance.fr 2 août 2024 (première diffusion le vendredi 8 mars) ; à propos de la dématérialisation, v. mon billet du 31 déc. 2023, à la note 11 (en la complétant par cet entretien avec Lucie Castets, francetvinfo.fr 17 avr.), et l’article du haut-fonctionnaire Simon Arambourou, « Les déshumanisateurs. De quoi la “dématérialisation” des services publics est-elle le nom ? », Le Monde diplomatique avr. 2024, p. 3 (extrait).
21 Elle était en effet co-animatrice (offensive, pour reprendre l’une qualités attendus d’une regista), avec Said Benmouffok et Béligh Nabli – respectivement professeurs de philosophie et de droit public – du podcast « On n’a pas tout essayé », proposé par Le Nouvel Obs (douze épisodes du 3 mars au 30 juill. 2024 ; en complément du premier avec l’économiste Anne-Laure Delatte, v. la formation avec Michaël Zemmour : « Impôts, cotisations sociales : de quoi parle-t-on ? », OnContinue le 25).
22 « Matignon, retraites, nucléaire… L’interview de Lucie Castets, candidate du NFP pour Matignon », BFMTV 25 juil. 2024
23 Le second m’amène à signaler mon billet du 20 mai 2018, renvoyant aux pages pertinentes de ma thèse à propos du contentieux relatif aux absences d’enseignant·es non remplacé·es ; v. récemment TA Cergy-Pontoise, 3 avril 2024, n° 2211429 et 2301199 (décisions mises en ligne sur le site du tribunal, qui en signale douze dans un communiqué du 10 avr. – dont les n° 2217195 et 2301195 selon Fleur Jourdan le 25 ; le 19, Jérémy Bousquet citait des jugements non mobilisés dans mes travaux : TA Cergy-Pontoise, 21 juill. 2017, M. et Mme Bollérot, n° 1508790 ; TA Lille, 26 juin 2019, n° 1702109 ; TA Nantes, 10 oct. 2019, n° 1608500 ; TA Montreuil, 13 oct. 2020, n° 2003767 ; TA Besançon, 23 fév. 2021, n° 2000557) et, contra, Gérald Camier, « Toulouse : le tribunal administratif déboute les familles qui réclamaient à l’académie réparation après les heures perdues par leur enfant à l’école », ladepeche.fr 1er août 2024 (trois jugements rendus « fin juillet »). Dans une configuration inédite, v. aussi TA Montreuil Ord., 26 avr. 2024, Préfet de la Seine-Saint-Denis, n° 2404825, 2404826, 2404827, 2404828, 2404829, 2404830, 2404831, 2404832, 2404833, 2404834, 2404964 et 2405058 (douze ordonnances en déféré-suspension, contre des arrêtés municipaux « mettant en demeure l’Etat, dans le cadre d’un plan d’urgence, de créer des postes d’enseignants et de personnels éducatifs ») ; près d’un an plus tôt, 25 mai 2023, n° 2305815, sachant que des contentieux indemnitaires portés par Anina Ciuciu ont abouti en mars 2024 (v. Faïza Zerouala, « Refus de scolarisation : un collectif de mères précaires a gagné face à l’État », Mediapart 29 juin 2024, faisant le lien avec l’affaire de Ris-Orangis, à propos de laquelle v. mon billet du 6 juin 2018).
24 « Législatives 2024 : la gauche résiste à la vague RN dans deux circonscriptions de la Drôme », francebleu.fr 30 juin 2024 ; arrivée en tête « dans 181 des 239 communes » de la troisième, Marie Pochon « a été réélue avec 56,59 % des voix contre le candidat RN-LR avec Ciotti, Adhémar Autrand. Une victoire claire, qui place l’une des plus grandes circonscriptions de France résolument à gauche » ; alors que ce dernier « s’impose dans les communes du Sédéronnais et du Tricastin et les piedmonts ouest du Royans-Vercors », elle « fait ses meilleurs scores dans (…) le Crestois, le Nyonsais, le pays de Dieulefit » et, « sans surprise, le Diois [qui] a largement plébiscité la candidate écologiste (70 %) comme en 2022. À Die, elle obtient quasiment 76 % des voix, 66,59 % à Châtillon-en-Diois, 67,32 % à Luc-en-Diois ou encore 78,82 % à Saillans. Elle [y] fait un quasi grand chelem, à l’exception de trois communes, Rochefourchat [une voix contre quatre…], Gumiane [et] Volvent. (…) Deux communes se distinguent sur le Diois, Les Prés où aucun électeur n’a voté pour le Rassemblement national ni au premier ni au second tour, et la commune de Beaumont-en-Diois qui a voté [également, le 7 juillet,] à 100 % pour la députée sortante [recueillant respectivement 14 et 70 voix] » (E.P. et SLC, Journal du Diois et de la Drôme 12 juill., p. 2). « Rare députée écologiste d’une circonscription rurale », souligne sa page Wikipédia (au 26).
25 En tout état de cause, ce lien ne saurait en résumer les déterminants : v. l’émission avec la journaliste Camille Bordenet et le sociologue Benoit Coquard (radiofrance.fr 19 juin 2024), ainsi que la recension du livre de Félicien Faury, Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite (Seuil), par François Rulier, politis.fr 10 juill. ; v. encore Jean-Marie Pottier, « Pourquoi ont-ils voté Rassemblement national ? Ethnographie d’une lame de fond », Sciences Humaines juill.-août 2024, n° 370, pp. 27 à 35, avec d’autres références page 31, et la recension pp. 28-29 de l’essai à paraître du philosophe belge Michel Feher, Producteurs et parasites. L’imaginaire si désirable du Rassemblement national (La Découverte).
26 V. mon billet du 29 juillet 2020, renvoyant à mes publications antérieures sur cette question des fermetures de maternité, abordée d’un point de vue contentieux à partir du cas de Die ; en complément au reportage d’Élodie Potente publié dans le Cahier spécial Auvergne-Rhône-Alpes de la revue Sans transition ! janv. 2021, n° 27, p. 15 – déjà cité au détour de mes travaux de recherche –, v. le texte de Géraldine Magnan pour Profession Sage-Femme nov. 2020, n° 266, pp. 7-8, citant in fine l’avocate Lucile Stahl – à partir du site de l’association requérante, « Journée des droits des femmes : à quand une réouverture de la maternité de Die ? », collectifhopitaldie.org 8 mars 2021
27 CAA Lyon, 3 mai 2022, Centre hospitalier de Die, n° 20LY02168, cons. 10, en précisant le 19 août 2024 que cet arrêt a été rendu sur les conclusions contraires de la rapporteure publique.
28 Cons. 12 ; « organiser une prise en charge des parturientes de manière sécurisée », pour reprendre une formule du considérant précédent, s’est donc fait – ici comme ailleurs – en les éloignant des maternités ; dans son étude annuelle précitée, le Conseil d’État ne l’ignore pas : notant que « la priorité légitime donnée aux enjeux de sécurité dans le fonctionnement du service » est un « motif qui a pu justifier, par exemple, les fermetures de maternité depuis plus de quarante ans », il se réfère aux données de la DREES « entre 2000 et 2017 » (2021, 6 p.) pour conclure que « les “anecdotes” de bébés naissant dans le VSL des pompiers se multiplient depuis… » (2023, pp. 111-112). V. encore les travaux de la « Mission d’information sur l’avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale », créé par le Sénat et menées au « premier semestre 2024 ».
29 Droit aux « services médicaux ».
30 Idem et obligation des États parties de tenir « compte des problèmes particuliers qui se posent aux femmes rurales ».
31 « Droit à la protection de la santé ».
32 Cons. 14 ; comparer Nikitas Aliprantis, « Fonder le caractère juridictionnel des organes supranationaux statuant sur des droits sociaux », La Revue des Droits de l’Homme 2024, n° 24, mis en ligne le 3 nov. 2023, § 30, concluant sur « l’obligation des juges [nationaux] d’intégrer ces normes (…) à la seule condition que l’instrument supranational concerné soit ratifié et mis en vigueur ».
33 TA Paris, 6 juin 2024, Assoc. « Collectif inter hôpitaux » et a., n° 2222852/6-3 ; mutatis mutandis, Christel Cournil et Marine Fleury, « De « l’Affaire du siècle » au « casse du siècle » ? Quand le climat pénètre avec fracas le droit de la responsabilité administrative », La Revue des Droits de l’Homme ADL 7 févr. 2021, avec des recours récents contre l’orpaillage illégal en Guyane (la1ere.francetvinfo.fr 16 oct. 2023) ou l’éolien offshore (seashepherd.fr 11 mars 2024) ; « La Libre Pensée demande au Tribunal administratif de Paris d’engager la responsabilité de l’État pour inaction en matière de laïcité », fnlp.fr 21 juill. 2024
34 Ibid., cons. 4 et s. ; à propos des tensions liées à l’accès aux études de santé, CE, 29 mars 2024, Sorbonne Université, n° 487772 ; LIJMEN juill. 2024, n° 231 ; Soazig Le Nevé, lemonde.fr le 15 (v. aussi, même s’il faudrait l’actualiser, mon billet du 5 sept. 2018 relatif au numerus clausus).
35 « La nomination de Xavier Bertrand à Matignon serait une “aberration”, fustige Lucie Castets », lefigaro.fr avec AFP 7 août 2024 ; v. plus largement Rob Grams, « Xavier Bertrand : modéré en apparence, le pire du macronisme dans les faits », frustrationmagazine.fr le 5, en ajoutant le 19 août l’article publié sur le même site par Adrien Pourageaud, « [Bernard] Cazeneuve de retour à Matignon ? Comment dire… », le 13, ainsi que la réaction de Lucie Castets sur bfmtv (en 2020, à l’occasion de mes activités pédagogiques, je m’étais amusé d’un texte pour le moins osé de l’avocat d’affaires, intitulé « Bernard Stirn, la Normandie et Alexis de Tocqueville », in La scène juridique : harmonies en mouvement. Mélanges en l’honneur de Bernard Stirn, Dalloz, 2019, p. 131, spéc. pp. 133-134, où il discernait un « lien (…) qui les conduisit l’un et l’autre à penser le droit et à l’interpréter de telle sorte qu’il puisse, par la disposition des choses, contenir le pouvoir pour préserver les libertés » ; c’est donc en ces termes que l’ancien président de la section du contentieux du Conseil d’État voyait son action qualifiée par celui qui était ministre de l’Intérieur durant l’état d’urgence… Comparer ceux de cinq rapporteurs spéciaux des Nations Unies – le 19 janvier 2016 – et de la professeure de droit Danièle Lochak, « Le juge administratif joue-t-il vraiment un rôle politique ? », in Thomas Perroud (dir.), Les grands arrêts politiques de la jurisprudence administrative, LGDJ/Lextenso, 2019,p. 25, spéc. p. 27 : « l’impact [du contrôle du juge] dépend de ce qu’on met sur chacun des plateaux de la balance : en pratique, le triple test dit de nécessité, d’adaptation et de proportionnalité a débouché dans la très grande majorité des cas sur la validation de mesures gravement attentatoires aux libertés »).
36 L’équipe féminine s’est inclinée en quart de finale contre le Brésil, qui a ensuite « fait chuter l’Espagne et défiera les États-Unis [samedi 10 août 2024 à 17h] » (TB, sofoot.com le 6).
37 Benjamin Quarez et Harold Marchetti, « JO Paris 2024, football : les héros de Los Angeles 84 invités au Parc des Princes pour la finale des Bleus [vendredi 9 août, à 18h] », leparisien.fr le 6 ; il est prévu que les jeux de 2028 aient à nouveau lieu dans la ville américaine, et ceux de 2032 à Brisbane (pour la troisième édition australienne).
38 Au cours d’un échange publié dans Le Parisien le mercredi 20 mars, le sélectionneur des Espoirs rappelait que « ça fait longtemps qu’on n’a pas remporté les JO (1984) » ; Thierry Henry confiait aussi avoir « pleuré quand, en qualif en novembre 1999, on s’est fait éliminer par l’Italie de Gattuso et Pirlo » (phrase reprise de façon condensée en titre, n° 24748, pp. 18 et s., spéc. 19 ; extraits initialement placés en note 5 de mon billet du 23 mars 2024, rapatriés ici pour citer la page Wikipédia de ce dernier, au 23 juillet : « Meneur de jeu très bas, pouvant jouer court, long ou individuel, il est l’exemple même du regista ».).
39 Ou pas certain, pour reprendre le titre d’un livre de Catherine et Raphaël Larrère (premierparallele.fr 2020 – la couverture me permettant de consigner ici la date de ma première expérience en parapente, le 21 juillet dernier).

Front populaire et Blum : quelques références

Capture d’écran du Contrat de législature du NFP, juin 2024

Après les élections européennes1Il y a un peu plus de cinq ans, le 13 mai 2019, j’avais publié un billet à l’approche du scrutin, à propos des revendications de la liberté de circulation – qui se font parfois au détriment du droit à l’éducation. et l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, la référence au « Front populaire » est rapidement redevenue sur le devant de la scène : dès cette soirée du dimanche 9 juin, l’expression avait été employée par François Ruffin qui, trois jours plus tard, proposait comme « première mesure (…) l’école vraiment gratuite »2« Législatives : François Ruffin souhaite “la véritable gratuité de l’école” », bfmtv.com 12 juin 2024 ; ajout le 9 juillet de cet extrait de Marine Tondelier, au soir du second tour, x.com le 7 ; « Faire les premiers pas pour la gratuité intégrale à l’école : cantine scolaire, fournitures, transports, activités périscolaires », telle est l’une des formules du Contrat de législature du Nouveau Front Populaire (NFP)3NFP, Contrat de législature préc., juin 2024, p. 5 ; v. Olivier Chartrain, « Nouveau Front Populaire : fin du “choc des savoirs” et l’ambition de rebâtir l’école publique », humanite.fr le 14, Philippe Watrelot, « La gauche et l’école : un programme prometteur à développer », alternatives-economiques.fr le 26 et, mis en ligne entretemps, comparateur.nosservicespublics.fr/education.

Depuis trois semaines, de nombreux éclairages ont été publiés sur les limites et l’intérêt4V. par ex. Frédéric Monier (entretien avec, par Olivier Doubre), « La référence au Front populaire permet de lier conscience du danger et victoire possible », politis.fr le 18 de cette « réactivation politique d’une référence mémorielle »5Fabien Escalona, « Front populaire : les gauches réveillent le mythe de 1936 », Mediapart le 11 ; v. aussi les textes rassemblés sur le blog du journal, sous le titre « Léon Blum, Front populaire et référence mémorielle ». ; elle me donne l’occasion de renvoyer à quelques textes6V. tout d’abord mes billets des 31 janvier 2020 (au cinquième paragraphe) et 29 février 2020 (en note 9), ainsi que ma note de jurisprudence liée (Rev.jurisp. ALYODA 2020, n° 1, janv.-mai, au point 2)., en particulier à mon billet (portrait) consacré à Jean Zay (1904-1944)7Texte publié le 28 juillet 2018.

Le 4 juin 1936, il avait été nommé ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts par Léon Blum (1872-1950). Sauf erreur, alors que je mentionnais plusieurs fois ce dernier en 20178V. ma thèse, aux (notes de bas de) pages (202, 247,) 550, (717,) 718, 760 (et 1006)., je ne l’ai fait sur ce site qu’une seule fois9Le 23 septembre 2018, lors de l’actualisation de mon billet intitulé « De Marie Curie à Paul Langevin », 4 févr. 2018 ; il l’a été beaucoup plus ces dernières semaines, jusqu’au sommet de l’État10Pour reprendre une jolie formule, Blum est quant à lui « parvenu au sommet en empruntant le chemin des crêtes » (Jacques Julliard, Les gauches françaises. 1762-2012 : Histoire, politique et imaginaire, Flammarion, 2012, p. 556). : les 10 et 12 juin, un député du Rassemblement National, une essayiste et le président de la République tenaient, dans des termes très proches, à lui adresser « une pensée »11« Duhamel (BFM) recadre sèchement Odoul (RN) sur Léon Blum », entrevue.fr 11 juin 2024 : si l’heure mentionnée est la bonne, la formule a été employée deux minutes avant le tweet de l’essayiste plagiaire Rachel Khan (reproduit par Ronan Tésorière, « Législatives : Bernard Cazeneuve et Julien Dray tirent à boulets rouges sur « le Front Populaire », leparisien.fr le 11) ; Mathilde Serra, « “Il doit se retourner dans sa tombe” : Emmanuel Macron adresse une pensée à Léon Blum après la formation d’un “Front populaire” », lefigaro.fr les 12-13.

La stratégie d’Emmanuel Macron reposant notamment sur la division des forces de gauche, il n’a nullement répugné à diffamer l’une d’entre elles en l’accusant d’antisémitisme12V. la tribune intitulée « Réponse collective à une infamie : Sur l’accusation d’antisémitisme portée contre la France insoumise », auposte.fr 17 juin 2024, ainsi que celle co-signée, notamment, par Danièle Lochak, « Nous, citoyens juifs, notre devoir est de refuser l’instrumentalisation de l’antisémitisme et de faire barrage au RN », Libération le 20, blogs.mediapart.fr le 26, déplorant notamment l’enrôlement de Blum dans des « accusations diffamantes » (v. encore Denis Sieffert, « À propos d’un antisémitisme à gauche réel ou supposé », politis.fr le 25). Sur ce site, v. mes billets des 25 mars 2019 – en note 30 – et 30 mai 2020 – à partir de la troisième illustration, où je revenais sur les mises en cause d’Edgar Morin et d’Achille Mbembe ; j’ajoute ici quelques mots à propos de celles liées au terme « rescapé », repris avec insistance par Rachel Khan dans son tweet du 10 juin dernier (v. la note 11 supra), suite à celui qu’elle avait adressé à Mathilde Panot à l’encontre du rappeur Médine : la réaction de l’intéressé avait provoqué les initiatives de 47 députés Renaissance « demand[ant] à EELV et LFI de ne pas l’inviter », leberry.fr 11 août 2023, François Cormier-Bouligeon allant jusqu’à saisir « la justice en adressant un courrier à la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, au titre de l’article 40 du Code pénal » (selon Thomas Lorentz, midilibre.fr le 24), des défections aux universités d’été des écologistes (ibid.), un article dans la presse locale drômoise à l’approche de celles du parti LFI (ledauphine.com le 22) et des propos très clairs de Médine à Châteauneuf-sur-Isère (bfmtv.com le 28 ; revenant quant à lui sur « cette polémique sous l’angle du droit pénal », Thomas Besse, « Controverse sur le tweet de Médine visant Rachel Khan : quid juris ? », le leclubdesjuristes.com le 8 sept.). Durant l’une des manifestations contre l’extrême droite, après sa victoire aux élections européennes, j’ai pu constater à Valence (v. la dernière photo illustrant l’article d’Alexandra Marie Ertiani, francetvinfo.fr 15 juin 2024) que certains slogans visaient explicitement l’antisémitisme et contrastaient, donc, avec le « silence » qui demeure encore souvent au sein des « organisations de la gauche radicale et de l’antiracisme français » (v. Camilla Brenni, Memphis Krickeberg, Léa Nicolas-Teboul & Zacharias Zoubir, « Le non-sujet de l’antisémitisme à gauche », Vacarme févr. 2019, n° 86).. Au début de son premier mandat, il appelait à ne « pas occulter la figure de (Charles) Maurras » (1868-1952)13« Macron (plutôt) contre une réédition des pamphlets antisémites de Céline », nouvelobs.com (avec AFP) 8 mars 2018 ; c’était après l’indignation qu’avait suscité le fait qu’on ait pu envisager, « dans une commémoration officielle, oublier l’antisémitisme de l’insulteur quotidien du “Juif Blum” »14Daniel Schneidermann, « Maurras, une amnésie d’État ? », liberation.fr 4 févr. 2018. Plus tard, il s’y référait encore15V. son entretien publié dans L’Express du 22 décembre 2020, provoquant notamment ce communiqué des Juives et juifs révolutionnaires, « Macron, Maurras, Pétain et l’antisémitisme », dijoncter.info 27 déc. 2020-1er févr. 2022 et cette tribune du directeur du Musée d’art et d’histoire du judaïsme Paul Salmona, « A quoi sert la mise au ban de Maurras par la justice si l’amnésie vient la recouvrir ? », lemonde.fr 7 janv. 2021 ; v. encore Rémi Noyon, « “Un tout organique”  : Macron entre Durkheim et Maurras », nouvelobs.com 18 juill. 2022 ; Sébastien Fontenelle, « Les trous de mémoire de M. Macron », politis.fr le 20, comme s’il lui importait peu que le directeur du journal L’Action française ait écrit : « C’est en tant que juif qu’il faut voir, concevoir, entendre et abattre le Blum »16Nicolas Truong, « Front populaire », Le Monde 27 juin 2024, p. 31, en datant cette phrase du fondateur de l’action française au 15 mai 1936, après avoir cité les historiens Antoine Prost et Jean Vigreux, auteurs respectivement d’Autour du Front populaire. Aspects du mouvement social au XXème siècle (Seuil, 2006) et d’Histoire du Front populaire. 1936, l’échappée belle ([Tallandier, 2016,] Texto, 2022). ; « “Voilà un homme à fusiller, mais dans le dos”, qu’il ait inscrit Blum en bonne place sur la liste des personnages à tuer [égorger] “avec un couteau de cuisine” »17Jean Lacouture, Léon Blum, Seuil, 1977 (édition abrégée), p. 205 [249]. V. par ailleurs page 95, pour revenir aux questions pédagogiques : « L’enfant unique de Lise et Léon Blum est né en 1902, Robert, à l’éducation duquel son père voue une attention passionnée » ; ces lignes sont extraites du chapitre intitulé « Le sillage de Jaurès », pp. 72 à 120 : le biographe rappelle que l’affaire Dreyfus « a noué à jamais [leurs] deux vies » et termine sur l’assassinat de Jaurès, le 31 juillet 1914 (pour une nouvelle récente dans laquelle ce dernier ne meurt pas, v. Camille Leboulanger, « La Générale », in Dévorer le futur, Goater, 2023, p. 23 ; s’agissant de sa contribution à l’affirmation du droit à l’éducation, v. mon portrait). Ajout au 9 juillet de plusieurs lignes en réaction à un échange entre Raphaël Kempf et Aleksandar Nikolic ; L’Équipe du dimanche 7 juillet a consacré ultérieurement à ce dernier un portrait, titré « L’inconnu national », permettant de présenter brièvement celui qui s’est trouvé, quatre ans après avoir adhéré au Front National, « bombardé “conseiller sport” » de la patronne » en 2017 : « Mère portugaise, père serbe (décédé), binational, enfant métisse et parcours idéologique entamé, à 15 ans, dans la foulée de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) avant une brève adhésion au PC », il justifie aujourd’hui son évolution politique par des formules antisémite et pro-palestinienne entendues lors d’une projection du film La vie est belle dans son lycée des Yvelines (Alban Traquet avec A.D., page 15) ; député européen élu en 2024, il était 19ème sur la liste du RN, qui a obtenu 30 sièges (sur les 81 français et 720 européens) le 9 juin – soit la majorité des plus ou moins quatre-vingt « “Patriotes pour l’Europe”, imaginé[s] par le Premier ministre hongrois Viktor Orban » (Romain Herreros, « Le groupe présidé par Jordan Bardella au Parlement européen torpille la “normalisation” du RN », huffingtonpost.fr 8 juill. ; v. aussi cet article avec AFP, le situant « derrière la droite pro-européenne (PPE) et les sociaux-démocrates (S&D), surpassant les libéraux de Renew (76 sièges), groupe auquel appartient le parti du président français Emmanuel Macron, et le groupe de droite radicale ECR associé à la Première ministre italienne Giorgia Meloni (78 sièges). »). Le 1er juillet, l’avocat revenait sur la genèse de sa candidature NFP dans la 1ère circonscription de Paris en évoquant son livre « sur Léon Blum » (Ennemis d’État. Les lois scélérates, des anarchistes aux terroristes, La Fabrique, 2019, spéc. pp. 32 et s. à partir de son article à La Revue blanche 1er juill. 1898, reproduit pp. 125 et s., signé « Un [jeune] juriste » et repris dans « une brochure de 62 pages » en 1899 ; je la citais dans ma thèse en note de bas de page 247, n° 1484, tout comme l’un des deux autres auteurs – Francis de Pressensé, pour son parcours ultérieur, spéc. pp. 314, 547 et s.). L’eurodéputé RN de rétorquer avec aplomb que celui-ci « était pour la préférence nationale » ; le Front populaire l’aurait « mis[e] en vigueur » et le nier relèverait d’une « inculture historique » (LCP, à partir de 35 min. 30). Gérard Noiriel vient justement de publier, en mars dans la collection « Tracts » (n° 55), Préférence nationale. Leçon d’histoire à l’usage des contemporains, Gallimard, 2024, 58 p., avec page suivante ces notes 10 et 9 : « La plupart de mes références sur les années 1930 sont extraites de l’étude de Jean-Charles Bonnet, Les Pouvoirs publics et l’immigration dans l’entre-deux-guerres, Centre d’histoire économique et sociale de la région lyonnaise, 1976 [v. la recension de de cette thèse de 3ème cycle par Martine Charlot, Migrants Formation 1980, n° 40, pp. 2-3] ; Imre Ferenczi, « La statistique des étrangers notamment au point de vue français », Journal de la société statistique de Paris 1937, n° 78, pp. 288-310 : en s’appuyant sur cet article, l’historien écrit : « En 1930, d’après les chiffres du Bureau international du Travail, la proportion d’étrangers immigrés en France était de 8,6 %, soit un chiffre supérieur à celui d’aujourd’hui (7,8 %) » ; elle baissait dès l’année suivante, lorsque « l’effondrement de la bourse de Wall Street (octobre 1929) avait déjà produit ses effets. (…) Alors que l’immigration avait été invisible (…) – parce qu’il fallait combler les déficits du marché du travail – elle redevint un “problème” dès le début des années 1930 » (pp. 16-17). Après un « quasi-consensus sur la “préférence nationale” [qui] aboutit au vote de la loi du 10 août 1932, adoptée à l’unanimité malgré 128 abstentions de gauche et d’extrême-gauche », les « décrets-lois adoptés entre mai et novembre 1938 poussèrent au paroxysme la stratégie, née au cours des années 1880, visant à intégrer le discours de l’extrême-droite [la] concernant ». Entretemps, la « victoire du Front populaire marqua un coup d’arrêt dans cette fuite en avant (…). Certes, la proposition du PCF en faveur d’un statut juridique des immigrés ne fut pas adoptée et la politique antérieure du contingentement des flux migratoires fut prolongée. Néanmoins, les nouveaux gouvernants firent preuve d’une attitude plus souple et plus humaine, surtout pour les réfugiés. Les décrets-lois imposés par [Édouard Daladier, successeur de Léon Blum] plongèrent donc la gauche dans une consternation bien illustrée par ces propos du communiste Georges Lévy : « qui aurait pu croire que deux ans après la victoire du Front populaire, les immigrés, au lieu du statut juridique escompté, se verraient octroyer un ensemble de mesures policières propres à faire passer la France pour une marâtre » (pp. 18, 24 et 26-27, avant d’ouvrir ses « Réflexions sur la loi Asile et immigration du 19 décembre 2023 » par ce titre : « Emmanuel Macron, le Daladier du XXIe siècle ? », pp. 30 et s.)..

« Paris, le 14 juillet 1936. Sur la tribune officielle, Thérèse (à gauche) est la seule femme au premier rang de l’estrade. Aux côtés de son époux Léon Blum, de Maurice Thorez et de Roger Salengro (de gauche à droite), elle lève son poing ganté pour célébrer la victoire du Front populaire » (Charles De Saint Sauveur, « Le sacrifice de la “citoyenne Blum” », leparisien.fr 7 mai 2016, recensant la biographie de Dominique Missika, Thérèse : le Grand Amour caché de Léon Blum, Alma ; v. auparavant le livre que l’historienne avait consacré, en 2009, à sa relation avec sa troisième épouse, Jeanne Reichenbach)

Au lendemain de la formation du gouvernement du Front populaire, Maurras commentait : « Le cabinet juif est fait »18Figurant en Une de L’Action française 5 juin 1936 (titré « La France sous le juif »), cette phrase est citée par Edwy Plenel, « Front populaire : Blum contre Macron », Mediapart 16 juin 2024 ; outre le rappel par le fondateur du journal en ligne de ce que Gérald Darmanin avait fait référence, le 6 décembre 2022, à Jacques Bainville (Hugues Maillot, lefigaro.fr le 7), l’avoir entendu ce vendredi 28 juin sur franceinfo m’incite à modifier cette note le 9 juillet pour revenir sur le retrait d’investiture évoqué et, surtout, à « un fait incontestable » plus récent que ces « tweets à caractère antisémite » (Jacques Pezet, liberation.fr le 27 ; lanouvellerepublique.fr le 28). Dans son livre intitulé Le séparatisme islamiste : manifeste pour la laïcité (L’Observatoire, 2021), Gérald Darmanin développait une idée exprimée dans Libération dès 2015 : « Il faut que l’État impose aux musulmans ce que Napoléon a imposé aux juifs » (23 nov. ; v. déjà sa tribune du 14 janv., citée dans ma thèse en bas de page 566, n° 3651) ; il le faisait toutefois en ressassant des clichés antisémites, dans une indifférence quasi-générale (v. Sébastien Fontenelle, « Darmanin, écrivain », politis.fr 31 mars 2021, renvoyant aux « timides articles » parus dans L’Huma et L’Obs, ainsi qu’au « passionnant entretien avec l’historien Pierre Birnbaum, qui remet quelques points sur quelques i : « Napoléon et les Juifs : politique “scandaleuse” », sur www.arretsurimages.net [v. respectivement les 25, 23-24 et à nouveau 25] ». ; ainsi accueillait-il un évènement dont il convient de rappeler, au présent, la genèse : après la manifestation antiparlementaire du 6 février 1934, organisée par les ligues d’extrême-droite, les partis communistes et socialistes s’unissent et, en juillet, « signent un “pacte d’unité d’action antifasciste”. En juin 1935, le parti radical [les rejoint avant un défilé marquant, à la date symbolique du 14 juillet et grâce à d’autres formations politiques, syndicales et associatives, la naissance du] Front populaire (…). Il remporte une nette victoire aux élections législatives de 1936, envoyant 386 députés sur 608 sièges à la Chambre des députés, dont 147 pour la SFIO [Section française de l’Internationale ouvrière19V. l’étude de Ji-Hyun Jeon, « Quelques jalons pour une histoire des juristes au sein du Parti socialiste-SFIO (1905-1939) », in Carlos Miguel Herrera, Les juristes face au politique. Le droit, la gauche, la doctrine sous la Troisième République, t. II, Kimé, 2005, p. 45, spéc. pp. 46 et 48 : « du moment de sa création en 1905 jusqu’à la veille de la Deuxième Guerre mondiale », l’alors doctorante en histoire à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), en recense 251.]. Le socialiste Léon Blum forme un gouvernement de coalition. En moins de deux mois sont votés la semaine de quarante heures, les congés payés et les conventions collectives »20Stéphanie Trouillard, « Après l’appel à un nouveau “Front populaire”, retour sur “l’immense espoir” suscité en 1936 », france24.com 11 juin 2024.

AFP, illustration reprise depuis l’article de Marion Pignot, « En images : Suffragettes, Hubertine Auclert et IVG… Il y a 80 ans, les Françaises votaient », 20minutes.fr 21 avr. 2024 (à l’occasion du 170ème anniversaire de la naissance de cette dernière, v. mon billet du 10 avril 2018 ; récemment, v. la tribune de Camille Froidevaux-Metterie, « Voter RN pour les femmes, c’est braquer une arme contre soi », lemonde.fr 13 juin 2024)

« Ce train de réformes marque durablement la société française et le modèle républicain, comme le souligne Jean Vigreux (…)[, pour qui] il ne faut pas non plus perdre de vue “les désillusions suscitées” par le Front populaire : “Il y a eu trois secrétaires d’État, femmes21Plus précisément sous-secrétaires d’État (note modifiée le 3 août, complétée le 12 en renvoyant au premier épisode de la série de Mediapart, « Ministres pionnières du Front Populaire », signé ce jour par Antoine Perraud) : Suzanne Lacore à la Protection de l’enfance, Cécile Brunschvicg à l’Éducation nationale et Irène Joliot-Curie à la Recherche scientifique ; à propos de cette dernière et outre mon billet signalé en note 9, v. le texte de Jean-Christophe Féraud, « Irène Curie et Frédéric Joliot, atomes très crochus », Libération 1er août 2024, pp. II-III des feuilles « été » ; à la page 22 liée, lire Alexandra Schwartzbrod, « Blum, itinéraire d’un lettré », p. 22, à propos de l’adaptation en livre, en 2023, du podcast de Philippe Collin cité ci-après. J’ajoute aussi la localisation des rues Léon Blum les plus proches pour moi – auxquelles j’ai prêté attention à la faveur de mes dernières courses à pied : au nord, à Bourg-lès-Valence, elle se situe juste avant la rue Édith Piaf (au passage, quelques réactions dans la presse étrangère à « la cérémonie d’ouverture des JO de Paris », courrierinternational.com 27 juill.) ; à Valence sud, dans le quartier de Valensolles, c’est depuis la rue Jules Ferry (où se trouvait une école réhabilitée en MPT, inaugurée le 12 avril) que l’on accède à la rue Léon Blum (pour une photo prise en 1984 – l’année de ma naissance – entre ces deux rues, v. le site memoire-drome.com ; elles peuvent être aussi reliées, à pied, par l’allée René Cassin – à qui j’ai consacré, en 2018, l’un de mes portraits). ; mais cela n’a pas permis d’accorder le droit de vote aux femmes. D’un point de vue colonial, il faut aussi souligner l’inégalité des droits entre ceux qui étaient sous le code de l’indigénat et le reste des colons européens. La non-intervention lors de la guerre civile en Espagne a aussi créé des blessures” »22Stéphanie Trouillard (citant Jean Vigreux), art. préc..

Livrant « une contribution majeure à l’histoire du droit politique français »23Éric Desmons, « Préface », in Vincent Le Grand, Léon Blum (1872-1950) : gouverner la République, LGDJ, 2008, p. VI, Vincent Le Grand écrivait en 2008 : « Si la vie lui en avait laissé le temps, le vieil homme aurait [certainement approuvé] l’arrêt Dehaene24Relatif au droit de grève et figurant parmi les « grands arrêts de la jurisprudence administrative » (GAJA), l’arrêt Dehaene se trouve évoqué à la page 19 du Livret de méthodologie, ainsi qu’aux notes 16 et 22 de mon billet du 23 octobre 2019, dont le titre fait écho à la proposition mise en exergue au seuil de ce billet : Services publics de l’enseignement laïque (gratuité) et de la restauration scolaire (« lois »). Dès le premier épisode du podcast intitulé Léon Blum, une vie héroïque, produit par Philippe Collin pour France Inter, Pierre Birnbaum rappelle que « tout étudiant – de nos jours – de deuxième année de droit administratif sera amené à étudier les conclusions de Léon Blum sur l’arrêt Lemonnier » (« Juif alsacien, dandy parisien », radiofrance.fr 5 déc. 2022, dans le dernier quart d’heure). L’association française pour la recherche en droit administratif (AFDA) a consacré l’un de ses « printemps de la jeune recherche juridique », en 2012, à Léon Blum (v. ce lien, les articles ayant été publiés à la RFDA 2013) ; dix ans plus tard, à l’occasion du 150ème anniversaire de sa naissance, la direction de la bibliothèque et des archives du Conseil d’État a réuni pour un colloque des « Ressources documentaires » (nov. 2022, 30 p.). rendu par le Conseil d’État trois mois après sa mort », en 1950 ; plus en phase avec l’actualité, un autre extrait mérite d’être cité pour conclure : « “Dans une démocratie, même aussi imparfaite que la nôtre, proclamait Léon Blum, nulle autorité n’est concevable sans responsabilité correspondante”. Irresponsable devant le Parlement comme devant le suffrage universel, le président de la République ne pouvait pas posséder de pouvoirs propres. Blum souhaitait en conséquence que le bicéphalisme de l’exécutif français puisse connaître la même évolution qu’en Angleterre, où l’effacement royal avait été compensé par la promotion du Premier ministre. Ce transfert d’autorité répondant au principe des vases communicants n’est pas sans faire penser à celui qui devait s’opérer plus près de nous lors des périodes de cohabitation qu’a connues la Cinquième République. L’effacement imposé alors au président de la République constitue de fait une issue dont Blum se serait sans doute félicité parce qu’elle a pour conséquence de rapprocher la France du parlementarisme à l’anglaise qu’il tenait comme référence »25Vincent Le Grand, thèse préc., 2008, pp. 500 et 325, citant Léon Blum, « La question est posée », Le Populaire 16 oct. 1923 – en invitant à « approfondir cette question du lien particulier entre autorité et responsabilité en régime parlementaire », en lisant Pierre Pactet, « L’évolution contemporaine de la responsabilité gouvernementale dans les démocraties pluralistes », in Le Pouvoir. Mélanges offerts à Georges Burdeau, LGDJ, 1977, p. 208.

« Revitaliser le Parlement [et a]broger le 49.3 », telles sont précisément deux des propositions du NFP dans le cadre d’une VIème République, instaurée « par la convocation d’une assemblée constituante citoyenne élue »26Contrat de législature préc., juin 2024, p. 15, après le paragraphe consacré au « nouveau droit à la retraite »..

Notes

1 Il y a un peu plus de cinq ans, le 13 mai 2019, j’avais publié un billet à l’approche du scrutin, à propos des revendications de la liberté de circulation – qui se font parfois au détriment du droit à l’éducation.
2 « Législatives : François Ruffin souhaite “la véritable gratuité de l’école” », bfmtv.com 12 juin 2024 ; ajout le 9 juillet de cet extrait de Marine Tondelier, au soir du second tour, x.com le 7
3 NFP, Contrat de législature préc., juin 2024, p. 5 ; v. Olivier Chartrain, « Nouveau Front Populaire : fin du “choc des savoirs” et l’ambition de rebâtir l’école publique », humanite.fr le 14, Philippe Watrelot, « La gauche et l’école : un programme prometteur à développer », alternatives-economiques.fr le 26 et, mis en ligne entretemps, comparateur.nosservicespublics.fr/education
4 V. par ex. Frédéric Monier (entretien avec, par Olivier Doubre), « La référence au Front populaire permet de lier conscience du danger et victoire possible », politis.fr le 18
5 Fabien Escalona, « Front populaire : les gauches réveillent le mythe de 1936 », Mediapart le 11 ; v. aussi les textes rassemblés sur le blog du journal, sous le titre « Léon Blum, Front populaire et référence mémorielle ».
6 V. tout d’abord mes billets des 31 janvier 2020 (au cinquième paragraphe) et 29 février 2020 (en note 9), ainsi que ma note de jurisprudence liée (Rev.jurisp. ALYODA 2020, n° 1, janv.-mai, au point 2).
7 Texte publié le 28 juillet 2018
8 V. ma thèse, aux (notes de bas de) pages (202, 247,) 550, (717,) 718, 760 (et 1006).
9 Le 23 septembre 2018, lors de l’actualisation de mon billet intitulé « De Marie Curie à Paul Langevin », 4 févr. 2018
10 Pour reprendre une jolie formule, Blum est quant à lui « parvenu au sommet en empruntant le chemin des crêtes » (Jacques Julliard, Les gauches françaises. 1762-2012 : Histoire, politique et imaginaire, Flammarion, 2012, p. 556).
11 « Duhamel (BFM) recadre sèchement Odoul (RN) sur Léon Blum », entrevue.fr 11 juin 2024 : si l’heure mentionnée est la bonne, la formule a été employée deux minutes avant le tweet de l’essayiste plagiaire Rachel Khan (reproduit par Ronan Tésorière, « Législatives : Bernard Cazeneuve et Julien Dray tirent à boulets rouges sur « le Front Populaire », leparisien.fr le 11) ; Mathilde Serra, « “Il doit se retourner dans sa tombe” : Emmanuel Macron adresse une pensée à Léon Blum après la formation d’un “Front populaire” », lefigaro.fr les 12-13
12 V. la tribune intitulée « Réponse collective à une infamie : Sur l’accusation d’antisémitisme portée contre la France insoumise », auposte.fr 17 juin 2024, ainsi que celle co-signée, notamment, par Danièle Lochak, « Nous, citoyens juifs, notre devoir est de refuser l’instrumentalisation de l’antisémitisme et de faire barrage au RN », Libération le 20, blogs.mediapart.fr le 26, déplorant notamment l’enrôlement de Blum dans des « accusations diffamantes » (v. encore Denis Sieffert, « À propos d’un antisémitisme à gauche réel ou supposé », politis.fr le 25). Sur ce site, v. mes billets des 25 mars 2019 – en note 30 – et 30 mai 2020 – à partir de la troisième illustration, où je revenais sur les mises en cause d’Edgar Morin et d’Achille Mbembe ; j’ajoute ici quelques mots à propos de celles liées au terme « rescapé », repris avec insistance par Rachel Khan dans son tweet du 10 juin dernier (v. la note 11 supra), suite à celui qu’elle avait adressé à Mathilde Panot à l’encontre du rappeur Médine : la réaction de l’intéressé avait provoqué les initiatives de 47 députés Renaissance « demand[ant] à EELV et LFI de ne pas l’inviter », leberry.fr 11 août 2023, François Cormier-Bouligeon allant jusqu’à saisir « la justice en adressant un courrier à la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, au titre de l’article 40 du Code pénal » (selon Thomas Lorentz, midilibre.fr le 24), des défections aux universités d’été des écologistes (ibid.), un article dans la presse locale drômoise à l’approche de celles du parti LFI (ledauphine.com le 22) et des propos très clairs de Médine à Châteauneuf-sur-Isère (bfmtv.com le 28 ; revenant quant à lui sur « cette polémique sous l’angle du droit pénal », Thomas Besse, « Controverse sur le tweet de Médine visant Rachel Khan : quid juris ? », le leclubdesjuristes.com le 8 sept.). Durant l’une des manifestations contre l’extrême droite, après sa victoire aux élections européennes, j’ai pu constater à Valence (v. la dernière photo illustrant l’article d’Alexandra Marie Ertiani, francetvinfo.fr 15 juin 2024) que certains slogans visaient explicitement l’antisémitisme et contrastaient, donc, avec le « silence » qui demeure encore souvent au sein des « organisations de la gauche radicale et de l’antiracisme français » (v. Camilla Brenni, Memphis Krickeberg, Léa Nicolas-Teboul & Zacharias Zoubir, « Le non-sujet de l’antisémitisme à gauche », Vacarme févr. 2019, n° 86).
13 « Macron (plutôt) contre une réédition des pamphlets antisémites de Céline », nouvelobs.com (avec AFP) 8 mars 2018
14 Daniel Schneidermann, « Maurras, une amnésie d’État ? », liberation.fr 4 févr. 2018
15 V. son entretien publié dans L’Express du 22 décembre 2020, provoquant notamment ce communiqué des Juives et juifs révolutionnaires, « Macron, Maurras, Pétain et l’antisémitisme », dijoncter.info 27 déc. 2020-1er févr. 2022 et cette tribune du directeur du Musée d’art et d’histoire du judaïsme Paul Salmona, « A quoi sert la mise au ban de Maurras par la justice si l’amnésie vient la recouvrir ? », lemonde.fr 7 janv. 2021 ; v. encore Rémi Noyon, « “Un tout organique”  : Macron entre Durkheim et Maurras », nouvelobs.com 18 juill. 2022 ; Sébastien Fontenelle, « Les trous de mémoire de M. Macron », politis.fr le 20
16 Nicolas Truong, « Front populaire », Le Monde 27 juin 2024, p. 31, en datant cette phrase du fondateur de l’action française au 15 mai 1936, après avoir cité les historiens Antoine Prost et Jean Vigreux, auteurs respectivement d’Autour du Front populaire. Aspects du mouvement social au XXème siècle (Seuil, 2006) et d’Histoire du Front populaire. 1936, l’échappée belle ([Tallandier, 2016,] Texto, 2022).
17 Jean Lacouture, Léon Blum, Seuil, 1977 (édition abrégée), p. 205 [249]. V. par ailleurs page 95, pour revenir aux questions pédagogiques : « L’enfant unique de Lise et Léon Blum est né en 1902, Robert, à l’éducation duquel son père voue une attention passionnée » ; ces lignes sont extraites du chapitre intitulé « Le sillage de Jaurès », pp. 72 à 120 : le biographe rappelle que l’affaire Dreyfus « a noué à jamais [leurs] deux vies » et termine sur l’assassinat de Jaurès, le 31 juillet 1914 (pour une nouvelle récente dans laquelle ce dernier ne meurt pas, v. Camille Leboulanger, « La Générale », in Dévorer le futur, Goater, 2023, p. 23 ; s’agissant de sa contribution à l’affirmation du droit à l’éducation, v. mon portrait). Ajout au 9 juillet de plusieurs lignes en réaction à un échange entre Raphaël Kempf et Aleksandar Nikolic ; L’Équipe du dimanche 7 juillet a consacré ultérieurement à ce dernier un portrait, titré « L’inconnu national », permettant de présenter brièvement celui qui s’est trouvé, quatre ans après avoir adhéré au Front National, « bombardé “conseiller sport” » de la patronne » en 2017 : « Mère portugaise, père serbe (décédé), binational, enfant métisse et parcours idéologique entamé, à 15 ans, dans la foulée de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) avant une brève adhésion au PC », il justifie aujourd’hui son évolution politique par des formules antisémite et pro-palestinienne entendues lors d’une projection du film La vie est belle dans son lycée des Yvelines (Alban Traquet avec A.D., page 15) ; député européen élu en 2024, il était 19ème sur la liste du RN, qui a obtenu 30 sièges (sur les 81 français et 720 européens) le 9 juin – soit la majorité des plus ou moins quatre-vingt « “Patriotes pour l’Europe”, imaginé[s] par le Premier ministre hongrois Viktor Orban » (Romain Herreros, « Le groupe présidé par Jordan Bardella au Parlement européen torpille la “normalisation” du RN », huffingtonpost.fr 8 juill. ; v. aussi cet article avec AFP, le situant « derrière la droite pro-européenne (PPE) et les sociaux-démocrates (S&D), surpassant les libéraux de Renew (76 sièges), groupe auquel appartient le parti du président français Emmanuel Macron, et le groupe de droite radicale ECR associé à la Première ministre italienne Giorgia Meloni (78 sièges). »). Le 1er juillet, l’avocat revenait sur la genèse de sa candidature NFP dans la 1ère circonscription de Paris en évoquant son livre « sur Léon Blum » (Ennemis d’État. Les lois scélérates, des anarchistes aux terroristes, La Fabrique, 2019, spéc. pp. 32 et s. à partir de son article à La Revue blanche 1er juill. 1898, reproduit pp. 125 et s., signé « Un [jeune] juriste » et repris dans « une brochure de 62 pages » en 1899 ; je la citais dans ma thèse en note de bas de page 247, n° 1484, tout comme l’un des deux autres auteurs – Francis de Pressensé, pour son parcours ultérieur, spéc. pp. 314, 547 et s.). L’eurodéputé RN de rétorquer avec aplomb que celui-ci « était pour la préférence nationale » ; le Front populaire l’aurait « mis[e] en vigueur » et le nier relèverait d’une « inculture historique » (LCP, à partir de 35 min. 30). Gérard Noiriel vient justement de publier, en mars dans la collection « Tracts » (n° 55), Préférence nationale. Leçon d’histoire à l’usage des contemporains, Gallimard, 2024, 58 p., avec page suivante ces notes 10 et 9 : « La plupart de mes références sur les années 1930 sont extraites de l’étude de Jean-Charles Bonnet, Les Pouvoirs publics et l’immigration dans l’entre-deux-guerres, Centre d’histoire économique et sociale de la région lyonnaise, 1976 [v. la recension de de cette thèse de 3ème cycle par Martine Charlot, Migrants Formation 1980, n° 40, pp. 2-3] ; Imre Ferenczi, « La statistique des étrangers notamment au point de vue français », Journal de la société statistique de Paris 1937, n° 78, pp. 288-310 : en s’appuyant sur cet article, l’historien écrit : « En 1930, d’après les chiffres du Bureau international du Travail, la proportion d’étrangers immigrés en France était de 8,6 %, soit un chiffre supérieur à celui d’aujourd’hui (7,8 %) » ; elle baissait dès l’année suivante, lorsque « l’effondrement de la bourse de Wall Street (octobre 1929) avait déjà produit ses effets. (…) Alors que l’immigration avait été invisible (…) – parce qu’il fallait combler les déficits du marché du travail – elle redevint un “problème” dès le début des années 1930 » (pp. 16-17). Après un « quasi-consensus sur la “préférence nationale” [qui] aboutit au vote de la loi du 10 août 1932, adoptée à l’unanimité malgré 128 abstentions de gauche et d’extrême-gauche », les « décrets-lois adoptés entre mai et novembre 1938 poussèrent au paroxysme la stratégie, née au cours des années 1880, visant à intégrer le discours de l’extrême-droite [la] concernant ». Entretemps, la « victoire du Front populaire marqua un coup d’arrêt dans cette fuite en avant (…). Certes, la proposition du PCF en faveur d’un statut juridique des immigrés ne fut pas adoptée et la politique antérieure du contingentement des flux migratoires fut prolongée. Néanmoins, les nouveaux gouvernants firent preuve d’une attitude plus souple et plus humaine, surtout pour les réfugiés. Les décrets-lois imposés par [Édouard Daladier, successeur de Léon Blum] plongèrent donc la gauche dans une consternation bien illustrée par ces propos du communiste Georges Lévy : « qui aurait pu croire que deux ans après la victoire du Front populaire, les immigrés, au lieu du statut juridique escompté, se verraient octroyer un ensemble de mesures policières propres à faire passer la France pour une marâtre » (pp. 18, 24 et 26-27, avant d’ouvrir ses « Réflexions sur la loi Asile et immigration du 19 décembre 2023 » par ce titre : « Emmanuel Macron, le Daladier du XXIe siècle ? », pp. 30 et s.).
18 Figurant en Une de L’Action française 5 juin 1936 (titré « La France sous le juif »), cette phrase est citée par Edwy Plenel, « Front populaire : Blum contre Macron », Mediapart 16 juin 2024 ; outre le rappel par le fondateur du journal en ligne de ce que Gérald Darmanin avait fait référence, le 6 décembre 2022, à Jacques Bainville (Hugues Maillot, lefigaro.fr le 7), l’avoir entendu ce vendredi 28 juin sur franceinfo m’incite à modifier cette note le 9 juillet pour revenir sur le retrait d’investiture évoqué et, surtout, à « un fait incontestable » plus récent que ces « tweets à caractère antisémite » (Jacques Pezet, liberation.fr le 27 ; lanouvellerepublique.fr le 28). Dans son livre intitulé Le séparatisme islamiste : manifeste pour la laïcité (L’Observatoire, 2021), Gérald Darmanin développait une idée exprimée dans Libération dès 2015 : « Il faut que l’État impose aux musulmans ce que Napoléon a imposé aux juifs » (23 nov. ; v. déjà sa tribune du 14 janv., citée dans ma thèse en bas de page 566, n° 3651) ; il le faisait toutefois en ressassant des clichés antisémites, dans une indifférence quasi-générale (v. Sébastien Fontenelle, « Darmanin, écrivain », politis.fr 31 mars 2021, renvoyant aux « timides articles » parus dans L’Huma et L’Obs, ainsi qu’au « passionnant entretien avec l’historien Pierre Birnbaum, qui remet quelques points sur quelques i : « Napoléon et les Juifs : politique “scandaleuse” », sur www.arretsurimages.net [v. respectivement les 25, 23-24 et à nouveau 25] ».
19 V. l’étude de Ji-Hyun Jeon, « Quelques jalons pour une histoire des juristes au sein du Parti socialiste-SFIO (1905-1939) », in Carlos Miguel Herrera, Les juristes face au politique. Le droit, la gauche, la doctrine sous la Troisième République, t. II, Kimé, 2005, p. 45, spéc. pp. 46 et 48 : « du moment de sa création en 1905 jusqu’à la veille de la Deuxième Guerre mondiale », l’alors doctorante en histoire à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), en recense 251.
20 Stéphanie Trouillard, « Après l’appel à un nouveau “Front populaire”, retour sur “l’immense espoir” suscité en 1936 », france24.com 11 juin 2024
21 Plus précisément sous-secrétaires d’État (note modifiée le 3 août, complétée le 12 en renvoyant au premier épisode de la série de Mediapart, « Ministres pionnières du Front Populaire », signé ce jour par Antoine Perraud) : Suzanne Lacore à la Protection de l’enfance, Cécile Brunschvicg à l’Éducation nationale et Irène Joliot-Curie à la Recherche scientifique ; à propos de cette dernière et outre mon billet signalé en note 9, v. le texte de Jean-Christophe Féraud, « Irène Curie et Frédéric Joliot, atomes très crochus », Libération 1er août 2024, pp. II-III des feuilles « été » ; à la page 22 liée, lire Alexandra Schwartzbrod, « Blum, itinéraire d’un lettré », p. 22, à propos de l’adaptation en livre, en 2023, du podcast de Philippe Collin cité ci-après. J’ajoute aussi la localisation des rues Léon Blum les plus proches pour moi – auxquelles j’ai prêté attention à la faveur de mes dernières courses à pied : au nord, à Bourg-lès-Valence, elle se situe juste avant la rue Édith Piaf (au passage, quelques réactions dans la presse étrangère à « la cérémonie d’ouverture des JO de Paris », courrierinternational.com 27 juill.) ; à Valence sud, dans le quartier de Valensolles, c’est depuis la rue Jules Ferry (où se trouvait une école réhabilitée en MPT, inaugurée le 12 avril) que l’on accède à la rue Léon Blum (pour une photo prise en 1984 – l’année de ma naissance – entre ces deux rues, v. le site memoire-drome.com ; elles peuvent être aussi reliées, à pied, par l’allée René Cassin – à qui j’ai consacré, en 2018, l’un de mes portraits).
22 Stéphanie Trouillard (citant Jean Vigreux), art. préc.
23 Éric Desmons, « Préface », in Vincent Le Grand, Léon Blum (1872-1950) : gouverner la République, LGDJ, 2008, p. VI
24 Relatif au droit de grève et figurant parmi les « grands arrêts de la jurisprudence administrative » (GAJA), l’arrêt Dehaene se trouve évoqué à la page 19 du Livret de méthodologie, ainsi qu’aux notes 16 et 22 de mon billet du 23 octobre 2019, dont le titre fait écho à la proposition mise en exergue au seuil de ce billet : Services publics de l’enseignement laïque (gratuité) et de la restauration scolaire (« lois »). Dès le premier épisode du podcast intitulé Léon Blum, une vie héroïque, produit par Philippe Collin pour France Inter, Pierre Birnbaum rappelle que « tout étudiant – de nos jours – de deuxième année de droit administratif sera amené à étudier les conclusions de Léon Blum sur l’arrêt Lemonnier » (« Juif alsacien, dandy parisien », radiofrance.fr 5 déc. 2022, dans le dernier quart d’heure). L’association française pour la recherche en droit administratif (AFDA) a consacré l’un de ses « printemps de la jeune recherche juridique », en 2012, à Léon Blum (v. ce lien, les articles ayant été publiés à la RFDA 2013) ; dix ans plus tard, à l’occasion du 150ème anniversaire de sa naissance, la direction de la bibliothèque et des archives du Conseil d’État a réuni pour un colloque des « Ressources documentaires » (nov. 2022, 30 p.).
25 Vincent Le Grand, thèse préc., 2008, pp. 500 et 325, citant Léon Blum, « La question est posée », Le Populaire 16 oct. 1923 – en invitant à « approfondir cette question du lien particulier entre autorité et responsabilité en régime parlementaire », en lisant Pierre Pactet, « L’évolution contemporaine de la responsabilité gouvernementale dans les démocraties pluralistes », in Le Pouvoir. Mélanges offerts à Georges Burdeau, LGDJ, 1977, p. 208
26 Contrat de législature préc., juin 2024, p. 15, après le paragraphe consacré au « nouveau droit à la retraite ».

Rejet du recours contre le couvre-feu biterrois

Il y a quelques heures, ce mercredi, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a conclu à l’absence de « doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté du maire de Béziers du 22 avril » (ré)instaurant un couvre-feu1Dès l’annonce de cette mesure, en anticipant l’idée qu’elle pourrait être cette fois légale, v. le billet de Jean-Paul Markus, « Robert Ménard instaure un couvre-feu pour les mineurs à Béziers : les conditions posées par le juge », lessurligneurs.eu 23 avr. 2024 (écrit le 21 et relu par Isabelle Muller-Quoy), commençant par rappeler l’ordre donné quelques jours plus tôt par le « ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à Pointe-à-Pitre » (témoignant de ce que, loin de constituer un barrage contre l’extrême-droite, la macronie lui sert de plus en plus souvent de tremplin…) ; v. Amandine Ascensio, « À la Guadeloupe, un couvre-feu loin de traiter les problèmes de fond », Le Monde 25 avr. 2024, p. 9, avec l’encadré « Vers un couvre-feu à Béziers et Nice » et les tribunes citées en illustration et ci-après, avec enfin celle de l’anthropologue David Puaud, « Les effectifs des éducateurs de rue sont devenus une variable d’ajustement économique » (page 29). ; il a donc rejeté le référé-suspension de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH).

Le Petit Journal 17 nov. 1907 (illustration reprise depuis le compte « Passionnés d’Histoire », facebook.com 24 mars 2021), dans lequel était pointé déjà un « fléau de la délinquance juvénile » décrite comme « toujours plus violente, plus nombreuse, plus précoce »… (Véronique Blanchard et David Niget, « La répression des jeunes est une idée populaire, mais c’est un échec », Le Monde 25 avr. 2024, p. 28)

L’ordonnance est rendue compte tenu « notamment » des « données chiffrées2V. déjà CE Ord., 10 mai 2024, Le Lakou-LKP, n° 493935, cons. 3, à propos de l’arrêté du préfet de la Guadeloupe du 20 avril, relatif à des secteurs des communes des Abymes et de Pointe-à-Pitre : avant de conclure à l’absence d’atteinte manifestement illégale « à la liberté d’aller et venir, à la liberté de réunion ou à l’intérêt supérieur de l’enfant (cons. 5), le juge des référés du Conseil d’État raisonnait à partir des « données chiffrées versées à l’instruction par le ministre » ; comparer la tribune du sociologue Christian Mouhanna (sociologue au CNRS et CESDIP), « En dépit de dramatiques faits divers, le nombre de mineurs délinquants baisse », Ibid., p. 28, à propos de « ceux qui instrumentalisent ces faits divers terribles pour en tirer des leçons sur les évolutions de la société et en faire le terreau de politiques prônant davantage de sanctions. Ces derniers ignorent, ou font semblant d’ignorer, que les lois pénalisant les mineurs n’ont cessé de se multiplier depuis le milieu des années 1990, et jusque très récemment ». versées à l’instruction » – pour parties relatives aux « mineurs, en particulier de moins de 13 ans » –, conjuguées au fait que l’interdiction en cause se trouve « circonscrite » à ces enfants-là, dans le temps et « géographiquement à trois secteurs de la commune classés en quartiers prioritaires de la ville »3TA Montpellier Ord., 15 mai 2024, LDH, n° 2402422, cons. 6 ; à propos des 4 et 5 – « l’autorité de la chose jugée par le Conseil d’État le 6 juin 2018 » étant mise en avant par l’association requérante –, v. mon billet (du 20)..

Dans la matinée, l’avocate de la LDH avait notamment plaidé la cause des enfants et « parents des quartiers populaires »4Sophie Mazas, citée par Solange de Fréminville, « Couvre-feu pour les moins de 13 ans à Béziers : devant la justice, la LDH dénonce “un fantasme ” et “une instrumentalisation politique” », liberation.fr 15 mai 2024 ; par ailleurs présidente de l’association dans l’Hérault (34), elle a réagi à l’ordonnance en annonçant un (nouveau) pourvoi en cassation : « Déjà, lors de l’arrêté de couvre-feu de 2014, le tribunal administratif avait validé [en 2016] la décision du maire d’extrême droite, alors que le Conseil d’État avait annulé [en 2018 (suivre le second lien de ma note 3)] en raison de l’absence de situation particulière justifiée : on ne peut limiter la liberté des personnes que sur la base d’éléments réels. La LDH saisit donc le Conseil d’État dans le contentieux de l’urgence et maintient la procédure en annulation qui sera audiencée sous [dix-huit] mois »5Citée par Alix Drouillat, lagazettedemontpellier.fr 15 mai 2024 et « Couvre-feu pour les moins de 13 ans à Béziers : la justice rejette le recours de la LDH, qui va saisir le Conseil d’État », francetvinfo.fr 15 mai 2024 ; proposant « un état du droit » à cette date, v. Éric Landot, blog.landot-avocats.net 15 mai 2024 (lu le lendemain). Version (provisoire ?) stabilisée cinq jours après la publication de ce billet, après avoir renvoyé le 17 à un autre rejet en référé(-liberté cette fois), CE Ord., 7 déc. 2021, Mme B. et a., n° 459131, évoqué par Nacira Guénif-Souilamas, « Nouvelle-Calédonie : “Les choses se sont dégradées de façon définitive au lendemain du 3e référendum”, estime une professeure de sociologie », francetvinfo.fr 16 mai 2024 ; v. aussi les points de vue de François Roux – avocat honoraire du FLNKS, appelant à « une médiation des Nations-Unies » (entretien avec, par Fabrice Dubault, 17 mai 2024) – et Mathias Chauchat – professeur de droit public, pour qui l’« égalité du droit de suffrage ne peut pas être lue dans les mêmes termes dans un territoire en situation coloniale » (cité par Raphaël Godet et Élise Lambert, extrait d’un « article à lire pour comprendre pourquoi l’archipel s’embrase à nouveau », 17 mai 2024) ; v. enfin « La Ligue des droits de l’Homme et la Quadrature du Net attaquent en justice le blocage de TikTok en Nouvelle-Calédonie », 17 mai 2024  ; Ilyes Ramdani, « À Nouméa comme à Nanterre, le gouvernement face à ses vieux démons coloniaux », Mediapart 19 mai 2024, soulignant la répression et la dépolitisation des jeunes Kanaks qui, comme le note la veille Benoît Trépied – dans un entretien avec Lucie Delaporte – « vivent une dépossession sociale et coloniale » : « Lorsque la CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain) – créée par des partis indépendantistes pour s’opposer au passage en force de Macron via des mobilisations collectives – a organisé des manifestations, ils sont venus en masse » ; l’anthropologue rappelle que, « quand les indépendantistes ont appelé à ne pas aller voter, au troisième référendum de 2021, il y a eu 56 % d’abstention. Ces chiffres témoignent d’une discipline électorale très importante de la part de gens qui ont, le reste du temps, un rapport plutôt distancié au personnel politique ». Contrairement à ce qu’a affirmé le 20 mai 2024 Alix Bouilhaguet – dans la matinale de France Info, au détour d’une question curieusement formulée, l’Assemblée générale de l’ONU a noté que ce référendum s’était tenu « dans des circonstances difficiles, marquées par la pandémie de COVID-19 et le boycott du scrutin par certains groupes d’électeurs inscrits » (point 6 de la résolution du 16 juin 2022, larje.unc.nc)..

Actualisation (dans le dernier week-end de juillet), « Couvre-feux pour mineurs à Béziers et Nice : le Conseil d’État confirme le rejet de la demande de suspension », letelegramme.fr 26 juill. 2024 (le 5 novembre 2018, j’avais signalé dans mon billet du 20 mai la note publiée par Hugo Avvenire et évoqué la thèse dans laquelle il s’était engagé, Le concept d’espace public. Contribution à une théorie de la spatialisation du régime des libertés [finalement intitulée Espaces publics et libertés : Contribution à l’étude de la spatialisation du droit], Thèse Université Toulouse Capitole, 2022, §§ 823, 855, 973 et 1052-1053, avec un renvoi à ladite note de jurisprudence ; ses paragraphes 941-942 [pp. 408-409] sur l’accessibilité « nécessaire à l’effectivité du droit à l’éducation » m’amènent à renvoyer au texte que j’ai publié le 8 avril 2019, dix ans après cet arrêt Laruelle relatif aux « enfants handicapés », ainsi qu’à ma propre thèse [2017], spéc. les pages 798, 871, 873, 1188-1189 et 1200 à 1204).

Notes

1 Dès l’annonce de cette mesure, en anticipant l’idée qu’elle pourrait être cette fois légale, v. le billet de Jean-Paul Markus, « Robert Ménard instaure un couvre-feu pour les mineurs à Béziers : les conditions posées par le juge », lessurligneurs.eu 23 avr. 2024 (écrit le 21 et relu par Isabelle Muller-Quoy), commençant par rappeler l’ordre donné quelques jours plus tôt par le « ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à Pointe-à-Pitre » (témoignant de ce que, loin de constituer un barrage contre l’extrême-droite, la macronie lui sert de plus en plus souvent de tremplin…) ; v. Amandine Ascensio, « À la Guadeloupe, un couvre-feu loin de traiter les problèmes de fond », Le Monde 25 avr. 2024, p. 9, avec l’encadré « Vers un couvre-feu à Béziers et Nice » et les tribunes citées en illustration et ci-après, avec enfin celle de l’anthropologue David Puaud, « Les effectifs des éducateurs de rue sont devenus une variable d’ajustement économique » (page 29).
2 V. déjà CE Ord., 10 mai 2024, Le Lakou-LKP, n° 493935, cons. 3, à propos de l’arrêté du préfet de la Guadeloupe du 20 avril, relatif à des secteurs des communes des Abymes et de Pointe-à-Pitre : avant de conclure à l’absence d’atteinte manifestement illégale « à la liberté d’aller et venir, à la liberté de réunion ou à l’intérêt supérieur de l’enfant (cons. 5), le juge des référés du Conseil d’État raisonnait à partir des « données chiffrées versées à l’instruction par le ministre » ; comparer la tribune du sociologue Christian Mouhanna (sociologue au CNRS et CESDIP), « En dépit de dramatiques faits divers, le nombre de mineurs délinquants baisse », Ibid., p. 28, à propos de « ceux qui instrumentalisent ces faits divers terribles pour en tirer des leçons sur les évolutions de la société et en faire le terreau de politiques prônant davantage de sanctions. Ces derniers ignorent, ou font semblant d’ignorer, que les lois pénalisant les mineurs n’ont cessé de se multiplier depuis le milieu des années 1990, et jusque très récemment ».
3 TA Montpellier Ord., 15 mai 2024, LDH, n° 2402422, cons. 6 ; à propos des 4 et 5 – « l’autorité de la chose jugée par le Conseil d’État le 6 juin 2018 » étant mise en avant par l’association requérante –, v. mon billet (du 20).
4 Sophie Mazas, citée par Solange de Fréminville, « Couvre-feu pour les moins de 13 ans à Béziers : devant la justice, la LDH dénonce “un fantasme ” et “une instrumentalisation politique” », liberation.fr 15 mai 2024
5 Citée par Alix Drouillat, lagazettedemontpellier.fr 15 mai 2024 et « Couvre-feu pour les moins de 13 ans à Béziers : la justice rejette le recours de la LDH, qui va saisir le Conseil d’État », francetvinfo.fr 15 mai 2024 ; proposant « un état du droit » à cette date, v. Éric Landot, blog.landot-avocats.net 15 mai 2024 (lu le lendemain). Version (provisoire ?) stabilisée cinq jours après la publication de ce billet, après avoir renvoyé le 17 à un autre rejet en référé(-liberté cette fois), CE Ord., 7 déc. 2021, Mme B. et a., n° 459131, évoqué par Nacira Guénif-Souilamas, « Nouvelle-Calédonie : “Les choses se sont dégradées de façon définitive au lendemain du 3e référendum”, estime une professeure de sociologie », francetvinfo.fr 16 mai 2024 ; v. aussi les points de vue de François Roux – avocat honoraire du FLNKS, appelant à « une médiation des Nations-Unies » (entretien avec, par Fabrice Dubault, 17 mai 2024) – et Mathias Chauchat – professeur de droit public, pour qui l’« égalité du droit de suffrage ne peut pas être lue dans les mêmes termes dans un territoire en situation coloniale » (cité par Raphaël Godet et Élise Lambert, extrait d’un « article à lire pour comprendre pourquoi l’archipel s’embrase à nouveau », 17 mai 2024) ; v. enfin « La Ligue des droits de l’Homme et la Quadrature du Net attaquent en justice le blocage de TikTok en Nouvelle-Calédonie », 17 mai 2024  ; Ilyes Ramdani, « À Nouméa comme à Nanterre, le gouvernement face à ses vieux démons coloniaux », Mediapart 19 mai 2024, soulignant la répression et la dépolitisation des jeunes Kanaks qui, comme le note la veille Benoît Trépied – dans un entretien avec Lucie Delaporte – « vivent une dépossession sociale et coloniale » : « Lorsque la CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain) – créée par des partis indépendantistes pour s’opposer au passage en force de Macron via des mobilisations collectives – a organisé des manifestations, ils sont venus en masse » ; l’anthropologue rappelle que, « quand les indépendantistes ont appelé à ne pas aller voter, au troisième référendum de 2021, il y a eu 56 % d’abstention. Ces chiffres témoignent d’une discipline électorale très importante de la part de gens qui ont, le reste du temps, un rapport plutôt distancié au personnel politique ». Contrairement à ce qu’a affirmé le 20 mai 2024 Alix Bouilhaguet – dans la matinale de France Info, au détour d’une question curieusement formulée, l’Assemblée générale de l’ONU a noté que ce référendum s’était tenu « dans des circonstances difficiles, marquées par la pandémie de COVID-19 et le boycott du scrutin par certains groupes d’électeurs inscrits » (point 6 de la résolution du 16 juin 2022, larje.unc.nc).

Une « facette de la fin de la guerre d’Algérie » saisie par la CEDH

Photo de FRANCK FIFE / AFP, reprise depuis l’article d’Adel Miliani, « République démocratique du Congo : comprendre la “crise oubliée” que dénoncent les footballeurs de la CAN », lemonde.fr 10 févr. 2024, rappelant que la « rébellion [M23] est, selon un rapport d’experts des Nations unies, soutenue par le Rwanda voisin », avant de citer Pierre Jacquemot, maître de conférences à l’IEP de Paris (puis de renvoyer à un compte-rendu du rapport de déc. 2022 ; pour celui de 2023, v. rfi.fr le 29 déc.) ; v. aussi  Christophe Châtelot, « La renaissance sans compromis du Rwanda », Le Monde 7-8 avr. 2024, pp. 20-21 : ce « 7 février, en demi-finale de la plus populaire des compétitions sportives du continent, la Coupe d’Afrique des nations, organisée cette année en Côte d’Ivoire, l’attitude des footballeurs congolais a marqué les esprits lors de l’hymne national. Une main en bâillon sur la bouche et deux doigts imitant le canon d’un pistolet sur la tempe, ils dénonçaient le silence de la communauté internationale face aux violences subies par les populations dans l’est de la RDC. Et dont Kinshasa attribue la responsabilité à son voisin rwandais, ce que ce dernier dément vigoureusement. (…) Kigali est aujourd’hui loin d’être isolé – au grand dam de Kinshasa, qui dénonce l’inaction d’une communauté internationale pourtant prompte, fait-il remarquer, à condamner l’agression russe contre l’Ukraine » (v. ainsi la tribune publiée fin mars par le président Félix Tshisekedi, en particulier cet extrait ; lors des commémorations du 7 avril, selon le compte-rendu d’Anna Sylvestre-Treiner, son homologue « rwandais a, en substance, invoqué le droit et même la nécessité de se défendre » – une rhétorique souvent mobilisée à propos du gouvernement d’Israël).

Au terme de mon billet du mois de janvier, j’évoquais la plainte pour génocide déposée par l’Afrique du Sud contre Israël (en renvoyant à celui que j’ai publié il y a plus de cinq ans sur les génocides) ; le 28 mars, à La Haye (Pays-Bas), la Cour Internationale de Justice (CIJ) a statué sur la demande tendant à la modification de l’ordonnance du 26 janvier 2024 indiquant des mesures conservatoires : observant « que les conditions désastreuses dans lesquelles vivent les Palestiniens de la bande de Gaza se sont, depuis, encore détériorées », cette population devant « désormais faire face à une famine qui s’installe », elle indique notamment que l’État d’Israël doit « [v]eiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette pas d’actes constituant une violation de l’un quelconque des droits des Palestiniens de Gaza en tant que groupe protégé en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (…) »1CIJ, 28 mars 2024, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), ordonnance accessible sur le site de la Cour (icj-cij.org/fr/affaire/192), §§ 18, 21 et 51, 2 b) (« Par quinze voix contre une »)..

Trois jours plus tôt, à Genève (Suisse), Francesca Albanese estimait quant à elle dans un rapport au Conseil des droits de l’Homme des Nations unies : « La nature et l’ampleur écrasante de l’assaut israélien sur Gaza et les conditions de vie destructrices qu’il a causées révèlent une intention de détruire physiquement les Palestiniens en tant que groupe »2« Guerre Israël-Hamas, jour 171 : une rapporteuse de l’ONU accuse Israël de commettre plusieurs « actes de génocide » dans la bande de Gaza », lemonde.fr (avec AFP) 25-26 mars 2024 ; dans Mediapart, Rachida El Azzouzi interrogeait l’avocate italienne, rapporteure spéciale pour les territoires palestiniens : « Votre analyse est critiquée par plusieurs chancelleries, notamment en France, où le ministre des affaires étrangères, Stéphane Séjourné, affirme qu’”accuser l’État juif3Comparer « l’entretien accordé à l’AFP et à deux radios de la communauté juive française, Radio J et RCJ », par le président Nicolas Sarkozy : « Un “État juif” n’a pas de signification », Agence France-Presse 18 oct. 2011, rappelant la conférence de presse du ministre français des Affaires étrangères, le 18 juill. préc. ; v. auparavant la lettre ouverte de l’historien Shlomo Sand à Alain Juppé (le 15 juin) et, ultérieurement, ce texte du journaliste Alain Gresh, « Israël, Etat juif ? Doutes français » (blog.mondediplo.net le 1er août). Ajouts au 19 avril – à l’occasion de celui opéré en note 12 de mon précédent billet, au lendemain d’une nouvelle interdiction préoccupante – de ces rappels de Rima Hassan les 29 octobre et 7 novembre derniers, à travers ce communiqué de soutien de la FNLP le 17 févr. 2024 de génocide, c’est franchir un seuil moral”. Que leur répondez-vous ? Le génocide est défini par le droit international. (…) Je suis troublée par cette hypothèse dogmatique selon laquelle un État ne pourrait pas commettre certains crimes en raison de son histoire »4Francesca Albanese (entretien avec, par Rachida El Azzouzi), « Aucun État n’est au-dessus des lois », Mediapart 30 mars 2024 : « Israël a annoncé en février 2024 [v. lefigaro.fr (avec AFP) le 12] qu’il m’interdisait le territoire. Mais en réalité, aucun rapporteur spécial de l’ONU pour les Territoires palestiniens occupés n’a été autorisé à entrer dans le pays au cours des seize dernières années »….

Dans un message rendu public le jeudi 4 avril, la présidence de la République française avait eu des mots très forts sur le propre passé de cette dernière, qui contrastent avec ses contradictions présentes vis-à-vis d’Israël5Ariane Lavrilleux et Nina Hubinet (Marsactu), « Guerre à Gaza : la France a fourni en secret des équipements de mitrailleuses à Israël », disclose.ngo 25 mars 2024 ; sur la base de cette enquête, v. la lettre signée par Mathilde Panot et alii : « Guerre à Gaza : 115 parlementaires demandent à Macron l’arrêt immédiat des ventes d’armes à Israël », bfmtv.com le 5 avr. : « À l’instar de plusieurs ONG (Médecins du monde, Save the Children, Oxfam, Handicap International, nous considérons que la France est en contradiction avec les traités internationaux qu’elle a signés en continuant à fournir du matériel militaire à Israël ». V. aussi ce « texte à l’initiative de l’Institut du Genre en Géopolitique », blogs.mediapart.fr le 3 : avant qu’« une contradiction majeure » soit pointée, il est noté : « Parmi les géants français de l’armement, Thalès envoie encore à ce jour du matériel à Israël, permettant ainsi l’assassinat de plusieurs dizaines de milliers de Palestinien·nes, dont 70 % étaient des femmes et des enfants ». Ces 8 et 9 avril avaient lieu les audiences de la CIJ relatives à la requête du Nicaragua « déposée le 15 mars devant la plus haute instance judiciaire des Nations unies », pour lui demander « d’ordonner un embargo sur les armes vendues par Berlin à l’État hébreu » (Stéphanie Maupas, « L’Allemagne mise en cause pour “plausible” complicité avec Israël », Le Monde 9 avr., p. 3 : « selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stochholm », il s’agit du « deuxième fournisseur d’armes (…), derrière les États-Unis ». Dans l’édition du lendemain, page 25, v. Benjamin Barthe, « L’IA, amplificateur des crimes de guerre dans la bande de Gaza », revenant sur « deux enquêtes publiées par la presse israélienne » – la première du quotidien Haaretz le 31 mars, à propos des kill zones « à l’origine de la mort, fin décembre 2023, de trois otages du Hamas » ; au nom de son éradication a lieu « une massification 2.0 des meurtres de civils »). ; elle avait en effet fait savoir qu’Emmanuel Macron « rappellera notamment [le 7] que, quand la phase d’extermination totale contre les Tutsi a commencé [il y a exactement trente ans au Rwanda6Dans la vidéo diffusée ce dimanche 7 avril à Kigali, Emmanuel Macron s’en tiendra finalement au discours qu’il avait tenu dans la capitale rwandaise le 27 mai 2021 (il avait alors admis la « responsabilité accablante [de la France] dans un engrenage qui a abouti au pire », ce qui va déjà trop loin selon un communiqué du 8 avril 2024 [ajout le 20 de l’entretien avec Maria Malagardis de Vincent Duclert, liberation.fr et, à propos du prédécesseur de Jean Glavany à la présidence de l’Institut François Mitterrand, lire l’enquête publiée le 8 par Michael Pauron, « Hubert Védrine, le bâillon en bandoulière », afriquexxi.info]) ; v. le 9 dans Le Monde préc. (A. S.-T., p. 4), politis.fr (Denis Sieffert, « Rwanda : la phrase que Macron n’a pas prononcée ») et Mediapart (Fabrice Arfi et Ellen Salvi, « Macron et les mots perdus : le génocide des Tutsis révèle des fractures internes à l’Élysée » : « Selon plusieurs sources informées, le texte évoqué par l’Élysée le 4 avril existe bel et bien : il a été rédigé par les conseillers de la présidence avant d’être communiqué à la presse. (…) Mais impossible de savoir, à ce stade, qui a autorisé la diffusion de ces éléments de discours »).], la communauté internationale avait les moyens de savoir et d’agir, par sa connaissance des génocides que nous avaient révélée les survivants des Arméniens et de la Shoah, et que la France, qui aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, n’en a pas eu la volonté »7« Rwanda : pour Emmanuel Macron, la France “aurait pu arrêter le génocide”, mais n’en a “pas eu la volonté” », lemonde.fr (avec AFP) 4-5 avr. 2024 ; v. aussi Pierre Lepidi, « Rwanda, le compte à rebours d’un printemps sanglant », Le Monde des 7-8, p. 28 : « Enrichi par les mots de Gaël Faye, le documentaire [Rwanda, vers l’apocalypse – actuellement en ligne et diffusé dimanche soir sur France 5 – revient sur sa] période préparatoire. (…) La soirée se poursuit avec l’émission « La Case du siècle et un autre documentaire, Rwanda, désobéir ou laisser mourir ?, qui montre les hésitations de la communauté internationale pendant la tragédie rwandaise »..

Photo d’Abdelkader Tamazount, reprise depuis l’entretien de son frère Charles avec Julien Pellicier, « “Un contentieux de masse va s’ouvrir”, assure un enfant de harki après la condamnation de la France par la CEDH », sudouest.fr 4-5 avr. 2024 (la citation du titre du présent billet est extraite de la fin de ce texte) ; il y a un peu plus de trois ans, le président du Comité harkis et vérité annonçait : « C’est la première fois que notre histoire va être jugée par des non-Français et des non-Algériens » (cité par Mustapha Kessous, « Les harkis et leurs descendants s’estiment toujours “indésirables” des mémoires franco-algériennes », lemonde.fr 23-26 janv. 2021)

Le même jour, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a rendu un arrêt relatif à une autre affaire aux enjeux mémoriels importants ; il résulte du recours de cinq requérants dont quatre – trois frères et leur sœur aînée, Zohra Tamazount, née en 1960 – « sont arrivés en France au moment de l’indépendance de l’Algérie en 1962 ou sont nés en France dans les années suivantes. Ils ont vécu dans des camps d’accueil pour harkis, principalement celui de Bias, dans le Lot-et-Garonne, jusqu’en 1975 »8« La Cour européenne des droits de l’homme condamne la France pour son accueil des harkis “pas compatible avec le respect de la dignité humaine” », francetvinfo.fr (avec AFP) 4 avr. 2024 : « Le cinquième requérant [Kaddour Mechalikh], dont le père avait été exécuté en 1957 par le Front de libération national [FLN] algérien, et qui avait rejoint la France en 1980, n’a en revanche pas obtenu gain de cause »..

Au terme de mon billet consacré au 17 octobre 1961, j’étais revenu sur les décisions rendues par les juridictions françaises en 2015, 2017 et 2018, en expliquant que j’avais placé les deux premières, dans ma thèse, au sein du chapitre sur la référence au service public pour saisir le bienfait éducation9Avant d’évoquer l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles en note de bas de page 188 de cette thèse (2017, note n° 1099 de la première partie), je citais le jugement rendu par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ainsi que je le rappelais à la fin de mon billet du 15 oct. 2018 (deux paragraphes avant les notes et ajouts, avec la dernière illustration), ainsi que la note publiée en 2015 par Hafida Belrhali (v. depuis « Harkis : de l’arrêt du 3 octobre 2018 au projet de loi de reconnaissance et de réparation », DA févr. 2022, étude n° 2) ; elle fait partie des membres de la CNIH, dont le rôle a pu être présenté à la faculté de droit de Grenoble le 24 mai 2023, et où se tiendra ce vendredi 12 avril 2024 un nouveau séminaire (en plus de cette professeure de droit public, interviendront la doctorante Anaïs Al Nasr et les historien·nes Anne Dulphy et Abderahmen Moumen)..

Après avoir rappelé que les cinq « requérants sont des enfants de harkis (auxiliaires d’origine algérienne ayant combattu aux côtés de l’armée française pendant la guerre d’Algérie) » et au « vu de l’ensemble des circonstances de la cause, la Cour conclut [dans un premier temps] que la déclaration d’incompétence du Conseil d’État, au nom de la doctrine des actes de gouvernement, limitée aux demandes des requérants en ce qu’elles visaient à engager la responsabilité pour faute de l’État du fait de l’absence de protection des harkis et de leurs familles en Algérie et du défaut de rapatriement systématique vers la France, ne saurait être considérée comme excédant la marge d’appréciation dont jouissent les États pour limiter le droit d’accès d’une personne à un tribunal. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention »10CEDH, 4 avr. 2024, Tamazount et autres c. France, n° 17131/19, §§ 1 et 126-127.

Dans un second temps, en revanche, « et s’en remettant aux décisions des juridictions internes, la Cour ne peut que constater que les conditions de vie quotidienne des résidents du camp de Bias (…) n’étaient pas compatibles avec le respect de la dignité humaine et s’accompagnaient en outre d’atteintes aux libertés individuelles. La Cour relève que les juridictions nationales n’ont pas explicitement qualifié ces atteintes à la lumière des dispositions de la Convention. Toutefois, il ressort des décisions internes qu’elles sont, en substance, parvenues au constat de violation des articles 3 et 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole n°1 »11Arrêt préc., § 155 ; cette relecture est assez audacieuse au regard des §§ 137 et 138 : « La Cour rappelle d’emblée que la France a ratifié la Convention et son Protocole n° 1 le 3 mai 1974 (…). Elle considère donc la période passée par les requérants au sein du camp de Bias avant l’entrée en vigueur de [ces textes] à l’égard de la France échappe à sa compétence ratione temporis »..

Si l’intérêt concret de cet arrêt porte sur l’indemnisation « des dommages matériel et moral découlant du séjour au sein du camp de Bias », revue à la hausse12À l’unanimité, après que la Cour a « considéré que le montant de 15 000 EUR octroyé à chacun des requérants par les juridictions internes était modique et qu’il ne suffisait pas à réparer l’intégralité des violations constatées » (§ 176)., je m’en tiendrai pour ma part à trois observations : d’abord, il convient de remarquer que l’article 2 du premier protocole à la Convention était invoqué, mais que la « Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits, considère que l’attitude indigne des autorités nationales dénoncée par les requérants à l’égard de leurs besoins éducatifs est englobée par les questions posées sous l’angle des articles 3 et 8 »13Arrêt préc., §§ 1, 128 et 129, avant de reproduire ces articles 3 et 8 (« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ; « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (…) »), puis le premier du Protocole n° 1 (relatif au « droit au respect de ses biens » ; v. la première illustration de mon billet du 6 août 2018) ; à propos du second, je renvoie à ma thèse préc., pp. 803 et s. Selon un important arrêt rendu ce jour, « l’article 8 doit être considéré comme englobant un droit pour les individus à une protection effective, par les autorités de l’État, contre les effets néfastes graves du changement climatique sur leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie » (CEDH G. C., 9 avr. 2024, Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, n° 53600/20, § 519 ; pour un résumé, v. echr.coe.int)..

Ensuite, bien que le « droit à l’instruction » n’apparaisse pas expressément dans l’arrêt (en raison de ce choix), il est bien fait mention de « la scolarisation des enfants dans une école interne au camp, en dehors du système d’éducation de droit commun »14CEDH, 4 avr. 2024, préc., § 153 ; v. auparavant les §§ 33, 57-58, 128, 140, 144 et 152 ; si la Cour n’a pas souhaité renvoyer à une jurisprudence désormais abondante15V. là encore ma thèse préc., pp. 856 et s., c’est peut-être pour esquiver le prisme non-discriminatoire et parce qu’il « ressort des conclusions de la rapporteure publique, adoptées dans le cadre du pourvoi en cassation introduit par M. Abdelkader Tamazount, que le montant global accordé (…) [a été] majoré en vue de tenir compte des troubles propres au défaut de scolarisation »16Arrêt préc., § 159 (cette dernière expression est reprise des conclusions, ainsi qu’en atteste la fin du § 40 où elles sont largement reproduites)..

Article de Guillaume Béars, La Dépêche 18 nov. 2022, à propos du « film poignant de Dalila Kerchouche » selon le site harkisdordogne.com ; « les enfants n’ont pas eu le droit d’aller à l’école de la République. “Pourquoi ?”, martèle » cette journaliste qui y est née, en 1973 (Mustapha Kessous, « “Bias, le camp du mépris”, sur France.tv : quand la France parquait les harkis derrière des barbelés », lemonde.fr le 6 déc. : « On tente de saisir toutes les violences décrites en écoutant les témoignages poignants – en français et en arabe – de quatre femmes, dont celui de Yamina Tamazount [qui avait alors 97 ans] » ; v. déjà – et plus largement – cette brève vidéo de Brut. le 21 sept. 2021).

Enfin, « la Cour rejette l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement selon laquelle MM. Abdelkader, Aïssa et Brahim Tamazount et Mme Zohra Tamazount ne peuvent plus se prétendre victimes (…) et conclut, au regard des considérations qui précèdent, que le séjour des requérants au sein du camp de Bias, pour la période du 3 mai 1974 au 31 décembre 1975, a emporté violation des articles » précités. Cet arrêt peut donc être ajouté aux « [s]ources relatives aux (…) filles de Harkis », dont le rôle a été – et reste sans doute – « insuffisamment mis en avant »17« Sources relatives aux mamans, épouses, filles de Harkis et Harkettes », harkis.gouv.fr.

Notes

1 CIJ, 28 mars 2024, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), ordonnance accessible sur le site de la Cour (icj-cij.org/fr/affaire/192), §§ 18, 21 et 51, 2 b) (« Par quinze voix contre une »).
2 « Guerre Israël-Hamas, jour 171 : une rapporteuse de l’ONU accuse Israël de commettre plusieurs « actes de génocide » dans la bande de Gaza », lemonde.fr (avec AFP) 25-26 mars 2024
3 Comparer « l’entretien accordé à l’AFP et à deux radios de la communauté juive française, Radio J et RCJ », par le président Nicolas Sarkozy : « Un “État juif” n’a pas de signification », Agence France-Presse 18 oct. 2011, rappelant la conférence de presse du ministre français des Affaires étrangères, le 18 juill. préc. ; v. auparavant la lettre ouverte de l’historien Shlomo Sand à Alain Juppé (le 15 juin) et, ultérieurement, ce texte du journaliste Alain Gresh, « Israël, Etat juif ? Doutes français » (blog.mondediplo.net le 1er août). Ajouts au 19 avril – à l’occasion de celui opéré en note 12 de mon précédent billet, au lendemain d’une nouvelle interdiction préoccupante – de ces rappels de Rima Hassan les 29 octobre et 7 novembre derniers, à travers ce communiqué de soutien de la FNLP le 17 févr. 2024
4 Francesca Albanese (entretien avec, par Rachida El Azzouzi), « Aucun État n’est au-dessus des lois », Mediapart 30 mars 2024 : « Israël a annoncé en février 2024 [v. lefigaro.fr (avec AFP) le 12] qu’il m’interdisait le territoire. Mais en réalité, aucun rapporteur spécial de l’ONU pour les Territoires palestiniens occupés n’a été autorisé à entrer dans le pays au cours des seize dernières années »…
5 Ariane Lavrilleux et Nina Hubinet (Marsactu), « Guerre à Gaza : la France a fourni en secret des équipements de mitrailleuses à Israël », disclose.ngo 25 mars 2024 ; sur la base de cette enquête, v. la lettre signée par Mathilde Panot et alii : « Guerre à Gaza : 115 parlementaires demandent à Macron l’arrêt immédiat des ventes d’armes à Israël », bfmtv.com le 5 avr. : « À l’instar de plusieurs ONG (Médecins du monde, Save the Children, Oxfam, Handicap International, nous considérons que la France est en contradiction avec les traités internationaux qu’elle a signés en continuant à fournir du matériel militaire à Israël ». V. aussi ce « texte à l’initiative de l’Institut du Genre en Géopolitique », blogs.mediapart.fr le 3 : avant qu’« une contradiction majeure » soit pointée, il est noté : « Parmi les géants français de l’armement, Thalès envoie encore à ce jour du matériel à Israël, permettant ainsi l’assassinat de plusieurs dizaines de milliers de Palestinien·nes, dont 70 % étaient des femmes et des enfants ». Ces 8 et 9 avril avaient lieu les audiences de la CIJ relatives à la requête du Nicaragua « déposée le 15 mars devant la plus haute instance judiciaire des Nations unies », pour lui demander « d’ordonner un embargo sur les armes vendues par Berlin à l’État hébreu » (Stéphanie Maupas, « L’Allemagne mise en cause pour “plausible” complicité avec Israël », Le Monde 9 avr., p. 3 : « selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stochholm », il s’agit du « deuxième fournisseur d’armes (…), derrière les États-Unis ». Dans l’édition du lendemain, page 25, v. Benjamin Barthe, « L’IA, amplificateur des crimes de guerre dans la bande de Gaza », revenant sur « deux enquêtes publiées par la presse israélienne » – la première du quotidien Haaretz le 31 mars, à propos des kill zones « à l’origine de la mort, fin décembre 2023, de trois otages du Hamas » ; au nom de son éradication a lieu « une massification 2.0 des meurtres de civils »).
6 Dans la vidéo diffusée ce dimanche 7 avril à Kigali, Emmanuel Macron s’en tiendra finalement au discours qu’il avait tenu dans la capitale rwandaise le 27 mai 2021 (il avait alors admis la « responsabilité accablante [de la France] dans un engrenage qui a abouti au pire », ce qui va déjà trop loin selon un communiqué du 8 avril 2024 [ajout le 20 de l’entretien avec Maria Malagardis de Vincent Duclert, liberation.fr et, à propos du prédécesseur de Jean Glavany à la présidence de l’Institut François Mitterrand, lire l’enquête publiée le 8 par Michael Pauron, « Hubert Védrine, le bâillon en bandoulière », afriquexxi.info]) ; v. le 9 dans Le Monde préc. (A. S.-T., p. 4), politis.fr (Denis Sieffert, « Rwanda : la phrase que Macron n’a pas prononcée ») et Mediapart (Fabrice Arfi et Ellen Salvi, « Macron et les mots perdus : le génocide des Tutsis révèle des fractures internes à l’Élysée » : « Selon plusieurs sources informées, le texte évoqué par l’Élysée le 4 avril existe bel et bien : il a été rédigé par les conseillers de la présidence avant d’être communiqué à la presse. (…) Mais impossible de savoir, à ce stade, qui a autorisé la diffusion de ces éléments de discours »).
7 « Rwanda : pour Emmanuel Macron, la France “aurait pu arrêter le génocide”, mais n’en a “pas eu la volonté” », lemonde.fr (avec AFP) 4-5 avr. 2024 ; v. aussi Pierre Lepidi, « Rwanda, le compte à rebours d’un printemps sanglant », Le Monde des 7-8, p. 28 : « Enrichi par les mots de Gaël Faye, le documentaire [Rwanda, vers l’apocalypse – actuellement en ligne et diffusé dimanche soir sur France 5 – revient sur sa] période préparatoire. (…) La soirée se poursuit avec l’émission « La Case du siècle et un autre documentaire, Rwanda, désobéir ou laisser mourir ?, qui montre les hésitations de la communauté internationale pendant la tragédie rwandaise ».
8 « La Cour européenne des droits de l’homme condamne la France pour son accueil des harkis “pas compatible avec le respect de la dignité humaine” », francetvinfo.fr (avec AFP) 4 avr. 2024 : « Le cinquième requérant [Kaddour Mechalikh], dont le père avait été exécuté en 1957 par le Front de libération national [FLN] algérien, et qui avait rejoint la France en 1980, n’a en revanche pas obtenu gain de cause ».
9 Avant d’évoquer l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles en note de bas de page 188 de cette thèse (2017, note n° 1099 de la première partie), je citais le jugement rendu par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ainsi que je le rappelais à la fin de mon billet du 15 oct. 2018 (deux paragraphes avant les notes et ajouts, avec la dernière illustration), ainsi que la note publiée en 2015 par Hafida Belrhali (v. depuis « Harkis : de l’arrêt du 3 octobre 2018 au projet de loi de reconnaissance et de réparation », DA févr. 2022, étude n° 2) ; elle fait partie des membres de la CNIH, dont le rôle a pu être présenté à la faculté de droit de Grenoble le 24 mai 2023, et où se tiendra ce vendredi 12 avril 2024 un nouveau séminaire (en plus de cette professeure de droit public, interviendront la doctorante Anaïs Al Nasr et les historien·nes Anne Dulphy et Abderahmen Moumen).
10 CEDH, 4 avr. 2024, Tamazount et autres c. France, n° 17131/19, §§ 1 et 126-127
11 Arrêt préc., § 155 ; cette relecture est assez audacieuse au regard des §§ 137 et 138 : « La Cour rappelle d’emblée que la France a ratifié la Convention et son Protocole n° 1 le 3 mai 1974 (…). Elle considère donc la période passée par les requérants au sein du camp de Bias avant l’entrée en vigueur de [ces textes] à l’égard de la France échappe à sa compétence ratione temporis ».
12 À l’unanimité, après que la Cour a « considéré que le montant de 15 000 EUR octroyé à chacun des requérants par les juridictions internes était modique et qu’il ne suffisait pas à réparer l’intégralité des violations constatées » (§ 176).
13 Arrêt préc., §§ 1, 128 et 129, avant de reproduire ces articles 3 et 8 (« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ; « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (…) »), puis le premier du Protocole n° 1 (relatif au « droit au respect de ses biens » ; v. la première illustration de mon billet du 6 août 2018) ; à propos du second, je renvoie à ma thèse préc., pp. 803 et s. Selon un important arrêt rendu ce jour, « l’article 8 doit être considéré comme englobant un droit pour les individus à une protection effective, par les autorités de l’État, contre les effets néfastes graves du changement climatique sur leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie » (CEDH G. C., 9 avr. 2024, Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, n° 53600/20, § 519 ; pour un résumé, v. echr.coe.int).
14 CEDH, 4 avr. 2024, préc., § 153 ; v. auparavant les §§ 33, 57-58, 128, 140, 144 et 152
15 V. là encore ma thèse préc., pp. 856 et s.
16 Arrêt préc., § 159 (cette dernière expression est reprise des conclusions, ainsi qu’en atteste la fin du § 40 où elles sont largement reproduites).
17 « Sources relatives aux mamans, épouses, filles de Harkis et Harkettes », harkis.gouv.fr

En attendant l’avis du Conseil d’État : recourir à l’IEF ou l’empêcher, de quel droit ?

« Dès la rentrée 2021, l’instruction (…) à domicile [ci-après en famille, l’IEF] sera strictement limitée, notamment aux impératifs de santé » ; ainsi l’a décidé Emmanuel Macron, le vendredi 2 octobre dernier, après en avoir « beaucoup débattu avec les ministres »1« Discours du Président de la République sur le thème de la lutte contre les séparatismes », elysee.fr 2 oct. 2020.

Capture d’écran de cette vidéo du 12 nov. : le geste d’Alana (10 ans, au premier plan) semble assez spontané ; et son sourire, juste après, m’a désarmé… (avertissement : c’est pas parce que je l’ai « capturée », que le chercheur que je suis écrit « pour l’IEF » ; peut-être seulement contre l’idée d’« [i]nterdire, limiter, forcer, obliger » ? En l’état, je ne sais pas !)

Cette annonce a surpris, alors que des écoles étaient fermées2« Covid19 – Point de situation du vendredi 2 octobre 2020 » (« Données arrêtées au jeudi à 13h »), education.gouv.fr ; surtout, qu’un tel moment soit choisi – un mois après la rentrée – pour annoncer une telle restriction pouvait difficilement être anticipé : quelques mois auparavant seulement, un rappeur havrais avait ainsi pu dédicacer un morceau « aux parents, qui ont fait l’école à la maison pendant le confinement » (ça rime)3Jules Pecnard, « Quand Édouard Philippe découvrait l’existence du rappeur Médine », lefigaro.fr 11 juin 2018 ; Arte. Les concerts à la maison, 29 avr. 2020, à 3’30.

Certaines pratiques allaient « vraiment au cœur de la « coéducation » », notait dès la mi-avril Benoît Urgelli – un chercheur en sciences de l’éducation4Benoît Urgelli (v. la note suivante et, plus généralement, univ-lyon2.fr) ; au passage, v. la Lettre d’information du laboratoire Éducation, Cultures, Politiques (ECP), nov. 2020, n° 4 (signalant l’ouvrage de Claire Polo, Le débat fertile. Explorer une controverse dans l’émotion, UGA éd.), avec ce propos introductif de Stéphane Simonian : « Par ces temps difficiles, la recherche est peut-être une ressource, un souffle. Mais elle ne saurait masquer un contexte chahuté par la crise sanitaire qui désorganise nos modes de fonctionnement et d’organisation » ; à cet égard, je tiens à remercier encore les personnes que j’ai sollicitées récemment – notamment celle qui m’a permis d’emprunter l’ouvrage ci-dessus, dans la foulée de ma « descente » ce mercredi 25 (ce bref passage à Grenoble m’a aussi permis de continuer à parcourir le livre de Françoise Waquet, Une histoire émotionnelle du savoir (XVIIe-XXIe siècle), CNRS éd., 2019, en particulier les développements titrés « La bibliothèque : lieux désertés, lieux aimés », pp. 73 et s.)., par ailleurs administrateur de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) du Rhône et de la métropole de Lyon5Benoît Urgelli (entretien avec, par Violaine Morin), « Les enfants vont perdre deux mois d’école, est-ce un drame ? », Le Monde 16 avr. 2020, p. 14 ; le 24 juin, Philippe Bongrand revenait pour les Savanturiers à « ce qu’on appelle aujourd’hui, mais pas hier, la coéducation » : v. les premières minutes du webinaire « Se repérer dans la galaxie de l’école à la maison », organisé dans le cadre de l’Université numérique de l’éducation ; ces regards croisés avec Pauline Proboeuf, animés par Ange Ansour, ont été mis en ligne le 2 juill.. Dans le même esprit enthousiaste, Julie Gameiro, professeure des écoles stagiaire à Nîmes, a « saisi l’occasion, « trop belle », du confinement, pour consacrer son mémoire à l’évolution de [la] relation parents/enseignants »6Lorraine Rossignol, « La coéducation, une révolution », Télérama le 1er, n° 3677, p. 36, spéc. p. 38, concernant l’école du Mas de Mingue ; s’agissant de celle dite Jean-Moulin, également à Nîmes, v. le 4 (au passage, à propos du résistant qui fût son secrétaire, v. Jean Chichizola, lefigaro.fr 26 nov., rappelant sa prise de position publique du 30 avr. 2017 : « Marine Le Pen (…), c’est la France de Maurras qui continue » ; Jean Lebrun, qui connaissait bien Daniel Cordier, revient en des termes touchants sur ce « mort à cent ans ». Critiquant l’hommage national aux Invalides, Olivier Charneux, tetu.com le 27 ; v. enfin Hugo Ruaud, publicsenat.fr le 29 : « Hubert Germain, centenaire, est le dernier représentant vivant des Compagnons de la Libération. Inévitablement, la question de la postérité se pose. Bien sûr, les communes concernées sont garantes de cette mémoire » ; parmi elles, Grenoble, ainsi que je le rappelais dans mon billet du 30 mai (en note 2)..

Alors qu’il était affirmé que l’« école redevient obligatoire »7Le Monde 23 juin, p. 15 ; v. depuis la toute première phase prononcée par « Karim Benmiloud, le recteur de l’académie de Clermont-Ferrand, [qui prévoyait] « une rentrée particulière mais sereine et apaisée », lamontagne.fr 27 août 2020. « On attribue à Joseph Goebbels la phrase « un mensonge répété mille fois se transforme en vérité ». Il n’a pas été prouvé que cette citation vient bien de lui » (nospensees.fr 19 oct. 2017) ; en tout état de cause, l’idée selon laquelle l’école serait « obligatoire », depuis Jules Ferry, a peut-être fini par être une vérité au sein de l’Éducation nationale, facilitant ainsi l’annonce de l’officialiser (juridiquement)., le Conseil d’État ordonnait de ne pas statuer « sur la requête d’appel de la commune de Marseille » : un juge des référés du tribunal administratif (TA) de cette ville lui avait enjoint, le 5 juin, « de mettre en œuvre, dans un délai de trois jours à compter de son ordonnance [n° 2004097], les modalités d’accueil des élèves âgés de trois et plus dans les classes des toutes petites sections et des petites sections » ; « compte tenu de ce qu’au plan national, toutes les écoles maternelles, tous niveaux de classe confondus, accueillent à nouveau l’ensemble de leurs élèves depuis le 22 », la ou le juge estimait le lendemain que les conclusions de « la commune de Marseille ont perdu leur objet » (n° 441106, cons. 5).

Dans les derniers jours de septembre, j’intégrais cette ordonnance à des observations qui viennent d’être publiées : j’insiste ici sur le contraste avec les prises de positions des juges de TA, acceptant avec beaucoup de facilité l’invocation du droit à l’éducation8« Les maires et le déconfinement, ou le déploiement du droit à l’éducation en référé », AJCT 2020, p. 542 (n° 11 du 19 nov., sommaire), obs. sous TA Montreuil Ord., 20 mai 2020, Mme Aline C., n° 2004683 ; Toulon le 28, Préfet du Var, n° 201320 ; La Réunion le 29, Mmes X. et Y., n° 2000415 ; Marseille le 5 juin, Mme Abderrahman Ben Allel et a., n° 2004097 ; Guadeloupe le même jour, M. B. A., n° 2000422 ; Nîmes les 9 et 10, Préfet du Gard, n° 2001571 (2001572, 2001573, 2001576 et 2001577) et n° 2001594) ; CE Ord., le 23, Commune de Marseille, préc. ; c’est qu’il s’agissait, dans cette configuration contentieuse, non pas de l’opposer à l’État, mais de lui donner raison.

Durant le premier confinement, Patricia Rrapi remarquait que « la protection de la santé devient un droit du gouvernement »9Patricia Rrapi, « Le Préambule de la Constitution de 1946, fondement constitutionnel de l’état d’urgence », La Revue des Droits de l’Homme ADL 8 juin, § 13, avant montrer en quoi ce cons. 17 « favorise aussi un éclatement plus général encore ». ; à l’occasion du second (ou deuxième ?), s’agirait-il que ce « droit » recouvre aussi celui à l’éducation (ou à l’instruction)) ?

Les deux mois qui viennent de s’écouler m’incitent à formuler cette hypothèse de travail : sollicité à plusieurs reprises, j’ai en effet profité du report d’un colloque pour réfléchir un peu à la question. En cette fin d’année où il aura mieux fallu rester chez soi10Mona Chollet, Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique, La Découverte, 2015 ; lire Ousama Bouiss, « Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? Les enseignements de Pierre Bayard », theconversation.com 14 mars 2019 : « se libérer de la volonté de paraître cultivé », un beau projet ! Aux éditions de Minuit, en 2007, il proposait « le concept de « bibliothèque collective » » ; et d’inviter à « se pencher davantage sur [chaque livre et] sa situation »., je l’ai fait notamment en échangeant, après avoir monté au séchoir une remorque de noix (dioises)11Non loin de ma maman – ça rime aussi avec confinement -, et avec mon papa, dans un endroit « parfois appelée la pampa » (Pierre Lasterra, « Une 3e circonscription vaste, disparate et indécise… », ledauphine.com 30 mai 2012 – soit un mois avant la dernière réélection d’Hervé Mariton (UMP) – avant de préciser qu’elle « est une des plus vastes de France »..

Plus récemment, il y a neuf jours exactement, l’une des trois députées LaREM du département12« Dans la Drôme, quatre femmes élues députées », ledauphine.com 18 juin 2017 alertait Jean Castex : des « familles drômoises se sont senties profondément touchées par le discours prononcé par le Président » ; récusant tout « parallèle entre l’IEF et [la] rupture avec les valeurs de notre République »13Comparer Philippe Bongrand (entretien avec, par Cécile Bourgneuf, « L’existence de cas de radicalisation est incontestable, mais c’est marginal », Libération (site web) 4 oct. 2020 ; v. surtout sa tribune avec l’équipe ANR SociogrIEF, « La décision de supprimer l’instruction en famille, sauf raison de santé, justifierait un débat public », Le Monde le 15, p. 29 : leurs « recherches montrent la très grande diversité des motivations des familles », irréductibles « aux dimensions religieuses ou « séparatistes » » ; entretemps, Valentin Bertrand, « Les écoles par correspondance défendent leur raison d’être », francebleu.fr le 11 : « « Bienvenue dans la cellule de radicalisation », ironise Cyril Metreau »., et s’affirmant « particulièrement attentive à ce que [la] majorité soit à la hauteur du débat parlementaire sur un sujet de société majeur », l’élue voudrait « pouvoir disposer de données, de raisons voire d’un argumentaire précis et étayé justifiant de l’obligation de l’instruction à l’école dès 3 ans »14Communiqué de presse, à partir du texte « La députée de la Drôme Célia de Lavergne interpelle le Premier Ministre au sujet de l’Instruction en famille… », mediascitoyens-diois.info 20 nov. 2020 (avec les coordonnées de Kim O’Dowd, son attachée parlementaire)..

Auparavant, Célia de Lavergne ajoute toutefois : « L’Instruction en famille est un droit (…), et ce depuis 1882 » ; est-ce vrai ? Et est-elle, selon cette loi dite Ferry, « un droit au même titre que l’instruction dans les écoles ou les établissements scolaires publics ou privés » (comme affirmé dans le passage d’abord tronqué) ? Il est permis d’en douter15V. le texte d’André D. Robert et Jean-Yves Seguy, « L’instruction dans les familles et la loi du 28 mars 1882 : paradoxe, controverses, mise en œuvre (1880-1914) », Histoire de l’éducation 2015/2, n° 144, pp. 29 et s., lesquels commencent par rappeler les termes de son article 4, qui ne fait que réserver la possibilité de donner l’enseignement primaire obligatoire « dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu’il aura choisie »., surtout si l’on veut bien prêter attention aux affirmations onusiennes et européennes du droit à l’éducation depuis 194816Pour un aperçu du droit international par l’initiative collaborative RTE, « Existe-t-il un droit à l’instruction à domicile ? », right-to-education.org, 2018 ; et de conclure : « la réponse est non »., préalables à la reformulation du droit français (en 1975, 1989 et 1998 – qu’elle reconnaît en faisant allusion à la bien mal-nommée loi n° 98-1165 du 18 décembre17Une loi qui n’a « pas été déférée au Conseil constitutionnel », comme le note Pierre-Henri Prélot, « L’enseignement privé confessionnel primaire et secondaire », in Francis Messner, Pierre-Henri Prélot et Jean-Marie Woehrling (dir.), Traité de droit français des religions, LexisNexis, 2ème éd., 2013, p. 1826, en note de bas de page, après avoir affirmé : « La liberté de l’enseignement domestique comme composante essentielle de la liberté de l’enseignement n’est guère soulignée en doctrine. Elle est pourtant essentielle » ; et de la reformuler en « droit », avant d’aller jusqu’à le qualifier – trois pages plus loin – de « fondamental (…), étant entendu que l’instruction constitue un droit pour les enfants et une obligation pour les parents ». À la RDLF 2018, thèse n° 10, je reviens sur les confusions suscitées par la référence à « l’obligation scolaire », en écrivant que le Conseil constitutionnel pourrait aider à les dissiper en rehaussant la référence au droit à l’éducation ; une occasion de le consacrer enfin pourrait être donnée par le projet de loi annoncé., plus précisément à son article premier in fine).

Dans ma thèse (2017), la démonstration de ma première partie aboutit à la conclusion selon laquelle le service public et les libertés publiques sont des références non seulement alternatives au droit à l’éducation, mais aussi porteuses des droits de l’État [et] des parents (notamment)18Je reprends ici à nouveau, en la raccourcissant un peu, une phrase de mon résumé préc. ; si je m’étais employé à tenter de contrer la tendance qui m’apparaissait dominer dans ma « communauté » de formation – celle des juristes (pas franchement étatiste sur les questions scolaires) –, je me demande aujourd’hui si j’ai assez critiqué sa symétrique (pour aller vite), consistant à rabattre ce droit sur celui parfois reconnu à l’État.

« Jérôme est venu de Grenoble pour exprimer son inquiétude. © Radio France » ; photo prise devant la préfecture par Claire Guédon (« “On nous prive de liberté” : des parents manifestent pour défendre l’école à la maison à Valence », francebleu.fr 20 nov. 2020)

Cette autre tendance se manifestait dans l’avis « rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi relatif à une école de la confiance », il y a tout juste deux ans19Avis rendu public par le Gouvernement le 5 déc. 2018 (v. infra la note 22). : après avoir partiellement repris à son compte un arrêt20CE, 19 juill. 2017, Assoc. Les Enfants d’Abord et a., n° 406150, cons. 3 – arrêt assez habilement écarté par Jean-Éric Schoettl, membre honoraire de l’institution (Le Figaro 9 oct. 2020, n° 23684, p. 18) puis mobilisé par Me Bernard Fau (v. la vidéo de Droit Instruction 17 nov. 2020, « diffusée par les associations Led’a, Laia, Cise, Unie et les collectifs Félicia et L’école est la maison »)., le Conseil d’État prêtait à la Cour européenne une décision de la Commission21Comm.EDH, 6 mars 1984 (v. infra)., cette erreur22Avis préc. du 29 nov. 2018 (public le 5 déc.), n° 396047, §12 ; « Depuis que la Cour européenne des droits de l’homme a été rendue permanente, le 1er novembre 1998, la commission a été supprimée », rappelle wikipedia.org (page actualisée le 25 nov. 2019). Ajout au 23 février 2021 – alors que je me suis remis « à l’IEF » (v. la toute dernière note) –, en me bornant pour l’heure à faire observer que cette erreur a été réitérée (v. supra ma note 7) au § 60 de « l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi « confortant le respect, par tous, des principes de la République » (dit « séparatisme » ou laïcité) », mis en ligne par l’avocat Éric Landot le 7 déc. 2020, rendu public par le Gouvernement à la date symbolique du 9 décembre (conseil-etat.fr) ; v. supra ma deuxième illustration, avec les « critiques de l’historien » Jean Baubérot (entretien avec, par Claire Legros), « Le gouvernement affirme renforcer la laïcité, alors qu’il porte atteinte à la séparation des religions et de l’État », Le Monde 15 déc. 2020, p. 30 (annoncé à la Une, ce mardi-là) : « Dans ses discours de Mulhouse [le 18 février] et des Mureaux [le 2 octobre], Emmanuel Macron cherchait un équilibre entre le séparatisme produit par la République et le radicalisme religieux. Il n’en reste rien dans le projet de loi (…) ». pouvant s’expliquer par la reprise de la même formule depuis23CEDH, 11 sept. 2006, Konrad c. Allemagne, n° 35504/03 ; il aurait toutefois été mieux inspiré en en citant une autre, selon laquelle la seconde phrase de l’article 2 du premier protocole additionnel à la Convention « consacre le rôle de l’État dans le domaine de l’éducation »24Je reprends ici l’essentiel de ma thèse, 2017, pp. 832-833, 1030 et 1197-1198.

En effet, son prétendu « droit d’instaurer une scolarisation obligatoire » est certes affirmé, mais moyennant une importante réserve à laquelle il n’a pas été assez prêté attention : « qu’elle ait lieu dans les écoles publiques ou grâce à des leçons particulières de qualité » ; or, dans la décision citée, « instruire leurs enfants à domicile » n’avait pas été interdit aux « parents requérants »25Comm.EDH, 6 mars 1984, Famille H. c. Royaume-Uni, n° 10233/83 ; DR 37, p. 109, spéc. p. 112 ; il n’est d’ailleurs pas du tout certain que la Cour accepterait aussi facilement la condamnation pénale d’une carence parentale « sans aucun doute étroitement liée au problème de la dyslexie des enfants » (pour citer la page 111 de cette décision disponible en ligne)..

Ce n’était pas le cas non plus avec la loi alors projetée, dite Blanquer ; dans un article rédigé l’année dernière, actualisé avant son adoption, je commentais comme suit la référence au « droit à l’instruction dans la famille reconnu par le législateur » (§17 de l’avis préc.) : Si elle est permise par la loi française, ce n’est pas en tant que droit à, expression qu’il est préférable de réserver aux bénéficiaires de l’éducation pour éviter de perpétuer des confusions qui peuvent être délibérément entretenues26Extrait de ma contribution intitulée « Le droit à l’éducation », in Sara Brimo et Christine Pauti (dir.), L’effectivité des droits. Regards en droit administratif, éd. mare & martin, 2019, p. 39, spéc. pp. 47-48, avec en note n° 59 cette précision : L’éducation est le mot le plus souvent utilisé au plan international, depuis 1948 ; l’art. 2 [du premier protocole additionnel à la Conv.EDH] (« Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction (…) ») est, pour ainsi dire, l’exception européenne qui confirme la règle » (reprise mot pour mot ici, pour permettre à qui le souhaite de citer – c’est mieux que de plagier)..

L’avant-projet de loi « confortant les principes républicains », dans sa version transmise au Conseil d’État, peut d’ores et déjà être consulté27V. à partir de dalloz-actualite.fr 18 nov., obs. de Pierre Januel (dans ce billet, les passages soulignés sont tous de mon fait). ; reste à savoir si et quand il sera possible de faire de même avec son nouvel avis. Ayant beaucoup appris des écrits de politistes, de socio-historien·e·s et, même parfois, de philosophes, je ne saurais trop recommander aux juristes – que la question de l’IEF intéresse – de lire en sciences de l’éducation et de la formation28Philippe Bongrand et Dominique Glasman, « Instruction(s) en famille. Explorations sociologiques d’un phénomène émergent », Revue française de pédagogie oct.-nov.-déc. 2018/4, n° 205, p. 5 (introduction au dossier, paru en février 2020) ; Jean-Marie Pottier, « Contrôler l’éducation à la maison », scienceshumaines.com août-sept. 2020, n° 328, recensant en outre les articles de Pauline Proboeuf (« S’affranchir de l’institution scolaire pour émanciper l’enfant ? », Émulations 2019, n° 29), Géraldine Farges et Élise Tenret (« Évaluer l’instruction en dehors de l’école. Une enquête sur la fabrication du jugement des inspecteurs dans les contrôles de l’instruction dans la famille », Sociologie 2020/2)..

Ouvrage cité ci-contre – à propos duquel v. infra la note 4 –, en signalant le « Chapitre 12. La question des Misérables », pp. 313 et s. Pour une lecture de cet « immense classique (…) du grand Victor Hugo », @GrandeLibrairie 26 août 2020 ; le mois suivant, « Mohamed-Iyad Smaïne, un Caladois de 15 ans, émeut [à nouveau] avec sa lecture sur RTL », leprogres.fr le 30 sept.

J’ai plaisir à terminer ce trop long billet en laissant la place à l’éloquence d’un adolescent. Pour ma part, je me retrancherai derrière un livre, écrit par deux auteurs avec lesquels j’ai d’importants désaccords ; à la réflexion, et je pèse mes mots, ils sont plus souvent théoriques et, surtout, méthodologiques, que politiques (et encore moins poétiques ; v. la légende ci-contre).

Après avoir affirmé « l’invention par Hugo de la notion de « droit de l’enfant », dont on sait la fortune juridique dans les Conventions internationales du vingtième siècle », ils en viennent à sa critique « des outrances du « droit du père » », lors de son opposition à ce qui allait devenir la loi Falloux (1850) ; « elle fait de l’enfant non un être qui s’appartient à soi, mais un être possédé par la famille, dont se trouve légitimée l’éventuelle volonté de le façonner à son gré, voire à son image. Hugo, on l’a vu, oppose « le droit de l’État » à un tel « droit » ». Dans les pages consacrées à ce discours, on peut lire que « la contrainte multiforme exercée par le « parti clérical » est vivement dénoncée » (« une loi qui a un masque. (Bravo !) ») ; et de placer en exergue, plus loin, cet extrait : « L’instruction primaire obligatoire, c’est le droit de l’enfant qui est plus sacré encore que le droit du père et qui se confond avec le droit de l’État » (v. Henri Peña-Ruiz et Jean-Paul Scot, Un poète en politique. Les combats de Victor Hugo, Flammarion, 2003, pp. 360-361, 109 et 122).

Soucieux d’éviter des relectures anachroniques29Invité récemment de la Radio chrétienne francophone (RCF) – Alsace, pour une émission intitulée « Le droit en débat », Grégor Puppinck se livre à nouveau à une lecture plus qu’orientée des textes pertinents, en particulier les travaux préparatoires du protocole additionnel à la Convention (il procède d’ailleurs à un simple copier-coller de ses Observations écrites soumises à la Cour le 9 décembre 2016, 11 p., spéc. pp. 10-11 ; Officiel ECLJ 22 oct. 2020) ; la CEDH s’est prononcée depuis et, pour le dire en une phrase, sur le modèle de mon précédent billet : Scolarisation obligatoire, la Cour européenne ne condamne pas l’Allemagne (v. mes ajouts dans celui-ci, le 20). Ajout, le 23 février 2021, de cette précision : « Les militants de l’éducation à la maison mettent régulièrement en avant que c’est une loi adoptée sous le IIIe Reich, pour des raisons d’endoctrinement. Leur débat est complexe, car une des raisons avancées pour le maintien de la loi est que l’école construit des démocrates » (Philippe Bongrand (entretien avec, par Jean-Christophe Henriet), « Ceux qui délèguent et ceux qui assument », Journal du Centre 10 avr. 2019, p. 5, à l’occasion d’une « journée d’échanges sur les modes d’instruction en Morvan »)., je me bornerai à cette piste de réflexion pour conclure : peut-être fallait-il en passer par-là, pour assurer la séparation – laïque – de l’Église (catholique) et de l’État (français) ; en pensant avec Hugo, mais aussi contre lui, l’enjeu n’est-il pas aujourd’hui d’autonomiser – voire émanciper, pour reprendre un mot qui plaît aux auteurs précités – la référence au droit à l’éducation ?

Au fait, le 25 novembre, c’était la Journée nationale contre le harcèlement (à l’école)30À partir de l’article 5 de la loi n° 2019-791 du 26 juillet pour une école de la confiance, v. Valérie Piau (entretien avec, par Sophie de Tarlé), etudiant.lefigaro.fr 5 nov. ; dans l’émission Ça commence aujourd’hui, Bilal Hassani livrait ce jour-là un témoignage (avant de lancer quelques jours plus tard un appel au gouvernement, sur le plateau de Quotidien le 10). Paragraphe modifié après réflexion et révisions du présent texte (en essayant de le rendre plus lisible ; pour mes billets à venir, je me fixe ici l’objectif de diviser le nombre de notes par deux – soit 15, comme max.) ; n’hésitez pas à m’écrire si vous avez des réactions ou informations à partager, les discours du – et sur le – droit de l’IEF font partie de mes projets d’étude pour 2021 (ajout au 23 février, en renvoyant aussi à Antonello Lambertucci, « Interdiction de l’instruction à domicile : enjeux et problématiques », La Revue du SIA nov. 2020, n° 37, p. 7, ainsi qu’à mon billet suivant in fine)., lequel était présenté par la députée précitée comme l’une des causes du recours à l’IEF – il y a neuf jours, le 20, cependant qu’on célébrait les droits de l’enfant.

Ajout au 15 décembre, pour dédier ce billet à la mémoire de la tante d’un ami d’enfance, la  sœur d’une personne d’une grande hospitalité (je l’ai éprouvée plus d’une fois…) ; alors que je lui présentais mes condoléances (hier), elle m’a rappelé, d’une part, qu’elle était croyante – ce qui n’était pas vraiment un secret, pas plus qu’elle ne devrait s’offusquer que je la qualifie de « catho de gauche ». D’autre part, ou par voie de conséquence, elle m’a indiqué avoir choisi comme lecture (la semaine dernière) ce poème de Victor Hugo : « Aux arbres » (ce qui m’a conduit, évidemment, à lui parler de la deuxième illustration supra ; lire Les Contemplations, Nelson éd., 1856, poetica.fr).

Notes

1 « Discours du Président de la République sur le thème de la lutte contre les séparatismes », elysee.fr 2 oct. 2020
2 « Covid19 – Point de situation du vendredi 2 octobre 2020 » (« Données arrêtées au jeudi à 13h »), education.gouv.fr
3 Jules Pecnard, « Quand Édouard Philippe découvrait l’existence du rappeur Médine », lefigaro.fr 11 juin 2018 ; Arte. Les concerts à la maison, 29 avr. 2020, à 3’30
4 Benoît Urgelli (v. la note suivante et, plus généralement, univ-lyon2.fr) ; au passage, v. la Lettre d’information du laboratoire Éducation, Cultures, Politiques (ECP), nov. 2020, n° 4 (signalant l’ouvrage de Claire Polo, Le débat fertile. Explorer une controverse dans l’émotion, UGA éd.), avec ce propos introductif de Stéphane Simonian : « Par ces temps difficiles, la recherche est peut-être une ressource, un souffle. Mais elle ne saurait masquer un contexte chahuté par la crise sanitaire qui désorganise nos modes de fonctionnement et d’organisation » ; à cet égard, je tiens à remercier encore les personnes que j’ai sollicitées récemment – notamment celle qui m’a permis d’emprunter l’ouvrage ci-dessus, dans la foulée de ma « descente » ce mercredi 25 (ce bref passage à Grenoble m’a aussi permis de continuer à parcourir le livre de Françoise Waquet, Une histoire émotionnelle du savoir (XVIIe-XXIe siècle), CNRS éd., 2019, en particulier les développements titrés « La bibliothèque : lieux désertés, lieux aimés », pp. 73 et s.).
5 Benoît Urgelli (entretien avec, par Violaine Morin), « Les enfants vont perdre deux mois d’école, est-ce un drame ? », Le Monde 16 avr. 2020, p. 14 ; le 24 juin, Philippe Bongrand revenait pour les Savanturiers à « ce qu’on appelle aujourd’hui, mais pas hier, la coéducation » : v. les premières minutes du webinaire « Se repérer dans la galaxie de l’école à la maison », organisé dans le cadre de l’Université numérique de l’éducation ; ces regards croisés avec Pauline Proboeuf, animés par Ange Ansour, ont été mis en ligne le 2 juill.
6 Lorraine Rossignol, « La coéducation, une révolution », Télérama le 1er, n° 3677, p. 36, spéc. p. 38, concernant l’école du Mas de Mingue ; s’agissant de celle dite Jean-Moulin, également à Nîmes, v. le 4 (au passage, à propos du résistant qui fût son secrétaire, v. Jean Chichizola, lefigaro.fr 26 nov., rappelant sa prise de position publique du 30 avr. 2017 : « Marine Le Pen (…), c’est la France de Maurras qui continue » ; Jean Lebrun, qui connaissait bien Daniel Cordier, revient en des termes touchants sur ce « mort à cent ans ». Critiquant l’hommage national aux Invalides, Olivier Charneux, tetu.com le 27 ; v. enfin Hugo Ruaud, publicsenat.fr le 29 : « Hubert Germain, centenaire, est le dernier représentant vivant des Compagnons de la Libération. Inévitablement, la question de la postérité se pose. Bien sûr, les communes concernées sont garantes de cette mémoire » ; parmi elles, Grenoble, ainsi que je le rappelais dans mon billet du 30 mai (en note 2).
7 Le Monde 23 juin, p. 15 ; v. depuis la toute première phase prononcée par « Karim Benmiloud, le recteur de l’académie de Clermont-Ferrand, [qui prévoyait] « une rentrée particulière mais sereine et apaisée », lamontagne.fr 27 août 2020. « On attribue à Joseph Goebbels la phrase « un mensonge répété mille fois se transforme en vérité ». Il n’a pas été prouvé que cette citation vient bien de lui » (nospensees.fr 19 oct. 2017) ; en tout état de cause, l’idée selon laquelle l’école serait « obligatoire », depuis Jules Ferry, a peut-être fini par être une vérité au sein de l’Éducation nationale, facilitant ainsi l’annonce de l’officialiser (juridiquement).
8 « Les maires et le déconfinement, ou le déploiement du droit à l’éducation en référé », AJCT 2020, p. 542 (n° 11 du 19 nov., sommaire), obs. sous TA Montreuil Ord., 20 mai 2020, Mme Aline C., n° 2004683 ; Toulon le 28, Préfet du Var, n° 201320 ; La Réunion le 29, Mmes X. et Y., n° 2000415 ; Marseille le 5 juin, Mme Abderrahman Ben Allel et a., n° 2004097 ; Guadeloupe le même jour, M. B. A., n° 2000422 ; Nîmes les 9 et 10, Préfet du Gard, n° 2001571 (2001572, 2001573, 2001576 et 2001577) et n° 2001594) ; CE Ord., le 23, Commune de Marseille, préc.
9 Patricia Rrapi, « Le Préambule de la Constitution de 1946, fondement constitutionnel de l’état d’urgence », La Revue des Droits de l’Homme ADL 8 juin, § 13, avant montrer en quoi ce cons. 17 « favorise aussi un éclatement plus général encore ».
10 Mona Chollet, Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique, La Découverte, 2015 ; lire Ousama Bouiss, « Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? Les enseignements de Pierre Bayard », theconversation.com 14 mars 2019 : « se libérer de la volonté de paraître cultivé », un beau projet ! Aux éditions de Minuit, en 2007, il proposait « le concept de « bibliothèque collective » » ; et d’inviter à « se pencher davantage sur [chaque livre et] sa situation ».
11 Non loin de ma maman – ça rime aussi avec confinement -, et avec mon papa, dans un endroit « parfois appelée la pampa » (Pierre Lasterra, « Une 3e circonscription vaste, disparate et indécise… », ledauphine.com 30 mai 2012 – soit un mois avant la dernière réélection d’Hervé Mariton (UMP) – avant de préciser qu’elle « est une des plus vastes de France ».
12 « Dans la Drôme, quatre femmes élues députées », ledauphine.com 18 juin 2017
13 Comparer Philippe Bongrand (entretien avec, par Cécile Bourgneuf, « L’existence de cas de radicalisation est incontestable, mais c’est marginal », Libération (site web) 4 oct. 2020 ; v. surtout sa tribune avec l’équipe ANR SociogrIEF, « La décision de supprimer l’instruction en famille, sauf raison de santé, justifierait un débat public », Le Monde le 15, p. 29 : leurs « recherches montrent la très grande diversité des motivations des familles », irréductibles « aux dimensions religieuses ou « séparatistes » » ; entretemps, Valentin Bertrand, « Les écoles par correspondance défendent leur raison d’être », francebleu.fr le 11 : « « Bienvenue dans la cellule de radicalisation », ironise Cyril Metreau ».
14 Communiqué de presse, à partir du texte « La députée de la Drôme Célia de Lavergne interpelle le Premier Ministre au sujet de l’Instruction en famille… », mediascitoyens-diois.info 20 nov. 2020 (avec les coordonnées de Kim O’Dowd, son attachée parlementaire).
15 V. le texte d’André D. Robert et Jean-Yves Seguy, « L’instruction dans les familles et la loi du 28 mars 1882 : paradoxe, controverses, mise en œuvre (1880-1914) », Histoire de l’éducation 2015/2, n° 144, pp. 29 et s., lesquels commencent par rappeler les termes de son article 4, qui ne fait que réserver la possibilité de donner l’enseignement primaire obligatoire « dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu’il aura choisie ».
16 Pour un aperçu du droit international par l’initiative collaborative RTE, « Existe-t-il un droit à l’instruction à domicile ? », right-to-education.org, 2018 ; et de conclure : « la réponse est non ».
17 Une loi qui n’a « pas été déférée au Conseil constitutionnel », comme le note Pierre-Henri Prélot, « L’enseignement privé confessionnel primaire et secondaire », in Francis Messner, Pierre-Henri Prélot et Jean-Marie Woehrling (dir.), Traité de droit français des religions, LexisNexis, 2ème éd., 2013, p. 1826, en note de bas de page, après avoir affirmé : « La liberté de l’enseignement domestique comme composante essentielle de la liberté de l’enseignement n’est guère soulignée en doctrine. Elle est pourtant essentielle » ; et de la reformuler en « droit », avant d’aller jusqu’à le qualifier – trois pages plus loin – de « fondamental (…), étant entendu que l’instruction constitue un droit pour les enfants et une obligation pour les parents ». À la RDLF 2018, thèse n° 10, je reviens sur les confusions suscitées par la référence à « l’obligation scolaire », en écrivant que le Conseil constitutionnel pourrait aider à les dissiper en rehaussant la référence au droit à l’éducation ; une occasion de le consacrer enfin pourrait être donnée par le projet de loi annoncé.
18 Je reprends ici à nouveau, en la raccourcissant un peu, une phrase de mon résumé préc.
19 Avis rendu public par le Gouvernement le 5 déc. 2018 (v. infra la note 22).
20 CE, 19 juill. 2017, Assoc. Les Enfants d’Abord et a., n° 406150, cons. 3 – arrêt assez habilement écarté par Jean-Éric Schoettl, membre honoraire de l’institution (Le Figaro 9 oct. 2020, n° 23684, p. 18) puis mobilisé par Me Bernard Fau (v. la vidéo de Droit Instruction 17 nov. 2020, « diffusée par les associations Led’a, Laia, Cise, Unie et les collectifs Félicia et L’école est la maison »).
21 Comm.EDH, 6 mars 1984 (v. infra).
22 Avis préc. du 29 nov. 2018 (public le 5 déc.), n° 396047, §12 ; « Depuis que la Cour européenne des droits de l’homme a été rendue permanente, le 1er novembre 1998, la commission a été supprimée », rappelle wikipedia.org (page actualisée le 25 nov. 2019). Ajout au 23 février 2021 – alors que je me suis remis « à l’IEF » (v. la toute dernière note) –, en me bornant pour l’heure à faire observer que cette erreur a été réitérée (v. supra ma note 7) au § 60 de « l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi « confortant le respect, par tous, des principes de la République » (dit « séparatisme » ou laïcité) », mis en ligne par l’avocat Éric Landot le 7 déc. 2020, rendu public par le Gouvernement à la date symbolique du 9 décembre (conseil-etat.fr) ; v. supra ma deuxième illustration, avec les « critiques de l’historien » Jean Baubérot (entretien avec, par Claire Legros), « Le gouvernement affirme renforcer la laïcité, alors qu’il porte atteinte à la séparation des religions et de l’État », Le Monde 15 déc. 2020, p. 30 (annoncé à la Une, ce mardi-là) : « Dans ses discours de Mulhouse [le 18 février] et des Mureaux [le 2 octobre], Emmanuel Macron cherchait un équilibre entre le séparatisme produit par la République et le radicalisme religieux. Il n’en reste rien dans le projet de loi (…) ».
23 CEDH, 11 sept. 2006, Konrad c. Allemagne, n° 35504/03
24 Je reprends ici l’essentiel de ma thèse, 2017, pp. 832-833, 1030 et 1197-1198
25 Comm.EDH, 6 mars 1984, Famille H. c. Royaume-Uni, n° 10233/83 ; DR 37, p. 109, spéc. p. 112 ; il n’est d’ailleurs pas du tout certain que la Cour accepterait aussi facilement la condamnation pénale d’une carence parentale « sans aucun doute étroitement liée au problème de la dyslexie des enfants » (pour citer la page 111 de cette décision disponible en ligne).
26 Extrait de ma contribution intitulée « Le droit à l’éducation », in Sara Brimo et Christine Pauti (dir.), L’effectivité des droits. Regards en droit administratif, éd. mare & martin, 2019, p. 39, spéc. pp. 47-48, avec en note n° 59 cette précision : L’éducation est le mot le plus souvent utilisé au plan international, depuis 1948 ; l’art. 2 [du premier protocole additionnel à la Conv.EDH] (« Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction (…) ») est, pour ainsi dire, l’exception européenne qui confirme la règle » (reprise mot pour mot ici, pour permettre à qui le souhaite de citer – c’est mieux que de plagier).
27 V. à partir de dalloz-actualite.fr 18 nov., obs. de Pierre Januel (dans ce billet, les passages soulignés sont tous de mon fait).
28 Philippe Bongrand et Dominique Glasman, « Instruction(s) en famille. Explorations sociologiques d’un phénomène émergent », Revue française de pédagogie oct.-nov.-déc. 2018/4, n° 205, p. 5 (introduction au dossier, paru en février 2020) ; Jean-Marie Pottier, « Contrôler l’éducation à la maison », scienceshumaines.com août-sept. 2020, n° 328, recensant en outre les articles de Pauline Proboeuf (« S’affranchir de l’institution scolaire pour émanciper l’enfant ? », Émulations 2019, n° 29), Géraldine Farges et Élise Tenret (« Évaluer l’instruction en dehors de l’école. Une enquête sur la fabrication du jugement des inspecteurs dans les contrôles de l’instruction dans la famille », Sociologie 2020/2).
29 Invité récemment de la Radio chrétienne francophone (RCF) – Alsace, pour une émission intitulée « Le droit en débat », Grégor Puppinck se livre à nouveau à une lecture plus qu’orientée des textes pertinents, en particulier les travaux préparatoires du protocole additionnel à la Convention (il procède d’ailleurs à un simple copier-coller de ses Observations écrites soumises à la Cour le 9 décembre 2016, 11 p., spéc. pp. 10-11 ; Officiel ECLJ 22 oct. 2020) ; la CEDH s’est prononcée depuis et, pour le dire en une phrase, sur le modèle de mon précédent billet : Scolarisation obligatoire, la Cour européenne ne condamne pas l’Allemagne (v. mes ajouts dans celui-ci, le 20). Ajout, le 23 février 2021, de cette précision : « Les militants de l’éducation à la maison mettent régulièrement en avant que c’est une loi adoptée sous le IIIe Reich, pour des raisons d’endoctrinement. Leur débat est complexe, car une des raisons avancées pour le maintien de la loi est que l’école construit des démocrates » (Philippe Bongrand (entretien avec, par Jean-Christophe Henriet), « Ceux qui délèguent et ceux qui assument », Journal du Centre 10 avr. 2019, p. 5, à l’occasion d’une « journée d’échanges sur les modes d’instruction en Morvan »).
30 À partir de l’article 5 de la loi n° 2019-791 du 26 juillet pour une école de la confiance, v. Valérie Piau (entretien avec, par Sophie de Tarlé), etudiant.lefigaro.fr 5 nov. ; dans l’émission Ça commence aujourd’hui, Bilal Hassani livrait ce jour-là un témoignage (avant de lancer quelques jours plus tard un appel au gouvernement, sur le plateau de Quotidien le 10). Paragraphe modifié après réflexion et révisions du présent texte (en essayant de le rendre plus lisible ; pour mes billets à venir, je me fixe ici l’objectif de diviser le nombre de notes par deux – soit 15, comme max.) ; n’hésitez pas à m’écrire si vous avez des réactions ou informations à partager, les discours du – et sur le – droit de l’IEF font partie de mes projets d’étude pour 2021 (ajout au 23 février, en renvoyant aussi à Antonello Lambertucci, « Interdiction de l’instruction à domicile : enjeux et problématiques », La Revue du SIA nov. 2020, n° 37, p. 7, ainsi qu’à mon billet suivant in fine).

7ème version du Livret de méthodologie

En ce jour anniversaire de la naissance de Jean Jaurès (à Castres, le 3 septembre 1859), je signale avoir retouché son portrait dressé sur ce site, ainsi que l’actualisation du Livret de méthodologie (il y a environ deux mois) ; les modifications par rapport à la sixième version restent limitées mais, si vous utilisez cet outil, autant télécharger le document révisé (avec les récapitulatifs qu’il contient).

Photo adressée par un ami fin juin ; il m’indiquait être « redescendu de la montagne pile à temps pour la soirée électorale ».

En souhaitant aux personnes concernées une bonne rentrée, et en réaction (retardée) à la photo ci-contre, je reprendrai cet extrait d’un entretien avec Jean Baubérot : « On a perpétuellement à apprendre, y compris de ceux qui sont restés dans la plaine » (« Il existe une tension réelle entre objectivité et engagement », in Pascal Boniface, Les intellectuels intègres, éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2013, p. 53, spéc. p. 59).

L’année suivante était publié Une si vive révolte ; dans le neuvième chapitre, « Les années soixante-dix : le militant et le chercheur », Jean Baubérot rappelle avoir bénéficié de « soutiens » et « conseils », en particulier ceux de « la spécialiste de Jaurès, Madeleine Rebérioux » (éd. de l’Atelier, 2014, p. 117, spéc. pp. 133-134) ; en 1991 – et jusqu’en 1995 (dix ans avant sa mort) –, elle deviendra la première présidente de la LDH (v. ma thèse, 2017, en note de bas de page 1227, en conclusion).

…quand la laïcité repose sur une croyance (Rev.jurisp. ALYODA 2020, n° 1, janv.-mai)

Note sous CAA Lyon, 23 juill. 2019, n° 17LY04351 ; « Interdiction des mères voilées dans les locaux scolaires : quand la laïcité repose sur une croyance » 1La présente note, dans cette version du 12 décembre 2019, a été publiée en janvier dans la Rev.jurisp. ALYODA 2020, n° 1, puis supprimée dans les premiers jours de juin (entretemps, le 31 janvier en note n° 8, j’avais renvoyé aux commentaires relatifs à cet arrêt). Les illustrations ont été ajoutées le dimanche 7 juin 2020, lors de la première publication de ce billet (la dernière légende a été complétée ce 3 septembre)..

Ferdinand Mélin-Soucramanien et Fabrice Melleray (dir.), Le professeur Jean Rivero ou la liberté en action, Dalloz, 2012, univ-droit.fr

Croire à « un manquement à la laïcité dans tout acte susceptible d’apprendre à l’enfant ce qu’il sait par la vie quotidienne, à savoir l’existence historique et actuelle des religions, ce serait condamner l’enseignement à édifier, pour y instruire les enfants, une cité chimérique, en marge du monde réel » (Jean Rivero, S. 1949, III, 41, spéc. p. 44).

Le 27 novembre 1989, saisi par le ministre de l’Éducation nationale, le Conseil d’État estimait que le « principe de laïcité de l’enseignement public » n’impliquait d’obligations de « neutralité » qu’en ce qui concerne les programmes et les enseignant·e·s ; près de trente ans après, la Cour administrative d’appel de Lyon a décidé de reprendre ces termes – ainsi que la référence à « la liberté de conscience des élèves » (pourtant redéfinie depuis) –, avant de les compléter pour imposer cette laïcité-neutralité à de nouvelles « personnes » (CAA Lyon, 23 juill. 2019, n° 17LY04351, cons. 3).

En l’espèce et parce qu’elles portaient un voile, deux mères d’élèves se savaient visées par ce que le rapporteur public qualifie de « règlement scolaire des écoles maternelle et primaire adopté le 10 novembre 2014 », et qui n’apparaît dans l’arrêt que comme « un échange » lors de cette « réunion du conseil d’école » (cons. 4 ; je remercie Samuel Deliancourt pour m’avoir transmis ses conclusions – publiées depuis au JCP A 2019, 2307, avec une note approbatrice de Mathilde Philip-Gay). Selon les témoignages publiés par le journal Le Monde le 24 octobre dernier (p. 10), il leur aurait été indiqué que « la loi » les obligeait à s’en délester, puis qu’elles n’avaient qu’à, pour participer, faire « des gâteaux » (« Madame, vous ne partirez pas avec votre foulard ! », Aurélie Collas présentant l’une d’elles comme « [a]vocate de formation » ; ici comme ailleurs, le contentieux ne reflète qu’une partie des cas litigieux). Le directeur refusant de leur donner raison, elles décidèrent – avec une mère d’élève d’une autre école de la ville de Meyzieu (Marcel Pagnol) – de saisir la rectrice de l’académie de Lyon. Moins d’un mois plus tard, cette dernière répondait en se rangeant à la « position qui été retenue pour assurer le bon fonctionnement [de ces deux] écoles maternelles ».

Photo prise personnellement il y a quelques mois (dans une autre ville ; illustration déjà mobilisée dans mon billet du 29 février, en note n° 86)

Cette décision rectorale du 2 avril 2015, dont les termes ne figurent que dans les conclusions, semble n’avoir été attaquée qu’à propos de la première école (Condorcet). À la suite du tribunal administratif de Lyon, le 19 octobre 2017, la CAA a rejeté leur recours en annulation. L’arrêt du 23 juillet 2019 adopte néanmoins une nouvelle motivation, en suivant cette fois son rapporteur public ; après l’avoir d’abord en elle-même contestée (1.), une attention prêtée aux sources d’inspiration de ce dernier conduira à pointer le paradoxe qui consiste à prétendre enrichir le principe de laïcité à partir d’une croyance (2.). Quelques lignes seront enfin consacrées à la portée de cet arrêt, qui devrait permettre au Conseil d’État de se prononcer en formation contentieuse (3.).

1. Une motivation renouvelée

La CAA confirme un jugement qui avait été rendu sur des conclusions contraires (TA Lyon, 19 oct. 2017, Mmes B. et C., n° 1505363 ; Rev.jurisp. ALYODA 2018, n° 2, concl. Joël Arnould et obs. Nicolas Charrol ; l’un et l’autre reviennent sur les jugements antérieurs). Elles s’inscrivaient dans la voie tracée par le Conseil d’État le 19 décembre 2013, au motif que l’étude alors adoptée par l’assemblée générale visait « tant les sorties que les « activités scolaires » » (v. en effet la page 34). Informé de ce que « les rapports de l’observatoire [de la laïcité] ont témoigné de l’accueil contrasté de l’étude », Joël Arnould en déduisait qu’« en ne se fondant sur aucun fait concret, la rectrice n’a pas légalement fondé sa décision » ; il proposait donc d’accueillir ce moyen. Confirmant la plasticité des formules suggérées fin 2013, le tribunal les avait reprises pour – au contraire – rejeter le recours (cons. 6 et 7).

Ignorant l’indication de son homologue au TA, Samuel Deliancourt affirme quant à lui devant la CAA que cette étude « n’envisage pas le cas » ici résolu. Le rapporteur public se réfère alors – entre parenthèses – au « propos tout à fait juste de la professeure Mme S. Hennette-Vauchez commentant le jugement du TA de Montreuil ». L’autrice déplorait dans cette note un contresens de la rapporteure publique (à propos de l’arrêt du 27 juillet 2001, Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière – Direction et a., n° 215550 et 220980, admettant le concours de sœurs d’une congrégation au fonctionnement de ce service public). Dans ses propres conclusions, Samuel Deliancourt la cite à contre-emploi, Stéphanie Hennette-Vauchez pointant précisément « l’inconséquence qui s’attache au raisonnement juridique qui prétend systématiquement étendre la portée utile de certaines catégories », à savoir « les principes de laïcité/neutralité du service public » (« Discrimination indirecte, genre et liberté religieuse : encore un rebondissement dans les affaires du voile », AJDA 2012, p. 163).

C’est ainsi qu’il avance un « double critère matériel tiré de la nature des activités exercées par les parents avec les enfants et du lieu d’exercice de celles-ci ». Préalablement, il suggère que ce dernier pourrait provoquer leur incapacité à distinguer leurs parents de leurs « enseignants » ; cette hypothèse surprenante a été reprise le 24 octobre 2019 par Xavier Bioy, soucieux d’éviter aux enfants – de mamans non voilées – « de se poser des questions »… Le rapporteur public tente de juridiciser sa position en mobilisant un article (L. 212-15 du Code de l’éducation) et un arrêt (CE, 8 nov. 1985, MÉN, n° 55594), qui présentent toutefois un défaut dirimant : ils ne concernent pas des activités scolaires (ou « des activités assimilables à celles des personnels enseignants », selon le considérant 3 de la CAA ; « similaires » selon le suivant). Pareille interprétation, téléologique (pour ne pas dire théologique !), s’explique sans doute par l’une de ses autres affirmations, selon laquelle l’école serait « fondée », au profit des enfants, sur une « neutralité scolaire exigée (…) depuis le 19e siècle » qui tendrait « à « sanctuariser » ces dépendances [les locaux scolaires] pour les épargner de toutes pressions et convictions ». Autrement dit, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, la laïcité repose ici sur une croyance.

2. Une croyance dissimulée

Colloque organisé par la Libre Pensée et le Conseil Départemental de la Haute-Garonne, lp37.over-blog.com 7 oct. 2019 ; illustration initialement mobilisée dans ce billet (portrait)

Dissimulée par l’arrêt, cette croyance est révélée dès la « citation bien connue » placée en exergue des conclusions : « Les écoles doivent rester l’asile inviolable où les querelles [des] hommes [sic] n’entrent pas ». En citant ainsi Jean Zay, Samuel Deliancourt annonçait une nouvelle illustration de la conception de l’école publique comme un sanctuaire républicain « laïque » (v. ma thèse en ligne – à laquelle renvoie le précédent lien –, 2017, pp. 493 et s.).

La croyance du rapporteur public a probablement trouvé son inspiration dans une étude qu’il cite, celle de Pierre Juston (« La laïcité à l’épreuve des parents d’élèves accompagnateurs des sorties scolaires », in Hiam Mouannès (dir.), La laïcité à l’œuvre et à l’épreuve, Presses de l’université Toulouse 1 Capitole, 2017 [192 p., mis en ligne sur OpenEdition Books le 12 octobre 2018], pp. 145 et s.). Il convient de remarquer que ce dernier y plaide la « solution d’une interdiction textuelle de manifester les convictions religieuses, philosophiques et politiques des parents accompagnateurs » (§§ 34 et s. Je souligne ; v. aussi « Mères voilées aux sorties scolaires : c’est à la loi de trancher, pas au Conseil d’État », marianne.net 13 déc. 2017). Au § 13, en la qualifiant en note n° 45 d’« illustre », l’auteur mobilise la circulaire Zay du 31 décembre 1936 pour… trouver un fondement à la loi du 15 mars 2004 (en d’autres occasions, il concède que « cette loi est bien une extension du principe de laïcité » ; cela ne l’empêche pas d’opposer quelques lignes plus loin « une méconnaissance de la construction du modèle français du service public de l’éducation » : v. « “Droits des musulmanes” : quelques réponses au manifeste de Rokhaya Diallo », marianne.net 7 août 2018). Au § 22, Pierre Juston suggère à juste titre qu’un arrêt mobilisé dans l’étude de 2013 n’a pas été alors bien choisi (CE, 22 mars 1941, Union nationale des parents d’élèves de l’enseignement libre, Rec. 49), selon lui parce que cette décision mériterait d’être « envisagé à la lumière [du contexte de Vichy] » ; abordant auparavant la circulaire de Jean Zay, il l’extrait de son propre contexte : « en plein front populaire, elle vise à faire cesser les agissements de propagande des Ligues d’extrême droite dans et aux abords des lycées et ne concerne aucunement les signes religieux » (Olivier Loubes, « Interdire les signes religieux et politiques dans les lycées publics depuis Jules Ferry : contribution à l’histoire réglementaire du tempérament républicain », Historiens et Géographes mai 2007, n° 398, p. 71, spéc. p. 76, avant de renvoyer à son article de 2004 – cité dans ma thèse pp. 502-503 et, encore plus récemment, par Stéphanie Hennette-Vauchez dans ses obs. sous CE, 2 nov. 1992, Kherouaa, n° 130394, in Thomas Perroud (dir., avec Jacques Caillosse, Jacques Chevalier et Danièle Lochak), Les grands arrêts politiques de la jurisprudence administrative [GAPJA], LGDJ/Lextenso, 2019, p. 460, spéc. §§ 818 à 820).

Patrick Rayou (dir.), ouvr. cité ci-contre, 2019

Dans ses conclusions, Samuel Deliancourt se réfère aussi au texte d’un autre rapporteur public évoquant « une sorte de sanctuaire laïque » (Frédéric Dieu, « Des questions que les femmes posent au juge », JCP A 2018, 2216, § 4 ; v. déjà le titre d’une de ses notes, « L’école, sanctuaire laïque », RDP 2009, p. 685). « [L’]école sanctuaire » est effectivement une entrée fréquente, y compris dans les écrits de sciences de l’éducation (v. récemment la première page du livre dirigé par Patrick Rayou, L’origine sociale des élèves, éd. Retz, 2019, extraits en ligne, p. 4). Pour ce qui concerne les signes considérés comme manifestant une appartenance religieuse, l’idée selon laquelle « l’école doit être sanctuarisée » avait été exprimée par François Baroin en 2003, favorable à l’expérimentation de l’uniforme (v. mes pp. 493 et s., avec la note n° 3295 2 Le lien vers l’entretien cité étant lui aussi devenu inactif, je l’ai ici supprimé. ) ; il venait de remettre au Premier ministre un rapport significativement intitulé Pour une nouvelle laïcité, lequel préfigurait une seconde évolution législative majeure – en 2004, après celle de 1959 – de la compréhension de ce principe constitutionnel – depuis 1946 (v. mes pp. 435 et s., puis 583 à 588 pour les Constitutions de 1946 et 1958 et la loi Debré).

Toutefois, cette brève loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 n’a consacré cette conception qu’à propos des « élèves » des établissements publics, à l’exception de leurs parents. Cela n’empêcha pas qu’après avoir exclu des filles, le plus souvent – d’abord sans base légale, puis avec –, il se soit vite agi de s’en prendre aux mères ; l’Association des maires (de France et des présidents d’intercommunalité), par exemple, l’a encouragé : présidée depuis la fin 2014 par le même François Baroin, l’AMF publie l’année suivante un Vade-mecum Laïcité (Hors-série nov. 2015, 34 p.), dans lequel il est écrit que le « milieu scolaire est un cadre qui doit être particulièrement préservé », en particulier de ces participations « à des déplacements ou des activités scolaires » (p. 11, en allant jusqu’à affirmer que « la circulaire Chatel de 2012 », pourtant ignorée dans l’étude du Conseil d’État fin 2013, aurait été « valid[ée] » par lui ; suit un encadré qui présente le livret « Laïcité » de septembre 2015 comme une « réponse » à sa saisine du « ministre en charge de l’Éducation nationale »).

Dans la période contemporaine, loin d’être un produit de la recherche historique en éducation, l’école sanctuaire relève donc avant tout de la proposition politique ; et s’il est possible de faire confiance à Antoinette Ashworth lorsqu’elle affirme que « c’est très tardivement qu’une collaboration a été institutionnalisée entre l’administration et les parents d’élèves » (L’École, l’État et la société civile en France depuis le XVIe siècle, thèse Paris II, 1989, tome 1, p. 1131), il existe désormais des fondements juridiques à cette construction de « la communauté éducative » (v. infra).

Rénovation de l’école Barthelon, en 1994-1995, avec en arrière-plan un préau idéal pour le « ballon prisonnier » (ac-grenoble.fr 24 oct. 2008 ; v. déjà l’une des illustrations de mes travaux de recherche)

À propos des « enseignants » et « sur la “neutralité scolaire” qui leur est imposée », le rapporteur public croit pouvoir renvoyer à un arrêt Connet (en ligne). Rendu le 4 mai 1948, il avait été annoté par Jean Rivero, lequel remarquait – près d’une décennie après le texte de Jean Zay… – que cet arrêt « ne dégage pas, au moins de manière explicite, les traits qui définissent le véritable manquement à la neutralité » ; il était en effet donné raison à Monsieur Connet, qui n’en avait commis aucun, alors même que l’un des faits reprochés peut être rapproché – et distingué – de la situation ici envisagée : l’auteur commençait cette note (précitée en exergue) en indiquant que, selon « les observations présentées par le ministre sur le recours formé contre sa décision », cet « instituteur aurait dû s’opposer à la réception [d’un] évêque sous le préau de l’école » (« seul bâtiment municipal susceptible de l’abriter » de la pluie, d’après le maire à l’origine de cette « cérémonie patriotique » ; prévenu seulement « au matin du jour prévu », Monsieur Connet avait négocié pour « que le préau fut seul affecté »). En 2019, l’affectation d’une partie d’une cour de récréation aurait pu donner l’occasion au juge administratif d’identifier un manquement à l’article L. 212-15 cité par Samuel Deliancourt, relatif à la laïcité-neutralité (v. au détour de ce billet) ; il eût fallu alors sanctionner une collectivité publique, et ce sont finalement – trois mois plus tard – deux personnes privées qui se voient opposer une interdiction sur ce fondement (implicite).

3. Une portée non maîtrisée

La motivation retenue vient fragiliser des interventions sollicitées dans les classes, telles celles de Latifa Ibn Ziaten ; son nom mérite d’être cité car il est l’un des rares qui puissent l’être par les participant·e·s aux conversations relatives aux femmes portant un voile. Dans la dernière séquence d’intense médiatisation sur la question – postérieure à la prise de position ici commentée –, la « présidente et fondatrice de l’association Imad Ibn Ziaten pour la Jeunesse et la Paix » fut la seule invitée à « s’exprimer sur LCI » (Robin Andraca – avec des 3ème année de l’école de journalisme de Toulouse, en réponse à une question de Thierry –, « Une semaine sur les chaînes d’info : 85 débats sur le voile, 286 invitations et 0 femme voilée », liberation.fr 17 oct. 2019). Dans sa note précitée, Mathilde Philip-Gay prend l’exemple de « cette célèbre mère d’un soldat victime de terroriste qui explique avoir pris le voile en signe de deuil » ; convaincue par l’arrêt 3 L’arrêt suit ici les conclusions, il en constitue en quelque sorte une version condensée ; elles comprennent un renvoi au livre de Mathilde Philip-Gay, Droit de la laïcité, Ellipses, 2016, pp. 203 à 223. Cette dernière ne cite toutefois pas Samuel Deliancourt dans sa note ; j’ai donc commis une erreur en écrivant qu’elle a été convaincue par cette personne en particulier (membre associé de l’équipe dont elle était directrice) ; je la prie de bien vouloir accepter mes excuses sur ce point (v. surtout les explications qui précèdent, à la republication de mon texte ici)., elle suggère que les « conférences » de l’intéressée, comme celles des autres « grands témoins », aient lieu – désormais et toujours – « dans un lieu distinct de la classe ». Avant même l’arrêt de la CAA de Lyon, il lui aurait été demandé, lors d’une audition devant le Conseil des « sages » de la laïcité et selon Valentine Zuber, « de bien vouloir retirer son voile lors de ses interventions bénévoles en faveur de la tolérance et des valeurs républicaines dans les écoles… » (laurent-mucchielli.org 5 nov. 2019).

Dans son édition du 9 octobre, Le Monde publiait deux tribunes, l’une signée par l’actuelle présidente du Conseil précité ; dans ce texte en soutien de celui qui l’a désignée – à savoir le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, fin 2017 –, Dominique Schnapper cite expressément l’arrêt de la CAA, juste avant d’affirmer : « Pour distincte que soit cette situation – dans la classe même – de celle d’une sortie scolaire, (…) il nous semble que l’esprit de cette décision devrait être adopté dans les deux cas ». Le passage tronqué fait référence au Vademecum « La laïcité à l’école », tout juste actualisé ; présenté comme ayant « admis la légalité d’un règlement intérieur », l’arrêt est largement reproduit, sans qu’il soit précisé qu’il pourrait être remis en cause en cassation. Comme pour son étude de 2013, le texte sert à formuler des « pistes (…) pour justifier le refus qu’un parent participe à l’encadrement de déplacements ou d’activités scolaires » (oct. 2019, 92 p., spéc. pp. 83 et 84 ; v. aussi la page 4 pour la citation de Jean Zay, en mai 1937 cette fois).

Portraits repris d’Alexandre Devecchio, « Gilles Kepel/ Jean-Michel Blanquer, le débat « Esprits libres » », lefigaro.fr 11 mars 2020 (déjà mobilisés dans mon billet du 30 avril, en note n° 43)

Avant même d’avancer son « double critère matériel », le rapporteur public déclarait écarter « les activités ludiques au sein de l’enceinte scolaire, telles que les fêtes de fin d’année et autres kermesses ». Plus loin, il faisait de même avec les « sorties scolaires car l’activité est celle d’accompagnant en dehors de l’enceinte scolaire et les enfants font alors naturellement [sic] la différence ». Début décembre, Olivia Bui-Xuan remarque que l’arrêt de la CAA de Lyon « pouvait être lu comme cantonnant étroitement la nouvelle obligation de neutralité » (« Extension du domaine de la neutralité religieuse », AJDA 2019, p. 2401 ; en ce sens, JCP A 2019, act. 575, obs. Lucienne Erstein ; AJCT 2019, p. 526, obs. Pierre Villeneuve), ainsi que l’ont compris les juristes du ministère (LIJMEN nov. 2019, n° 208) ; « il constitue au contraire une étape décisive » de la « véritable lutte » que semblent mener les « instances » de ce même ministère, et en premier lieu Jean-Michel Blanquer.

En 2017, Joël Arnould rappelait dans ses conclusions précitées qu’« avant la loi de 2004, le Conseil d’État avait jugé qu’en lui-même, le port d’un voile n’est pas nécessairement ostentatoire ou revendicatif (CE, 27 novembre 1996, [MÉN,]  n° 172787, au Lebon) » (concernant les arrêts rendus ce jour-là – sept ans après l’avis précité –, puis ceux du 10 mars 1997, v. évent. mes pp. 427 à 429) ; cette formule n’a pas été reprise dans l’étude de 2013 (v. ma page 517), mais la haute juridiction serait tout à fait fondée (juridiquement et sociologiquement) à la réitérer, ce dans le prolongement même de la loi n° 2019-791 du 26 juillet : en effet, son article 10 risque d’être invoqué, et il importe qu’il soit rapidement interprété à la lumière non seulement du rejet de l’amendement qu’avait adopté le Sénat – et qui se trouve cité dans les conclusions prononcées sur l’arrêt rendu trois jours plus tôt (v. le communiqué du groupe LR, le 15 mai) –, mais aussi du « lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation » mentionné en ouverture du texte (à propos de cet art. 1er qui « peut se lire à différents niveaux », v. Marc Debene, « L’École sous le pavillon de la confiance », AJDA 2019, pp. 2300 et s. Plus loin et sans mobiliser l’art. 10 qu’il estime « redondant », l’ancien recteur estime « ouvert le débat sur les tenues des parents accompagnant les sorties scolaires » ; il cite alors l’arrêt commenté qui ne les concerne pas… Le considérant 2 mentionne la « communauté éducative », sur laquelle l’auteur revient auparavant : v. l’art. 11 de la loi n° 89-486 du 10 juillet, dont les formules figurent depuis 2000 à l’art. L. 111-4 du Code de l’éducation et ont simplement été enrichies le 26 juillet dernier).

Dans l’entretien précité du 24 octobre, Xavier Bioy affirme qu’une « conception trop « organique » des individus et des rôles peut conduire à méconnaître les objectifs républicains de la norme autant que le droit à l’éducation des enfants et des parents » (hostiles au voile ?). Au-delà de cette confusion que je souligne – ne se trouvant pas dans les textes y relatifs, elle éclaire l’attachement à « l’intérêt de l’enfant » préalablement affiché par l’auteur –, il existe en droit international une obligation pour les États de faciliter l’exercice de ce droit (v. mes pp. 1180 et s.) ; il n’est pas servi en s’en prenant à certaines de leurs mamans : il est possible de dénier aux parents un « droit » à la participation mais, « [q]uoi qu’il en soit, la problématique d’inclusion/exclusion [en matière de laïcités] s’avère fructueuse pour ce qui est des femmes » (« Introduction. Genre, laïcités, religions 1905-2005 : vers une problématisation pluridisciplinaire », in Florence Rochefort (dir.), Le pouvoir du genre. Laïcités et religions, 1905-2005, PUM, 2007, p. 9, spéc. p. 15). Dans son avis de 1989, juste avant l’expression de ce qui allait devenir le considérant de principe l’arrêt Kherouaa et autres de 1992, le Conseil d’État rappelait au point 1 que « la République française s’est engagée : à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire le droit d’accéder à l’enseignement sans distinction aucune notamment de religion (…) ; à respecter, dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, le droit des parents de faire assurer cette éducation conformément à leurs convictions religieuses ; à prendre les mesures nécessaires pour que l’éducation favorise la compréhension et la tolérance entre tous les groupes raciaux et religieux » (n° 346893). Cette dernière formule était reprise de l’une des « conventions internationales susvisées », à savoir celle « concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement » (1960, art. 5, 1. a.). S’il était question des élèves, une réflexion de Rivero peut être relue pour son actualité : en conclusion sa note, publiée il y a trente ans à la RFDA (1990, p. 1, spéc. p. 6), le professeur (catholique) remarquait que « rejeter hors de la communauté scolaire intégratrice les porteuses de voile eût été fournir aux tenants de l’intégrisme un argument de poids, en leur permettant de présenter le rejet de leur tendance comme un rejet de l’Islam tout entier »…

Ajouts au 3 septembre 2020, en déplaçant ce billet au 30 août, avec en guise d’explications mon courrier du 22 juin, parvenu au greffe le 26. J’ai appris depuis que Régis Fraisse avait été nommé, par un décret du 13, à « la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques à compter du 1er juillet 2020 » ; par un autre décret, daté du 22 (v. respectivement ces textes n° 63 et 75, publiés au JORF du lendemain, n° 0145 et 0179), Gilles Hermitte l’a remplacé à la présidence de la Cour, au 1er septembre.

Je le remercie pour avoir pris le temps de me faire parvenir une réponse, datée du 10 juillet – assez curieusement à mon adresse grenobloise, ce qui fait que je n’ai pu la lire qu’à la fin du mois. Le conseiller d’État ne devrait pas être surpris de sa mise en ligne, puisqu’il n’a pas souhaité « donner un effet utile » à ma demande (pour le dire en reprenant des mots d’un contributeur très régulier de sa revue, cités dans la première de mes notes y publiées).

Dans ma lettre, je m’étais abstenu d’indiquer le motif qui m’avait été communiqué indirectement le 2 juin, pour voir s’il serait maintenu (et faciliter sa substitution, le cas échéant) ; je me bornerai ici à trois séries de remarques et renvois :

  • à la note n° 32 de mon billet du 30 avril (antérieur à la suppression de ma note, donc), concernant ma citation non sourcée, qui reprend une formule célèbre, extraite des… conclusions d’Édouard Laferrière sur un arrêt du Conseil d’État (finalement non saisi de l’arrêt rendu par la CAA de Lyon l’été dernier, ce qu’il convient de déplorer) ;
  • à mon tout premier billet, qui renvoie lui-même à ma toute première note de jurisprudence, publiée à la Revue du droit public (RDP 2010, n° 1, p. 197) ; en effet, j’aurais pu reprendre une formule que j’avais employée en introduction, puisqu’il s’est bien agi pour moi, là encore, de commenter une décision éclairée par les conclusions du rapporteur public : parce qu’elles étaient « riches d’enseignement » (alyoda.eu), je m’y référais autant de fois qu’ici, et le comité de rédaction de la RDP n’avait pas tiqué, il y a dix ans ; mes deux relecteurs pour ALYODA pas davantage, le 3 puis le 12 décembre 2019 (un professeur de droit – devenu depuis doyen de faculté –, et le rédacteur en chef, président honoraire à la Cour) ;
  • à (au moins) une note dont l’auteur s’est senti autorisé, lui aussi, à critiquer des conclusions (TA Lyon, 19 nov. 2019, Association Oasis d’amour, n° 1808848 ; Rev.jurisp. ALYODA 2020, n° 2, concl. Isabelle Caron, note Christophe Testard) ; ne pouvant croire que la règle qui m’a été opposée le 10 juillet soit à géométrie variable (selon la juridiction concernée, le statut de l’auteur, et/ou le nombre de citations autorisées), j’invite les personnes qui ont protesté de façon anonyme contre mon texte – en contribuant ainsi à sa suppression –, à me faire part de leurs propres critiques directement (à défaut de le faire publiquement) : cela me permettrait de les comprendre, et même peut-être un échange intéressant. Bien que préférant les règles classiques, ainsi qu’en témoigne mon texte, je terminerai par ces mots : je « n’ai trompé personne », en tout état de cause ; « Certains n’ont que des prétextes et veulent en faire des causes »…

Latifa Ibn Ziaten à la rencontre de jeunes dans une école primaire
« Latifa Ibn Ziaten à la rencontre de jeunes dans une école primaire • Crédits : PASCAL PAVANI AFP » (émission animée par Caroline Broué, franceculture.fr 30 sept. 2017 ; v. aussi, découvert en cette période où l’on craint notre envie de nous embrasser, le très beau clip de Christophe Willem, « Madame », 10 sept. 2018)

Notes

1 La présente note, dans cette version du 12 décembre 2019, a été publiée en janvier dans la Rev.jurisp. ALYODA 2020, n° 1, puis supprimée dans les premiers jours de juin (entretemps, le 31 janvier en note n° 8, j’avais renvoyé aux commentaires relatifs à cet arrêt). Les illustrations ont été ajoutées le dimanche 7 juin 2020, lors de la première publication de ce billet (la dernière légende a été complétée ce 3 septembre).
2 Le lien vers l’entretien cité étant lui aussi devenu inactif, je l’ai ici supprimé.
3 L’arrêt suit ici les conclusions, il en constitue en quelque sorte une version condensée ; elles comprennent un renvoi au livre de Mathilde Philip-Gay, Droit de la laïcité, Ellipses, 2016, pp. 203 à 223. Cette dernière ne cite toutefois pas Samuel Deliancourt dans sa note ; j’ai donc commis une erreur en écrivant qu’elle a été convaincue par cette personne en particulier (membre associé de l’équipe dont elle était directrice) ; je la prie de bien vouloir accepter mes excuses sur ce point (v. surtout les explications qui précèdent, à la republication de mon texte ici).

Transmettre les « valeurs (…) portées par le programme » du CNR

Plaque devant « l’appartement de René Corbin, au premier étage du 48 rue du Four à Paris » (@Mindef SGA/DMPA, illustration reprise depuis le site du ministère, education.gouv.fr)

En juillet 2013, entre les lois relatives à l’enseignement du 8 et du 22 (dites respectivement Peillon et Fioraso) était promulguée celle n° 2013-642 du 19[1] : « La République française institu[ait] une journée nationale de la Résistance », chaque 27 mai, dans le cadre de laquelle « les établissements d’enseignement du second degré sont invités à organiser des actions éducatives visant à assurer la transmission des valeurs de la Résistance et de celles portées par le programme du Conseil national de la Résistance » (art. 1 et 3). Les autorités répondaient ainsi à une revendication formulée depuis une trentaine d’années par plusieurs collectifs, parmi lesquels l’« Association nationale des anciens combattants et Ami(e)s de la Résistance (ANACR) », selon son appellation depuis 2006.

En 2020, il a « suffi que le président de la République promette, le 13 avril, qu’on « retrouverait les jours heureux » pour que les commentateurs saisissent l’allusion » au programme du Conseil national de la Résistance (CNR) ; au début du mois de mai, l’historien Laurent Douzou rappelait aussi comment ce texte « était célébré et en même temps relégué aux oubliettes d’un passé révolu » par Emmanuel Macron « le 13 juin 2018, à Montpellier », soit il y a moins de deux ans[2]. Plus fondamentalement, le professeur émérite de Sciences Po Lyon précisait que ce titre[3] provient d’« une brochure de huit pages éditée et diffusée par le mouvement Libération-Sud », laquelle prévoyait notamment « pour l’éducation l’objectif de promouvoir « une élite véritable, non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires »[4] ».

Un mois avant la publication (en juin 1944) de ce programme était « créé le Centre national d’enseignement par correspondance (CNEC, ancêtre du CNED), que le gouvernement provisoire de la République française conforte dans ses missions après la libération »[5] ; reste à savoir si les enseignant·e·s de collèges et lycées ont pu, il y a trois jours, répondre à l’invitation qui leur est faite par la loi : à l’heure de leur « réouverture »[6], il y a malheureusement tout lieu de penser à une large ineffectivité de la disposition précitée.

Pendant la récréation à la rentrée des classes à l'école Paul Langevin de Saint-Martin-d'Hères (Isère), le 12 mai 2020.
Illustration reprise de l’éditorial du quotidien Le Monde, « L’épidémie et le rôle central de l’école », 16 mai 2020 ; v. Alice Raybaud, « Les inégales expériences des cours à distance [à l’Université] », le 13, p. 11, ainsi que le reportage de Violaine Morin à l’école élémentaire Paul-Langevin, à Saint-Martin-d’Hères (Isère) (« école prioritaire (REP) de 165 élèves », figurant « parmi les premières de l’agglomération grenobloise » à avoir réouvert le mardi 12), « On a hâte de retrouver les enfants en vrai », p. 5 ; « Tu as le droit de discuter avec les copains, mais pas de les toucher », le 14, p. 9

Dans ma thèse (2017), je me suis intéressé à l’émergence du droit à l’éducation, envisagé comme un discours ; page 667, je remarquais le contraste de formulation avec les droits au travail et au repos (1944) – lesquels se retrouveront aux articles 23 et 24 de la DUDH (1948) – avant de m’arrêter sur plusieurs textes liés au « résistant André Philip »[7], auquel j’ai consacré l’un de mes portraits.


[1] Cette loi du 19 juillet 2013 était notamment signée par le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian ; devenu le 17 mai 2017 ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, il est présenté trois ans plus tard comme l’« interlocuteur occidental préféré » de Mohammed Ben Zayed Al-Nahyane (« « MBZ », le véritable homme fort du Golfe », Le Monde 13 mai 2020, pp. 20 et s.) ; Christophe Ayad et Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant) ajoutent : « Emmanuel Macron ne cesse d’échanger avec lui par messagerie sécurisée ».

Autres extraits de cet article éclairant : « Avec Trump au pouvoir, « MBZ » a pu donner libre cours à son hubris. Il a poussé la nouvelle administration américaine à sortir de l’accord sur le nucléaire iranien et à réinstaller des sanctions contre Téhéran, plus dures que jamais. En contrepartie, l’homme fort des Émirats offrira au « plan de paix » de Donald Trump un soutien remarqué, jetant par-dessus bord l’engagement propalestinien de son père » ; « L’ambassadeur émirati aux États-Unis a même assisté, fin janvier, à la présentation du fameux plan Trump pour le conflit israélo-palestinien, indice du rapprochement des pétromonarchies du Golfe avec l’État hébreu [comparer « Israël / Palestine : 9 clés pour comprendre la position de la France », diplomatie.gouv.fr mars 2018 ; v. aussi mon billet du 29 février 2020, en note n° 22]. Le régent d’Abou Dhabi est aussi présent en Afrique, où sa toile s’étend de jour en jour : des armes en Libye, des ports dans la Corne, des capitaux en Mauritanie, au Sénégal, au Botswana et à Madagascar », la guerre au Yémen ayant notamment comme enjeu le contrôle de « l’accès à la mer Rouge et à l’océan Indien. (…) Le Saoudien Mohammed Ben Salman [« MBS »] et l’Égyptien Abdel Fattah Al-Sissi l’épaulent dans ce grand dessein. Mais il ne faut pas s’y tromper : dans ce trio, l’Égypte représente les bras (avec ses 100 millions d’habitants), l’Arabie saoudite le portefeuille, et les Émirats le cerveau (…). Sous la férule de « MBZ », les Émirats ont pris la tête de l’axe contre-révolutionnaire dans le monde arabe. (…) La propension de « MBZ » à s’ingérer dans les affaires de pays étrangers se retrouve jusqu’en France, où le Front national a bénéficié de ses largesses par le passé. Et en Inde, où le premier ministre, Narendra Modi, jouit du soutien infaillible d’Abou Dhabi, en dépit de sa politique antimusulmans ».

Ajout de l’émission Géopolitique du jour, animée par Marie-France Chatin, avec Blandine Chelini-Pont (Université d’Aix-Marseille), François Mabille (GSRL not.) et François Burgat (IREMAM), ce dernier abordant les éléments qui précèdent.

Illustration reprise à partir de ce lien de VertRougeJaune237, rappelant le titre de la thèse d’Herrick Mouafo Djontu (mise en ligne le 12 janv. 2018), soutenue quelques mois avant la mienne ; merci à lui pour m’avoir signalé la Lettre ci-contre ; il m’avait déjà transmis le texte cité en note n° 3 de mon précédent billet (j’ai depuis visionné ces entretiens avec Mohamed Bajrafil et Delphine Horvilleur : « vivre sa foi confiné », Arte 20 mars). Parmi ses activités, à Échirolles et Grenoble, v. humanite.fr 11 déc. 2015, in fine ; avec Anne-Laure Amilhat Szary et Karine Gatelier, lemonde.fr 19 mars 2016 ; leparisien.fr 20 avr. 2017 ; france3-regions.francetvinfo.fr 9 mai 2020, annonçant « la grande soirée Emergences spécial confinement diffusée sur la page Facebook de la ville de Grenoble » le lendemain.

En découvrant, au début du mois également, les accusations délirantes portées contre Achille Mbembe, j’ai pensé à l’« affaire Morin » (2002) ; elle a été conclue par la Cour de cassation « le 12 juillet 2006, le jour même de l’agression d’Israël contre le Liban » (Christiane Gillmann, « Une heureuse décision de justice », Pour la Palestine 31 déc. 2006, n° 51), « initialement appelée Opération Juste Rétribution (hébreu : מבצע שכר הולם, ‘Mivtsa Skhar Holem’) » (« La Seconde Guerre du Liban », texte non daté de Tsahal, sigle employé pour désigner plus rapidement « Tsva Haganah Lé-Israël », la « Force de défense d’Israël ») ; v. Jean-François Bayart, « Achille Mbembe antisémite ? MDR… », 11 mai 2020, ainsi que, de ce dernier, sa Lettre aux Allemand.e.s.

L’An zéro de l’Allemagne fut le premier livre d’Edgar Morin – publié en 1946 –, né Nahoum le 8 juillet 1921 ; v. Les souvenirs viennent à ma rencontre, Fayard, 2019, pp. 23, 141, 161 et 751-752 ; l’auteur revient page 93 sur le « statut des juifs » (3 oct. 1940) : « À Toulouse, il ne sera appliqué ni en lettres ni en droit », où il pourra s’inscrire en « seconde année ». Plus loin, il explique que son « premier séjour en Israël » lui « permit de comprendre qu’un peuple sans terre n’était pas venu dans une terre sans peuple » (en écho, Avec le cœur et la raison, en 2009 ; pour une version « En Concert Acoustique », en 2012 ; d’un autre artiste, en 2014 : Gaza Soccer Beach, « où les tirs se poursuivent même quand l’ONU siffle ») ; renvoyant sur « la tragédie Israël-Palestine [à s]on livre Le Monde moderne et la condition juive », il termine les deux pages qu’il consacre à Stéphane Hessel en indiquant avoir repris le président de la République, le 7 mars 2013, lors d’un « hommage national aux Invalides » (pp. 335-336 et 665 ; v. aussi la tribune publiée le lendemain par le diplomate et poète palestinien – né aux Émirats arabes unis – Majed Bamya, « Hessel et la Palestine : M. Hollande, votre « incompréhension » n’est pas légitime », leplus.nouvelobs.com le 8

Le 18 mai 2020, « un tribunal de district de Lod (centre) a condamné Amiram Ben-Ouliel, colon de 25 ans, pour le meurtre, en juillet 2015, d’un enfant palestinien de 18 mois, Ali Dawabcheh, et de ses parents, Riham et Saad, dans le village de Douma, dans le nord de la Cisjordanie. Il risque la perpétuité et peut faire appel devant la Cour suprême » (Louis Imbert, « Un « terroriste juif » condamné en Israël », Le Monde le 20, p. 20 : « L’affaire cristallise une rupture au sein du mouvement sioniste religieux, qui se veut le fer de lance moral de la société israélienne » ; la « sévérité [du Shin Bet (le service de renseignement intérieur)] n’a pas significativement réduit les attaques des colons contre des Palestiniens. Depuis le début de l’année, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies en a dénombré 70 en Cisjordanie, en partie perpétrées à la faveur du confinement »).

V. enfin ces textes de l’AFPS des 21 avr. et 15 mai 2020 et avec l’entrée « Mbembe », le dernier à ce jour datant du 12 ; il se termine par ces mots de l’écrivaine égyptienne Ahdaf Soueif : « J’espère que le fait que tant d’entre nous — venant d’une telle diversité de convictions politiques — ressentent le besoin de publier cette déclaration alertera nos collègues en Allemagne sur la gravité de ces interventions politiques et idéologiques persistantes dans leur champ et les poussera à leur résister avec nous ».

[2] Entretemps et par exemple, le maire de Grenoble a pu se revendiquer du programme du CNR (Éric Piolle, Grandir ensemble. Les villes réveillent l’espoir, éd. les liens qui libèrent, 2019, p. 55) ; son introduction reprenait une formule d’un spectacle d’une trentaine d’élèves : « Novembre 2014. Le dimanche soir de mars est déjà loin. (…) Grenoble bruisse et se prépare à célébrer le 70e anniversaire de son statut de ville Compagnon de la Libération, attribué par le général de Gaulle pour ses hauts faits dans la Résistance. Grenoble partage ce titre avec Nantes, Paris, l’île de Sein et Vassieux-en-Vercors » ; « J’admire le rôle de passeur, de révélateur, de traducteur que la professeure fait vivre à chaque instant et toute l’année. Trouver les clés, transmettre, sauver notre avenir. « Être résistant quand on a dix ans, hier et aujourd’hui ». Le spectacle, mélange de chant et de théâtre, a été travaillé durant des mois. (…) [Il] le dit avec une simplicité confondante, mais qui exprime tout pour moi : pour approcher ce qu’est être résistant à 10 ans, « tout commence par s’entraîner à parler d’amour » » (pp. 16 et 18-19 ; v. toutefois la conclusion, p. 249).

« « La haine généralise, l’amour singularise », nous rappelle la féministe Robin Morgan. Voilà pourquoi voyager est crucial. C’est une école de la singularisation » (Gloria Steinem, traduit de l’anglais (États-Unis) par Karine Lalechère, Ma vie sur la route. Mémoires d’une icône féministe, Harper Collins, 2019, non paginé ; phrase découverte le 2 février 2020, en écoutant le 56e épisode de La Poudre, avec Lauren Bastide ; première diffusion le 25 juill. 2019). V. aussi la fin de l’entretien d’Edgar Morin cité pour illustrer mon précédent billet (en note n° 17).

Exposition en 2015, dans le cadre d’un projet pédagogique co-organisé par le ministère et la ville, @ Sylvain Frappat, grenoble.fr

Plus loin, Éric Piolle évoque la « reconquête de l’air », alors qu’au « début des années 2010, à cause de la pollution, les écoliers avaient vu annuler des évènements de sport en plein air » (v. récemment Stéphane Mandard, « Air : la France de nouveau épinglée par l’Europe », Le Monde 29 mai 2020, p. 21), et que « la tendance gouvernementale actuelle est à la fermeture des petites lignes de proximité, comme le Grenoble-Gap » (j’envisageais de rejoindre la ville par-là, ce lundi ; quatre « trajets par jour », avec une durée moyenne de 4h47, selon le site de la SNCF, « Oui » ; Non…) ; il écrit auparavant : « Il est faux de dire que l’espace public est un lieu politiquement neutre naturellement : traditionnellement, il est pensé et réalisé principalement par des hommes dans la force de l’âge, formés dans des schémas de pensée dans lesquels l’homme est dominant » (pp. 167-168 et 149-150, avant de préciser que seulement « 3 % des rues portaient des noms de femmes » au début de son (premier) mandat ; v. par ailleurs la note n° 26 de mon billet du 9 septembre 2019 – actualisé ce jour – et, ci-contre la légende du panneau, à gauche – comme par hasard : « 60 noms de rues et de places dans la ville : ceux de Résistantes et de Résistants ! »).

[3] « Originellement, le texte adopté par le CNR avait pourtant un titre aussi sobre que plat : « Programme d’action de la Résistance ». C’est sous cet intitulé que le journal clandestin Libération-Sud le publia dans un numéro spécial, en mai 1944. Chargé de son impression sous forme de brochure en juin 1944, le patron du service de la propagande-diffusion du mouvement, Jules Meurillon, gêné par l’absence de vrai titre, avait repris, sans consulter personne parce que les liaisons étaient difficiles, le titre d’un film alors projeté sur les écrans. Cette trouvaille déplut aux dirigeants de Libération, qui la jugèrent décalée par rapport à la teneur du texte. La postérité en a décidé autrement » (Laurent Douzou, « En 1944, les « jours heureux » de la reconstruction », Le Monde 11 mai 2020, p. 32 ; sur la même page, Patrick Weil, « Ce que la Grande Guerre a à nous apprendre sur la pandémie » ; à propos de ce directeur de recherche au CNRS, v. là encore mon précédent billet).

[4] Dans l’ouvrage Résistons ensemble, pour que renaissent des jours heureux, Massot éd., mis en ligne ce 27 mai, ce passage est cité à deux reprises : v. Anne Beaumanoir, « Je me souviens… », p. 37, spéc. p. 39 et Raymond Millot, « Le jour d’après concerne-t-il nos enfants ? », p. 165, spéc. p. 166, après une référence au plan Langevin-Wallon (v. mon billet du 4 février 2018, avec l’ajout d’une note en ce jour, concernant Marie Curie ; page 168, l’auteur prend l’« exemple de La Villeneuve de Grenoble » où il a été coordinateur d’« une recherche-action sur « l’école ouverte, la pédagogie du projet » »).

[5] Julien Cahon, « L’École à l’heure du Covid-19. Une situation sans précédent ? », cahiers-pedagogiques.com 15 avr. 2020, renvoyant à MEN / MESR, L’histoire du CNED depuis 1939, CNED, 2008 ; du même auteur, « Ce que les plans pandémie de l’éducation nationale avaient anticipé – ou pas », Le Monde de l’éducation.fr le 26 mai : il remonte aux « plans ministériels des années 2000 qui, pour la première fois, envisagent le scénario d’une fermeture généralisée » ; comparer le ministre, restant dans le registre péremptoire qu’il affectionne : « l’entrée dans l’enseignement à distance généralisé était préparée avec le CNED, grâce à un dispositif imaginé dès l’ouragan Irma, en 2017 » (une catastrophe évoquée dans ma thèse ; v. mon billet du 3 août 2018) ; cité par Mattea Battaglia, Alexandre Lemarié et Violaine Morin, « Jean-Michel Blanquer secoué par la tempête », Le Monde 11 mai 2020, p. 10 : le 12 mars, Emmanuel Macron annonçait « la fermeture des crèches, écoles, lycées et universités », en suivant les recommandations du conseil scientifique qu’il avait réuni « ce jour-là » ; « le matin même, Jean-Michel Blanquer écartait cette hypothèse sur Franceinfo : « Nous n’avons jamais envisagé la fermeture totale des écoles car elle nous semble contre-productive » »… Gouverner, « c’est faire croire » (citation attribuée à Machiavel, selon Adrian, laculturegenerale.com 9 déc. 2019 ; « c’est prévoir », aussi : v. le dessin de @SebCrayon, à partir d’une photo de @KoriaPhoto, twittée comme « punchline de la semaine » par Kery James le 29 mars 2020 (à propos duquel v. l’ajout en note 54 de mon précédent billet – actualisé ce jour, ainsi que la première du présent texte, in fine).

[6] v. Mattea Battaglia, « Une réouverture des écoles et des collèges en trompe-l’œil », Le Monde 29 mai 2020, p. 13

[7] Edgar Morin, ouvr. préc., 2019, p. 88 ; rédigées en juin à Montpellier, les dernières pages reviennent sur sa rencontre avec Sabah Abouessalam, « sa ferme familiale de 14 hectares qu’entretenait sa mère de façon traditionnelle, n’ayant pas la possibilité de la moderniser (…) [et] son père qui en avait fait l’acquisition en 1959 ». Sociologue de la pauvreté urbaine, elle repris cette ferme, ce qui « nécessitait non seulement une compétence dans le domaine de l’agriculture, mais surtout une grande connaissance du milieu rural et paysan. Que d’efforts ont été dépensés par Sabah ! Mais, comme disait Guillaume d’Orange : « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer ». Aujourd’hui, la ferme continue à vivre avec son frère Khalil » ; « Sabah est présente dans mon travail, même quand on ne la voit pas ou qu’on ne veut pas la voir », précise Edgar plus loin (pp. 694-695 et 699).

L’actu de Zaïtchick le 8 mai 2020 ; v. « Usul. Culture : enfourchons le tigre », le 18 et « Barbare Civilisé », le 28 (« évidente référence à l’auteur Julius Evola », ajoutée le 3 septembre – après qu’elle m’a été signalée fin juin) ; le président ne songeait pas, cette fois, à Clemenceau, à propos duquel v. la note n° 55 de mon précédent billet – actualisé ce jour – et, en complément d’un autre de mes portraits – celui de Jaurès-Buisson –, à propos des « fermetures de classes dans les zones d’éducation prioritaire à la prochaine rentrée », la réplique de la sénatrice Céline Brulin au ministre Jean-Michel Blanquer, JO Sénat 16 avr. 2020 ; Denis Cosnard, « A Paris, le rectorat d’académie renonce à fermer plusieurs classes », Le Monde le 27, p. 8

« L’œuvre de Morin est probablement plus reconnue dans les milieux universitaires latino-américains des sciences sociales qu’en France, probablement du fait d’une certaine compatibilité culturelle pour des pensées syncrétiques (Espaces Latinos, 2007) » (Jean Foyer, « Libérer et écologiser les sciences sociales », Hermès, La Revue 2011/2, n° 60, p. 182, en note n° 1). Si, comme a pu le remarquer Ulysse Rabaté, « on attend les mots présidentiels pour les femmes de ménage qui nettoient les lieux encore en activité et notamment les structures de soin » (« Do the right thing – à propos des quartiers populaires », AOC 23 avr. 2020, en référence au « film culte de Spike Lee, sorti en 1989 », et avant d’ajouter : « vous savez, ces gens qui ne sont rien… »), Emmanuel Macron en a quand même eu pour les « premiers de corvée » (Pierre Charbonnier, « L’écologie ne nous rassemble pas, elle nous divise », Le Monde 15 mai 2020, p. 25, avec des guillemets ; à propos de ces « populations qui se retrouvent en première ligne aujourd’hui », v. encore la tribune d’IAM et alii, lejdd.fr le 22) ; à d’autres, il a suggéré d’« enfourcher le tigre » : v. ci-contre et, parce que sa pensée incite à faire des liens, Edgar Morin (entretien avec, par Arnaud Spire), « J’ai chevauché l’Histoire, J’étais au Parti Communiste », Nouvelles FondationS 2006/3, n° 3-4, p. 49, à l’occasion de la réédition en poche d’Autocritique (1959 ; phrase découverte grâce sa lecture par Nicolas Bouchaud : émission du 3 décembre 2018, réalisée par Laure Adler et son équipe, écoutée depuis sa rediffusion il y a tout juste deux mois).

« La liberté de conscience, elle est absolue » (L3 Sciences de l’éducation)

« Marguerite Soubeyran devant des élèves » (1943 ; Jean Sauvageon, museedelaresistanceenligne.org). Intervenant à l’occasion de la deuxième édition du festival « Trouble ton genre ! », le 9 mars 2020, Sophie Louargant (UGA-PACTE) avait retenu comme illustration le bâtiment de la Faculté de droit de Valence : en écho à notre unique séance en présentiel – à Grenoble, dans un « bâtiment Simone Veil » –, v. la deuxième illustration ici ; pour une vue aérienne du campus en cette période de confinement, telegrenoble 21 avr.).

Cette citation de Patrick Weil, extraite d’une brève vidéo présentant « la » laïcité en cinq minutes, me sert de sujet de dissertation en troisième année de licence en Sciences de l’éducation (L3 SDE). L’objectif est de réfléchir au droit des laïcités scolaires, en vue de l’évaluation d’un cours que j’ai bâti à la hâte, en parallèle de mes travaux-dirigés à la faculté de droit de Grenoble (mais aussi à son antenne – un mot approprié, en cette période de confinement – de Valence ; v. ci-contre).

En explicitant là encore au passage des remarques de méthode, ce billet vise à illustrer comment répondre à un tel sujet avec ce cours, composé de quatre supports numériques (portant successivement sur les enseignant·e·s, les élèves, leurs parents[1] et quelques particularités des établissements privés) ; j’ajoute les références mobilisées en note pour les personnes qui voudraient remonter ces sources[2], avec des compléments plus ou moins importants et critiques, notamment en (histoire du) droit administratif de l’éducation.

Les étudiant·e·s à qui ces développements sont prioritairement destinés ne sont pas juristes : au moment de retenir ce sujet, je l’ai testé en adressant l’extrait sus-indiqué à un ami ne l’étant pas non plus, et qu’il est possible de présenter comme un professionnel de l’éducation par ailleurs pratiquant (au plan religieux) ; sa réaction illustre assez bien l’intérêt que je trouve, en tant qu’enseignant-chercheur (contractuel), à parler de droit en dehors des facultés y relatives.

En effet, la vidéo l’a ainsi amené – après avoir rappelé qu’il interprète sa religion comme l’obligeant à respecter la loi[3] – à mettre en regard l’assez grande tolérance à l’exposition des enfants à la vue des agents publics en train de fumer[4], avec l’obligation de neutralité qui pèse sur ces derniers ; n’ayant pas retenu dans le cours de quoi approfondir le cas auquel il songeait – l’impossibilité de faire ses prières pendant ses pauses[5] –, je n’avais pas prévu de l’évoquer avant que cela me conduise jusqu’au Japon[6], une dizaine de jours après lu cet entretien accordé dans Le Monde du 4 avril 2020 (p. 25, titré en reprenant l’une des phrases employées : « Nous faisons l’expérience que la Terre peut se débarrasser de nous avec la plus petite de ses créatures »). Philosophe à l’EHESS[7], Emanuele Coccia faisait observer qu’« on a laissé ouvert les tabacs, mais pas les librairies[8] : le choix des « biens de première nécessité » renvoie à une image assez caricaturale de l’humanité »[9]

1er avertissement. Les propos ont été recueillis par le journaliste Nicolas Truong, ce qui me permet d’en venir à notre sujet, car ce dernier a réalisé en 2015 un livre d’entretiens avec Patrick Weil (Le sens de la République, Grasset, 2015) ; c’était le premier des petits galets semés dans mon cours en pensant à la citation retenue[10] : avant de s’intéresser aux mots employés, il convient d’en dire quelques-uns de l’auteur : s’il y affirmerait, page 80, que « la laïcité, c’est d’abord du droit »[11], il s’y intéresse en tant qu’historien et politologue. Le situant politiquement, sa page Wikipédia[12] signale qu’il a été « chef de cabinet du secrétariat d’État aux immigrés en 1981 et 1982 »[13] ; l’histoire de l’immigration domine dans ses publications et interventions.

Patrick Weil n’est donc pas seulement un chercheur, c’est aussi un acteur de la vie publique ; dans la vidéo du média en ligne Le Vent Se Lève – lui aussi engagé à gauche, créé fin 2016 –, il se présente comme directeur de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et président de Bibliothèques Sans Frontières (BSF)[14], une ONG qu’il a contribué à faire naître en 2006. Trois ans auparavant, en tant que membre de la Commission Stasi, il avait participé activement[15] à une évolution majeure du droit des laïcités scolaires, dont le point de départ sera la loi du 15 mars 2004 ; il est intéressant de remarquer qu’il ne le rappelle pas, et qu’il n’évoque pas non plus ce texte qu’il défendra (v. infra). En mettant en scène un échange avec un enfant, il se veut pédagogue ; cet effet est renforcé par les titre et format retenus le 6 février 2020, où il apparaît seul face caméra. À cet égard, l’hebdomadaire Marianne le présentait, le 2 mars 2018, comme « initiateur de (…) programmes d’éducation sur la laïcité »[16].

Daniel Favre, Éduquer à l’incertitude. Élèves, enseignants : comment sortir du piège du dogmatisme ?, dunod.com 2016 ; v. évent. l’une de mes conclusions de thèse (2017), en note de bas de page 1224, n° 3655, renvoyant aussi à l’intervention de ce professeur en sciences de l’éducation dans l’émission Du Grain à moudre du 18 octobre 2016, « Comment enseigner le doute sans tomber dans le relativisme ? », disponible sur franceculture.fr

2. « Voir, c’est repérer partout les liens, les contradictions, les complémentarités, les tensions ». Cette citation d’Eugénie Végleris, découverte grâce à Edgar Morin[17], peut aider à cerner la démarche idéale, en général, pour penser. En l’occurrence, l’objectif n’est pas d’attaquer Patrick Weil, mais de voir à partir de ses propos, avec et contre eux. N’ayant que quelques minutes, il se livre à des choix qu’il convient d’apprécier de manière critique ; l’attitude la plus habile – car prudente – est d’éviter de les discuter frontalement, pour mener sa propre démonstration, sans s’interdire de s’appuyer sur ses affirmations, celle sélectionnée ou d’autres de la vidéo ou du cours, citées à cette fin. En la visionnant, il apparaît qu’il procède à des citations liées à la loi de 1905 (dont « il suffit », nous dit-il, d’en lire l’article premier) ; son récit est – implicitement – celui d’une continuité entre l’état du droit d’alors et celui d’aujourd’hui (ce serait toujours la même laïcité, tant et si bien que sa préconisation, pour la comprendre, est de lire le Journal Officiel de l’époque).

Introduisant son manuel de Droit de la laïcité, Mathilde Philip-Gay précise ne pas se limiter à ce texte législatif[18]. Centré quant à lui sur les laïcités scolaires, mon cours propose une approche par les droits[19], dont celui à la liberté de conscience ; une première mention en est faite – en se référant également à la loi de 1905 –, en citant des conclusions sur un « grand arrêt » de 1912, Abbé Bouteyre, qui aurait cependant pu être remplacé aux GAJA[20] par l’avis contentieux de 2000, (Julie) Marteaux. Pour ajouter ici – en complément du cours – une première citation de Bruno Garnier, ce professeur de sciences de l’éducation écrit fin 2019 que « certains au Conseil d’État voudraient voir modifier [cette position de 1912[21], qui n’a] jamais fait l’objet de confirmation législative » ; et d’évoquer au paragraphe suivant, « concernant les élèves, (…) le maintien d’aumôneries dans les collèges et lycées », en citant notamment la loi de 1905 (Le système éducatif français. Grands enjeux et transformations. Concours et métiers de l’éducation. Professeurs, CPE, personnels de direction et d’inspection, Dunod, 3ème éd., 2019, p. 194).

Parce qu’il s’agit d’une des rares dispositions de cette loi – relative à la séparation des Églises et de l’État –, qui concernent l’école, il m’a semblé pertinent de l’aborder d’emblée, en remontant toutefois aux premières lois laïques pour délimiter le sujet temporellement. Spatialement centrée sur la France par le cours, cette délimitation mérite en effet d’être adaptée à la large période qu’il couvre : il vaut mieux éviter d’en retenir une trop resserrée qui obligerait, pour être cohérent, à n’aborder qu’en introduction certains éléments ; en l’occurrence, sans que cela ne signifie qu’il faille toujours procéder ainsi, j’ai opté pour la nourrir avec ce qui cadre le mieux avec le propos de Patrick Weil, pour ensuite m’en émanciper.

Pour lui, la liberté de conscience est, en vertu de la loi de 1905, « absolue »[22] ; il est d’abord possible de se demander ce qu’elle apporte de nouveau par rapport à l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789[23] : il leur assure une protection de leurs « opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » [réflexe du recours aux textes, celui-ci permettant une définition en même temps qu’une problématisation matérielle et approche historique du sujet]. S’il faudra attendre une décision de 1977 (v. infra) pour que le Conseil constitutionnel (ci-après CC) mobilise cet article, Corneille présentait cette Déclaration, soixante-dix ans plus tôt, comme « au frontispice des Constitutions républicaines » (concl. sur l’arrêt Baldy du 10 août 1917)[24].

Couverture de Samuel Pruvot, Monseigneur Charles, aumônier de la Sorbonne (1944-1959), editionsducerf.fr 2002 (livre extrait de sa thèse sur cet abbé Maxime Charles (1908-1993), soutenue l’année précédente à l’IEP de Paris). « Comme pour les hôpitaux, l’État est tenu, par la loi de séparation de 1905, d’assurer le libre exercice du culte dans les prisons, ce qu’il fait par les aumôneries. Mais plus encore que les hôpitaux, les prisons se sont fermées aux aumôniers » (Cécile Chambraud, « Les aumôniers débordés par l’ampleur du drame », Le Monde 9 avr. 2020, p. 13).

Après avoir affirmé la liberté de conscience, l’article 1er de la loi de 1905 prévoit que la République « garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées [par les articles suivants,] dans l’intérêt de l’ordre public »[25]. L’article 2 envisageant à cette fin des « services d’aumôneries », notamment dans les collèges et les lycées, le Conseil d’État (CE) donnera raison à l’abbé Chaveneau (et autres) dans un arrêt de 1949 ; quelques années plus tard, l’Association professionnelle des aumôniers de l’enseignement public n’obtiendra pas gain de cause : le CE estimera qu’en l’espèce, la suppression de ce service n’avait pas compromis la « liberté cultuelle des élèves » (selon le résumé des auteurs de la première édition des GAJA[26], en précisant que cet arrêt, et un autre du 28 janvier 1955, « pourraient constituer en quelque sorte la charte de la laïcité de l’État »[27]). En 1969, dans ses conclusions sur un arrêt Ville de Lille, le commissaire du gouvernement Guillaume suggérera que « la liberté de conscience de tous » se trouve sauvegardée, du moment que les activités religieuses et scolaires se trouvent « nettement » séparées.

Si ces solutions confirment la distinction entre les libertés de conscience et de culte, d’autres montrent qu’elle n’est pas si étanche, précisément parce que la manifestation religieuse peut relever de la conscience de chacun·e, y compris pour des activités non religieuses : le port des signes dits ostensibles ou ostentatoires, qui focalise l’attention depuis plus de trente ans (actualité), en témoigne.

3. « Qui peut le plus peut le moins ». Attribué à Aristote, je mentionne ce proverbe simplement pour préciser, avant d’en venir à la problématique retenue, et au plan correspondant, qu’il est ici développé en reprenant plus d’informations qu’il n’en faudrait ; autrement dit, si j’avais retenu ce sujet pour l’évaluation, il n’aurait pas été nécessaire de les reprendre toutes pour obtenir une bonne note : ces éléments de correction remplaçant le dernier support de cours, il s’agit d’essayer de montrer comment organiser les connaissances partagées d’une autre manière, pour se les approprier.

Dans les lignes qui suivent, j’ai opté pour une première partie qui permette d’aller au-delà de la seule loi de 1905, un écueil à éviter étant alors une énumération descriptive en lieu et place d’une véritable démonstration ; pour la seconde partie, j’ai fait le choix – ce plan n’était évidemment pas le seul possible – d’axer le propos sur une tendance forte de la laïcité française actuelle, en montrant d’une part en quoi elle renouvelle celle d’hier en s’appuyant implicitement sur la liberté de conscience des enfants (mon dernier titre se situe à la limite d’un éloignement excessif par rapport au sujet ; n’ayant qu’une sous-partie à rédiger, j’aurais pu stratégiquement choisir celle-ci pour lever le doute à cet égard).

Dans quelle mesure la liberté peut-elle être sans limites ? Cet exemple type d’un sujet de dissertation de philosophie aurait pu me servir en accroche, en faisant immédiatement le lien avec l’affirmation de Patrick Weil. Plus loin, je n’aurais eu qu’à reprendre cette interrogation de façon indirecte, pour formuler la problématique à laquelle je suis parvenu en suivant les étapes de l’introduction (v. supra, à placer après la phase de définitions qui suit) : le terme « absolu » renvoie à l’absence de limites ; d’un point de vue juridique, ce sont plutôt elles qui s’imposent au regard, tant elles se développent précisément au motif de préserver les enfants et leur « liberté de conscience » – l’autre expression essentielle du sujet.

Le terme « laïcité » n’a pas été retenu dans l’extrait choisi mais, quoiqu’il en soit, mon cours repose sur un refus d’une définition présupposée ; elle est en elle-même un enjeu[28], si bien qu’il vaut mieux suspendre cette opération en introduction, en construisant par contre un plan qui donne à voir des lignes de force du droit des laïcités scolaires. Il s’agira ainsi de montrer que la liberté de conscience constitue une finalité laïque incontournable (I.), mais que la laïcité-neutralité apparaît comme un motif de restriction de la liberté de conscience (II.) [annonce du plan].

Au plan linguistique, peut-être existe-t-il un mot pour désigner la façon qu’a Patrick Weil d’insister sur le sujet (« la liberté (…), elle »…). D’un point de vue formel également, mon propos est intégralement rédigé alors que vous – étudiant·e·s de L3 SDE – pourrez, sans exagérer, recourir à des phrases nominales (autrement dit sans la présence d’un verbe conjugué, au moins)[29] dans la copie que vous avez à me rendre bientôt.

I. La liberté de conscience, une finalité laïque incontournable

La liberté de conscience est une référence privilégiée en droit de l’éducation. Cette liberté laïque a été progressivement intégrée dans les lois françaises (A.). Elle figure en outre parmi les principaux droits de valeur supra-législative (B.).

A. Une référence progressivement intégrée dans les lois françaises

Affiche représentant Jules Ferry (ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts à plusieurs reprises, entre 1879 et 1883) et Ferdinand Buisson (directeur de l’Enseignement primaire, sans discontinuité pendant dix-sept ans, de 1879 à 1896), amisdesmuseesdelecole.fr 2019

Dans les premières lois laïques – relatives à l’éducation –, la « liberté de conscience » n’apparaît pas expressément ; il est cependant possible de considérer que « l’esprit » de la législation, pour reprendre une formule de Gaston Jèze sous l’arrêt Abbé Bouteyre de 1912, y renvoie : c’est en tout cas ce qui ressort des conclusions du commissaire du gouvernement, qui allait même jusqu’à lier « liberté de conscience » des élèves et « neutralité absolue » de l’enseignement[30]. Helbronner ne manquait pas de s’appuyer sur l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905. Dès lors, cette dernière pouvait être située dans le prolongement de la loi Ferry du 28 mars 1882.

Reprenant des termes prononcés le 24 juin 1883 par Ferdinand Buisson[31], la célèbre Lettre aux instituteurs du ministre – adressée sous forme de circulaire le 17 novembre – affirmait que le législateur de 1882 « a eu pour premier objet de séparer l’école de l’église, d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves ». Cette circulaire sera citée notamment par le commissaire du gouvernement Tardieu[32] (concl. sur TC, 2 juin 1908, Girodet c. Morizot[33]).

Dans les établissements d’enseignement privés sous contrat, la loi Debré de 1959 préserve leur « caractère propre » et, en même temps, « la liberté de conscience » des enfants ; sans développer ici le fait que cela « n’est pas toujours conciliable, au quotidien » (Jean-Paul Costa in Les laïcités à la française, PUF, 1998, p. 98), le législateur reprenait donc cette référence traditionnelle, en contribuant à la rendre encore plus incontournable (sans qu’il soit toujours perçu, avec le temps, qu’il s’est bien gardé de lui conférer un sens identique à celui qu’elle conservait dans les établissements publics).

Elle l’est toujours avec la « nouvelle laïcité » (selon le titre du rapport Baroin de 2003), quarante-cinq ans plus tard, même si elle est là aussi apparue progressivement : tout comme la laïcité historique ne reposait initialement pas sur des lois faisant référence à ladite liberté, elle ne se retrouve que dans la circulaire Fillon du 18 mai 2004[34], là où la loi n° 2004-228 du 15 mars se bornait à mentionner le « principe de laïcité » ; il faut attendre l’article 10 de la loi n° 2019-791 du 26 juillet (dite Blanquer) pour voir apparaître « la liberté de conscience des élèves », que l’« État protège »[35]. Auparavant, loin d’avoir remis en cause les premières lois laïques, l’affirmation de droits à un niveau supra-législatif avait permis de rehausser la valeur de cette liberté.

B. Une place assurée parmi les principaux droits de valeur supra-législative

Jean Houssaye, Janusz Korczak. L’amour des droits de l’enfant, enseignants.hachette-education.com, 2000, 159 p. (l’éditeur suggère, à la suite de l’auteur, que celui « à l’éducation » était affirmé, en son temps, par Henryk Goldszmit – son nom en 1878, avant qu’il se choisisse un pseudonyme à l’âge de vingt ans ; en sens contraire, v. ma note de bas de page 761, n° 812) ; « le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion » est proclamé par l’article 14 de la CIDE – v. ci-contre -, adoptée en 1989).

Dans sa décision Liberté de l’enseignement du 23 novembre 1977 (n° 77-87 DC), le CC a conféré une valeur constitutionnelle à cette liberté, mais aussi à une autre, celle « de conscience » ; si les juges la rangeaient également parmi les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (PFRLR), ils citaient aussi l’article 10 de la DDHC. Elle prenait donc place dans le « bloc de constitutionnalité ».

Trois ans plus tôt, la France avait enfin ratifié la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) ; ce texte de 1950 protège le « droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion » (art. 9 ; v. aussi, au plan onusien, l’art. 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le PIDCP, en signalant sa reprise à l’article 14 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, la CIDE).

La seconde phrase de l’article 2 du premier protocole (1952) à la Convention protège les parents dans « leurs convictions religieuses et philosophiques » ; la Suisse n’ayant pas ratifié ce texte additionnel, la Cour a appliqué sa jurisprudence Kjeldsen (1976), relative à l’éducation à la sexualité, en précisant que l’article 9 ne permet pas de s’y opposer[36], mais interdit seulement « d’endoctriner les enfants par le biais de cet enseignement » (18 janv. 2018, A.R. et L.R. contre Suisse, § 49).

En 2010, la Cour rappelait que cette liberté (religieuse, selon un raccourci fréquent) protège « les athées, les agnostiques, les sceptiques et les indifférents » et que « la liberté de manifester ses convictions religieuses comporte aussi un aspect négatif, à savoir le droit pour l’individu de ne pas être obligé de faire état de sa confession ou de ses convictions religieuses et de ne pas être contraint d’adopter un comportement duquel on pourrait déduire qu’il a ou n’a pas de telles convictions (§§ 85 et 87 de cet arrêt Grzelak contre Pologne[37], selon une traduction de Nicolas Hervieu[38]). Pour le dire avec Jean Baubérot, introduisant son ouvrage Les 7 laïcités françaises, c’est dans « ses divers rapports avec la liberté de religion » que celle de conscience constitue une finalité laïque (éd. MSH, 2015, p. 18).

S’ils affirment le droit à la liberté de conscience, ces textes supra-législatifs – en particulier la CEDH – envisagent aussi sa restriction ; pour eux, elle n’est donc pas absolue et un motif d’intérêt général, notamment, peut servir de justification. Depuis 2004, le principe de laïcité joue surtout ce rôle en droit, en étant compris dans le sens d’une laïcité-neutralité.

II. La laïcité-neutralité, un motif de restriction de la liberté de conscience

Jusqu’à une période assez récente, la liberté de conscience des enfants était indirectement protégée ; il s’agissait essentiellement d’y voir l’une des justifications aboutissant à la restriction de celle des enseignant·e·s : en plus d’avoir été renouvelée, d’une part (A.), elle a été, d’autre part, retournée contre une partie des élèves avec la loi n° 2004-228 du 15 mars ; alors que la liberté de conscience constituait antérieurement un fondement explicite pour ne pas exclure celles qui portaient un foulard, elles ne peuvent plus s’en prévaloir contre la laïcité-neutralité, qui fait d’ailleurs l’objet depuis d’une extension non maîtrisée (B.).

A. Une restriction renouvelée de la liberté de conscience des enseignant·e·s

Helbronner affirmait en 1912 que, « pour respecter la liberté de conscience », les fonctions de l’enseignement secondaire peuvent « ne pas être compatibles (dans l’esprit qui domine la législation de l’instruction publique depuis 1882), avec les fonctions de ministre du culte, d’ecclésiastique, de prêtre d’une religion quelconque ». Rétorquant à l’une des affirmations de ces conclusions, Maurice Hauriou fera alors remarquer qu’« en réalité, toute une catégorie de citoyens se trouve frappée ». C’était encore « le temps (…) des séparations (1880-1914) » (Julien Bouchet, en 2019[39]).

« Jacques-André Boiffard, prêtre marchant sur le pont Alexandre III, Paris, vers 1928, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Ancienne collection Christian Bouqueret (Mme Denise Boiffard) » (Photo reprise depuis la notice de Josselin Tricou, « Hommes d’Église, masculinités et idéal sacerdotal », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l’Europe 2016, mis en ligne le 5 mars 2020

Cette laïcité-séparation va progressivement être remise en cause : par la loi Debré d’abord qui, en conférant à la liberté de conscience un sens distinct dans les établissements privés sous contrat – essentiellement catholiques –, ne pouvait que permettre à des prêtres de continuer à y enseigner. Sept ans après un jugement du TA de Paris statuant en ce sens, en 1970 (Spagnol, à propos de l’agrégation d’anglais), le CC protégeait dans sa décision précitée la liberté de conscience des « maîtres » des établissements privés, mais en la conciliant avec leur « devoir de réserve ».

Ensuite et surtout, le CE a procédé au renouvellement de la restriction dans les établissements publics. Après qu’en 2000, Rémy Schwartz a ressuscité un « devoir de stricte neutralité » manifestement non réaffirmé au contentieux depuis cinquante ans (pour l’opposer à Julie Marteaux ; v. infra), le retournement est complet en 2018 dans les conclusions du rapporteur public Frédéric Dieu : « le principe de laïcité lui-même [lui] semble s’opposer à toute incompatibilité de principe entre l’état religieux et l’accès aux fonctions publiques » ; un prêtre est présenté comme subissant aujourd’hui « un soupçon de méconnaissance par état » (ecclésiastique), et il n’est cette fois pas pensé qu’il y a là « un acte ». L’abbé Bouteyre n’avait pas bénéficié de cette distinction ; il n’était pas nécessaire qu’il porte une soutane pour s’être placé dans une situation incompatible avec celle d’un enseignant[40].

Selon l’arrêt SNESUP du 27 juin 2018, l’essentiel est pour l’agent public de « ne pas manifester ses opinions religieuses dans l’exercice de ses fonctions » (en l’occurrence de président d’Université) ; cette formule constitue une reprise de l’avis contentieux Marteaux du 3 mai 2000 qui, tout en assurant à une surveillante intérimaire qu’elle bénéficie de la « liberté de conscience », postule que son foulard est « destiné à marquer son appartenance à une religion », ce qui ne saurait désormais être admis dans la fonction publique (pas seulement enseignante ; v. depuis l’article 1er de la loi n° 2016-483 du 20 avril). Il ressortait des conclusions de Rémy Schwartz un passage de la « neutralité absolue » de l’enseignement (Helbronner en 1912) à celle des « services publics et de leurs agents » (RFDA 2001, p. 146, spéc. 149).

Palais des Droits de l’Homme, siège de la Cour de Strasbourg ©, accueillant la 25ème édition du Concours de plaidoiries René Cassin (ceuropeens.org 2010), « dont le jury était présidé par Noëlle Lenoir ».

L’année suivante, raisonnant différemment, la CEDH rappelait que cette liberté, selon l’article 9 de la Convention, « implique [celle de] manifester » sa religion sous réserve de « restrictions [nécessaires] prévues par la loi » ; dans son arrêt Dahlab c. Suisse, elle admettait en 2001 une telle restriction.

Pendant encore trois années, la situation des élèves était différente. Dans le prolongement de son avis de 1989, et suivant la jurisprudence Kherouaa (1992)[41], leur « liberté de conscience » leur conférait le droit de porter un foulard – mais pas celui de se livrer à un acte avéré de prosélytisme, sur le même fondement de la même liberté des (autres) élèves. Cette distinction n’aura été difficile à comprendre que par les personnes postulant une pression sur autrui par le seul port d’un signe manifestant une appartenance religieuse, présomption sur laquelle repose la loi du 15 mars 2004. Ce n’était pas le cas de Patrick Weil qui, au contraire, a assumé très vite l’exclusion « des jeunes musulmanes [qui] n’exercent[42] aucune pression sur les autres » (« Lever le voile », Esprit janv. 2005, p. 45, spéc. p. 50) ; à ce moment-là, il pouvait envisager le recours à un établissement privé mais, très vite, même cette solution – coûteuse – ne pourra plus l’être avec certitude. En effet, dès le 21 juin 2005, la Cour de cassation admettait que le foulard y soit aussi interdit, sur un autre fondement que la laïcité-neutralité[43], cependant qu’elle commençait à se trouver pour sa part étendue dans les établissements publics.

B. Une extension non maîtrisée de la laïcité-neutralité

Après avoir validé la circulaire d’application du 18 mai (CE, 8 oct. 2004), le CE a admis plusieurs exclusions, dont celle d’une élève portant un bandana – le 5 décembre 2007, dans l’arrêt Ghazal ; en 2013, le port d’un bandeau et d’une jupe longue rentreront aussi parmi les signes pouvant être considérés comme prohibés par la loi du 15 mars[44].

Entre les circulaire Fillon et la loi Blanquer ont été adoptées celles dites Peillon, en 2013 ; là où la loi ajoute aux missions de l’Éducation nationale (art. L. 111-1 du Code) l’apprentissage « de la liberté de conscience et de la laïcité », la « Charte de la laïcité à l’École » est sous-titrée « Valeurs et symboles de la République ». Au terme de sa présidence du Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL), Philippe Portier remarquait que celle française « s’agence désormais en un dispositif de diffusion de la valeur, en essayant de ramener les citoyens au bien que l’État définit »[45]. L’une des difficultés tient au fait que la « liberté de conscience » reçoit des significations différentes : outre la contradiction entre le point 14 et les points 3 et 5 combinés de la Charte-circulaire précitée, elle n’a manifestement pas le même sens selon les lieux scolaires.

La tendance est celle d’une extension non maîtrisée de la laïcité-neutralité ; au préalable, il convient de remarquer un premier contraste, avec un arrêt antérieur à la loi du 15 mars 2004 : cinq ans auparavant, tout en affirmant que « l’apposition d’un emblème religieux sur un édifice public, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905, méconnaît la liberté de conscience », la Cour administrative d’appel de Nantes refusait de sanctionner l’installation par un département d’un logotype (deux cœurs entrelacés surmontés d’une croix) sur le fronton de deux collèges publics[46].

Dans un autre contexte, celui de l’Alsace-Moselle, l’État français impose aux élèves une obligation qu’il ne s’impose pas lui-même[47], puisque la laïcisation des personnels et des locaux n’est pas imposée par le droit local, et qu’il appartient aux (parents d’)élèves de faire valoir leur propre liberté de conscience pour obtenir une dispense de l’enseignement religieux (non musulman, l’islam ne faisant pas partie des cultes reconnus). Si la Cour a exigé cette possibilité, en 2007, en condamnant successivement la Norvège et la Turquie[48], elle n’a posé aucun obstacle, en 2009, à l’application de la loi française de 2004, y compris sur ce territoire. Auditionné dans des conditions controversées par la Commission Stasi en 2003[49], Jean-Paul Costa[50] siégera en 2008 dans une chambre de la Cour, dont les formules allaient préfigurer ces six décisions relatives à la loi de 2004 (dont CEDH, 2009, Ghazal ; v. supra) ; dans l’une d’entre elles, l’élève était scolarisée à Mulhouse ce qui ne l’a pas empêchée d’être exclue (Aktas contre France). Plus récemment, lorsqu’il s’est agi de savoir si un prêtre pouvait présider l’Université de Strasbourg, le CE a par contre suivi son rapporteur public n’y voyant pas d’inconvénient, alors même que cette « probabilité (…) est plus forte dans les territoires de la République où ne s’applique pas la loi du 9 décembre 1905 » (F. Dieu, concl. sur CE, 27 juin 2018[51]).

Au contraire de la Cour, le Comité des droits de l’Homme n’avait pas admis – en 2012 et sur la base de l’article 18 du PIDCP –, la restriction de la liberté de conscience dans les établissements scolaires ; cette position, qui rejoint celle de deux autres comités onusiens (pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes d’une part, des droits de l’enfant d’autre part) n’a pas suffi à freiner la tendance ici décrite : elle a en effet été étendue depuis à plusieurs catégories d’adultes, suivant des formations dispensées dans les lycées – que ce soit en qualité de stagiaires des GRETA (pour groupement d’établissements ; 2016, pourvoi en cassation non admis)[52] ou d’élèves en instituts de formation paramédicaux (CE, 2017)[53].

« Afroféminisme : Ndella Paye met les points sur les i », lallab.org 22 nov. 2016

Pour ce qui concerne les mères portant un foulard, les tribunaux administratifs ont rendu des solutions contradictoires à propos de l’accompagnement des sorties scolaires : après que celui de Montreuil a donné tort à Sylvie Osman, en 2011, celui de Nice a tranché en faveur de Mme Dahi, en 2015. Récemment, le contentieux a porté sur des activités en classe ; la Cour administrative d’appel de Lyon a décidé, le 23 juillet 2019, d’étendre la laïcité-neutralité à des personnes (là encore musulmanes) qu’elles ne concernait pas jusqu’ici[54] ; auparavant, cette tension a fragilisé les interventions de quelques aumôniers (catholiques).

En définitive, outre cette extension en elle-même, ses effets de genre n’apparaissent pas maîtrisés non plus, ce qui constitue l’un des paradoxes de la laïcité française du moment : postulant qu’il suffit de l’affirmer pour réaliser l’égalité entre les sexes – et les sexualités –, elle se déploie en imposant toujours plus d’obligations à des filles, et des femmes.

En guise d’ouverture (ou de complément, plutôt), « il ne faut pas réécrire l’histoire »[55] : la laïcité française d’hier était indéniablement encore moins sensible aux droits des femmes, ainsi qu’en témoigne l’entrée « Femme » du Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (1911) ou les conclusions Helbronner (l’année suivante) ; en effet, le seul moment où « les femmes » apparaissent alors, c’est pour rappeler qu’elles sont l’objet d’« une mesure bienveillante » (d’une faveur donc, et non d’un droit). À ce moment-là d’ailleurs, les filles étaient « confinées à [dans ?] l’enseignement élémentaire »[56] [pour ajouter une seconde citation de Bruno Garnier, qui trouve aujourd’hui un écho particulier], et le remplacement des sœurs enseignant pour elles dans les écoles publiques n’était pas encore achevé partout[57].

En 1912, le CE admettait toutefois que le ministre craigne l’influence des prêtres, eu égard à la séparation récente de l’Église catholique et – de l’école publique, puis – de l’État ; à partir de l’année 2000, les juges administratifs consentent à l’exclusion d’une surveillante intérimaire, puis n’hésitent pas, parfois, à étendre le raisonnement à des mères pour la même raison (le port d’un foulard) : tout se passe alors comme si (l’école de) la République était aujourd’hui menacée d’être renversée par ces femmes, là où il s’agissait hier de se méfier surtout d’hommes au pouvoir institutionnalisé.


Illustration liée à l’annonce du colloque dirigé par Gweltaz Eveillard, Quentin Barnabé et Steven Dutus, L’enseignement scolaire saisi par le droit. Étude sur la juridicisation du secteur de l’enseignement, idpsp.univ-rennes1.fr/agenda 10 avr. 2020

[1] Cette leçon sur les parents d’élèves était introduite à partir de la structuration de la seconde partie d’un colloque qui devait se tenir à Rennes, le vendredi 10 avril dernier (v. ci-contre ; merci à Denis Jouve de m’en avoir informé). C’est aussi en rédigeant ce cours que j’ai complété la note 6 de mon précédent billet (pour « mes » M1 de droit public), où je précisais en introduction aborder les bases constitutionnelles du droit des laïcités scolaires ; du point de vue plus général du contentieux constitutionnel de l’éducation, et tout comme trois contributions annoncées dans les Mélanges Rousseau (LGDJ, 2020, à paraître), le titre de la communication de Patricia Rrapi avait forcément attiré mon attention. Était également invité à ce colloque Yann Buttner, co-auteur avec André Maurin d’un ouvrage de droit de la vie scolaire (v. évent. l’introduction de ma thèse, fin 2017, en notes de bas de pages 30 et 50-51 – où je situe ma proposition de contribution à l’étude du droit de l’éducation ; si le droit des laïcités recouvre un ensemble de textes plus large, envisager celles scolaires se révèle plus spécifique).

[2] Les sources du droit, quant à elles, confirment largement la pertinence d’une démarche consistant à envisager les rapports entre laïcités et droits. Si l’annexe de l’arrêté du 30 avr. 1997 (« relatif au diplôme d’études universitaires générales [ex. DEUG] Droit et aux licences et aux maîtrises du secteur Droit et science politique ») ne vise toujours que le « droit des libertés fondamentales », celle de celui du 17 oct. 2016 (« fixant le programme et les modalités de l’examen d’accès au centre régional de formation professionnelle d’avocats [CRFPA] ») se réfère aux « libertés et droits fondamentaux ». Dès lors, l’abréviation DLF pourrait se décliner autrement : Droits, Libertés, Fondamentalité. Ce dernier concept est lié à celui d’État de droit(s) ; il fonde un refus de se limiter aux seules libertés, qui sont d’ailleurs toutes des droits.

[3] À la réflexion, et s’il est permis un peu de légèreté sur les sujets les plus graves, les attentats terroristes sont d’une certaine manière un problème de hiérarchie des normes : à la loi (religieuse) imposant de respecter les lois du pays où l’on vit, il est quelques personnes qui préfèrent les « circulaires » d’un prétendu « État islamique » (a fortiori ni réglementaires ni impératives, pour poursuivre ce par halal avec la jurisprudence Duvignères) ; en ce sens et parce qu’il vient de commencer, « bon ramadan Patrick ! » (Haroun, youtube.com 8 juin 2017).

Cette touche d’humour me fournit un prétexte pour :

  • faire observer d’une part que la jurisprudence antérieure reposait sur un arrêt de 1954, qui concernait l’article 69 de la loi Falloux du 15 mars 1950 : en 1994, faute d’avoir eu le courage de recadrer ce ministre cherchant à dissimuler sa « catho-laïcité » – tout juste sanctionnée par le Conseil constitutionnel – sous une circulaire anti-voile, le CE n’a pu l’empêcher de pousser les établissements scolaires « à la faute » ; cela contribuera à une autre loi du 15 mars, cinquante ans après l’arrêt Institution Notre-Dame du Kreisker (v. évent. ma thèse, pp. 1097 et 421, en citant Jean Baubérot : ou quand l’évolution des laïcités françaises se lit rétrospectivement dans le droit administratif de l’éducation ; sur le fondement de la même jurisprudence, v. aussi CE, 29 juill. 1998, Confédération nationale des associations familiales catholiques et a., n° 180803, après avoir annulé « l’inscription de séquences obligatoires d’éducation à la sexualité » ; il faudra attendre une circulaire du 19 novembre pour qu’elles ne soient plus facultatives) ;
  • citer d’autre part Achille Mbembe qui, conduit « à relire un certain nombre de textes de théologiens, chrétiens mais aussi juifs », sans oublier les religions traditionnelles africaines et les « dispositifs animistes où le monde est un théâtre de résonances et de vibrations », a pu remarquer : « Nous avons vécu une partie du confinement durant la semaine pascale soit le moment, du moins pour les chrétiens, au cours duquel nous nous remémorons l’épreuve du calvaire, de la crucifixion et de la résurrection » (philomag.com 20 avr. 2020) ; à l’approche du ramadan, Mohamed Bajrafil s’est adressé à tout public soucieux de n’être pas complètement ignorant de ce rite qui concerne entre cinq et six millions des personnes vivant en France (franceculture.fr le 23).

[4] « Une étude chinoise publiée fin mars dans le New England Journal of Medicine et portant sur plus de 1 000 personnes infectées a montré que la proportion de fumeurs était de 12,6 %, bien inférieure à la proportion de fumeurs en Chine (28 %). D’autres études vont dans le même sens » ; « Aucun doute pour les médecins, le tabac reste un risque majeur pour la santé, le premier facteur de mortalité en France (75 000 morts par an) » (Pascale Santi, « Une faible proportion de fumeurs parmi les malades du Covid-19 », Le Monde 23 avr. 2020, p. 3 ; v. aussi, à la même page le lendemain, l’entretien avec Arnaud Fontanet – épidémiologiste à l’Institut Pasteur, par Paul Benkimoun et Chloé Hecketsweiler –, « L’immunité collective est un horizon lointain »).

[5] CAA Lyon, 28 nov. 2017, M. A., n° 15LY02801, cons. 5 ; AJFP 2018, p. 167, reproduit in Jean-Marc Pastor et Erwan Royer (dir.), Laïcité, Dalloz, 2019, pp. 139-140

[6] Près d’un an avant que les JO de Tokyo soient « décalés » – ils pourraient d’ailleurs ne pas « se tenir du 23 juillet au 8 août 2021 », en l’absence de vaccin contre le Covid-19 selon « Devi Sridhar, qui dirige le département sur la santé mondiale à l’université d’Édimbourg » (d’après lequipe.fr 18 avr. 2020) –, plusieurs réglementations ont été adoptées, cependant qu’une université japonaise annonçait « une stricte interdiction de fumer sur le campus » : « “Nous pensons que le fait de fumer ne va pas avec celui de travailler dans l’éducation”, a déclaré un porte-parole de l’Université de Nagasaki (sud-ouest), Yusuke Takakura » (« Les enseignants qui fument ne seront plus recrutés dans une université du Japon », SudOuest.fr avec AFP 23 avr. 2019).

Concernant les laïcités japonaises, Jean-Pierre Berthon, « Une sécularité ancienne, une laïcité récente : l’exemple du Japon », in Franck Laffaille (dir.), Laïcité(s), Mare & Martin, 2010, p. 13 ; Kiyonobu Daté, « De la laïcité de séparation à la laïcité de reconnaissance au Japon ? », in Jean Baubérot, Micheline Milot & Philippe Portier (dir.), Laïcité, laïcités. Reconfigurations et nouveaux défis (Afrique, Amériques, Europe, Japon, Pays arabes), éd. MSH, 2014, p. 169 ; François Nicoullaud, « La laïcité en France… et ailleurs », in « dossier : La laïcité », Après-demain 2018/4, n° 48, NF, p. 7, spéc. p. 9 : « si rites et croyances circulent comme ailleurs, elles le font sur un mode discret. La Constitution de 1946 a introduit une séparation radicale entre Églises et État, qui est toujours scrupuleusement respectée » (dans la même revue, v. Christian Vigouroux, « Le Conseil d’État et la laïcité », p. 22, spéc. p. 23 sur la notion de culte, citant « pour la nouvelle religion japonaise Sukyo Mahikari » l’arrêt du 26 juillet 2018, n° 403389, cons. 5-6) ; Philippe Pons, « L’empereur du Japon, « maître du Ciel » garant des institutions laïques », Le Monde 30 avr. 2019, p. 27 ; « L’impossible accession des femmes au trône, un anachronisme japonais », le 2 mai, p. 5

[7] C’est à cette École des hautes études en sciences sociales (EHESS), « en son antenne de Marseille, ville qui lui était chère », que Jean-Claude Chamboredon « fut directeur d’études » : il est mort fin mars et son « nom figurait, entre ceux de Pierre Bourdieu et de Jean-Claude Passeron, sur la couverture d’un ouvrage culte pour plusieurs générations, Le Métier de sociologue » ; « il fut aussi un enseignant déterminant, à l’origine de la création d’une agrégation de sciences sociales », et il « militait en acte pour [leur] unité [et] cumulativité. (…) Si son œuvre s’est peu exprimée sous la forme de livre, elle n’en est pas moins considérable, et touche à des domaines très variés : la sociologie de l’éducation d’abord » (Jean-Louis Fabiani, « Jean-Claude Chamboredon, grand sociologue de métier », AOC 2 avr. 2020 ; en cette période de confinement, v. aussi les nécrologies de Stéphane Beaud, liberation.fr le 5 et Pierre-Paul Zalio, Le Monde le 7, p. 21 : « Son article publié en 1970 avec Madeleine Lemaire, « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », est parmi les plus cités des études urbaines »). Il ressort de cet hommage que c’est en 1977 qu’a été accueillie à l’École normale supérieure (ENS) la première promotion de l’agrégation sus-évoquée. « Qu’est-ce donc que l’agrégation ? », telle était l’une des questions abordées par Helbronner, dans ses conclusions sur l’arrêt Abbé Bouteyre (v. infra et Rec. CE 1912, p. 553, spéc. pp. 558-559 ; ces extraits sont reproduits dans mon cours).

[8] V. depuis Nicole Vulser, « Les libraires dans le sas de déconfinement », Le Monde 24 avr. 2020, p. 22

« Saint Jérôme », francois-bhavsar.com 21 sept. 2016

[9] Le philosophe Emanuele Coccia d’ajouter, immédiatement, qu’« [i]l y a un sujet iconographique qui a traversé la peinture européenne : celui de « saint Jérôme dans le désert », représenté avec un crâne et un livre, la Bible qu’il traduisait. Les mesures font de chacune et chacun de nous des « Jérôme » qui contemplent la mort et sa peur, mais auxquels on ne reconnaît même pas le droit d’avoir avec soi un livre ou un vinyle » (« La Terre peut se débarrasser de nous avec la plus petite de ses créatures », Le Monde 4 avr. 2020, p. 25 : « cette pandémie est la conséquence de nos péchés écologiques : ce n’est pas un fléau divin que la Terre nous envoie. Elle est juste la conséquence du fait que toute vie est exposée à la vie des autres »).

[10] Il y a près de deux ans, j’avais déjà publié sur ce site un billet à partir d’une citation de l’intéressé : « La laïcité, c’est d’abord la liberté de conscience » (Le Monde 15 mai 2018, page 19 : Patrick Weil se revendiquait déjà d’« une lecture précise et informée de la loi de 1905 »).

[11] Cité par Mathilde Philip-Gay, Droit de la laïcité. Une mise en œuvre pédagogique de la laïcité, Ellipses, 2016, p. 3, sans que l’auteur de la phrase ne soit alors précisé. « C’est d’abord du droit », l’affirmation est reprise par Patrick Weil au terme d’une présentation de l’ouvrage, le 17 mars 2016 (animant la rencontre, Magali Della Sudda le présente comme juriste, aussi) ; elle se retrouve dans un entretien publié le 5 décembre (nonfiction.fr, avec le même titre, « Le sens de la République ») ; recensant la première édition – dont des extraits du premier chapitre « Immigration : les faits sont têtus », peuvent être lus sur books.google.fr –, v. Alexandre El Bakir, le 28 août 2015 (Le sens des couleurs retenu surprend, pour qui suit une recommandation de Jean-Michel Blanquer : « Il faut avoir le sens de l’histoire » ; figurant parmi les ressources signalées par Canopé, v. la petite vidéo consacrée aux « symboles » par Les Clés de la République, avec Thomas Legrand, « narrateur d’un récit incarné et enthousiaste sur le fonctionnement de nos institutions ». « La laïcité » renvoie à la même vidéo : tant mieux, car celle que l’on peut trouver par ailleurs n’aborde l’école que pour relayer la contre-vérité selon laquelle elle serait « obligatoire » en France depuis Ferry ; celle relative à la Constitution comprend quant à elle a minima deux approximations : l’utilisation du terme « universelle » pour la DDHC de 1789, qui entraîne un risque de confusion avec la DUDH de 1948 ; l’affirmation de ce que le Préambule de 1946 affirmerait le « Droit à l’instruction », alors que le CC s’en tient à « l’égal accès » prévu par l’alinéa 13, comme je le souligne dans mon précédent billet).

[12] v. Léo Joubert, « Le parfait wikipédien. Réglementation de l’écriture et engagement des novices dans un commun de la connaissance (2000-2018) », Le Mouvement social 2019/3, n° 268, recensé par Adèle Cailleteau, scienceshumaines.com mai 2020

[13] Page actualisée au 6 août 2019 ; le secrétaire d’État était François Autain : mort le 21 décembre, il n’avait alors pas cessé d’être maire de Bouguenais (de 1971 à 1993) ; deux ans avec l’élection de François Mitterrand, il avait attaqué des décisions du préfet de la Loire-Atlantique devant le CE, en obtenant partiellement gain de cause le 19 juin 1985 (Commune de Bouguenais, n° 33120 et 33121, cité dans ma thèse, en note de bas de page 110).

[14] En une minute et vingt secondes, le 24 septembre 2018 ; récemment, le 19 mars 2020, Muy-Cheng Peich l’avait invité à une conférence en ligne sur le traité de Versailles, « inspiré » mais « non ratifié » par les États-Unis (pour citer Patrick Weil, qui indique à la fin travailler à un livre sur la question ; Claire Mermoud prépare à l’UGA une thèse d’histoire du droit actuellement intitulée La contribution de la Société des Nations à l’internationalisation des droits de l’homme).

[15] Patrick Weil, « Marceau Long, un réformateur républicain », in Le service public. Mélanges en l’honneur de Marceau Long, Dalloz, 2016, p. 491, spéc. pp. 493-494, revenant sur la tribune qu’ils ont cosignée début 2004, « aux fins de convaincre le maximum de parlementaires encore réticents » ; v. évent. ma thèse, p. 485

[16] Patrick Weil (entretien avec, par Stéphane Bou et Lucas Bretonnier), « Il y a un abîme de méconnaissance sur la laïcité », Marianne 2 mars 2018, n° 1094, p. 38 ; les propos tenus dans l’enregistrement publié le 6 février 2020 en reprennent certains alors retranscrits (dont cette affirmation : « Quand on parle de laïcité, il est intéressant de noter que l’on en vient toujours à rappeler ce fait qu’il faut apprendre à débattre, à s’affronter sur le terrain des idées… »).

« Le philosophe Edgar Morin dans sa maison de Montpellier, en novembre 2018. Ian HANNING/REA » (Photo reprise d’Edgar Morin (entretien avec, par Francis Lecompte), « Nous devons vivre avec l’incertitude », lejournal.cnrs.fr 6 avr. 2020)

[17] Via ce tweet ; v. aussi Edgar Morin (entretien avec, par Nicolas Truong), « Cette crise devrait ouvrir nos esprits depuis longtemps confinés sur l’immédiat », Le Monde 20 avr. 2020, p. 28 (ayant lu son livre Les souvenirs viennent à ma rencontre, Fayard, 2019, pp. 11-12, le journaliste l’interroge in fine sur sa mère, Luna, qui « a elle-même été atteinte de la grippe espagnole » ; sur l’origine de cette expression, v. infra) : « C’est [aussi] l’occasion de comprendre que la science n’est pas un répertoire de vérités absolues (à la différence de la religion) mais que ses théories sont biodégradables sous l’effet de découvertes nouvelles ».

[18] Mathilde Philip-Gay, ouvr. préc., 2016, p. 5

[19] Là où elle envisage « l’émergence d’une nouvelle branche du droit (…)[,] s’émancipant du droit des libertés fondamentales » (pp. 4 et 9 : ces dernières sont traditionnellement enseignées en L3 dans les facultés de droit, et encore parfois qualifiées de « publiques »).

[20] CE, 10 mai 1912, Abbé Bouteyre, Rec. 553, concl. J. Helbronner ; RDP 1912, p. 453, note G. Jèze ; S. 1912, III, 145, note M. Hauriou ; Les grands arrêts de la jurisprudence administrative (ci-après GAJA), Dalloz, 22ème éd., 2019, n° 22, p. 134 : « Fonction publique – Accès. Pouvoir d’appréciation ».

[21] Quand ils n’affirment pas, avec leurs co-auteurs universitaires, qu’« il est douteux que [cette] position (…) soit toujours représentative de l’état du droit » (GAJA 2019 préc., § 3).

[22] Dans le même sens, et également en cinq minutes, v. cette vidéo de l’Union des FAmilles Laïques (UFAL), 7 sept. 2017

[23] Dans ses conclusions sur l’arrêt Abbé Bouteyre, Helbronner rappelait que « les ministres sont responsables de leurs actes devant le Parlement, qui donne ou refuse son approbation à la politique qu’ils suivent » (v. parmi les extraits reproduits par Jèze dans sa note préc., p. 467, avant de se montrer critique sur ce point, deux pages plus loin). En 2018, Benoît Plessix écrit dans son ouvrage de Droit administratif général, après avoir cité l’article 15 de la DDHC : « dans une démocratie représentative, la formule (…) sert surtout de fondement au pouvoir du Parlement [qui] se confond avec la responsabilité ministérielle » (LexisNexis, 2ème éd., 2018, pp. 1291-1292, § 1038). En mobilisant cet article, le CC vient de consacrer « le droit d’accès aux documents administratifs » (3 avr. 2020, Union nationale des étudiants de France [Communicabilité et publicité des algorithmes mis en œuvre par les établissements d’enseignement supérieur pour l’examen des demandes d’inscription en premier cycle], n° 2020-834 QPC, cons. 8, avec une réserve d’interprétation au cons. 17 ; Camille Stromboni, « Vers une transparence sur les critères de Parcoursup », Le Monde 4 avr. 2020, p. 11, laquelle conclut en envisageant des recours « en direction des universités mais aussi des formations officiellement sélectives »). Claire Bazy-Malaurie n’a pas siégé, sans qu’il ne soit indiqué pourquoi.

À la note 6 de mon précédent billet, je notais que Rivero ne mentionnait pas l’arrêt de 1912 dans sa célèbre chronique de 1949 (v. infra) ; dix ans plus tard, lors de la sixième session du Centre de sciences politiques de Nice, ce qu’il écrit à ce propos (v. ma thèse page 328) est sans doute inspiré de la note d’Hauriou, qui reprochait au CE de n’avoir pas « statué sur toute la question qui lui était soumise » ; il aurait « eu tort de ne pas » affirmer que « l’incompatibilité entre l’état ecclésiastique et la fonction d’enseignement public secondaire doit, au préalable, être établie par décret règlementaire ». Selon Didier Jean-Pierre, un nouvel arrêt de rejet aurait été rendu concernant le même prêtre en 1920 (« Les religions du fonctionnaire et la République », AJFP 2001, p. 41, citant A. Guillois, « De l’arrêt Bouteyre à l’arrêt Barel. Contribution à l’étude du pouvoir discrétionnaire », Mélanges A. Mestre, Sirey, 1956, p. 297 ; en note également, l’auteur signale le prolongement de l’avis contentieux Marteaux : TA Châlons-en-Champagne, 20 juin 2000 ; LIJMEN 2000, n° 48, p. 34). Lors de cette même session de 1959 sur La laïcité, dont les actes ont été publiés aux PUF en 1960, Jean-René Dupuy l’envisageait « dans les déclarations internationales des droits de l’homme » (pp. 145 et s. ; v. infra le I. B.).

[24] Recueil Lebon 1917, p. 637, cité par Denis Baranger, « Comprendre le « bloc de constitutionnalité » », Jus Politicum. Revue de droit politique juill. 2018, n° 20-21, p. 103, spéc. pp. 111-112 (j’ajoute la majuscule à Constitutions).

[25] Le texte de 1905 peut être lu ici ; son « objet central est essentiellement patrimonial » (Pierre-Henri Prélot, « Les transformations coutumières de la loi de 1905 », Droit et religion en Europe. Études en l’honneur de Francis Messner, PU Strasbourg, 2014, p. 519, spéc. p. 521 : « il existe un droit de la laïcité qui se déploie bien au-delà de [s]a lettre immobile »). L’article 2 alinéa 2 fait référence aux « écoles », mais il ressort du rapport du sénateur Maxime Lecomte que « cette dernière expression doit s’appliquer aux grandes écoles, à de nombreux internats et non aux écoles primaires, pour lesquelles il existe une législation à laquelle il n’est pas dérogé » (Dalloz 1906, IV, 7 ; prévu par la loi Ferry de 1882, ce système de la « journée réservée » figure aujourd’hui à l’article L. 141-3 du Code de l’éducation).

Cet article confère une « légitimité laïque à ce qui pourrait sembler une atteinte à la séparation matérielle. C’est une liberté individuelle qui est soutenue, pas une croyance ou une église. L’État reste neutre et séparé ; il se contente de reconnaître la nécessité d’une organisation particulière de l’accès à l’exercice du culte là où le croyant est placé dans la dépendance de l’État, dans les hôpitaux, asiles, armées et prisons [cite ensuite CE Ass., 6 juin 1947, Union catholique des hommes du diocèse de Versailles, Rec. 250, en ligne]. On est donc dans la logique des droits de l’homme, pas dans celle d’un État confessionnel ; la séparation entre le spirituel et le temporel est respectée » (Vincent Valentin, « Le principe de laïcité et la prison », in Aurélien Rissel (dir.), « Les religions en prison. Entre exercice serein et exercice radicalisé. Regards croisés », Revue Juridique de l’Ouest (RJO), n° spécial 2018, p. 23, spéc. p. 25).

[26] Avec un autre du même jour, il fait partie de ces 114 premiers GAJA (CE Ass., 1er avr. 1949, Chaveneau et a. et Comité catholique des parents des élèves des lycées et collèges de Seine-et-Oise ; 1ère éd., 1956, rééd. 2006, p. 283, n° 84, intitulé « Laïcité de l’enseignement »). Abbé Bouteyre était le n° 29, p. 93 ; s’y trouvait déjà mentionné (page 95) le « principe de l’égale admission de tous aux emplois publics posé par la Déclaration des droits de l’homme (et repris aujourd’hui par le préambule de la Constitution de 1946) ». En 1912, Helbronner s’était manifestement emmêlé les pinceaux : il mentionnait en effet « l’art. 6 de cette même déclaration », alors qu’il venait de citer celle de 1793 ; l’article 5 qu’il reproduit est toutefois quasiment identique, l’un et l’autre affirmant un droit d’égal accès aux emplois publics.

[27] Le second de ces deux arrêts du 28 janvier 1955 s’intitule Aubrun et Villechenoux.

[28] Dans le même sens, Émile Poulat (1920-2014) écrivait, dans le Rapport public 2004. Un siècle de laïcité : « Notre expression « liberté de conscience » est fortement codée et susceptible de bien des sens » (p. 450).

[29] Laélia Véron, « [Leïla Slimani dans Le Monde, et Marie Darrieussecq dans Le Point] : romantisation du confinement », ASI 24 mars 2020 ; de la même autrice, avec Maria Candéa, « Qui a peur de la langue française ? », AOC 4 juin 2019 : « Quand Christophe Castaner parle (en mars 2019) des proviseurs des établissements scolaires comme de « patrons » qui doivent le convaincre en tant qu’« investisseur », il contribue lui aussi à banaliser une vision néolibérale du monde qui délaisse les notions de service public et d’intérêt général pour leur préférer celles d’entreprise et de rentabilité ». « Qui faisait provision de cartouches de LBD, de gaz lacrymogènes et de grenades de désencerclement au lieu de reconstituer les stocks de masques ? Réponse : l’État, ou plus exactement, ses représentants », rappellent Christian Laval et Pierre Dardot « à l’adresse [de ce]s amoureux amnésiques » ; « il faut prendre garde à la vision de l’État qu’on défend », en particulier celui « néolibéral et souverainiste, tel qu’il semble rejaillir aujourd’hui dans les discours. (…) Il suffit de prêter attention aux mots employés par Macron, mais qui pourraient se retrouver dans la bouche d’autres dirigeants » (« Souveraineté d’État ou solidarité commune », AOC 21 avr. 2020 ; italiques des auteurs ; v. aussi Bénédicte Chéron, « À trop mobiliser le registre militaire face à toute crise, les mots perdent leur sens », Le Monde le 23, p. 26).

Capture d’écran d’un tweet de Pierre Monégier, 19 mars 2020

Pour une initiative réconfortante, v. les petites chroniques de philosophie, dont celle du 6 avril relative à Gratitude (Bourgeois) d’Oliver Sacks, par Laure Adler (déjà citée dans mon billet du 24 avril 2018, (le droit à) « l’éducation à la sexualité », dont j’ai repris certaines formules pour ma leçon relative aux parents d’élèves).

Parmi mes découvertes fortuites sur la base de données Europresse, Alexandre Pauze, « À Riocreux, un confinement à la campagne pour les mineurs isolés », Le Progrès (Lyon) 3 avr. 2020, p. 15 (Firminy-région) : leur hébergement a lieu dans un foyer « en pleine nature dans le Pilat », à Saint-Genest-Malifaux (près du « 1er col à plus de 1000 mètres franchi par le Tour de France cycliste le 5 juillet 1903 », le col de La République ; v. l’une des photos de Gillou, le 26 avr. 2014) ; eux – et elles ? – aussi « sont empêchés de circuler librement : « C’est compliqué puisque ce sont déjà des jeunes qui n’ont pas accès à grand-chose, et notamment pas à la scolarité, car ils ne sont pas encore considérés comme mineurs non accompagnés, souligne Jean-Charles Guillet [directeur du pôle insertion, inclusion, justice à Sauvegarde 42, lequel nuance plus loin en saluant l’inventivité des éducateurs/trices ?] pour adapter les règles de promiscuité durant les temps de repas ou les parties de foot ». V. toutefois Olivier Epron, « Les mineurs isolés, encore plus isolés avec le confinement », solidarite-laique.org 16 avr. 2020, avec l’article lié.

[30] Dans son ouvrage précité (2019, p. 198), Bruno Garnier rappelle toutefois une formule de Jaurès : « il n’y a que le néant qui soit neutre » (« La valeur des maîtres », Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur 25 oct. 1908, reproduit in Jean Jaurès, De l’éducation. Anthologie, Nouveaux Regards, 2005, p. 184) ; pour en lire d’autres, v. la deuxième illustration légendée de mon billet du 9 décembre 2018, « Les laïcités-séparation ».

[31] Pour la référence à ce discours de Buisson – bien moins cité que la Lettre de Ferry –, v. ma thèse p. 311

[32] J. Tardieu, concl. sur TC, 2 juin 1908, Girodet c. Morizot, D. 1908, III, 83 (note M. Hauriou), spéc. p. 85 ; ces conclusions comprennent aussi cet extrait : « quand, au lieu d’un exposé de principes, fait de manière sérieuse et décente, nous rencontrons des propos grossiers et injurieux, des définitions irrévérencieuses ou grotesques, des railleries malséantes ou de basses plaisanteries sur Dieu, sur les religions, sur les ministres des cultes, et des propos blessants à l’adresse des croyants, nous voyons apparaître non plus le fonctionnaire accomplissant un service d’État, non plus l’instituteur, mais l’homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences. En un mot, nous n’avons plus en face de nous une faute administrative, mais une faute personnelle » (je souligne).

Édouard Laferrière (1841-1901), conseil-etat.fr

C’était reprendre une allitération aussi célèbre que son auteur (v. ci-contre), généralement citée en L2 DAG (droit administratif général) : concl. sur TC, 5 mai 1877, Laumonnier-Carriol, Rec. 437, citées in GAJA 2019 préc., n° 2 : « Responsabilité. Faute personnelle et faute de service. Distinction » (30 juill. 1873, Pelletier), p. 8, spéc. p. 11, § 2. Dans ses « Propos introductifs », in AFDA, La doctrine en droit administratif, Philippe Yolka remarquait que « bon nombre de rapporteurs publics devant la juridiction administrative conservent une discrétion pudique sur leurs sources d’inspiration. Mais leur reprocher serait faire un mauvais procès : leur propos (…) n’est pas d’ordre scientifique et les règles du jeu sont, de fait, différentes » (Litec, 2010, p. XVII, spéc. p. XXI, en note de bas de page).

Avocat à la cour, Éric Sagalovitsch fait observer à propos des conclusions qu’il n’est pas plus obligatoire qu’hier « de les publier » (« Pour une évolution du statut juridique des conclusions du rapporteur public », AJDA 2018, p. 607) ; plus loin, il rappelle aussi que Pascale Gonod, « qui a consacré sa thèse à Édouard Laferrière, souligne dans l’avant-propos de son travail qu’elle s’est heurtée à la principale difficulté tenant à ce que « sa recherche n’a pas pu être nourrie de ses nombreuses conclusions de commissaire de gouvernement qu’elle n’a pu retrouver dans des archives publiques ou privées » (Édouard Laferrière, un juriste au service de la République, LGDJ, mai 1997, page XVII). Elle relate même « qu’il ne reste aujourd’hui que de très rares traces d’activités de Laferrière comme commissaire du gouvernement […] Si son nom figure en qualité de commissaire du gouvernement dans 2 603 décisions reproduites au recueil des arrêts, les conclusions de Laferrière contrairement notamment à celles de son collègue David sont peu publiées tant au Lebon que dans les principales revues juridiques de l’époque : seules quatre d’entre elles ont été intégralement publiées » (préc., p. 35) ».

L’année suivante, Thomas Perroud ouvre Les grands arrêts politiques de la jurisprudence administrative [GAPJA] en renvoyant à un enregistrement audio de Jean-Jacques Bienvenu, mis en ligne le 26 mars 2015 (LGDJ/Lextenso, 2019, p. 16, spéc. p. 18 ; dans le même ouvrage, v. Stéphanie Hennette-Vauchez, obs. sous CE, 2 nov. 1992, Kherouaa, n° 130394, p. 460, spéc. p. 478, concluant pour sa part que « l’affirmation de la liberté d’expression des élèves paraît fournir un élément de recadrage intéressant » ; comparer ma thèse, p. 1211). « Catholique très fervent, David était le père de Mgr David, camérier [chargé du service personnel] du pape » (Vincent Wright, Revue d’histoire de l’Église de France 1972, n° 161, p. 259, spéc. p. 280 ; v. aussi son article « L’épuration du Conseil d’État en juillet 1879 », Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine 1972, n° 19-4, p. 621, mentionnant déjà Edmond David, « mis à la retraite », pp. 635-636, avant de le citer).

[33] En 1916, Jèze critiquera sa mobilisation dans une autre affaire, ce qui ne la fera pas cesser pour autant (v. évent. ma thèse page 320).

[34] Il est question de « garanti[r] la liberté de conscience de chacun » ; v. infra pour la circulaire Peillon, cette « Charte » étant mobilisée au risque d’inverser la hiérarchie des normes. Lors du colloque précité – qui devait avoir lieu le 10 avril à Rennes (note n° 1) -, Éric Péchillon devait traiter du « recours incontournable au pouvoir réglementaire et para-réglementaire ».

[35] Cet article L. 141-5-2 du Code de l’éducation applique aux « abords immédiats [des établissements] et pendant toute activité liée à l’enseignement » une peine d’amende déjà prévue par l’article 31 de la loi de 1905.

[36] Dans le contexte français, ainsi que l’avait montré Aurore Le Mat à l’occasion du colloque annuel de l’Association française de science politique, en 2013, c’est souvent dans « le registre de la “liberté de conscience” » que des mouvements catholiques s’opposent à certains programmes d’éducation à la sexualité.

[37] Jeudi 16 avril, les autorités de ce pays ont envisagé de « profite[r] de la crise pour détruire [le]s droits » des femmes polonaises, selon une formule d’Anna Zaradny (citée dans cet article de liberation.fr les 15-16). D’après Justine Salvestroni, correspondante à Varsovie, le projet de loi, qui visait « l’interdiction totale de l’avortement en cas des graves malformations de l’embryon [plus de 95% des cas,] est finalement retourné en commission parlementaire, sans date de vote prévue » ; l’autre texte à l’ordre du jour était « la criminalisation de l’éducation sexuelle, un projet également porté par Ordo Iuris, et intitulé « Arrêtons la pédophilie » ». Pour le magazine LGBT suisse 360.ch, Antoine Bal indique qu’il aurait connu le même sort.

Il y a près d’un an, la presse française s’était déjà faite l’écho des réactions à la « signature, fin février, par le maire de Varsovie, Rafal Trzaskowski, d’une « charte LGBT+ » en faveur des droits des homosexuels » ; depuis, « de nombreuses fausses informations sur des « cours de masturbation » dans les écoles, la « sexualisation des enfants dès l’âge de 4 ans » circulent dans les médias progouvernementaux » (Jakub Iwaniuk, « La communauté LGBT, bouc émissaire des ultraconservateurs polonais », Le Monde 10 mai 2019, p. 4 ; v. aussi le 23 juill., p. 4).

[38] Le 20 avril, Nicolas Hervieu indiquait sur son compte twitter : « le juge islandais Robert #Spano a été élu Président de la Cour européenne des droits de l’homme. Successeur du grec Linos-Alexandra Sicilianos, il a vocation à assumer cette présidence jusqu’en 2022 ».

[39] Julien Bouchet, La laïcité républicaine, Presses universitaires Blaise Pascal, 2019, p. 9 ; l’année précédente, dans Les ennemis de la laïcité (Lemme éd., 2018), la quatrième de couverture cite Jaurès dans L’Humanité 2 août 1904, mentionnant relativement à l’enfant « le droit essentiel que lui reconnaît la loi, le droit à l’éducation » ; il ne l’est ainsi que depuis la loi Jospin de 1989, venue élargir le « droit à la formation scolaire » prévu seulement en 1975 par la loi Haby. Un an avant l’adoption de la loi de 1905, alors que le culte était encore un service public, le ministère avait écarté des prêtres sans qu’aucun de ces derniers ne forment de recours en justice ; cela ressort des conclusions d’Helbronner dans l’affaire Abbé Bouteyre : le « petit père » Combes n’entendait pas rompre avec la tradition gallicane, non-séparatiste (v. ma note de bas de page 367, n° 2286, ainsi que la conclusion de ma première partie : Entre absence du droit à l’éducation et références aux droits d’éducation, p. 615, spéc. 619) ; en 2016 a été publiée par l’Institut universitaire Varenne une thèse de droit public – soutenue en octobre 2015 à Paris II – que je signale, bien que je ne l’ai pas – encore – lue, celle de Nicolas Sild, Le gallicanisme et la construction de l’État (1563-1905).

[40] Comparer Bernard Toulemonde, « La laïcité de l’enseignement : que dit le droit ? », in Ismail Ferhat et Bruno Poucet, La laïcité, une passion française ? Perspectives croisées, Artois Presses Université, 2019, p. 89, spéc. p. 96, en présentant l’affirmation qui suit en lien direct avec l’avis de 1972 : « il est vrai que les prêtres ne portent plus habituellement les habits et signes ostentatoires d’autrefois » ; tout se passe comme si le problème de confier des fonctions d’enseignement – primaire et secondaire – à des prêtres serait venu de la soutane qu’ils portaient (et, précisément, ils pouvaient alors enseigner – à l’Université – en les portant)…

[41] Au terme des obs. sous le GAJA 2019, n° 22 (Abbé Bouteyre préc.), les auteurs concluent qu’« il n’était pas exclu que des pressions soient exercées sur des jeunes filles pour les obliger à porter des signes religieux » (p. 139, § 5). Cela n’a donc pas été prouvé, en servant à l’interdire pour toutes, même celles dont il pourrait être prouvé au contraire que les pressions dont elles ont été l’objet aura consisté à leur demander de les ôter.

[42] J’avais envisagé d’écrire : celles qui ne subissent ni « n’exercent aucune pression sur les autres » ; en effet, l’un des arguments a été de prétendre protéger les premières, alors même qu’il est réversible : des filles forcées de porter un foulard ont ainsi pu être exclues et renvoyées là où elles subissent ces pressions (le cas échéant)…

[43] La restriction de son droit à la liberté de conscience (religieuse) a été admise, alors même que cette même liberté n’implique pas l’interdiction de signes religieux dans les locaux de ces établissements (sa signification se décline selon chacun d’eux, en fonction de leur « caractère propre ») ; il s’agissait d’une collégienne d’un établissement catholique de Tourcoing ; dans son ouvrage précité, Bruno Garnier en évoque un qui porte le même nom, « le collège Bienheureux Charles de Foucauld à Puteaux, construit sur un terrain de l’ÉPAD (Établissement public d’aménagement de la Défense) », pour illustrer le cas « des établissements privés non mixtes sous contrat avec l’État » (2019, p. 121).

Portraits repris d’Alexandre Devecchio, « Gilles Kepel/ Jean-Michel Blanquer, le débat « Esprits libres » », lefigaro.fr 11 mars 2020 ; comparer Claire Beaugrand et al., « Islam : reconquérir les territoires de la raison », blogs.mediapart.fr le 19 févr., ainsi que mon billet du 29, en particulier la note n° 55

Depuis son ouverture, en 2012, s’y trouve pratiquée une « mixité partagée », autrement dit très limitée : v. Marie Huret, « Séparer les filles et les garçons à l’école : progression ou régression ? », madame.lefigaro.fr 28 oct. 2019 (contrairement à ce qui est affirmé, les décrets relatifs à la mixité ne sont pas applicables dans les établissements privés ; v. ma thèse, pp. 997 à 1001, avec la fin de la note n° 2302) ; v. aussi l’entrée « tenue » du règlement (c’est seulement à propos des « congés » qu’il est fait mention du « contrat d’association avec l’État », signé selon l’éditorial de Laurence de Nanteuil en septembre 2018. Le 12, une circulaire n° 2018-111 était signée par Jean-Michel Blanquer à propos de l’éducation à la sexualité ; aucune référence directe n’était faite, dans ce texte, aux établissements sous contrat.

[44] Dans une série de petites vidéos réalisées par le rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, intitulée « Idées fausses sur la #laïcité », l’épisode n° 3 est : « Un signe ostensible et un signe ostentatoire, c’est pareil » (tweet du 22 avr. 2020). Quand Nicolas Cadène dit « etc. », faut-il intégrer les jupes longues ? Selon Gwénaële Calvès, il ne faudrait pas « [i]roniser [sur] la prétendue « jupe longue » » (Territoires disputés de la laïcité. 44 questions (plus ou moins) épineuses, PUF, 2018, p. 140, n° 27 : « Manifestation ostensible d’une appartenance religieuse », spéc. p. 141 ; v. à cet égard infra).

[45] Philippe Portier, « L’inclination identitaire de la laïcité française. Retour sur une controverse (1988-2018) », Vie sociale 2018, vol. 21, n° 1 : « Laïcité et travail social. Du principe aux pratiques », p. 35, spéc. p. 44 (italiques de l’auteur).

[46] « Une laïcité vendéenne ? », 25 févr. 2018

[47] Je reprends ici une phrase employée page 451 de ma thèse (en renvoyant en note n° 2881 à Jean Baubérot, Les 7 laïcités françaises. Le modèle français de laïcité n’existe pas, éd. MSH, 2015, pp. 50-51). C’est l’occasion de deux remarques : j’évoquais alors une « obligation de neutralité » ; contra Gwénaële Calvès, ouvr. préc., 2018, p. 141 : effectivement, il faut être précis… ; en ce sens, se revendiquer de Jean Rivero, comme elle le fait page 16 – en évoquant un « scrupule de laïcité » –, ne l’est guère : en effet, le professeur de droit poitevin (et catholique) entendait dénoncer les cas où « la laïcité en vient à renier elle-même ses maximes essentielles, ou, plus simplement, porte son scrupule à un point qui frise l’absurde » (« La notion juridique de laïcité », D. 1949, p. 137, spéc. p. 139).

Deuxièmement et parce qu’il présuppose un sens aux bases constitutionnelles de « la Laïcité », Mathieu Touzeil-Divina s’indigne de ce qu’« il fau[drait] nier la valeur positive pleine et entière du principe et n’en faire qu’une norme législative acceptant les exceptions. C’est très exactement l’objectif que se fixent deux des plus grands promoteurs français (chrétiens catholique et protestant de la Laïcité ; René Rémond (1918-2007) et Jean Baubérot (…)) [qui, assure-t-il à propos de celle qu’il prône, la] qualifient « d’extrême » (…) car elle exclurait trop de croyants » (« Un mythe républicain : « La Laïcité est un principe constitutionnel » », Dix mythes du droit public, LGDJ/Lextenso, 2019, p. 53, spéc. p. 82). C’est surtout là « très exactement » le genre d’amalgames qu’il n’est possible de faire qu’en s’autorisant des remarques beaucoup trop rapides, faute d’avoir vraiment lu l’auteur du livre de référence précité (entre autres sur la question laïque). À moins qu’il se soit agi d’illustrer l’une des 7 laïcités françaises identifiées, celle « antireligieuse » (ouvr. préc., 2015, p. 27) ; v. aussi Une si vive révolte, éd. de l’Atelier, 2014, p. 227, où il reprend un extrait d’un texte paru sur son blog, « Éloge du doute et d’une certaine manière de croire », 28 mai 2010 (au-delà de Jean Baubérot, bien qu’il soit évoqué – juste avant Jean Carbonnier –, v. Patrick Cabanel, « Lieux et moments de la contestation protestante », in Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel (dir.), A la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Seuil, 2012, p. 353, spéc. pp. 357-358 ; pour un entretien de Jean Lebrun avec cet auteur, rediffusé récemment et qui revient plus largement sur la critique – notamment catholique ! – de l’apport protestant aux laïcités françaises, écouter « Ferdinand Buisson, père de l’école laïque », 25 janv. 2017 (quant à René Rémond et s’il a pu avoir des « états d’âmes » après la remise du rapport de la commission Stasi, il ne s’est pas opposé à ce qui allait devenir la loi de 2004, laquelle a conduit à des exclusions – mais pas de catholiques il est vrai… : v. ma page 484).

[48] Concernant ce pays, l’exclusion d’une étudiante en médecine voilée a été admise ; parce qu’elle « était donc simplement usager et non agent public », Jean-Paul Costa et Rémy Schwartz ont cru pouvoir écrire – dans Les grands avis du Conseil d’État, sous celui de 1972 et – à propos de celui contentieux Marteaux, que ce dernier « a été, a fortiori, entièrement validé » par cet arrêt Leyla Sahin contre Turquie ; et de préciser qu’il a été « rendu en grande chambre par seize voix contre une » (Dalloz, 3e éd., 2008, p. 101, spéc. 105), sans toutefois aller jusqu’à renvoyer à l’Opinion dissidente de la juge belge Françoise Tulkens (v. ma longue note de bas de page 959, n° 2034).

[49] V. ma thèse, p. 441, avec les références citées (dont celles reprises dans le cours : André Legrand, L’école dans son droit, Michel Houdiard éd., 2006, p. 118 ; Jean Baubérot (entretien avec Mustapha Belbah et Claire de Galembert, le 14 juill. 2006), « Dialogue avec l’abstentionniste de la commission Stasi », Droit et société 2008/1, n° 68, p. 237, spéc. p. 245).

Guy Bedouelle et Jean-Paul Costa, PUF, 1998 (archive.org) Selon la quatrième de couverture, la « « laïcité » dans le contexte français n’est nullement un concept univoque, mais complexe et varié. [Et d’en évoquer plus loin trois, la première étant] celle du passé avec ses combats et ses raideurs (…) ».

[50] Dans un ouvrage intitulé Les laïcités à la française (PUF, 1998), co-écrit avec un professeur d’histoire de l’Église à la Faculté de théologie de Fribourg-en-Suisse (Guy Bedouelle), Jean-Paul Costa s’était notamment chargé du sixième chapitre (« La laïcité et l’école », p. 91), mais aussi du neuvième (« La laïcité en Alsace et en Moselle », p. 143)…

[51] À propos de cet arrêt n° 419595, v. encore mes billets du 9 juillet 2018 et du 29 septembre 2019, en note n° 20, ainsi que la note critique d’Emmanuel Aubin, AJFP 2019, p. 51, à partir notamment du « régime d’incompatibilités lui interdisant de cumuler sa fonction avec d’autres responsabilités au sein de l’établissement » (contra les conclusions de Frédéric Dieu, JCP A 2018, 2331). Un autre arrêt date de ce même 27 juin 2018, Union des associations diocésaines de France et Monseigneur Pontier, n° 412039, cons. 8 ; rendu quant à lui sur les conclusions de Gilles Pellissier, il s’éloigne aussi de la laïcité historique (v. en ce sens l’article de Philippe Portier cité dans le présent billet) : « Suivant le rapporteur public, le droit de l’État d’imposer une formation particulière aux aumôniers trouve son fondement « dans la spécificité de l’exercice des cultes au sein des services publics et dans l’intérêt général qui s’attache à ce que les représentants des religions qui interviennent dans ces services soient sensibilisés aux valeurs qui sont les leurs (…)[,] celles de la République telles qu’elles sont proclamées par la Constitution, au nombre desquels figurent l’égalité et la laïcité. Les aumôniers n’investissent pas seulement un espace de liberté religieuse absolue qui leur serait ménagé à l’intérieur des établissements fermés. (…) » » (Caroline Bugnon, « L’application du principe de laïcité au sein des établissements pénitentiaires », RDP 2019, p. 913, spéc. p. 934 ; je souligne ; à propos des aumôniers, v. aussi les notes liées à l’illustration supra).

[52] v. Frédéric Dieu, « Laïcité et services publics : service public, service laïque ? », in Béligh Nabli (dir.), Laïcité de l’État et État de droit, Dalloz, 2019, p. 89, pp. 111-112, en note de bas de page n° 70 (2 mai 2016, n° 395270), avant de suggérer l’extension aux « personnes participant à une activité scolaire » par l’esprit de la loi de 2004, formule qu’il explicite en note de bas de page en visant les « parents accompagnateurs des sorties scolaires ». Le maître des requêtes au CE de terminer son texte sur le cas des avocats, jurés de cours d’assises et experts judiciaires, « soumis à une obligation d’impartialité (art. 237 du Code de procédure civile), aussi stricte que celle qui pèse sur le juge » ; « pour prévenir tout risque de récusation, les experts judiciaires doivent s’abstenir, lors de l’audience, de manifester leurs convictions religieuses ». Une telle déduction devrait surtout conduire des requérantes à récuser ce juge aux convictions anti-religieuses si manifestes.

« Les étudiants de médecine sur le terrain », univ-grenoble-alpes.fr 2 avr. 2020

[53] « Dans la crise due au coronavirus, nous avons eu la chance d’être touchés trois à quatre semaines plus tard que l’Italie » ; « Les étudiants en médecine ont été appelés, mais aussi des médecins et des infirmières à la retraite, des réfugiés disposant d’une formation médicale, notamment des Syriens » (Michael Stolpe, expert en santé publique à l’institut économique de Kiel, cité par Cécile Boutelet et Thomas Wieder, « Forces et faiblesses des hôpitaux allemands face au virus », Le Monde 30 avr. 2020, p. 10 : « il ne suffit pas d’avoir des lits en soins intensifs, encore faut-il avoir le personnel formé capable de soigner les patients. C’est justement là que l’Allemagne accuse un déficit chronique, qui n’a été levé, depuis le début de l’épidémie, que grâce à un dispositif exceptionnel »).

[54] Dans mon cours, j’évoque le non-recours en la matière, illustré dans l’agglomération grenobloise ; au début de ma note sous cet arrêt n° 17LY03323 (Rev.jurisp. ALYODA 2020, n° 1), je précise que celui formé dans celle lyonnaise s’explique par la formation d’une des deux requérantes. Amal, elle aussi, « veut devenir avocate » ; pour une version de concert, celui pour Arte n’étant malheureusement plus disponible, je renvoie à celui du 2 décembre dernier à Bercy (où il est accompagné de plusieurs voix. Cette chanson est alors dédiée par Kery James « à toutes les familles de violences policières » ; à la sœur d’« Amine Bentounsi [qui fut] le plus jeune incarcéré de France, pendant six mois à Fleury-Mérogis, pour un incendie » (Mehdi Fikri le 11 janv. 2016 à partir de ce lien le 7 nov. 2018 ; v. aussi l’entretien de Kery James avec Nadir Dendoune, lecourrierdelatlas.com le 28 ; v. auparavant Françoise Vergès (entretien avec, par Marion Rousset), « Sœurs de lutte », Le Monde Idées 4 mars 2017, p. 2, rappelant qu’il a été « tué en 2012 par un policier à Noisy-le-Sec »).

« Des incidents ont éclaté à la suite d’un accident de moto impliquant la police, samedi [18 avril 2020], à Villeneuve-la-Garenne » (Hauts-de-Seine) ; l’application lancée par Amal Bentounsi, Urgence violences policières, « a été téléchargée 3 600 fois depuis » le 10 mars (Nicolas Chapuis et Louise Couvelaire, « Regain des tensions dans plusieurs quartiers défavorisés », Le Monde le 23 avr. 2020, p. 11). « De fait, les interpellations violentes ou les « accidents » comme celui du 18 avril sont loin d’être inédits » (Ilyes Ramdani, « À Villeneuve-la-Garenne, retour sur une colère raisonnée », bondyblog.fr le 25) ; v. depuis le billet de Daniel Schneidermann, ASI le 27 : après avoir rappelé le 17 octobre 1961, le journaliste écrit : « Les racistes d’aujourd’hui (…) procèdent par sous-entendus contre l’islam. Ils se camouflent sous l’étendard de la “laïcité” ». Ils « expriment leur racisme[,] sous couvert de laïcité », rappait Kery James dans sa Lettre à la République (2012).

Ajout au 30 mai 2020 de ses tweets des 21 avril et 27 mai.

Cecilia Beaux, Portrait de Clemenceau (1920, Washington, Smithsonian American Art Museum), culture.gouv.fr ; il fût l’un des « malades célèbres » de La Grande Grippe. 1918. La pire épidémie du siècle (Vendémiaire, 2018, selon la recension d’Annie De Nicola, 23 oct.) ; pour l’auteur,qui explique qu’elle est qualifiée d’« espagnole » parce que cette presse « en a parlé avant les autres », il « y a aussi eu des fermetures de cinémas, de théâtres, d’écoles, mais ce qui est très différent de la situation actuelle, c’est qu’il n’y avait aucune mesure nationale. Tout se faisait à l’échelon local, à la discrétion des préfets » (Freddy Vinet (entretien avec, par Florent Georgesco), Le Monde des Livres 20 mars 2020, p. 8). Je remercie les deux étudiantes de L2 qui, par leurs accroches originales, m’ont fait découvrir cette peintre franco-américaine, le médecin espagnol qu’était Gregorio Marañón et, par suite, cette anecdote en lien avec l’actualité.

[55] Joan W. Scott (propos traduits de l’américain par Joëlle Marelli et recueillis par Anne Chemin ; entretien avec Dominique Schnapper), « Laïcité, de la théorie à la pratique », Le Monde Idées 29 sept. 2018 (je reprends ici une citation ne figurant pas dans le cours ; l’historienne d’ajouter alors que « l’inégalité de genre a été fondamentale pour la formulation de la séparation des Églises et de l’État qui inaugure la modernité occidentale »). De l’utilité du genre, pour reprendre le titre de son recueil publié chez Fayard (2012), en cette période de confinement :

Stéphanie Hennette-Vauchez, « L’urgence (pas) pour tou(te)s », La Revue des Droits de l’Homme ADL 2 avr. 2020 ; « Dans le genre confiné·e·s », Les couilles sur la table le 27 : intervenant en alternance avec Thomas Rozec, Victoire Tuaillon remarque : « les “grands hommes”, ce sont de Gaulle ou Clemenceau » (v. ci-contre) ; « Inégalités femmes-hommes : y a-t-il une lecture de genre de la crise ? », Le Temps du débat d’Emmanuel Laurentin le 29, avec Hélène Périvier, Laure Murat et Laura Freixas.

Ajout au 30 mai, en citant Cécile Chambraud, « Une femme candidate pour succéder au cardinal Barbarin comme évêque de Lyon », Le Monde le 27, p. 12 : « Anne Soupa, une théologienne de 73 ans, s’est portée candidate, lundi 25 » ; « elle propose de distinguer les fonctions de gouvernement du diocèse, qui pourraient être confiées à une femme, de celles liées à la prêtrise ».

[56] Bruno Garnier, ouvr. préc., 2019, p. 61, entre deux affirmations discutables, même s’il nuance la première en rappelant que la loi de 1886 « s’applique progressivement, compte tenu du nombre important de religieuses dans l’enseignement féminin » : « il s’agissait surtout de soustraire l’instruction primaire des filles à l’influence dominante des congrégations religieuses qu’avait favorisée la loi Falloux (…). Jules Ferry constitue l’instruction en service public, ce qui permet tout particulièrement, la laïcisation de l’enseignement primaire des filles » (souligné par l’auteur ; contra ma thèse, respectivement pp. 83 à 98 et 135).

[57] V. les articles 17 et 18 de la loi Goblet (30 oct. 1886), puis l’article 70 de la loi de finances du 30 mars 1902, cité à l’entrée « Laïcité » du Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (1911) ; Claude Lelièvre, « La laïcisation du personnel de l’enseignement public… », 2 nov. 2016 (ces références pour préciser la page 326 de ma thèse, 2017) ; en version condensée, v. aussi la page 214 du Code de l’éducation 2020 qui, depuis 2000, « substitue aux mots « écoles publiques de tout ordre » l’expression plus moderne mais non dénuée d’ambiguïté juridique d’« établissements du premier degré publics » (art. L. 141-5). À noter que pour les écoles de filles la substitution du personnel laïque au congréganiste décidée en 1902 (L. de finances du 30 mars 1902, art. 70) ne fut effective qu’en 1913 ». Et pour refermer la boucle de ce billet, en revenant aussi à la première illustration, v. Bérengère Kolly, « L’Action Féministe et les institutrices : un « événement de parole » au début des années 1910 », La Pensée d’Ailleurs oct. 2019, n° 1 (209 p.), p. 49, spéc. p. 60

En marche vers les municipales (1). Étude(s) d’impact et Conseil(s) d’État (laïque ?)

Dessin de Diego Aranega, Le Canard enchaîné 16 oct. 2019, p. 2

Dans mon avant-dernier billet, je terminais par une citation sans en préciser l’auteur (v. ci-contre) ; l’arrêt du Conseil d’État qui s’y trouve évoqué reste attendu, tout comme celui qui devrait être rendu à propos du port du voile (par des mères) et des activités scolaires. Pour celles ayant lieu en classe, une interdiction a été admise par la Cour administrative d’appel de Lyon dans un arrêt du 23 juillet (n° 17LY04351), soit trois jours avant la loi n° 2019-791 « pour une école de la confiance » ; à la fin de l’année, j’ai rédigé successivement une note et un article qui ont fait l’objet de publications en ce mois de janvier. Parce que je les ai pensées ensemble, en ayant en tête un triptyque, je les complète enfin en ouvrant cette série de billets.

En avril 2019, le sociologue Éric Fassin invitait à remarquer sur LCP des « images [qui] montrent Marine Le Pen se levant parmi les premiers pour mieux applaudir le ministre », en novembre 2017 à l’Assemblée nationale (twitter.com, in fine)[1]. L’ancien professeur de droit avait alors commis une belle erreur[2] ; moins de deux ans plus tard, il se livrait à ce qui devrait être considéré comme un manquement à la laïcité de l’État : ayant pour sa part déclaré qu’il « n’est pas souhaitable que les responsables politiques s’érigent en théologiens »[3], Aurélien Taché a été sommé par Jean-Michel Blanquer de s’expliquer : « Ce 22 octobre, l’entretien, d’une quarantaine de minutes, est glacial. (…) « Le problème, ce n’est pas que tu dises que le voile n’est pas souhaitable, insiste M. Taché, c’est que tu le dises comme ministre ! ». Le député finit [toutefois par devoir] s’excuser, par voie de communiqué. (…) Blanquer est un moine laïque pour qui l’école est sacrée », résume Jean-Marc Borello, haut cadre de LRM ». Soucieux d’éviter ce qui « brouillerait la lisibilité de son propos »[4], le ministre préfère se définir comme un « républicain social » – lui qui « rogne les fonds sociaux » (nationaux)[5].

Dans une émission montrant qu’il est possible d’avoir un engagement à « La République En Marche », tout en ne limitant pas son intérêt pour l’Amérique latine à la communication politique, il m’a appris qu’existerait un « Bolivar d’extrême-centre » ; surtout, pour Jean-Michel Blanquer, ne pas « manque[r] de contradictions » (selon Goethe, cité par Jean-Noël Jeanneney), ce serait faire preuve de « dialectique »[6]

Le 24 septembre, mettant en scène son indignation d’une affiche de la FCPE, il affirmait sur RMC-BFM TV : « Il faut avoir le sens de l’histoire ». Précisément, cette Fédération des Conseils de Parents d’Élèves – des écoles publiques – « s’est construite autour du principe de laïcité, à la fin des années 1940, à l’initiative du Syndicat national des instituteurs qui a voulu en faire un allié dans sa lutte contre l’extension de l’enseignement privé »[7].

Vingt jours avant la déclaration précitée, un historien en commentait une autre, faite sur France Inter le 17 juin 2019 (« Il y a une phrase de Jean Zay que j’aime bien : « Il faut que les querelles des hommes s’arrêtent aux portes de l’école ». Aujourd’hui, il faut qu’elles s’arrêtent aux portes du baccalauréat ») ; et de remarquer que « son prédécesseur du Front populaire » prônait quant à lui une « démocratie sociale », encouragée par des mesures scolaires. Olivier Loubes ne manquait pas de noter que « l’actuelle extension de l’obligation d’instruction à partir de 3 ans facilite le financement de l’enseignement privé, renforçant la concurrence déloyale envers l’école publique (pour la défense de laquelle Jean Zay avait d’ailleurs produit, en 1936, le texte cité par Jean-Michel Blanquer [… et par Samuel Deliancourt, rapporteur public à la CAA de Lyon : v. ma note en ligne]) »[8].

Publié dans la revue L’actualité juridique. Collectivités territoriales (AJCT), mon article s’ouvre et se termine sur des lois Ferry, lui aussi régulièrement cité par son actuel successeur ; si la « loi Blanquer » restera peut-être dans les mémoires pour avoir modifié l’article 4 de la loi du 28 mars 1882 – relatif à l’âge de l’obligation d’instruction –, le sens alors conféré à la liberté de conscience des élèves a été dédoublé il y a plus de soixante ans (au nom d’une autre liberté, celle des établissements privés). À partir d’une intervention pour le moins osée de l’épouse du président de la République, dans une école et en présence du ministre, Éric Fassin notait fin octobre « qu’on parle aujourd’hui tout le temps de laïcité, et jamais ou presque du financement public des écoles religieuses »[9], prévu par cette loi Debré (v. ci-dessous[10], dans le cadre de ma première partie : Confiance de l’État (laïque) envers les établissements privés (catholiques)).

« Focus sur… l’extension des obligations des communes en matière scolaire. Loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance », AJCT 2020, p. 28, spéc. p. 30

À la fin de l’été 2018, abordant dans un billet la pensée de Milton Friedman, je notais que ce dernier livrait comme exemple cette loi, adoptée moins de trois ans avant la première édition de Capitalism and Freedom[11] . Dans une double recension récente, Jean Baubérot remarque : « Curieusement, quand on parle des laïcités d’autres pays, on vous rétorque souvent : « Oui, mais ce n’est pas comme chez nous » ! Effectivement le Canada-Québec n’a pas de loi Debré »… Auparavant, il note : « La laïcité et la religion font beaucoup parler d’elles à l’occasion d’« affaires » montées en neige par les médias »[12].

Même lorsqu’ils sont bien intentionnés, cela arrive : un exemple est fourni dans un documentaire disponible sur le site d’Arte pendant un an ; dans la première partie, après que la ville de Meyzieu a été représentée, il est affirmé qu’en 1989 à Creil, « trois jeunes filles refusent d’ôter le voile pour aller en cours, comme la loi les y oblige » (Du public à l’intime, respectivement à partir des 17 et 25èmes minutes). Elle n’existera qu’à partir de 2004, et il n’y a pas de loi qui soit applicable aux parents d’élèves, contrairement à ce qu’a pu affirmer dix ans plus tard le directeur concerné dans l’affaire jugée cet été par la CAA de Lyon (suivre les notes ci-dessous pour accéder à mon commentaire). Intitulé Nous, Français musulmans, ce documentaire retient un « casting » qui interroge, mais il a le mérite de donner la parole aux premières concernées.

À l’approche des quarante ans de la CEDEF (CEDAW en anglais), l’actuelle vice-présidente du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes « soulign[ait] l’importance de promouvoir [cette Convention internationale ,] dès le plus jeune âge, en affirmant qu’elle devrait être affichée dans les salles de classe » (Nicole Ameline, le 8 juillet 2019) ; la loi n° 2019-791 du 26 juillet s’en tient aux emblèmes nationaux et au drapeau européen : là où l’article 3 de la loi Peillon avait déjà procédé à « l’ajout d’un article L. 111-1-1 dans le Code de l’éducation »[13], en laissant aux communes le soin « de prendre en charge les dépenses de pavoisement de leurs écoles »[14], celui de la loi Blanquer a inséré un article L. 111-1-2 qui vise quant à lui les « salles de classe » (là aussi dans les « Dispositions générales » du Titre Ier : Le droit à l’éducation)[15].

« Considérant que les collectivités territoriales doivent déjà assumer un certain nombre de décisions onéreuses prises unilatéralement par le Gouvernement » – j’en énumère quelques-unes à la fin de mon article –, le sénateur Yves Détraigne (Marne – UC) a posé le 21 novembre une question écrite relative aux « problèmes logistiques et financiers que cette nouvelle obligation engendre », avec cette affirmation que « la plupart des classes ne s’en sont pas encore parées ». Il vient de lui être répondu qu’il appartenait aux responsables d’établissement de commander l’affiche mise à disposition par le ministère, laquelle « est par ailleurs téléchargeable sur [son] site » (JO Sénat 30 janv. 2020, p. 578). Autrement dit : vous arrivez trop tard, débrouillez-vous !

Dans son commentaire de la loi – plus général que le mien –, Marc Debene classe cet article 3 parmi les « dispositions [qui] semblent plutôt relever du domaine réglementaire (…), de la circulaire ou du règlement intérieur » ; l’ancien recteur remarque que cet affichage « viendra s’ajouter à celui représentant la charte de la laïcité à l’école »[16]. J’ajoute que cette circulaire n° 2013-144 ne vise alors que « les écoles et établissements d’enseignement du second degré publics »[17].

Trois jours après avoir nommé comme chef de cabinet un ancien assistant parlementaire de Bruno Bourg-Broc (UMP)[18], le ministre de l’Éducation nationale l’assurait : « Il n’y aura pas de loi Blanquer, j’en serai fier » ; « Il y aura des évolutions du système, qui ne seront pas verticales »[19]… Dans mon article, je remarque que les membres du groupe Les Républicains (LR) de l’Assemblée nationale contestaient curieusement la constitutionnalité de cette loi – plus précisément de son article 17 – à partir d’une décision rendue en 1994, justement relative à un texte porté par le député précité et pour l’invalider[20] ; plus loin, je compare la décision de conformité à la Constitution du 24 juillet 2019 avec celle relative à la loi Carle[21] – le 22 octobre 2009, en rappelant au passage le rôle joué par le sénateur Michel Charasse.

Quelques mois plus tard, ce dernier était nommé par Nicolas Sarkozy au Conseil constitutionnel (le 25 février 2010) ; l’année suivante, il devenait « chevalier » de la légion d’honneur[22] puis, fin 2017 et là aussi en même temps, membre du « Conseil d’orientation du Domaine de Chambord »[23]. Après avoir suggéré la nomination d’une autre « sage » au ministère de la justice – en la personne de Nicole Belloubet[24] –, il était invité à énumérer des « moments d’exception durant [son] mandat » au Conseil constitutionnel, alors qu’il venait de le quitter ; le premier auquel il songeait était la défense, en février 2013, des « principes de la laïcité »[25]. En présence de la Garde des Sceaux[26], une réception avait lieu ce lundi à l’Élysée pour lui remettre les insignes d’« officier », le président le qualifiant à cette occasion d’« intransigeant » sur la question. Le 29 septembre 2019, je remarquais que ce mot là (aussi) devient de plus en plus l’un des signaux d’un certain positionnement laïque.

Photo © Service PHOTOGRAPHES, reprise de Sandrine Thomas, « Michel Charasse décoré par le président de la République Emmanuel Macron pour “toute une vie à servir la République” », lamontagne.fr 27 janv. 2020

Quelques jours avant cette cérémonie (v. ci-contre), lors de son déplacement en Israël pour le soixante-quinzième anniversaire de la libération d’Auschwitz, les 22 et 23 janvier 2020, Emmanuel Macron a montré qu’il ne l’était guère – intransigeant – concernant la séparation des pouvoirs : « si à la fin le juge devait décider que la responsabilité pénale n’est pas là, le besoin de procès, lui, est là » ; durant son retour, il a précisé l’« idée » aux journalistes admis dans l’avion présidentiel (du Monde, du Figaro et de Radio J) : « La question de la responsabilité pénale est l’affaire des juges, la question de l’antisémitisme est celle de la République »[27]. Vide de sens – sinon politique –, cette opposition en rappelle une autre : « Le port du voile dans l’espace public n’est pas mon affaire, c’est ça la laïcité » ; « à l’école, (…) c’est mon affaire » (Réunion la 1ère 24 oct.). « La question de l’antisémitisme » tend à jouer le même rôle que celle de « la laïcité » : prendre des grands airs pour surtout communiquer.

Le 5 décembre 2018, le Gouvernement avait rendu public l’avis du Conseil d’État sur le « projet de loi relatif à une école de la confiance », dont il avait « été saisi le 22 octobre » ; il était alors affirmé que l’« étude d’impact complète et bien documentée qui accompagne le projet répond aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 » (29 nov., n° 396047, §§ 1 et 2). Selon cette disposition, « la méthode de calcul retenue » doit être indiquée ; en l’occurrence, je rappelle dans mon article qu’il s’est agi d’une extrapolation à partir de données du secrétariat général de l’enseignement catholique (4 déc. 2018, pp. 25 à 36, après une relativisation fondée sur des « prévisions d’évolutions démographiques des prochaines années »). « On ne réclamera rien du jour au lendemain », tentait de rassurer – un an plus tard – l’adjoint au SGEC[28] ; il n’ignore sans doute pas qu’il n’est parfois pas nécessaire de le faire : à Marseille, par exemple, une nouvelle augmentation du « forfait communal » a été justifiée par l’adoption de cette loi Blanquer[29].

Cette semaine, le Conseil d’État a fait irruption dans le débat public, avec son avis du « 24 janvier sur les deux projets de loi relatifs à la réforme des retraites » ; les « projections financières « restent lacunaires », écrit-il, au point que, « dans certains cas, [l’étude d’impact] reste en deçà de ce qu’elle devrait être » »[30]. Mieux encore, le projet de loi comprend des dispositions « contraires à la Constitution » (v. l’extrait reproduit par le professeur des écoles Lucien Marboeuf, blog.francetvinfo.fr 26 janv. 2020). Il comprend une « référence à une loi de programmation [qui] garantit les compensations promises par le gouvernement au monde enseignant et universitaire, pour équilibrer les « pertes » engendrées par les nouvelles règles de calcul des pensions » ; le gouvernement a « décidé de ne pas suivre le Conseil d’État et de conserver cette disposition, prenant le risque d’une censure par le Conseil constitutionnel »[31].

Il convient de préciser que le secrétaire général du Gouvernement exerçait auparavant cette fonction auprès des « sages » (de 2007 à 2015) : auteur d’une étude récente sur la « production normative »[32], il a été mis en cause à la suite d’une enquête du journal Le Monde, d’abord sans citer son nom[33] ; selon les informations de Mediapart, « Marc Guillaume a évidemment informé Matignon à chaque étape du dossier Delevoye [dès la mi-2017]. Il l’a fait d’autant plus facilement que le directeur de cabinet d’Édouard Philippe, Benoît Ribadeau-Dumas, est l’un de ses proches (…). Dans l’institution dont ils sont issus [le Conseil d’État], Marc Guillaume et Benoît Ribadeau-Dumas sont même affublés d’un sobriquet moqueur : « la fine équipe ». (…) [L]e premier ministre (…) a été informé en temps réel, en septembre 2019, que [la double rémunération de Jean-Paul Delevoye] se poursuivait, en violation de la Constitution. Si Marc Guillaume a été complaisant, il n’a pas été le seul… »[34].

L’œil de de Willem (Libération 15 janv. 2020) ; « le 49.3 n’est pas fait pour museler les oppositions mais pour contraindre les majorités. J’ai appris ça ans de vieux manuels de droit » (« Le juriste de Matignon », cité par Le Canard enchaîné 15 janv. 2020, p. 2, avant ce commentaire : « Les manuels du vieux monde n’ont pas toujours tort… »).

Pour conclure, Édouard Philippe ayant promis que les femmes seraient « les grandes gagnantes » de la réforme, une « autre entourloupe » mérite d’être particulièrement soulignée ; elle l’a été par le collectif Nos retraites : « dans la présentation des cas faite par le gouvernement, (…) les personnes commencent [toutes] à travailler à 22 ans ». Dans la vraie vie, « une ATSEM commence plutôt à travailler vers 18 ans »[35]


[1] Signalé par Éric Fassin, lequel commentait : « Et voilà, contre « l’antiracisme politique », le Front national au cœur du pacte républicain » (« Le mot race – Le mot et la chose (2/2) », AOC 11 avr. 2019 ; v. aussi Lilian Thuram (entretien avec, par Louise Fessard et Michaël Hajdenberg), « Le Blanc est vu comme neutre », Mediapart 5 oct. 2019).

[2] Gary Dagorn, « Jean-Michel Blanquer ne peut pas poursuivre un syndicat pour diffamation », lemonde.fr 23 nov. 2017

[3] Aurélien Taché (entretien avec, par Olivier Pérou), « Julien Odoul récupère les mots de Jean-Michel Blanquer », Le Point.fr 14 oct. 2019 ; dans le même sens, Éric Fassin (entretien avec), « Ça n’est pas à l’État de dicter une religion ou une absence de religion », francetvinfo.fr le 15 (en réduisant toutefois « la laïcité » à « la liberté religieuse ») ; parmi les nombreuses réactions, v. encore cette tribune d’un collectif d’universitaires et de militantes, le 22

[4] Solenn de Royer, « Jean-Michel Blanquer, le début d’une ambition », Le Monde 11 déc. 2019, pp. 22-23, annoncé à la Une : « Il a été très meurtri par cette séquence [dans le même sens, v. « Les sanglots longs de Blanquer », Le Canard enchaîné 30 oct. 2019, p. 2], ulcéré d’être caricaturé comme il l’a été », raconte la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye. (…) « Rappelle-moi tout de suite », ordonne le ministre par message privé sur Twitter. M. Taché, qui n’aime pas ce « ton professoral », fait le mort. Ulcéré, M. Blanquer exige du bureau exécutif de LRM qu’il saisisse la commission des conflits, pour sanctionner l’effronté. Le patron du mouvement, Stanislas Guerini, décide de réunir les deux hommes dans son bureau pour une « médiation » » ; v. la suite dans le texte – ci-dessus – et, à propos de ces « sanglots » et « ulcères » du ministre, Pierre Merle (« Jean-Michel Blanquer est-il victime de « bobards » ? ») et, surtout, Achille Mbembe, « Pourquoi ont-ils tous peur du postcolonial ? », AOC (6 mai 2019 et) 21 janv. 2020 : « En ces temps où les plus forts se prennent pour des victimes, des gens qui ont tous pignon sur la place publique (…) se mettent soudain à pleurnicher » ; et de poursuivre, avant de viser notamment ces « catéchistes de la laïcité défenseurs d’un modèle républicain policier et autoritaire tout content d’éborgner à la pelle » : « Ravis de se retrouver entre soi, n’ont-ils pas pris l’habitude, des années durant, de pérorer sans interruption ni réplique à longueur de saisons ? ».

[5] V. mon premier billet du 29 décembre dernier, avant l’appel de note n° 37, ainsi que cet article de Jérôme Canard, « À l’école, des classes vertes option vaches maigres », Le Canard enchaîné 31 déc. 2019, p. 4, signalant que la section bretonne de la fédération des Pupilles de l’enseignement public (PEP) « vient de perdre l’appel d’offres triennal de la Ville de Paris » ; pour la Direction des affaires scolaires (Dasco), c’est pour « pallier certaines difficultés de recrutement » et « favoriser l’emploi local » que le prestataire doit désormais recruter lui-même le personnel d’animation. Au-delà de cet exemple parisien, le journaliste en mentionne un autre corrézien – en citant un conseiller pédagogique regrettant que « de plus en plus de collectivités locales se désengagent » – et conclut que les élèves « devront s’estimer heureux » de pouvoir « visiter le département d’à côté ».

[6] « Simon Bolivar, encore et toujours », franceculture.fr 16 nov. 2019

[7] Mattea Battaglia et Camille Stromboni, « Rodrigo Arenas, un militant « musclé » à la tête de la FCPE », Le Monde 13 nov. 2019, p. 10

[8] Olivier Loubes, « Jean-Michel Blanquer agit à contresens de Jean Zay », Le Monde (site web) 4 sept. 2019. Plusieurs billets de ce site renvoient à celui de l’Association LYOnnaise de Droit Administratif, sur lequel est accessible ma note, ainsi que celle d’Emma Burtey et Laura Barrière, étudiantes en Master 2 à Lyon 3 ; élève-avocat en stage à la DAJ de cette ville, Kilian Laurent rappelle la lettre du 2 mars 2011 signée par l’« alors ministre de l’éducation nationale ».

Tout roule pour l’intéressé depuis, en tout cas d’un point de vue salarial : v. Christophe Nobili, « L’ex-ministre Luc Chatel fait un casse au salon de l’auto », Le Canard enchaîné 15 janv. 2020, p. 4, terminant en citant le « neveu de [s]on cousin », Benoît Désveaux, directeur général d’un « géant français de la com’, Hopscotch » : « Nous prônons la fête, le fun, la réappropriation de la ville dans la liberté d’aller et de venir » ; la boucle est bouclée, il y a là l’un des droits des femmes en cause, en tout cas pour les sorties scolaires (visées en 2011, et depuis ; citant Emmanuel Macron, face à Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin le 15 avril 2018, v. Nicolas Charrol, Rev.jurisp. ALYODA 2018, n° 2).

Les notes précitées reviennent sur un texte de 2013 qui traduisait une réaction – sur saisine du DDD – qui n’était à mon goût pas assez énergique ; je l’avais dit à Christian Vigouroux, qui était alors président de la Section du rapport et des études du Conseil d’État, à l’occasion une conférence organisée par l’École Doctorale Sciences Juridiques de Grenoble, le 12 mars 2014 ; j’aurais préféré m’être trompé dans mon pronostic, craignant de nouvelles difficultés pour ces accompagnatrices… Pour une critique récente de l’étude qu’il venait présenter – celle annuelle 2013, à ne pas confondre avec la précédente –, v. Emmanuel Decaux, « Soft law et bonne foi. Quelques considérations sur le droit international des droits de l’homme », in Penser le droit à partir de l’individu. Mélanges en l’honneur d’Élisabeth Zoller, Dalloz, 2018, p. 65, spéc. pp. 66 et 77 : « Le Conseil d’État dans son étude récente sur Le droit souple s’en tient quant à lui à une approche manichéenne qui sauve la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, car il s’agit de « juges » supra-nationaux, mais qui cadre mal avec les spécificités du droit international public, en rejetant dans les ténèbres extérieures, tout ce qui relève du « développement progressif du droit international », pour reprendre la formule de l’article 13 § 1 a) de la Charte des Nations unies qi est la matrice de la codification » (et de renvoyer au Colloque d’Aix-en-Provence de la SFDI, La codification du droit international, Pedone, 1999) ; le conseiller du Gouvernement « met dans la même voiture-balai les résolutions des organes intergouvernementaux et les activités des organes de traités en matière de droits de l’homme (treaty bodies). Sans revenir ici sur la notion même de quasi-contentieux, il faut souligner l’angle aveugle que constitue cette impasse intellectuelle, aussi bien sur le plan théorique qu’en matière procédurale » (et de renvoyer cette fois à sa contribution aux Mélanges Genevois, Dalloz, 2009).

Affiche empruntée à Jean-François Chalot, agoravox.fr 23 nov. 2015

[9] Éric Fassin, « Laïcité versus sécularisation : de la liberté religieuse à l’islamophobie politique », 28 oct. 2019 : « pendant toute sa carrière, Brigitte Macron a enseigné dans des établissements où l’on parle religion et où les signes religieux de l’institution sont pour le moins ostensibles ». Le sociologue de rappeler le slogan de gauche, « à école publique, fonds publics ; à école privée, fonds privés » (v. ci-contre et les pp. 72 et 580 de ma thèse, respectivement à partir de la loi Guizot, sous la monarchie de Juillet, et du programme du CNAL, sous la quatrième République ; entretemps, v. par ex. en note de bas de page 732, n° 655, concernant René Cassin).

[10] À la note n° 14 de mon article, je renvoie à un texte de Jean-Louis Vasseur, qui relève déjà de l’histoire du droit : « Stopper le financement public d’une école maternelle privée : un droit reconnu aux communes, mais sous conditions », Le Courrier des maires juin-juill. 2018, n° 324-325, p. 34 ; aux notes n° 9 et 35, à deux autres articles de l’avocat : « Le financement par les communes des écoles privées sous contrat » et « Les cantines scolaires dans les écoles primaires », Zepros Territorial oct. 2018, n° 6, p. 40 et sept. 2019, n° 12, p. 49 ; également en ligne, Mélanie Drégoir et Aline Landreau, « La dépense d’éducation des collectivités territoriales : 36,2 milliards d’euros en 2017 », note d’information de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), mars 2019, n° 19.07, 4 p. ; « 157 milliards d’euros consacrés à l’éducation en 2018 : 6,7 % du PIB », note d’information de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), oct. 2019, n° 19.38, 4 p. ; Raphaël Menelon, « Les coûts locaux de l’éducation, enseignement et périscolaire », publication de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL), Cap sur nov. 2019, n° 10, 17 p.

[11] V. mon billet du 30 août 2018, « Hayek, Friedman et le « chèque éducation » » ; sans s’arrêter à la préférence accordée à « la liberté même » sur les droits – en tout cas celui à l’éducation –, v. récemment Vincent Valentin, « Et si le marché assurait la réalisation des droits de solidarité ? », RDLF 2020 chron. n° 02

[12] Jean Baubérot, « Sociologie des religions et des laïcités », 18 janv. 2020

[13] Philippe Raimbault, « La refondation de l’école de la République au prisme de la loi Peillon », JCP A 2013, 2307, § 12

[14] JO Sénat 12 avr. 2018, p. 1767 (Réponse du Ministère de l’éducation nationale à la question écrite n° 01964 de M. Jean Louis Masson, sénateur de la Moselle non-inscrit) ; v. « Dupont-Aignan sans drapeau ni devise », Le Canard enchaîné 7 nov. 2018, p. 5 : « les frontons des 16 écoles [primaires dépendant de la municipalité de Yerres, dont il fut vingt-deux ans le maire] ne s’ornent que du drapeau tricolore » ; « le maire en titre, Olivier Clodong, traîne les pieds » (préfet de l’Essonne alors saisi, selon l’hebdomadaire).

[15] Pendant les travaux préparatoires, Violaine Morin, « Le drapeau obligatoire en classe suscite l’émoi chez les enseignants », Le Monde 14 févr. 2019, p. 12 ; Anne Angles et Elsa Bouteville, « Amendement « Drapeau » : les nouveaux alchimistes de l’éducation », AOC le 20

[16] Marc Debene, « L’École sous le pavillon de la confiance », AJDA 2019, pp. 2300 et s.

[17] Datée du 6 septembre 2013, elle a été publiée au BO du 12, n° 33 ; intitulée « Charte de la laïcité à l’École. Valeurs et symboles de la République », elle s’adresse « aux directrices et directeurs d’établissement d’enseignement privé sous contrat », mais seulement pour les rappeler au respect de la loi précitée. À propos de cette simple circulaire, je renvoie à ma thèse page 488 ; pour un écho récent à la contradiction pointée (fin 2017), Mattea Battaglia, « Les élèves français adhèrent massivement au principe de laïcité », Le Monde 30 janv. 2020, p. 14, rendant compte de l’« enquête sur la « laïcité et la religion au sein de l’école et dans la société » rendue publique, mercredi 29 janvier, par le Centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco) » : « plus des trois quarts des sondés (76 % des élèves de 3e et 80 % des terminales) se déclarent attachés à l’expression de leurs croyances (ou de leur absence de croyances) en classe, tant qu’ils respectent l’opinion d’autrui » ; quelques lignes plus loin, il est cependant affirmé que « les élèves sondés, et plus encore leurs enseignants, se disent majoritairement attachés au fait que la religion ne soit pas visible dans l’espace scolaire dans la lignée de la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école publique »…

[18] Christophe Pacohil, qui fût par ailleurs « chef de cabinet de François Baroin alors que celui-ci était ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie » : v. touteduc.fr 23 mai 2017 (à propos de ce dernier, v. l’un de mes prochains billets).

[19] Le Monde.fr avec AFP 26 mai 2017

[20] Bruno Bourg-Broc, à propos duquel v. fin 2017 mes pp. 1094 à 1096

[21] Évoquant la procédure prévue par cette loi Carle, v. les conclusions de Vincent Daumas sur CE, 12 mai 2017, Commune de Villeurbanne, n° 391730 ; JCP A 2017, 2147. En complément des notes n° 8 et 19 de mon article – qui se limite aux communes – et à propos de ce « régime (…) à deux vitesses » que je n’ai pu qu’évoquer, v. Laetitia Janicot, « Le principe de compensation financière des transferts de compétences entre l’État et les collectivités territoriales. Le rôle essentiel des juges interprètes de la Constitution », in Jean-Marie Pontier et Didier Guignard (dir.), Constitution et collectivités territoriales. Réflexions sur le 60e anniversaire de la Constitution, LexisNexis, 2019, p. 185, spéc. pp. 192-193 ; l’« évolution des compétences des collectivités territoriales » est évoquée à l’article 55 de la loi Blanquer, habilitant le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance concernant les « conseils de l’éducation nationale » ; l’article 25 est venu modifier l’article L. 917-1 du Code de l’éducation, relatif aux « accompagnants des élèves en situation de handicap » (AESH), en prévoyant à l’alinéa 4 que l’« autorité compétente de l’État en matière d’éducation et les collectivités territoriales peuvent s’associer par convention en vue d[’un] recrutement commun » (au-delà de la mise à disposition de ces « agents contractuels de l’État », selon l’avant-dernier alinéa. V. le document d’information mis en ligne sur le site du ministère le 27 août 2019 – version actualisée en octobre, consultée début décembre). « Laisser la place aux initiatives locales », telle était la dernière des « propositions et actions concrètes issues du congrès 2018 à Saint-Étienne de l’ANDEV (Manifeste pour l’éducation inclusive, non daté, 6 p.). À propos des AESH, je renvoie à la note n° 11 de l’un de mes billets du 29 décembre 2019, actualisé début janvier.

[22] v. Gilles Lalloz et Pierre Peyret, « L’Auvergnat Michel Charasse promu officier de la Légion d’honneur », lamontagne.fr 14 juill. 2019 ; Jean-François Cirelli a été élevé à ce grade par un décret du 31 décembre – immédiatement remarqué (Laure Bretton, « BlackRock : la Légion d’honneur qui passe mal », liberation.fr 1er janv. 2020) – cependant qu’était nommé « chevalier » un certain Cédric Siré (v. « Le pur plaisir d’être un people », Le Canard enchaîné 15 janv. 2020, p. 5 : « cofondateur du site Purepeople, avec l’aide de Mimi Marchand, ancienne associée et grande copine du couple Macron… Ce site, qui diffuse souvent des clichés volés de l’agence de Mimi, Bestimage, est pourtant régulièrement condamné pour violation de la vie privée » ; « également le cofondateur, en 2007, du groupe de médias en ligne Webedia qu’il continue d’ailleurs de diriger, même » s’il « appartient, depuis 2013, à Marc Ladreit de Lacharrière, qui, lui, est toujours grand-croix de la Légion d’honneur, malgré sa condamnation pour l’emploi fictif de Penelope Fillon. L’honneur est sauf ! »). À propos de ladite légion, v. encore infra, à l’antépénultième note (n° 33).

[23] Michel Charasse a été nommé en décembre 2017, « ce qui l’a conduit à se déporter dans une QPC qui impliquait ledit domaine, mais n’en demeure pas moins une violation des incompatibilités » (Thomas Hochmann, « Et si le Conseil constitutionnel était une « Cour constitutionnelle de référence » ? », RDLF 2019, chron. n° 32, renvoyant à CC, 2 févr. 2018, Association Wikimédia France et autre [Droit à l’image des domaines nationaux], n° 2017-687 QPC).

[24] v. « Les réseaux très « vieux monde » d’Emmanuel Macron », lemonde.fr 27 avr. 2019 ; Marc Endeweld était notamment le 15 décembre sur Sud Radio (écouter autour de la 5ème min.). Des extraits du livre recensé par Ariane Chemin sont disponibles en ligne ; il y est aussi relaté une rencontre en janvier 2018, avec « le ministre Jacques Mézard – détesté par Charasse »… à qui il a succédé au Conseil constitutionnel le 12 mars 2019 (nominations du président de la République).

[25] Michel Charasse (entretien avec, par Claude Lesme), « Je serai toujours de tous les combats de la République », lamontagne.fr 17 mars 2019 ; à propos de la décision à laquelle il fait allusion (CC, 21 févr. 2013, Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité [Traitement des pasteurs des églises consistoriales dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle], n° 2012-297 QPC), v. ma note de bas de page 237, n° 1416 et, surtout, mes pp. 258-259, 354 à 358 et 1122

Photo Sandrine Thomas (art. préc., 2020).

[26] Nicole Belloubet n’était pas encore en fonction en février 2013 ; elle a remplacé Jacqueline de Guillenchmidt le 14 mars, jusqu’à sa nomination au Gouvernement le 22 juin 2017 (le 25 octobre, le Président du Sénat nommait au Conseil constitutionnel la magistrate Dominique Lottin), immédiatement saluée par Michel Charasse, « l’un des membres du Conseil constitutionnel auprès de qui elle a siégé pendant quatre ans » (Capucine Coquand, magazine-decideurs.com 26 juin 2017). La ministre a cette semaine dû revenir sur les propos tenus sur Europe 1, assimilant « l’insulte à la religion » à « une atteinte à la liberté de conscience » (v. Mattea Battaglia et Charlotte Herzog, « L’« affaire Mila » repose la question du droit au blasphème en France », Le Monde 31 janv. 2020, p. 14) ; si le Conseil avait – à partir de 2013 – songé à affirmer le droit à l’éducation, peut-être l’ancienne professeure de droit public aurait-elle été mieux inspirée : elle aurait pu rappeler qu’il appartient à l’État de protéger ce droit de l’adolescente iséroise, victime de cyber-harcèlement lesbophobe et de menaces de mort (v. ma thèse, pp. 792, 1072 et 1179).

[27] Cité respectivement par Cédric Pietralunga puis Louise Couvelaire et Jean-Baptiste Jacquin, Le Monde le 25, p. 4, et le 27, p. 10, « au sujet de l’affaire Sarah Halimi » – pendante devant la Cour de cassation, après un arrêt de la cour d’appel de Paris le 19 décembre 2019, rendu suite à une audience publique devant la chambre de l’instruction –, avant de citer l’avocat de Kobili Traoré, puis des juges syndiquées, stupéfaites de voir le président de ladite République s’asseoir ainsi sur « l’indépendance de l’autorité judiciaire » (dont il est, selon l’article 64 de la Constitution, le « garant »). Plus loin, avant le rappel du premier coup de pression dans la même affaire – « en juillet 2017, lors de l’hommage aux victimes de la rafle du Vél d’Hiv » –, les journalistes citent celui de Katia Dubreuil, la présidente du Syndicat de la magistrature : « les prisons sont aujourd’hui encombrées de nombreuses personnes dont la place serait plutôt en soins psychiatriques et qui auraient dû être jugées irresponsables, même si c’est forcément douloureux pour les parties civiles ». Dans le même sens, Loeiz Lemoine, « Affaire Halimi : il ne faut pas céder au « besoin de procès » », actu-juridique.fr 29 janv. 2020 ; le lendemain, la Cour européenne des droits de l’Homme est venue une nouvelle fois « sanctionner la schizophrénie de la politique carcérale française », selon un éditorial publié ce jour (Le Monde.fr le 31 ; Julien Mucchielli, « CEDH : la France condamnée pour ses prisons indignes », dalloz-actualite.fr).

[28] Yann Diraison, cité par Mattea Battaglia, « École obligatoire à 3 ans : les mairies face au surcoût », Le Monde 11 oct. 2019, p. 11 ; comparer Jean-Michel Blanquer (entretien avec, par Mattea Battaglia, Nathalie Brafman et Violaine Morin), « Aller à la racine des inégalités sociales », Le Monde 1er sept. 2018, p. 8 : « La fuite qui a pu exister vers le privé a souvent été liée à des réformes aux conséquences mal évaluées comme celle des rythmes scolaires ou celle du collège »… V. Jean-Paul Delahaye, « Comment l’élitisme social est maquillé en élitisme républicain », Observatoire des inégalités 11 mars 2019 ; Mattea Battaglia et Camille Stromboni, « Les stratégies d’évitement de la carte scolaire », Le Monde le 31 déc., p. 7) ; l’adjoint au SGEC a par ailleurs affirmé que « Renasup, le réseau des établissements de l’enseignement catholique qui proposent des formations du supérieur (essentiellement des BTS et des classes préparatoires), a négocié avec le ministère de l’enseignement supérieur une convention portant sur sa participation à Parcoursup » ; elle « accorde à l’enseignement privé des possibilités de sélection des candidats un peu plus larges » (cité par Denis Peiron, « L’enseignement catholique veut « jouer la carte de l’ouverture sociale » », La Croix 16 déc. 2019, p. 8).

[29] V. la page 282 du Recueil des actes administratifs de la ville de Marseille, déc. 2019 ; contestant cette justification, v. le recours formé et signalé par Gilles Rof, lequel précise qu’une partie des « contribuables à l’origine de cette procédure » a participé à l’annulation d’une autre délibération – celle relative au « PPP des écoles » (« L’état des écoles de Marseille plombe la fin de l’ère Gaudin », Le Monde 29 janv. 2020, p. 11 ; v. ici en note n° 28). V. aussi François De Monès et Annabelle Perrin, « Les écoles à Béziers, parent pauvre de la politique de Robert Ménard », Mediapart (proposé par Le D’Oc) 13 janv. 2020, signalant l’augmentation décidée pour cette année, lors du conseil municipal du 16 décembre 2019.

[30] Bertrand Bissuel, « Retraites : l’exécutif révèle son étude d’impact », Le Monde 27 janv. 2020, p. 6 (annoncé à la Une) : « des inconnues subsistent. Le Conseil d’État s’en est d’ailleurs plaint ».

[31] Camille Stromboni, « Inquiétude des enseignants autour de la revalorisation de leur salaire », Le Monde ce 31, p. 11 ; v. l’éditorial « Enseignants : l’indispensable revalorisation », Le Monde.fr 28 déc. 2019. Fin 2018, un chercheur au centre d’histoire sociale de Paris et à la FSU – une des fédérations alors mobilisées –, concluait que la « stratégie de saturation de l’espace médiatique [du ministre] peut être contre-productive si les enseignants ne mesurent pas de changement, au quotidien » (Laurent Frajerman (entretien avec, par Mattea Battaglia), « M. Blanquer est en train d’associer l’image d’une réforme à l’austérité budgétaire », lemonde.fr 12 nov. 2018) ; il semble qu’il ait fallu attendre cette séquence pour que cela se vérifie nettement.

« Des danseuses de l’opéra de Paris dansent sur le parvis du palais Garnier contre la réforme des retraites, le 24 décembre 2019.
afp.com/STEPHANE DE SAKUTIN » (lexpress.fr le 29)

[32] Marc Guillaume, « La production normative, entre constance et évolutions », in La scène juridique : harmonies en mouvement. Mélanges en l’honneur de Bernard Stirn, Dalloz, 2019, p. 301, précisant que cet « article n’exprime que le point de vue de son auteur » ; dans le même ouvrage, Patrick Frydman, « Bernard Stirn, président de la Caisse de retraites de l’Opéra », p. 231, avec une conclusion, page 235, évoquant un « contexte fort délicat »… V. encore Jean-Philippe Thiellay, « Le président des étoiles », p. 533, spéc. pp. 541-542

[33] v. Daniel Schneidermann, « Dits et non dits du supra-monde », ASI 17 déc. 2019 ; comparer Richard Schittly, « Financement de l’élection de Macron : l’enquête classée sans suite à Lyon », Le Monde 22 janv. 2020, p. 9 : il est alors précisé que c’est ce qu’« a indiqué le procureur de la République Nicolas Jacquet, dans sa décision de classement de sept pages, que Le Monde a pu consulter ». Le nom est donc cité, cette fois, mais il manque une autre information : v. Antoine Sillières, « Qui est Nicolas Jacquet, nouveau procureur de la République de Lyon ? », lyoncapitale.fr 24 janv. 2019 ; « Ces Lyonnais distingués par la promotion du 1er janvier 2020 de la Légion d’honneur », lyonmag.com 1er janv. 2020 (à propos de ladite légion, v. aussi supra, à la note n° 22) : ignorance et/ou renvoi d’ascenseur ? Dans le recueil de textes de Perry Anderson (traduit de l’anglais par Cécile Arnaud) Le Nouveau Vieux Monde. Sur le destin d’un auxiliaire de l’ordre américain, des italiques sont employées à propos de cette dernière expression (« renvoi d’ascenseur ») : utilisant le français dans le texte original, l’historien britannique s’interrogeait, en 2004 : « existe-t-il un équivalent aussi parlant dans une autre langue ? » (Agone, 2011, p. 194). Pour rester sur le rapport aux cultes, l’un des cinq arrêts du 19 juillet 2011 – évoqués dans mon billet du 9 décembre 2018 – ne concernait-il pas un ascenseur, celui réalisé pour mener à la basilique de Fourvière ? La cérémonie qui s’y déroule le 8 septembre « fournit la meilleure illustration (…) des relations particulières entre l’église et le pouvoir politique lyonnais » (lexpress.fr 13 sept. 2015 ; récemment, Richard Schittly, « À Lyon, la lutte souterraine entre Collomb et Kimelfeld », Le Monde 12 sept. 2019, p. 9 : ayant retrouvé son siège en novembre 2018, le « maire de Lyon apporte une médaille symbolique à l’évêque Michel Dubost, selon la tradition des Échevins. Depuis le Moyen Âge, pour conjurer les mauvais sorts, les élus portent leur soutien à l’Église, qui, en retour, bénit la ville. (…) Sur l’esplanade de Fourvière, le maire est applaudi à deux reprises, lorsqu’il fait savoir dans son discours qu’il a appelé Philippe Barbarin, avant la cérémonie ») ; à partir des protestations du collectif laïque Auvergne Rhône-Alpes, v. Florent Deligia, « Lyon : une manifestation contre le vœu des échevins », lyoncapitale.fr 20 août 2018 ; la dernière fois, c’était « … sans le cardinal Barbarin » (lyonmag.com 8 sept. 2019).

Ajout pour actualiser les indications qui accompagnent les première et dernière illustrations de mon billet du 9 septembre, Pascale Robert-Diard, « Le cardinal Barbarin relaxé en appel », Le Monde 1er févr., p. 13

L’arrêt précité « témoignait d’une interprétation libérale de la loi de séparation » (Maëlle Comte, « Le financement public de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Feu l’intérêt local », AJDA 2019, p. 1207, rappelant que cette dernière « est avant tout un lieu spirituel affecté à l’exercice du culte catholique ») ; le 4 mai 2012, également sur un pourvoi de la Fédération de la Libre pensée et d’action sociale du Rhône (n° 336462), « le Conseil d’État a consacré dans les termes les plus nets l’abandon de la jurisprudence [CE Sect., 9 oct. 1992, Cne de Saint-Louis [c. Association « Siva Soupramanien de Saint-Louis » de la Réunion], n° 94445], abandon qui n’était qu’implicite (…) [le] 19 juillet 2011 » (Jean-François Amédro ; JCP A 2012, 2233). Dans ses conclusions sur cet arrêt, Édouard Geffray minimisait l’évolution (RFDA 2011 p. 967 : « vous préciserez donc votre jurisprudence de section ») ; « depuis 2017 à la direction générale des ressources humaines de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur », ce conseiller d’État a été promu directeur général de l’enseignement scolaire durant l’été 2019 (Mattea Battaglia et Violaine Morin, citée dans mon avant-dernier billet, en note n° 50, à propos de l’arrêt attendu évoqué en introduction de celui-ci).

[34] Laurent Mauduit et Martine Orange, « La HATVP saisit la justice dans l’affaire Delevoye », Mediapart 18 déc. 2019

[35] Tony Le Pennec, « Retraites : le gouvernement trafique (encore) ses cas-types », ASI 24 janv. 2020, dans le cadre de développements intitulées : « Le gouvernement ignore son propre projet de loi » ; à propos de ces « agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles », qui sont « presque exclusivement des femmes » (Violaine Morin, « Dans les écoles, des Atsem en mal de reconnaissance », Le Monde.fr 20 avr. 2018), v. la fin de mon article, AJCT 2020, pp. 31-32

Laïcités françaises et « communautarisme »

Couverture de la version poche du livre d’Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed (La Découverte, 2016), l’une des références citées page 457 de ma thèse, à propos de l’islamophobie. À la page 245 de cette version de 2013 se trouve évoqué le mouvement Mamans Toutes Égales (MTE), avant des développements intitulés « Un courant féministe contre l’islamophobie » ; ils mobilisent l’intervention à l’EHESS, le 15 février, de Michelle Zancarini-Fournel (« Étude de cas : des féministes islamophobes »). « Délinquant ! », a réagi – avec l’humour qui le caractérise – l’un des co-auteurs du livre, à l’annonce le 20 septembre dernier d’une condamnation définitive d’Éric Zemmour ; d’un point de vue historique, v. aussi Gérard Noiriel (entretien avec, par Nicolas Truong), pour qui le polémiste « légitime une forme de délinquance de la pensée », Le Monde le 10, p. 24, annoncé à la Une).

À en croire le président de la République, « émerge dans notre société » un sujet, le « communautarisme », qui « ne doit pas être un marqueur mais un pan assumé de notre action »[1]. S’agirait-il de s’attaquer au « communautarisme régionaliste », pour remettre en cause l’une des laïcités françaises, celle « concordataire » (v. ma thèse, pp. 349 et 449) ? Il n’en est rien : pour Emmanuel Macron, si le « problème en France, ce n’est pas la laïcité, ce sont les communautarismes » (« ce ne sont pas les religions, c’est le communautarisme »), celui « le plus visible est (…) lié à l’islam »[2]. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman » (v. ci-contre) ? Certaines en mobilisant « la laïcité », notamment, mais cela a fini par se voir un peu ; Emmanuel Macron réussit cette fois à le faire en prétendant ne pas parler de la laïcité.

L’essentiel est le retour aux fondamentaux[3], non pas les droits mais « l’islam » qui, selon une professeure de droit, « revendique une « resignalisation » religieuse de l’enseignement »[4]. Si l’islam est envisagé comme une personne (morale ?), ne devient-il pas difficile de séparer la critique de cette religion de celle des personnes qui s’y reconnaissent ? Un tel glissement est-il vraiment exceptionnel et, surtout, ne se combine-t-il pas souvent avec la référence au « communautarisme », ce mot qui sert si fréquemment à parler de l’islam sans directement en parler ?

Jean-Michel Blanquer (entretien avec, par Sébastien Le Fol), « Je suis un républicain social », Le Point 25 avr. 2019, n° 2434, pp. 36 à 42 : il y assénait notamment que la « dérive identitaire et communautariste est l’un des sujets les plus graves de notre époque », avant de passer des « initiatives nauséabondes du syndicat SUD93 » à « la montée du fascisme dans les années 1920 » ; le sens de l’histoire, selon le « nouveau « cerveau » de Macron »… ; cette Une de l’hebdomadaire constitue quant à elle l’aboutissement d’une « représentation médiatique » qui remonte à sa nomination ; sur le « contrôle vertical renforcé » qu’elle a « sans doute » contribué à permettre, v. Philippe Champy, « Jean-Michel Blanquer en président de l’Éducation nationale », AOC 23 sept. 2019

Trouvant « le temps » de commenter une affiche de la FCPE, ayant selon lui le tort de lier « laïcité » et accueil « à l’école tous les parents », le ministre Jean-Michel Blanquer l’accuse ainsi de « flatter le communautarisme »[5]. Suggérant une répartition des rôles entre « le chef de l’État » et ce « bon élève de la Macronie » – une hypothèse sérieuse, à mon avis –, un observateur anonyme y voit un positionnement strict « sur la laïcité »[6]. C’est là reprendre une idée discutable, mais tellement rebattue ; la plupart des usages reviennent surtout à se montrer « intransigeants vis-à-vis de l’Islam »[7].

Réagir à cette nouvelle sortie (scolaire ?), c’est prendre le risque de sauter à son tour « à pieds joints dans la polémique » (Frantz Durupt, liberation.fr 24 sept. 2019). Ayant signalé ce que j’en pensais dans l’un de mes premiers billets (26 janv. 2018, aujourd’hui actualisé), j’éviterai donc de faire le lien avec la précédente, provoquée par un philosophe de gauche, répétant alors lui aussi cette position hostile – de fait – à certaines accompagnatrices ; je ne m’étonnerai pas non plus de l’avoir vu citer en exemple le principal avec qui cette histoire a commencé[8], ni ne remarquerai qu’Henri Peña-Ruiz s’est ensuite référé – au terme de cette même émission (RT France 2 sept. 2019) – au « très beau rapport » de Gilles Clavreul.

Le 15 mai 2018, je commençais par citer un commentaire d’un autre avis ; j’ai repris ce billet, auquel je renvoie in fine, en rapatriant ici quelques développements, essentiellement des références pour qui se questionne à propos de ce prétendu[9] « communautarisme » ; entre les efforts pour justifier le refus de parler d’islamophobie – par exemple – et les nombreuses mentions du « communautarisme »[10], le contraste est saisissant : là, philosophes et autres « « élites » administratives, politiques, médiatiques et scientifiques »[11] ne s’embarrassent plus d’un minimum de distinctions.

Cet emballement conduit logiquement à des résultats curieux : qu’une porteuse de foulard accompagne des élèves en « voyages scolaires » à Auschwitz, par exemple, en relèverait ; heureusement, cette position n’est pas partagée partout[12]. Et quand Nathalie Loiseau portait des jupes longues à l’école, non seulement personne ne le lui reprochait (v. bfmbusiness.bfmtv.com, pendant 30 secondes autour de la 15ème min.)[13], mais cela n’était pas considéré comme du « communautarisme ».

Il y a deux ans, le mot revenait ainsi deux fois chez le conseiller d’État Jean-Éric Schoettl[14] ; de 1997 à 2007, il a été secrétaire général du Conseil constitutionnel[15]. Alors même qu’il n’avait pas été saisi de la loi du 15 mars 2004 (v. ma page 439), ce dernier décidait le 19 novembre de faire « prévaloir le principe de laïcité sur la liberté de religion » ; « au sens où l’énonce la Convention européenne », poursuit Pierre-Henri Prélot, elle représente pour ses membres « le cheval de Troie du communautarisme »[16]. Selon Sylvie Tissot, c’est « en 2005, à l’issue d’une année dominée par la polémique sur le « voile à l’école », puis par celle sur l’« œuvre positive » de la tutelle coloniale, que le terme s’impose dans le débat public »[17].

Couverture du livre Communautarisme ?, PUF/Vie des idées, 2018 (présentation et table des matières, le 26 sept.)

Il y a près d’un an, Marwan Mohammed et Julien Talpin annonçaient la publication ci-contre, dans un texte intitulé « Communautarisme ? – Banalité de l’entre-soi et stigmatisation des minorités », AOC 19-20 sept. 2018 : « du fait de l’explosion de son usage ces dernières années il mérite d’être à la fois déconstruit et analysé » par des « travaux sociologiques – tels ceux de Patrick Simon, Bruno Cousin et Jules Naudet dans l’ouvrage ». Il est informé des sciences sociales s’intéressant aux « mouvements issus de groupes minorisés » ; elles enseignent qu’ils « visent d’abord l’égalité des droits et de traitements, davantage que la reconnaissance d’un quelconque particularisme ou des droits spécifiques »[18].

Le « communautarisme » est beaucoup plus souvent dénoncé qu’il n’est défini ; lorsqu’il l’est, sa mobilisation peut encore poser problème : professeur honoraire à l’Institut catholique de Paris, Bernard Hugonnier a ainsi pu proposer – en 2016, dans la revue de l’Association Française des Acteurs de l’Éducation (AEFE) – quelques éléments de définition (dont celle « récemment donnée dans un rapport au Ministre de l’intérieur »…) ; le lien tissé ensuite avec la loi de 2004 n’a rien d’évident, mais il se comprend à la lumière de l’affirmation qui suit – elle aussi discutable –, selon laquelle « l’expression dans la sphère publique de certaines [sic] appartenances à une religion (…) remet fortement en cause le principe de laïcité »[19].

Ayant réalisé une « généalogie » de ce mot, Fabrice Dhume écrit : « Fondé sur le bien-entendu majoritaire, et exploitant les préjugés racistes, sexistes, islamophobes, ce discours idéologique « parle » de lui-même (du point de vue majoritaire), sans nul besoin de définition, de faits ou de démonstration empirique » ; « Au fond, ce discours se moque des faits (…). Il permet, par un étonnant tour de passe-passe intellectuel, d’affirmer que le mot « ne renvoie à aucune institution ni aucun fait social précis […mais que] le terme recouvre et renvoie à des réalités » qui seraient menaçantes (Laurent Bouvet, Le communautarisme. Mythes et réalités, Lignes de repères, 2007, pp. 10-11) »[20].

« Sortir des faux débats », telle était l’intention affichée, en mars-avril 2007, de l’auteur cité ; présenté comme le « gladiateur de la laïcité » en 2018[21], Laurent Bouvet devrait faire l’objet d’une plainte « pour incitation à la haine contre les parents musulmans », selon une annonce cette semaine[22]. La précédente, il avait tenu – avec d’autres – à dénoncer une « propagande pro-burqini »[23]… En critiquant essentiellement l’idée « sous-entend[ue] que l’interdiction [soi]t la seule façon de défendre la liberté de conscience », Alain Policar ne conteste pas cette réduction des droits impliqués selon les laïcités[24], comme s’il n’était question de ladite liberté.

Ils sont avant tout ceux des femmes[25], les hommes étant – en France[26] – rarement visés par ces restrictions. Le Défenseur des droits a pu en citer un qui est rarement mentionné, le « droit de participer aux activités récréatives, aux sports et à tous les aspects de la vie culturelle », tel que reconnu à l’article 13 c) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes[27]. Pourtant, et comme à propos des plages[28] ou des cours de natation[29], d’aucuns répéteront : « La laïcité, c’est d’abord la liberté de conscience » ; et ensuite ?


[1] Emmanuel Macron, cité par Valérie Hacot et Pauline Théveniaud, « Sur l’immigration, Macron chasse à droite », leparisien.fr 16 sept. 2019 ; le 10 décembre 2018, avant d’appeler à « affronter » la « question de l’immigration » – au nom de l’« identité profonde » de « la Nation », il avait évoqué « une laïcité bousculée » et « des modes de vie qui créent des barrières, de la distance ». V. l’analyse de Cécile Alduy, « La laïcité dans le « grand débat » : ou comment entendre les silences », AOC 4 févr. 2019 : « Alors que les « gilets jaunes » parlaient pouvoir d’achat, ISF, fins de mois difficiles et RIC, Emmanuel Macron (…) recadre les discussions d’en haut et substitue à la question sociale la question identitaire (immigration et place du religieux étant habilement placés l’un à la suite de l’autre dans la lettre du président et le questionnaire en ligne) » ; à partir d’enquêtes, la chercheuse en littérature affirme que « la « majorité silencieuse » n’est pas celle qu’avait en tête un Nicolas Sarkozy lorsqu’il affirmait que les Français attendent qu’on leur parle d’identité, de lutte contre le communautarisme et l’immigration ».

[2] Emmanuel Macron, « lundi [16 au] soir devant les parlementaires de la majorité réunis au ministère des Relations avec le Parlement » (« Profession de foi », Le Canard enchaîné le 18, p. 2, sous l’encadré intitulé « Immigration : le bourgeois Macron s’en prend aux bourgeois ! »).

[3] En même temps, ou presque, il « assume de parler calmement d’immigration » (europe1.fr 25 sept. 2019 ; il ne faudrait pas « antagoniser » la société, là aussi… Faite la veille sur RMC-BFMTV, la réponse de Jean-Michel Blanquer à Greta Thunberg vaut encore plus le détour : « La France est une locomotive contre le réchauffement climatique » ; « Elle roule au charbon ou au diesel ? », Le Canard enchaîné à la Une, lui remettant « La noix d’honneur »). Dans une tribune publiée le même jour (Le Monde, p. 30), François Héran suggère qu’il pourrait être plus important, pour « nos dirigeants [, de] tenir une parole de raison » sur cette question ; quelle idée saugrenue…

[4] Roseline Letteron, « Préface. La laïcité de tous les combats », ouvrant l’ouvrage – publié sous sa direction – La Laïcité dans la tourmente, SUP, 2019, p. 7, spéc. p. 12, résumant la contribution de Patrick Cabanel, « Le principe de laïcité à l’école », p. 167, spéc. pp. 183 et 185 (186) : mentionnant « l’islam » et « des revendications de « resignalisation » religieuse qui évoquent à l’historien des batailles passées », celui-ci écrit à propos de la loi de 2004 (« un bon texte ») qu’elle « vise en fait les voiles musulmans des jeunes filles, comme [sic] jadis elle visait les crucifix du catholicisme. Et ce n’est pas là de l’islamophobie, mais la pure tradition laïque, attentive à ce que l’espace de tous soit vidé de ce qui n’appartient qu’à quelques-uns [re-sic] » (je souligne ; contra Véronica Thiéry-Riboulot, « Cinq questions sur l’histoire du mot laïcité », p. 39, spéc. p. 49, ainsi que ma thèse, pp. 504 à 507, spécialement pour la citation du livre de Pierre Kahn).

[5] Faïza Zerouala, « Blanquer joue (encore) les apprentis sorciers avec la laïcité », Mediapart 24 sept. 2019, citant ensuite – l’affiche puis – le ministre de l’éducation nationale, qui a également affirmé : « Il faut avoir le sens de l’Histoire » : ce billet fournit des références pour qui voudrait retracer celle du mot « communautarisme » ; l’histoire est aussi riche d’enseignements par rapport aux ministres qui font semblant d’ignorer l’état du droit (v. par ex. mes pp. 415-416, 420, 459-460, 467-468 et 520). La journaliste rappelle les travaux préparatoires de « loi dite pour une école de la confiance », durant lesquels « un amendement LR, adopté au Sénat [v. le communiqué du groupe] puis retoqué en commission mixte paritaire, préconisait une interdiction de l’accompagnement des sorties scolaires par les mères voilées ». Le 25 septembre, alors que Valentine Zuber lui rappelle certains de ces éléments, Guillaume Erner oppose significativement ses « rêves nostalgiques »…

Les cinq affiches distribuées par la FCPE (lejdd.fr 24 sept. 2019, pour essayer « de flatter le communautarisme » selon Jean-Michel Blanquer).

[6] Cité par Mattea Battaglia, laquelle s’en détache en s’interrogeant : « Plus strictement ? » ; certainement pas concernant la plupart des établissements d’enseignement privés, catholique·s. Après avoir évoqué des « logiques communautaristes », le ministre a pointé un risque de « dérives communautaires » lié… « au développement d’écoles hors contrat » (« Laïcité : Blanquer s’en prend à une fédération de parents d’élèves », Le Monde 26 sept. 2019, p. 14).

[7] Pascale Le Néouannic, Petit manuel de laïcité à usage citoyen, éd. Bruno Leprince, 2011, p. 41, tout en concédant à la même page qu’il n’y a pas qu’une seule « lecture du Coran » (c’est juste, mais contradictoire avec l’essentialisation de « l’Islam » qui précède) ; moyennant quelques réserves, il est possible de la rejoindre quand elle dénonce, dix pages plus loin, une « communautarisation de l’argent public » (p. 51). Pour son préfacier Henri Peña-Ruiz, la « République laïque et sociale (…) évite l’enfermement communautariste » (p. 7, spéc. p. 19).

[8] Ernest Chénière – en 1989 –, pour ne pas le nommer, dont la trajectoire politique peut être rappelée : élu député RPR en 1993, avec l’année suivante un désistement – infructueux – en sa faveur de l’extrême-droite, lors d’élections locales (v. Frédéric Normand, « L’étonnant retour d’Ernest Chenière », leparisien.fr 23 mai 2002) ; « trente ans jour pour jour » après qu’il a « dit non au voile à l’école » (… et exclu de cours trois élèves qui le portaient, sans aucune base légale), v. son entretien avec Laurent Valdiguié, « J’ai eu affaire à la première brèche dans la laïcité par un islamisme conquérant », marianne.net 13 sept. 2019 ; je renvoie à mes pp. 412 et s., spéc. 437 (et, plus loin, 604 et 1206) ; une Journée scientifique se tiendra le 4 octobre, à Amiens (Université de Picardie Jules Verne), autour de l’ouvrage d’Ismail Ferhat et alii, Les foulards de la discorde. Retours sur l’affaire de Creil, 1989 (l’Aube, 2019 : v. jean-jaures.org le 21 août).

[9] Il ne s’agit pas de nier qu’il puisse y avoir, ça et là, des revendications ou pratiques manifestant un repli sur sa « communauté », mais de souligner, avec le membre du groupe de travail « Laïcité » de la LDH, que « le danger du « communautarisme » vient surtout de l’ignorance de nos institutions chez celles et ceux qui le dénoncent » (Alain Bondeelle, « Pourquoi il ne faut pas modifier la loi de 1905 », Hommes & Libertés mars 2019, n° 185, p. 27, spéc. p. 28). Dans un communiqué du 25 septembre, l’association a « réaffirm[é] sa pleine solidarité avec la FCPE » (« Jean-Michel Blanquer : l’excommunicateur de parents d’élèves »).

[10] Assez rare est la situation où des guillemets de précaution accompagnent la mention du mot ; pour un exemple, Anne Rinnert (entretien avec, par Brigitte Esteve-Bellebeau et Mathieu Touzeil-Divina), « Le principe de laïcité est plus que jamais d’actualité », in laï-Cité(s) et discrimination(s). Les Cahiers de la LCD. Vol. 3, L’Harmattan, 2017, p. 127 ; Journal du Droit Administratif (JDA) 2017, n° 3, Art. 113, visant « les quartiers « communautaristes » ».

[11] Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », La Découverte, 2013, p. 103, avant de préciser employer « le terme d’« élites » au pluriel pour signifier qu’il ne s’agit pas d’un groupe social homogène et que, bien au contraire, il existe de multiples fractions divisées et concurrentes, évoluant dans des espaces sociaux différenciés ».

[12] V. le beau reportage d’Annie Kahn, publié dans Le Monde 30 mai 2018, p. 22, précisant à propos d’une des « mères d’élèves » accompagnatrices qu’elle est « voilée ».

[13] Elle déclare que les jupes longues n’ont « jamais été un signe religieux » ; comparer mes pp. 458 à 460

Jean-Éric Schoettl, Portrait repris du site sansapriori.net (2018)

[14] « La laïcité en questions », Constitutions 2017, pp. 19 et s. Jean-Éric Schoettl ne répugne pas à signer des tribunes polémiques : entre autres, v. « Stage en non-mixité raciale : une simple polémique ? Non, un vrai scandale ! », Le FigaroVox.fr 20 déc. 2017 ; « Affaire Baby Loup : la Cour de cassation ne doit pas se plier au diktat de l’ONU », Le Figaro 14 sept. 2018, n° 23044, p. 18, en tant que membres du Cercle Droit et débat public, « présidé par Noëlle Lenoir (ancienne ministre et membre honoraire du Conseil constitutionnel) ». ll est l’un des sages de la laïcité… C’est également le cas de Laurent Bouvet, avec qui il partageait une tribune (d’hommes) lors de la table ronde « La laïcité à l’épreuve de l’Islam », à l’occasion d’une convention organisée le 27 juin 2018 par Force Républicaine (un mouvement confié par François Fillon à Bruno Retailleau, en novembre 2017). L’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel se réfère à la décision précitée pour définir juridiquement « la laïcité » ; dans une inversion remarquable, il fait part son « impression que nous avons que l’autre nous rejette », avant d’enchaîner des questions rhétoriques résumées comme suit : « En un mot, l’islam n’a-t-il pas un très ancien problème avec l’altérité ? »… (vidéo mise en ligne le 6 juillet ; je souligne).

[15] V. l’article – issu d’une communication prononcée à Paris I, le 9 juin 2006 – d’Alexandre Ciaudo, « Un acteur spécifique du procès constitutionnel : le secrétaire général du Conseil constitutionnel », RFDC 2008/1, n° 73, p. 17

[16] Pierre-Henri Prélot, « La loi de 1905. Hier et aujourd’hui », in Roseline Letteron, ouvr. préc., 2019, p. 53, spéc. p. 54, avant de préciser que « le Conseil constitutionnel semble avoir lui-même fini par se défaire » de « cette vision sacralisée de la laïcité ».

[17] Sylvie Tissot, « Qui a peur du communautarisme ? », La cassure. L’état du monde 2013, La Découverte, reproduit sur lmsi.net 23 mars 2016

[18] Éric Fassin affirmait dans le même sens : « En France, dès que les minorités se font ­entendre, on les taxe de communautarisme ; aux États-Unis, on se récrie : « politique identitaire ». Mais pourquoi l’égalité demandée par des minorités ne serait-elle pas universaliste ? (…) Ce ne sont pas les revendications des minorités qui fragmentent la société ; c’est leur relégation » (Le Monde 2 oct. 2018, p. 22 ; entretien croisé avec Mark Lilla, par Marc-Olivier Bherer).

[19] Bernard Hugonnier, « Les relations entre laïcité et communautarisme », Administration & Éducation 2016/3, n° 151, p. 83, spéc. pp. 84 et 85

[20] Fabrice Dhume, « Communautarisme, une catégorie mutante », La Vie des idées 25 sept. 2018, précisant avoir mobilisé les archives du journal Le Monde avant 1989 (lesquelles n’étaient pas disponibles – en version numérisées – au moment de l’écriture de son livre Communautarisme. Enquête sur une chimère du nationalisme français, Demopolis, 2016 ; dans ma thèse, je cite son article de 2010, en ligne) ;  il situe cette année-là le début de la focalisation « sur l’islam, nouvelle cible du discours articulant l’essentialisation des « communautés » au thème de menace sur la civilisation » ; « Comme l’indique l’analyse de sa dynamique, la construction de ce discours découle d’une entreprise politique menée par des réseaux d’intellectuels (dont une bonne part s’est réunie aujourd’hui dans quelques officines prétendant avoir le monopole de représentation de la république, telles le Comité laïcité république, le Printemps républicain, etc.), utilisant l’arène médiatique, avant que ce mot ne soit repris comme justification (et insulte) politique ».

[21] Zineb Dryef, M Le Magazine du Monde 17 févr. 2018

[22] v. Mattea Battaglia et Samuel Laurent, « La FCPE va déposer une plainte contre Laurent Bouvet », Le Monde 26 sept. 2019, p. 14, citant Rodrigo Arenas, son coprésident.

[23] Laurent Bouvet et alii, « Piscine et « burqini » : va-t-on nous dire qu’il est raciste de défendre la liberté de conscience ? », Ibid. le 18, p. 32, en précisant entre parenthèses : « plutôt que « burkini », qui évoque l’innocent bikini au lieu de l’indigne burqa » ; comparer l’appel à faire évoluer les règlements intérieurs des piscines, défendant – au nom du Planning Familial 38 – « la liberté en maillot de bain couvrant, maillot de bain une pièce, bikini, short, jupette, topless » (« Nos corps dérangent ! Jetons-nous à l’eau ! », planning-familial.org le 11 juillet). Les piscines publiques, lieux pour s’adonner « au communautarisme et au repli identitaire », autrement dit au « repli communautaire » ? C’est l’avis de Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur (Réponse à la question d’actualité de Michel Savin (Isère – Les Républicains), JO Sénat le 10, p. 10922).

[24] Celle « des pétitionnaires » et la sienne n’étant manifestement pas les mêmes, cette dernière se présentant comme « instituée par la loi de 1905 [, en n’étant] ni d’émancipation ni de coopération, mais d’abstention » (Alain Policar, « En prétendant combattre l’obscurantisme, on fait de la laïcité une arme contre la religion », Ibid. le 21, p. 30).

[25] Présentant « l’assignation à un statut inférieur à celui des hommes » comme la « menace la plus grave qui menace les droits des femmes », Joël Andriantsimbazovina ne précise pas lesquels et se réfère en réalité implicitement au dernier sens du mot statut ; pour lui, justifier par des obligations de laïcité la « neutralisation de certaines manifestations extérieures de convictions religieuses », c’est « faire progresser les droits des femmes » (« Laïcité et droits des femmes. Quelques éléments de réflexion à partir du droit positif », in Roseline Letteron, ouvr. préc., 2019, p. 225, spéc. pp. 233, 235 et 240, en conclusion).

[26] À propos des « hommes d’un certain âge », v. le billet de blog « Le « bikini pékinois » menacé par les autorités chinoises », lemonde.fr 8-9 juill. 2019

[27] v. DDD, 12 déc. 2018, n° 2018-297, 18 p., p. 5, § 22, avant toutefois de retenir comme « cadre juridique [celui] des limitations à la liberté religieuse » (p. 8 ; mêmes pages ou presque le 27, n° 2018-301, 11 p. et n° 2018-303, 12 p.), puis de conclure à des « discriminations fondées sur la religion et le genre, au sens des articles 8 et 9 de la Convention européenne des droits de l’homme combinés avec son article 14 (…) » (p. 18).

[28] Ibid., p. 9, le DDD citant les ordonnances rendues par le Conseil d’État les 26 août (n° 402742) et 26 septembre 2016 (n° 403578), retenant «  une  atteinte  grave  et  manifestement illégale  aux  libertés fondamentales que  sont  la  liberté  d’aller  et  venir,  la  liberté  de conscience  et  la  liberté  personnelle  » (cons. 6 ; je souligne). Le DDD prend soin de développer « l’analyse de la compatibilité de ce vêtement avec les normes d’hygiène et de sécurité des piscines » (v. pp. 16-17, §§ 85 à 94). V. la « Mise au point sur les règlements intérieurs relatifs aux tenues de bain dans les piscines publiques », publiée par l’Observatoire de la laïcité le 3 juin 2019, et dans un autre registre le billet de Mérôme Jardin, « Non, Mme Ndiaye, le burkini ne pose pas de problème d’hygiène », le 2 juillet.

[29] V. l’arrêt Osmanoğlu et Kocabaş contre Suisse, mentionné Ibid., pp. 11-12, et présenté comme relatif à la « Liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9) » (chronique de « Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et droit administratif », RFDA 2018, pp. 697 et s. Je souligne à nouveau ; comparer mes pp. 1209-1210) ; alors que sa lecture pourrait bien provoquer une syncope chez certain·e·s militant·e·s de « la laïcité », Henri Labayle et Frédéric Sudre affirment qu’il serait propre à satisfaire « ceux que les développements du communautarisme religieux préoccupent »…

Ajout au 9 octobre 2019 (également opéré dans mon billet du 26 janvier 2018, relatif aux sorties scolaires) : Le Monde publie page 27 deux tribunes : alors que Véronique Decker, qui a été directrice d’école publique (à Bobigny), estime que « merci » est « la seule chose » que cette dernière peut dire aux bénévoles qui lui viennent en aide, Dominique Schnapper tient à exprimer un espoir, nonobstant « l’état actuel du droit » : « que le principe de neutralité qui régit l’école publique prévaudra sur les tentatives de dévoiement communautariste » ; l’ex-membre du Conseil constitutionnel (2001-2010) est actuellement présidente du Conseil des sages de la laïcité, depuis que Jean-Michel Blanquer l’a désignée (fin 2017)…

Billet invité : les crimes des Khmers rouges, un génocide ?

Dans un précédent billet, je citais un article d’Antoine Flandrin intitulé « Génocides : la recherche française comble son retard » ; il y notait aussi que « peu de chercheurs en France travaillent sur les crimes khmers rouges », notamment.

Au mois d’octobre 2018, Charlotte Mancini m’indiquait poursuivre sa formation d’avocate à Phnom Penh, dans une équipe de défense d’un ancien dirigeant Khmer rouge renvoyé devant les tribunaux cambodgiens ; je lui avais proposé la rédaction d’un billet relatif à ces crimes : son intérêt a été renforcé fin 2018 par une décision remarquée[1], mais aussi par les annonces faites le 4 décembre, suite au Rapport de la Mission Génocides (CNRS éd.), près de vingt-cinq ans après le déclenchement de celui des Tutsi, le 7 avril 1994.

Le journaliste précité indique en effet que « le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, s’est engagé à introduire en cours d’année scolaire un temps de travail et de réflexion partagé avec les élèves sur l’importance de la recherche face aux théories du complot et aux « fake news », les génocides et les crimes de masse. La ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a quant à elle validé la formation d’un Réseau international de recherches et la création d’un Centre international de ressources sur les génocides, les crimes de masse, les violences extrêmes et les esclavages » (Le Monde 11 déc., p. 25).

Mes remerciements à Charlotte pour ce billet, le premier qualifié d’« invité » sur ce site.

Carte issue du site de l’association AVSF (Agronomes et vétérinaires sans frontières)

Le 17 avril 1975, Phnom Penh était évacuée sous les ordres des Khmers rouges ; le régime du Kampuchéa Démocratique était instauré. Ils pratiquent une politique d’élimination des personnes cadres, éduquées et « ennemies » qui ne partagent pas leurs idées, en les envoyant dans des centres de torture et d’exécution. Le reste de la population est déporté dans des camps de travail forcé. Cela aboutira au total à la mort de près de deux millions de cambodgiens. Les crimes commis durant trois ans, huit mois, et vingt jours, prennent fin le 6 janvier 1979, lorsque le Vietnam envahit le Cambodge.

Si la mémoire collective fait généralement référence au « génocide » Khmers rouges[2], cette qualification est pourtant discutable d’un point de vue juridique. Un génocide se définit comme la commission de certains actes « dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel »[3]. La caractérisation d’un génocide nécessite donc la démonstration d’une intention spécifique de l’auteur de détruire un groupe en tant que tel[4].

Les crimes commis par les Khmers rouges avaient été qualifiés de génocide en 1979, lorsque le Tribunal populaire révolutionnaire avait condamné à mort par contumace Pol Pot – leur leader –, et Ieng Sary – considéré comme le numéro deux du régime –, pour génocide. Pourtant, les exactions commises par les Khmers rouges contre le peuple khmer ne peuvent être qualifiées de génocide, au sens de la définition de 1948, puisqu’ils appartiennent au même groupe ethnique.

Un « auto-génocide » a parfois été évoqué pour décrire la situation dans laquelle l’auteur d’un génocide élimine des individus appartenant au même groupe que lui. Cependant, il apparaît que les dirigeants Khmers rouges ne ciblaient pas les Khmers en raison de leur ethnicité, mais car ils les considéraient comme « ennemis »[5]. Le groupe visé par les Khmers rouges appartenait donc à un groupe que l’on peut qualifier de politique, ce qui n’entre pas dans la définition légale d’un génocide.

Le bâtiment accueillant les C.E.T.C. (juill. 2011)

Néanmoins, le 16 novembre 2018, la Chambre de première instance des Chambres Extraordinaires au sein des Tribunaux Cambodgiens (C.E.T.C.)[6] a condamné pour la première fois deux anciens dirigeants Khmers rouges du chef de génocide, non pas contre la population khmère, mais contre les Vietnamiens vivant au Cambodge et les Cham, une minorité religieuse. À ce jour, seul un résumé du jugement a été publié[7], dont la version complète devrait être accessible très prochainement[8].

D’une part, s’agissant des Cham, la Chambre a jugé que même si la dispersion dans différentes parties du Cambodge de cette minorité s’inscrivait dans un mouvement plus général de transfert de la population, les Cham ont été spécifiquement ciblés « à la suite des rébellions qui avaient éclatées en raison des restrictions qui leur avaient été préalablement imposées et qui les empêchaient de se conformer à leurs traditions religieuses et culturelles »[9]. La juridiction établit également de nombreux cas d’arrestations et d’exécutions de personnes chames, en raison de leur appartenance à ce groupe, alors que les personnes non-chames étaient épargnées.

D’autre part, la Chambre a estimé qu’il existait dès 1975 une politique nationale visant à l’expulsion des personnes d’origine vietnamienne vivant au Cambodge, et a établi que des meurtres ont été commis à leur encontre de manière systématique et à grande échelle[10].

Les crimes commis contre la population khmère, notamment la création et l’exploitation des coopératives et des sites de travail forcé, ont quant à eux été qualifiés de crime contre l’humanité de persécution pour motifs politiques[11].

Si cette condamnation du génocide des minorités a eu un retentissement symbolique au Cambodge, elle peut apparaître insuffisante puisqu’elle ne concerne pas la majorité de la population khmère qui a subi les exactions commises par les Khmers rouges[12].

Peinture réalisée par Vann Nath (infographie Le Monde.fr), artiste cambodgien,
l’un des seuls survivants du centre de torture S-21 à Phnom Penh.

Auparavant, les procédures conduites par les C.E.T.C. avaient abouti à la condamnation de Kaing Guek Eav alias Duch, ancien Directeur du célèbre centre de détention et de torture S-21 à Phnom Penh, ainsi que de Khieu Samphân et Nuon Chea – respectivement ancien Premier ministre du Kampuchéa démocratique et bras droit de Pol Pot – pour crimes contre l’humanité et violations graves des Conventions de Genève de 1949. Aucune de ces décisions de justice ne fait référence à la commission d’un génocide.

Charlotte Mancini

[1] Bruno Philip, « Cambodge : le génocide khmer rouge reconnu pour la première fois par le tribunal international », Le Monde.fr 16 nov. 2018 ; le 19, Guillaume Erner invitait sur France Culture l’historien Hugues Tertrais, auteur de L’Asie pacifique au XXe siècle (Armand Colin, 2015).

[2] L’Assemblée générale des Nations-unies y a également fait référence dans sa résolution 52/135 du 27 février 1998.

[3] Article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948. À propos des femmes yézidis, à l’occasion de la « remise du prix Nobel à Nadia Murad » (et Denis Mukwege), v. Manon Yzermans, « De l’importance symbolique aux limites juridiques du prix Nobel de la paix 2018 », La Revue des Droits de l’Homme ADL 16 déc. 2018, § 20

[4] Recensant récemment Les Échos de la Terreur, Antoine Flandrin note que, pour « réfuter la thèse du génocide vendéen soutenue par Reynald Secher et Pierre Chaunu », l’auteur relève que « l’État n’est pas le commanditaire explicite des massacres des Vendéens, qui ne sont ni une race ni un groupe identifié en tant que tel, et parler de “génocide” revient à oublier toutes les répressions dans les autres régions contre-révolutionnaires. L’historien n’en minimise pas les crimes pour autant : la hauteur de son estimation – 250 000 tués, contre 120 000 ou 180 000 habituellement lui vaut d’être vertement critiqué » (« Jean-Clément Martin… Révolutionne la Terreur », Le Monde des Livres 14 déc. 2018, p. 10).

[5] Timothy Williams, “The Cambodian ‘auto-genocide’ – musings on a concept that needn’t exist”, 13 Jan. 2015, Heinrich Böll Stiftung.

[6] En vue de la poursuite en justice des anciens hauts responsables Khmers rouges, le gouvernement cambodgien a créé en 2003, avec l’aide des Nations-unies, les C.E.T.C. ; son travail se poursuit jusqu’à ce jour. Pour plus d’informations, voir https://www.eccc.gov.kh/fr

[7] Dossier 002/02, Chambre de Première instance, Résumé du jugement, 16 novembre 2018, en ligne.

[8] Le juge cambodgien YOU Ottara a rédigé une opinion séparée concernant le chef de génocide, laquelle sera accessible lors de la publication de la version complète du jugement.

[9] Résumé du jugement, paras 27-30

[10] Ibid., paras 31-34

[11] Ibid., para. 19

[12] Dans une tribune intitulée « Génocide khmer rouge : l’occasion manquée », Jean-Louis Margolin, chercheur à l’Institut de Recherches Asiatiques, déplore une occasion manquée d’élargir la définition des critères du génocide, ce qui aurait eu pour effet de renforcer l’introspection des cambodgiens sur leur passé (Asialyst 29 nov. 2018).

Ajout au lendemain de la publication de ce billet, pour renvoyer au commentaire (publié le même jour, diffusé par mail au matin de ce lundi 4) de Marie Nicolas-Gréciano, « Justice et vérité sur le génocide cambodgien », La Revue des Droits de l’Homme ADL 3 mars 2019

2018 : retour sur quelques anniversaires

Photo issue d’un tweet de Mathilde Larrère, le 29 avril 2018

« Commémorer les événements[1] ayant secoué la France gaulliste il y aura bientôt cinquante ans ? L’hypothèse [avait pu circuler, fin 2017,] dans l’entourage du Président »[2]. Un an plus tard, la France macroniste se trouvait confrontée aux manifestations des « gilets jaunes » ; selon les chercheurs Sebastian Roché et Fabien Jobard, le « nombre d’interpellations » et celui des blessés sont « sans précédent depuis Mai 68 »[3].

D’autres liens peuvent être établis[4]. Les 30 et 31 octobre, et pour s’en tenir à cette manifestation… scientifique, un colloque portait sur le moment 68 à Lyon en milieu scolaire, universitaire et éducatif ; l’une des contributions présentées dans le Grand amphithéâtre de l’Université Lumière Lyon 2 concernait sur ce « moment 68 »[5] à la faculté de médecine[6].

Le 10 décembre, un commentaire du décret n° 2018-838 a été publié : l’ancien recteur d’académie Bernard Toulemonde y rappelle qu’une « rupture intervient en 1968 ; le recteur perd la présidence du conseil de l’université [et] devient chancelier des universités, une fonction de contrôle administratif et juridique »[7].

Lors du colloque précité, et dans le prolongement d’un autre (en 2011[8]), Jérôme Aust est revenu sur l’« application de la loi Faure[9] à Lyon ». Il y a maintenant plus de cinquante ans, le droit « à l’instruction » était (seulement) revendiqué, comme en témoigne la photographie insérée au seuil de ce billet ; cette banderole, je l’avais déjà signalée en actualisant celui du 10 avril, jour du 170ème anniversaire de la naissance d’Hubertine Auclert.

Livre publié aux éd. du Seuil, en 2014, sous-titré Citoyenneté et représentation [en 1848]

En cette année 1848, une conception révolutionnaire de la République la veut « démocratique et sociale avec le droit au travail »[10] ; après avoir cité l’essai sur l’illusion de Clément Rosset (1939-2018), Samuel Hayat rappelle qu’« une Assemblée a bien été élue au suffrage universel le 23 avril 1848, elle a proclamé la République le 4 mai, et pourtant elle s’est trouvée, deux mois plus tard, à devoir faire face à une insurrection faite au nom de la République, c’est-à-dire au nom du régime lui-même, ou plutôt de son double. Là est toute la puissance de l’idée de République, en 1848 »[11].

Michèle Riot-Sarcey note qu’alors, « la Révolution de 1789 est à la fois proche et lointaine (…). On se souvient non pas des tensions qu’a engendrées l’évènement et dont l’essentiel est réinterprété en fonction des besoins, des nécessités ou des opinions, mais du rôle qu’ont joué les « gens du peuple » – les anonymes, comme l’écrit Lazare Carnot »[12]. Ce dernier avait participé à l’affirmation du « droit à l’instruction » en 1793, lequel se retrouve proclamé par le premier projet de Constitution en 1848 (19 juin) ; comme je le montre dans ma thèse, ce droit ne figure en revanche pas dans le Préambule de la Constitution du 4 novembre 1848 (pas plus que dans celle des 3 et 4 septembre 1791 et dans la DDHC adoptée deux ans plus tôt)[13].

Quand la République était révolutionnaire, il s’agissait « de donner une visibilité aux clivages sociaux », en les réduisant cependant à « la question de classe »[14]. C’est notamment pourquoi, quand bien même cette occasion de consécration constitutionnelle du « droit à l’instruction » n’aurait-elle pas été manquée, rien n’assurait qu’il soit reconnu de la même manière aux garçons et aux filles[15].

Eleanor Roosevelt en novembre 1949, devant l’affiche de la DUDH (version USA) © Radio France (photo issue du site franceculture.fr, listant une série d’émissions consacrées à ce 70e anniversaire du texte onusien)

« 1948. L’universalisation des droits de l’homme », tel est le titre de l’une des entrées de l’Histoire mondiale de la France, ainsi que je le rappelle dans mon portrait de René Cassin, actualisé ce jour. Dzovinar Kévonian était – avec Danièle Lochak et Emmanuel Naquet – l’invitée d’Emmanuel Laurentin et Séverine Liatard lors d’une des quatre émissions consacrées par La Fabrique de l’histoire à ce 70e anniversaire de la DUDH. Cette série se clôt en retraçant « l’ascension politique » d’Eleanor Roosevelt : à propos de cette dernière, de la ségrégation raciale – évoquée à la fin – et du droit « à l’éducation » (préinscrit à l’article 26), v. mon billet du 27 mars, in memoriam Linda Brown (et mes développements pp. 725 et s.).

Ainsi qu’a pu le faire observer Mireille Delmas-Marty « en elle-même, la déclaration n’est pas contraignante pour les États qui l’ont signée » mais, compte tenu du « nombre de dispositifs que cette déclaration a engendré, y compris toute une série de textes qui, eux, sont contraignants », le « bilan, 70 ans plus tard, (…) est impressionnant »[16].

Il s’agissait, en « ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, [de s’efforcer], par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés » ; à ce préambule fait écho celui de la Convention européenne du 4 novembre 1950, qui fait immédiatement référence à la DUDH[17]. Après une tentative de consécration sélective de son article 26, le droit « à l’instruction » s’est trouvé affirmé dans le premier protocole additionnel[18] ; à partir de ce texte de 1952, la Cour européenne l’a qualifié de « fondamental » en 1976[19].

En France, la mixité (« sexuelle ») est généralisée dans les établissements publics par trois décrets du 28 décembre de cette année-là[20]. Encourageant « une histoire « par le bas » de la mixité », Odile Roynette rappelle que pour « accéder, au cours des années 1920, aux bastions masculins de l’université, l’une en médecine et l’autre en philosophie », il a fallu à « Françoise Dolto comme Simone de Beauvoir (nées toutes deux en 1908) (…) batailler contre leur milieu d’origine, bourgeois, catholique et conservateur dans les deux cas, et notamment contre leur mère qui envisageait avec horreur la perspective d’un contact répété de leur fille avec des hommes avant le mariage »[21].

« Des principes et des hommes », titrait le supplément Idées du journal Le Monde, en page 2, le 8 décembre 2018 en publiant un entretien de Valentine Zuber avec Anne Chemin ; le même jour, le quotidien rapportait l’appel de Michelle Bachelet, la haut-commissaire de l’ONU, à « résister au recul des droits humains »[22]. Au nom d’Amnesty International, dont il est secrétaire général depuis le mois d’août, Kumi Naidoo invite à « nous attacher à [leur concrétisation] pour le plus grand nombre »[23], autrement dit pour tout·e·s.

[1] v. M. Riot-Sarcey (entretien avec, par Julie Clarini), « À quoi sert le passé ? », Le Monde Idées 30 juin 2018, p. 5, à propos « de ce qui fut appelé, par incapacité de penser la spécificité des formes de révoltes plurielles, « les événements de 1968 » ».

[2] C. Belaich, « Mai 68 : Macron ne s’interdit rien », Libération.fr 5 nov. 2017

[3] V. respectivement S. Roché, « Le dispositif policier hors norme signale la faiblesse de l’Etat », Le Monde 11 déc. 2018, p. 22 et F. Jobard (entretien avec, par M.-O. Bherer), « Face aux “gilets jaunes”, l’action répressive est considérable », Ibid. 21 déc. 2018, p. 20, en ligne, « le bilan » de ce dernier visant les « dommages » liés aux « interventions policières » ; selon Laurent Mucchielli, ce sont « probablement environ 5 000 personnes qui ont été interpellées » entre le 17 novembre et le 15 décembre (Theconversation.com 17-18 déc. 2018).

[4] V. ainsi, au détour de mon billet sur le numerus clausus.

[5] Une « expression initiée par Michelle Zancarini-Fournel », comme le rappelait l’appel à communication ; Le Moment 68, une histoire contestée, tel est le titre de son livre publié au Seuil lors du quarantième anniversaire (v. aussi J. Clarini, « Etudiants et ouvriers ont-ils fait la jonction ? », Le Monde Idées 17 mars 2018, p. 5). L’historienne a conclu le colloque, le 31 octobre.

[6] Plusieurs années avant le colloque, Bastien Doudaine avait rédigé un commentaire d’un « tract, édité et distribué par des étudiants en médecine de Lyon », publié sur le site de L’Atelier numérique de l’histoire.

[7] B. Toulemonde, « Du recteur d’hier au recteur de demain ? », AJDA 2018, p. 2393, spéc. p. 2399 (en renvoyant à la contribution de Didier Truchet au dossier publié par la même revue le 4 juin, intitulé « Mai 68 et le droit administratif », pp. 1074 et s. V. aussi, à Nanterre, le 22, « 1968 et les facultés de droit » ; ) avant de terminer sur une autre réforme – de vingt-six à treize académies ? (v. mon billet du 3 août 2018) –, laquelle n’est pas sans susciter des inquiétudes comme en témoigne cette question écrite de M. Bonhomme (JO Sénat du 13 déc. ; v. le 3 janv., à partir de la réponse ministérielle).

[8] v. B. Poucet et D. Valence (dir.), La loi Faure. Réformer l’université après 1968, PUR, 2016, pp. et 19 et 167

[9] Ma thèse cherchant à se focaliser sur le « droit à » des élèves et étudiant.e.s, cette loi contient peu de mentions : v. pp. 116, 121, 1013 – en note de bas de page n° 2370 – et 1018-1019 ; v. l’étude d’Emmanuel-Pie Guiselin (« L’Université faurienne, cinquante ans après la loi d’orientation », RFDA 2018, p. 715) et l’approche synthétique de Laure Endrizzi, « 1968-2018 : 50 ans de réforme à l’université », Édubref 22 oct. 2018

[10] S. Hayat (entretien avec, par M. Semo), « En février 1848, le peuple célébrait la République, en juin, c’était la guerre civile », Libération.fr 16 janv. 2015, rappelant qu’il s’agit de « la révolution oubliée », en référence implicite à l’ouvrage de Maurizio Gribaudi et Michèle Riot-Sarcey (La Découverte, 2008, rééd. 2009). Dans le pdf de la thèse de Samuel Hayat, « Au nom du peuple français ». La représentation politique en question autour de la révolution de 1848 en France (soutenue à Paris VIII en 2011, 702 p.), à l’entrée « droit à », celui « au travail » apparaît à de nombreuses reprises ; en lien avec « l’éducation » ou « l’instruction », v. pp. 183, 290 et 610-611 (comme « droits sociaux »). V. ses développements intitulés « Républicaniser le pays », pp. 278 à 283, en citant les noms de George Sand et d’« Hippolyte Carnot, ministre provisoire de l’Instruction publique et des Cultes » (pp. 129-130 de sa version publiée, 1848. Quand la République était révolutionnaire. Citoyenneté et représentation, Seuil, 2014 ; à propos de la première, v. mon portrait de Flora Tristan ; concernant le second, v. ma note de bas de page 279, n° 1712 – s’agissant de la « liberté de l’enseignement » – et, surtout, mes pp. 661 à 666, spéc. 664-665 où je tisse un lien entre sa pensée et le droit positif contemporain plutôt qu’avec celui des années 1880).

[11] S. Hayat, ouvr. préc., 2014, p. 24 ; italiques de l’auteur, qui fait observer page 13 que « les termes « Seconde République » ou « Deuxième République » sont étrangers au vocabulaire de 1848, ce genre de dénomination ne se répandant que plus tard, durant le Second Empire et surtout sous la Troisième République ».

[12] M. Riot-Sarcey, Le procès de la liberté. Une histoire souterraine du XIXe siècle en France, La Découverte, 2016, p. 102 ; à propos de Lazare Carnot, v. ma note de bas de page 635, n° 32 (page 650 pour le renvoi).

[13] V. respectivement pp. 648 et s. ; 631 et s. V. aussi à l’occasion de deux de mes conclusions, pp. 1183 et 1214

[14] S. Hayat, « Les Gilets jaunes et la question démocratique », 24 déc. 2018

[15] La fin de cette formule est reprise de mon résumé à la RDLF 2018, thèse n° 10

[16] M. Delmas-Marty (entretien avec, par R. Bourgois), « 70 ans après la Déclaration universelle des droits de l’homme, ce qui manque c’est le mode d’emploi », AOC 8 déc. 2018, quelques lignes avant de remarquer qu’elle « a fonctionné en faveur des peuples colonisés » ; plus loin encore figure la phrase retenue pour titrer, la suite étant : « comment faire pour concilier l’universel et le pluriel ? ».

[17] V. ma page 955, ouvrant des développements sur l’enrichissement interprétatif réalisé par la Cour européenne (de la Convention par des sources onusiennes).

[18] V. mes pp. 801 et s.

[19] CEDH, 7 déc. 1976, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, n° 5095/71, 5920/72 et 5926/72, § 50 ; v. ma page 827, avec la note n° 1224 ; contrairement à ce qu’affirment Jean-Pierre Camby, Tanneguy Larzul et Jean-Éric Schoettl dans le dernier AJDA de l’année, la « jurisprudence » de la Cour ne reconnaît pas « un droit fondamental des parents » (2018, n° 44, p. 2486, spéc. p. 2491, en citant ce § 50) ; affaiblissant leur plaidoyer (« Instruction obligatoire : pour un principe fondamental reconnu par les lois de la République »), les auteurs reprennent la position des défenseurs de l’instruction à domicile (v. ainsi mes pp. 828 et 853, avec les références citées). Sans pouvoir en faire la démonstration ici, j’estime pour ma part que le « droit à l’éducation » est tout à fait apte à constituer un motif de restriction suffisant des autres droits (et libertés), en ce compris parentaux.

Ajouts au 20 octobre 2020 : près de deux ans après la publication de ce billet, et une vingtaine de jours après l’annonce du principe de la scolarisation obligatoire en droit français, j’ajoute ici plusieurs références :

  • Bernard Toulemonde, cité par Marie Piquemal, « Fin de l’éducation à domicile : peu d’élèves concernés, mais un vrai débat », liberation.fr le 2 (quant à Jean-Paul Delahaye, ses références à « l’intérêt supérieur de l’enfant » et au « droit des enfants à l’instruction » apparaissent toutes les deux anachroniques ; le fondement de la loi Ferry était la liberté de conscience, raison pour laquelle elle fait l’objet de développements spécifiques dans la première partie de ma thèse, comme je l’explique page 59 de ma thèse (2017). V. le texte d’André D. Robert et Jean-Yves Seguy (2015), cité dans mon billet du 29 novembre, spéc. les §§ 22 et 62, en conclusion – avec toutefois une référence ambiguë au terme « droit », au paragraphe suivant ; v. évent. mes pp. 639-640) ;
  • celles de mon billet du 26 mars, en précisant qu’il aurait pu/dû comprendre un renvoi à des citations de François Luchaire, via mes notes de bas de page 1031 et 1100, n° 2481 et 2896 ;
  • enfin et surtout à l’arrêt Wunderlich c. Allemagnen° 18925/15 (rendu par la CEDH le 10 janv. 2019, définitif au 24 juin ; v. en français le Communiqué de presse du Greffier, ne liant pas la Cour, 3 p.). Dans le pdf de ma thèse (2017), entrer le nom de l’affaire conduit à quelques résultats, not. des citations des Observations écrites soumises à la Cour par le directeur de l’ONG European Centre for Law and Justice, Grégor Puppinck (elles sont évoquées dans l’arrêt, aux §§ 5 et 41 in fine).
Capture d’écran de « Rob Clarke and the Wunderlich family », ADF International 4 janv. 2019 (en avril, ladite famille avait demandé un renvoi en Grande-Chambre, en vain ; l’organisation terminait son billet en citant un soutien de longue date : Mike Donnelly, de la Home School Legal Defense Association (HSLDA) – une association chrétienne basée aux États-Unis, présidée par Mike Smith)
  • Je pensais avoir déjà signalé cet arrêt ; le faire si tardivement permet de citer largement un article à propos de « l’ECLJ, qui bénéficie également d’un statut d’ONG accréditée aux Nations unies (ONU) », et « n’est qu’une filiale européenne d’un groupe américain dont elle reprend le nom : l’American Center for Law and Justice (ACLJ) ». Il s’agit d’« une structure créée en 1990 par l’un des chefs de file du conservatisme chrétien américain, Pat Robertson », depuis lors « aux mains d’une autre famille tout aussi influente : les Sekulow », qui avaient « déjà fondé en 1988 une autre ONG, Christian Advocates Serving Evangelism (CASE) » ; « Outre la succursale européenne, il existe une branche « slave » (Slavic Center for Law and Justice), destinée à agir en Europe de l’Est, qui noue des liens étroits avec les conservateurs hongrois et soutient le président russe Vladimir Poutine dans sa lutte contre la « propagande homosexuelle ». L’ACLJ est également présente et active en Afrique. Sa filiale locale, l’African Center for Law and Justice, est ainsi intervenue très activement au Zimbabwe au début des années 2000 pour que l’homosexualité y demeure un crime » (Samuel Laurent, « Des proches de Donald Trump au secours de La Manif pour tous », Le Monde 4 mars 2020, p. 15 ; dans le même quotidien, v. aussi le 24 févr., pp. 14-15 : dans leur papier titré « Europe de l’Est. La guerre du genre est déclarée », Jean-Baptiste Chastand, Anne-Françoise Hivert et Jakub Iwaniuk s’arrêtaient notamment sur « l’institut Ordo Iuris, spécialisé dans la promotion des « valeurs catholiques » par le droit, qui est à la manœuvre [en Pologne, en particulier contre l’avortement] » ; « Cette organisation, membre du réseau européen de catholiques radicaux Agenda Europe », est également mentionnée dans l’affaire préc., l’arrêt citant cette tierce-intervention).
  • Peu de temps après l’arrêt de la Cour, le Tribunal fédéral suisse s’est positionné concernant Bâle-Ville (22 août 2019, 2C_1005/2018) : selon un décryptage paru dans la presse, cette « décision précise que le droit fondamental au respect de la vie privée et familiale (article 13 de la Constitution fédérale) ne confère pas (…) un droit à suivre des cours privés à domicile. Certes, cette disposition, qui trouve son pendant dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, article 8), englobe aussi le droit des parents [d’]éduquer leurs enfants. Mais la Cour européenne des droits de l’homme également estime dans sa jurisprudence qu’aucun droit à l’enseignement privé à domicile ne peut être déduit de l’article 8 de la CEDH [j’ajoute qu’il ne peut l’être non plus du « droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques », prévu par la seconde phrase du premier protocole additionnel – ratifié par la France, mais non la Suisse]. Constatant qu’aucun traité international n’accorde un tel droit, le Tribunal fédéral ajoute qu’il n’y a pas lieu d’accorder des droits plus étendus en vertu de la Constitution fédérale. Il en découle que même des réglementations cantonales très restrictives en matière de « homeschooling » ne violent pas le droit au respect de la vie privée et familiale » (« L’école à domicile n’est pas un droit constitutionnel », lematin.ch 16 sept. 2019).

[20] Et non « à partir » de (juillet) 1975 avec la loi dite Haby, comme l’affirme à trois reprises Odile Roynette dans un article récent – par ailleurs stimulant, lui aussi –, « La mixité : une révolution en danger ? », L’Histoire janv. 2019, n° 455, p. 13 ; v. mon billet du 24 avr. sur (le droit à) « l’éducation à la sexualité » et, plus spécialement à propos la contribution juridique que je signale dans mon résumé de thèse préc. – dans le prolongement des travaux centrés sur l’histoire de la mixité (« sexuelle ») –, mes pp. 74-75, 92 à 98 (697 à 703 et 706-707 à propos de Paul Robin), 792-793 et, surtout, 987 à 1001, où je cite la loi du 10 juillet 1989, dite Jospin : elle est à l’origine de l’article L. 121-1, qui prévoyait initialement – lors de la codification, en 2000 – que les « écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur (…) contribuent à favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes ». Cette « obligation légale », qui aura bientôt trente ans, est rappelée par la vice-présidente de Mnémosyne, réagissant aux programmes d’Histoire envisagés pour la rentrée 2019 : elle « n’a pas été consultée par le Conseil supérieur des programmes ­[CSP], ni aucune autre association travaillant sur l’égalité hommes-femmes » (Cécile Beghin (entretien avec, par Jean-Baptiste de Montvalon), « Les femmes ne font-elles jamais l’histoire ? », Le Monde Idées 15 déc. 2018, p. 5 ; à partir de Marie Skłodowska-Curie, v. mon billet du 4 février).

[21] O. Roynette, art. préc. (je souligne).

[22] Citée par Marie Bourreau (à New York) et Rémy Ourdan, « Triste anniversaire pour les droits humains », Le Monde 8 déc. 2018, p. 2

[23] K. Naidoo, « Pas de liberté politique sans égalité sociale », Le Monde diplomatique déc. 2018, pp. 1 et 10-11 (avec aussi un texte de Claire Brisset, « Un long cheminement vers la dignité »).

Les laïcités-séparation

Illustration empruntée à la députée Isabelle Rauch, le 9 déc. 2020 (v. la citation sous le portrait également ajouté à la fin du présent billet, le 23 févr. 2021)

« Avant la loi de séparation des églises et de l’État, le culte était un service public qui fut considéré autrefois comme le plus important ». Trois ans après cette affirmation de Gaston Jèze1Gaston Jèze, note sous CE, 21 mars 1930, Société agricole et industrielle du Sud-Algérien ; RDP 1931, p. 763, spéc. p. 767, Marcel Waline annotait un arrêt de la Cour de Paris : l’incompétence de l’autorité judiciaire était confirmée, au motif qu’« il est sans intérêt que depuis la loi du 9 déc. 1905 le culte ait perdu le caractère de service public, (…) l’affectation à l’usage direct du public suffisant à justifier la domanialité publique »2Paris, 13 mai 1933, Ville d’Avallon ; D. 1934, II, 101.

L’annotateur soulignait le caractère catholique de « la catégorie de beaucoup la plus nombreuse [des] édifices affectés, avant 1905, aux cultes ». L’affaire lui servait de prétexte pour défendre une « idée traditionnelle, mais sage (une idée traditionnelle n’est pas forcément fausse) », à propos des biens relevant du domaine public3Marcel Waline, note préc., p. 103.

(LGDJ/Lextenso éd., 2015)

Il relevait d’ailleurs la reprise de l’argumentation du commissaire du Gouvernement Corneille, dans ses conclusions sur un arrêt célèbre, Commune de Monségur4CE, 10 juin 1921, Commune de Monségur ; D. 1922, III, 26, reproduites dans l’ouvrage ci-contre, n° 66, pp. 663 et s. Un « exercice de gymnastique » atypique avait entraîné des conséquences dramatiques pour un enfant ; le recours formé en son nom allait être rejeté par le Conseil d’État.

En ce 9 décembre où il sera question de la séparation, il est intéressant de (re)lire Corneille évoquer « les lois de séparation, notamment l’article 5 de la loi du 2 janvier 1907, qui, après avoir remis aux communes la propriété des églises, déclare qu’à défaut d’associations cultuelles, elles restent à la disposition de la communauté des fidèles, sauf désaffectation prononcée dans les formes et dans les conditions expressément prévues par la loi »5Concl. préc., p. 664. Jean Baubérot complète : ces « lois de séparation au pluriel » (dont celle du 13 avril 1908) « avantagent le catholicisme par rapport aux autres cultes qui se sont conformés à la loi de 1905 »6Jean Baubérot, « La laïcité », in V. Duclert et C. Prochasson (dir.), Dictionnaire critique de la République, Flammarion, 2ème éd., 2007, p. 202, spéc. pp. 206-207.

Revenant sur le « conflit des laïcités séparatistes lors de l’ajout à l’article 4 », en 1905 (je les évoquais dans ce portrait), l’auteur reproche à un autre historien d’« évacuer l’enjeu du dissensus »7Jean Baubérot, Les 7 laïcités françaises. Le modèle français de laïcité n’existe pas, éd. MSH, 2015, pp. 61 et s., spéc. 64, en citant Jean-Paul Scot, « L’État chez lui, l’Église chez elle ». Comprendre la loi de 1905, Seuil, 2005, p. 240.

En titrant « L’État chez lui, l’Église chez elle », Jean-Paul Scot reprend – en l’inversant – une formule de Victor Hugo ; il y a là une entrée possible dans ma thèse, conduisant notamment à ce discours de 1850, et j’ai découvert récemment un arrêt qui m’a fait penser à la formule qu’il a choisie pour titrer son ouvrage : saisi par des pasteurs, le Conseil d’État a pu juger, à propos d’une « salle constitu[ant] un édifice servant à l’exercice du culte [protestant] », qu’une délibération du conseil municipal décidant de « diviser cette salle en deux parties » portait atteinte à « l’art. 13 de la loi » de 1905 ; il parvenait à cette conclusion après avoir noté qu’« en vertu d’un usage constant [depuis 1845], le service ordinaire du culte y est célébré le dimanche et les services extraordinaires n’y ont lieu qu’après quatre heures du soir [sic], sans, d’ailleurs, que cette affectation ait causé une gêne pour le service public de l’enseignement »8CE, 15 juill. 1938, Association cultuelle d’Allondans-Dung et Consistoire de Montbéliard, Rec. 673, spéc. p. 674. Plus anecdoctique, cette illustration de 1938 laisse aussi percevoir qu’il n’y a pas une, mais des laïcités-séparation : non seulement la plupart des « édifices des cultes » restent des propriétés publiques après la loi de « séparation » (v. son titre III, art. 12 et s.), mais elle peut s’opérer en fonction du temps sans exiger celle des espaces affectés.

Merci à Marc et Marie-Christine pour l’envoi de cette photographie, il y a deux mois, après leur passage sur la place des Républicains espagnols de Cahors ; je ne connaissais pas cette citation de Jaurès (il faudrait en retrouver l’origine), qui peut être rapprochée de celle qui figure en note de bas de page n° 37 du Livret de méthodologie (v. aussi ma thèse pp. 324-325)

Dans la période récente, Vincent Valentin a développé l’idée d’un « évidement progressif du principe », notamment marqué par « une sorte de validation jurisprudentielle » cinq ans plus tôt (avec cinq décisions du même jour, le 19 juillet 20119Vincent Valentin, « Remarques sur les mutations de la laïcité. Mythes et dérives de la « séparation » », RDLF 2016, chron. n° 14. Cette année-là, Pierre-Henri Prélot s’attachait « à démontrer qu’en dépit des idées communément reçues, [la loi n° 2010-1192 (relative au « voile intégral »)] s’inscrit en contradiction profonde avec la loi de 1905 »10Pierre-Henri Prélot, Société, Droit & Religion n° 2, Dossier thématique : L’étude des signes religieux dans l’espace public, CNRS, 2011, p. 25. C’est notamment en renvoyant à cette analyse que je qualifie de « néo-gallicane » (ma thèse, p. 367) une proposition manifestation encore d’actualité : celle d’une formation républicaine des imams.

Plus largement, à la veille des 70 ans de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, une modification de la loi de 1905 est envisagée11V. ce communiqué commun de plusieurs organisations de défense de la laïcité, le 30 nov. ; il n’est pas possible d’exclure qu’elle vise spécialement une religion : il y aurait celle du lien à « réparer » (Emmanuel Macron le 9 avr.) et celle qu’il faudrait contrôler12V. cette tribune de Sabine Choquet, « Est-ce le rôle de l’Etat de distinguer le bon du mauvais islam ? », Le Monde le 29, p. 28 ; à propos de la jurisprudence qu’elle rappelle, v. mon (long) billet du 15 mai ; une version de la tribune de Patrick Weil a été mise en ligne le lendemain : pour les références à l’Algérie, comparer celles de ma thèse, signalées à partir de celui du 15 oct., au besoin en allant s’inspirer « de la cacherout – ensemble des règles alimentaires du judaïsme – contrôlée par le Consistoire israélite », alors que « ce modèle a été mis en place en d’autres temps, sous le règne de Napoléon Bonaparte, avant les lois de séparation »13Rachid Benzine, Le Monde le 7 mars, p. 20 et 12 sept., p. 21 ; v. aussi le 15 août, p. 23, Raberh Achi évoquant un « projet de Napoléon III de créer en 1865 un « consistoire musulman » en Algérie »..

L’année dernière, une revendication de laïcité-séparation avait été faite à Strasbourg, pendant que des crèches de Noël étaient installées au siège de la Région Auvergne-Rhône-Alpes (v. mes billets des 9 juill. et 25 févr., tous deux actualisés ce 9 déc.).

Si les affaires citées au seuil de ce billet témoignent de ce qu’elle rencontrait des limites dès sa consécration, l’idée de séparation n’était pas, dans l’entre-deux-guerres, remise en cause comme elle le sera plus tard en matière d’enseignement. Je renvoie sur ce point à mon introduction (pp. 19 à 22) et, surtout, à mes développements sur la consécration, par la loi Debré en 1959, de l’affaiblissement de la laïcité-séparation (pp. 572 et s.). J’ai notamment mobilisé les écrits de François Méjan (évoqué avec son père Louis14Et un autre juriste ayant contribué à la rédaction de la loi de 1905, Paul Grünebaum-Ballin ; v. mon billet du 28 juill. sur Jean Zay. ; Lucie-Violette Méjan, sa sœur, a réalisé à la même période sa thèse sur l’œuvre de leur père, dernier Directeur de l’Administration autonome des Cultes 15Préfacée par Gabriel Le Bras et publiée aux PUF, en 1959, elle est recensée ici, et ..

Un élément d’actualité est fourni par Elsa Forey16Elsa Forey, « Relations entre les cultes et les pouvoirs publics : le législateur prêche la confiance. Réflexions sur la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance », AJDA 2018, p. 2141 ; publiée le mois dernier, son étude mobilise les travaux préparatoires de la loi n° 2018-727 par laquelle le législateur est « revenu sur la loi n° 2016-1691 » d’il y a exactement deux ans (dite « loi Sapin 2 »), plus précisément son article 25. L’une des interrogations finales de l’autrice est formulée ainsi : « Quid des démarches engagées par les associations chargées de l’enseignement privé confessionnel (très majoritairement catholique) auprès des pouvoirs publics ? Seront-elles considérées (…) comme des associations « à objet cultuel », dispensées de déclarer leurs activités auprès des pouvoirs publics ? Une députée le suggère sans être contredite par le ministre ou le rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale (AN, séance du 26 juin 2018) » 17Art. préc., pp. 2146-2147.

(publié aux éd. du Seuil, 2011)

Pour conclure, il est intéressant d’envisager les Laïcités sans frontières – qu’elles soient spatiales, ou temporelles –, pour reprendre le titre de l’ouvrage ci-contre. En 2011, Jean Baubérot et Micheline Milot rappelaient, page 9, qu’Aristide Briand citait en son temps « les États-Unis, avec le Canada, le Mexique ou le Brésil, comme des pays où « l’État est réellement neutre et laïque » (Chapitre IV de son rapport à la Chambre des députés) » (4 mars 1905, p. 14918V. aussi pp. 179 et s., à partir d’une « récente étude de M. Louis Gullaine », publiée le 10 janvier 1905 à la Revue politique et parlementaire.. Fin 2018, deux dynamiques plus ou moins enthousiasmantes peuvent être évoquées : à rebours de celle signalée par cet extrait du Courrier des Balkans19« Grèce : vers la séparation de l’Église et de l’État ? », 26 nov. 2018, celle du Brésil20V. le troisième temps de mon billet du 5.

Ajout au 30 septembre 2019, pour signaler ce billet de Jean Baubérot (le 25), annonçant la parution du premier tome d’une …Histoire politique des Séparations des Églises et de l’État (1902-1908), éd. MSH ; le pluriel est justifié par une citation de Georges Clemenceau, dans L’Aurore du 18 septembre 1904 : « La séparation selon M. Ribot n’est pas du tout la séparation selon M. Combes, laquelle diffère absolument de la séparation selon M. Briand, pour ne pas parler d’un certain nombre d’autres »…

Portrait réalisé par Pierre Mornet, pour illustrer la tribune de Jean Baubérot, « Monsieur le président, ne passez pas de Ricœur à Sarkozy ! », nouvelobs.com 28 nov. 2020 ; la première illustration renvoie à un texte faisant référence aux « territoires les plus relégués de notre République » ; cinq jours auparavant, v. aussi la réaction de Ludovic Mendes, également député LREM de la Moselle (retweeté par @EnMarche57, ce 4 déc. ; v. encore Antoine Balandra, « Loi séparatismes : pourquoi le concordat d’Alsace-Moselle ne sera pas remis en cause », francebleu.fr 15 févr. 2021, en comparant avec mes observations – publiées le lendemain – sous TA Guyane Ord., 30 oct. 2020 ; AJCT 2021, pp. 104-105, in fine).

Plus d’un an plus tard, j’avais basculé certaines parenthèses en notes, dans la foulée de la publication de mon billet du 29 novembre 2020 ; le 23 février 2021, j’ai ajouté les première et dernière illustrations en le complétant21Note ajoutée le 9 mars 2021, en décalant les précédentes pour intercaler la numéro 18, à l’occasion de ce billet : v. Augustine Passilly, « Renforcement de la laïcité : un projet de loi controversé », 16-17 déc. 2020, avec le précédent, pour citer – ici aussi – Jean Baubérot (entretien avec, par Claire Legros), « Le gouvernement affirme renforcer la laïcité, alors qu’il porte atteinte à la séparation des religions et de l’État », Le Monde 15 déc. 2020, p. 30 (annoncé à la Une, ce mardi-là).

S’agissant des « 250 aumôniers de prison musulmans », l’historien invite « à s’inspirer du travail de l’armée, où les aumôniers militaires musulmans comme leurs homologues catholiques, protestants et juifs sont intégrés à l’institution en tant qu’officiers et doivent connaître l’histoire et les règles républicaines, notamment celles concernant la laïcité. Un tel dispositif n’est pas une atteinte à la laïcité » (comparer mon billet du 30 avril 2020, en note n° 51 ; v. aussi celui du 30 mars 2018, déplorant – dans le prolongement de la page 1135 de ma thèse – le peu d’activités éducatives proposées en détention – lesquelles sont d’ailleurs actuellement suspendues, ici et là) ; « En régime de séparation, les rapports entre la République et les religions sont surtout juridiques. Il serait plus logique que ce soit le ministère de la justice [et non plus celui de l’intérieur] qui gère les cultes ».

Notes

1 Gaston Jèze, note sous CE, 21 mars 1930, Société agricole et industrielle du Sud-Algérien ; RDP 1931, p. 763, spéc. p. 767
2 Paris, 13 mai 1933, Ville d’Avallon ; D. 1934, II, 101
3 Marcel Waline, note préc., p. 103
4 CE, 10 juin 1921, Commune de Monségur ; D. 1922, III, 26
5 Concl. préc., p. 664
6 Jean Baubérot, « La laïcité », in V. Duclert et C. Prochasson (dir.), Dictionnaire critique de la République, Flammarion, 2ème éd., 2007, p. 202, spéc. pp. 206-207
7 Jean Baubérot, Les 7 laïcités françaises. Le modèle français de laïcité n’existe pas, éd. MSH, 2015, pp. 61 et s., spéc. 64, en citant Jean-Paul Scot, « L’État chez lui, l’Église chez elle ». Comprendre la loi de 1905, Seuil, 2005, p. 240
8 CE, 15 juill. 1938, Association cultuelle d’Allondans-Dung et Consistoire de Montbéliard, Rec. 673, spéc. p. 674
9 Vincent Valentin, « Remarques sur les mutations de la laïcité. Mythes et dérives de la « séparation » », RDLF 2016, chron. n° 14
10 Pierre-Henri Prélot, Société, Droit & Religion n° 2, Dossier thématique : L’étude des signes religieux dans l’espace public, CNRS, 2011, p. 25
11 V. ce communiqué commun de plusieurs organisations de défense de la laïcité, le 30 nov.
12 V. cette tribune de Sabine Choquet, « Est-ce le rôle de l’Etat de distinguer le bon du mauvais islam ? », Le Monde le 29, p. 28 ; à propos de la jurisprudence qu’elle rappelle, v. mon (long) billet du 15 mai ; une version de la tribune de Patrick Weil a été mise en ligne le lendemain : pour les références à l’Algérie, comparer celles de ma thèse, signalées à partir de celui du 15 oct.
13 Rachid Benzine, Le Monde le 7 mars, p. 20 et 12 sept., p. 21 ; v. aussi le 15 août, p. 23, Raberh Achi évoquant un « projet de Napoléon III de créer en 1865 un « consistoire musulman » en Algérie ».
14 Et un autre juriste ayant contribué à la rédaction de la loi de 1905, Paul Grünebaum-Ballin ; v. mon billet du 28 juill. sur Jean Zay.
15 Préfacée par Gabriel Le Bras et publiée aux PUF, en 1959, elle est recensée ici, et .
16 Elsa Forey, « Relations entre les cultes et les pouvoirs publics : le législateur prêche la confiance. Réflexions sur la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance », AJDA 2018, p. 2141
17 Art. préc., pp. 2146-2147
18 V. aussi pp. 179 et s., à partir d’une « récente étude de M. Louis Gullaine », publiée le 10 janvier 1905 à la Revue politique et parlementaire.
19 « Grèce : vers la séparation de l’Église et de l’État ? », 26 nov. 2018
20 V. le troisième temps de mon billet du 5
21 Note ajoutée le 9 mars 2021, en décalant les précédentes pour intercaler la numéro 18, à l’occasion de ce billet : v. Augustine Passilly, « Renforcement de la laïcité : un projet de loi controversé », 16-17 déc. 2020

Journée des droits de l’enfant

Support de communication de l’UNESCO

« Le droit à l’éducation, c’est aussi le droit à un personnel enseignant qualifié ». Tel était le thème d’un rappel conjoint adressé « à la communauté internationale », le 5 octobre ; ce jour-là, « depuis 1994, la Journée mondiale des enseignant(e)s commémore la signature de la Recommandation OIT/UNESCO concernant la condition du personnel enseignant de 1966 ».

Le message est-il bien reçu partout, en France ? En Seine-Saint-Denis, par exemple, il est permis d’en douter (plus largement, v. l’« appel au secours » lancé depuis le tribunal de Bobigny, « La grande misère de la protection de l’enfance en Seine-Saint-Denis », Le Monde 6 nov. 2018, p. 22 : « des enfants mal protégés, ce seront davantage d’adultes vulnérables » ; en ligne sur le site de Laurent Mucchielli). Le 15 novembre, il a été répété que la question de l’absentéisme enseignant « constitue une priorité majeure du ministère de l’éducation nationale puisqu’elle touche à la continuité et à la qualité du service public » ; dans cette réaffirmation volontariste (« notamment de pallier les absences prévisibles, comme celles liées aux stages de formation continue »), l’absence de référence au droit à l’éducation peut être relevée.

Ce droit, c’est d’abord celui des enfants. Il voit sa réalisation contrariée quand de « violentes intempéries » frappent des territoires, en ce compris leurs établissements scolaires, comme ce fût le cas dans « 126 communes du département de l’Aude » à la mi-octobre (v. les témoignages des partenaires de l’association Solidarité Laïque, le 23) ; si elles « ont, pour une fois, épargné la vallée de la Corneilla », la continuité des services périscolaires s’y trouve quant à elle menacée par « la baisse drastique du nombre de contrats aidés », « ces emplois dont on ne peut [en l’état] pas se passer » (Elise Barthet, Le Monde Économie & Entreprise le 29). « En un an », leur nombre « est passé de 474 000 à 280 000 », une mesure brutale décidée peu de temps avant que l’île de Saint-Martin ne soit dévastée par l’ouragan Irma (v. ma thèse, pp. 115-116, les actualités de ce billet et, plus largement et récemment, cette autre réponse du ministère, le 15 nov., à propos des aides administratives à la direction d’école).

Dix jours avant une « nouvelle campagne de l’UNESCO » à propos du droit à l’éducation, Audrey Azoulay et alii rappelaient déjà qu’il figure dans un texte fêtant ses 70 ans, la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH ; pp. 727 et s.). Dans l’« enfer sur terre » qu’est devenu le Yémen – selon une formule du Fonds de l’ONU pour l’enfance (Unicef ; v. Le Monde.fr avec AFP 6-7 nov.) –, où nul.le n’est à l’abri des armes prétendument « fournies [par la France à l’Arabie Saoudite] pour se défendre » – mais qui, à la « connaissance » de la ministre des Armées, « ne sont pas utilisées au Yémen contre les populations civiles » (Florence Parly, citée par Le Canard enchaîné 31 oct., pp. 3 et 8) –, la réalisation du droit à l’éducation est moins facile à imaginer que son absence ; c’est sans doute un « malentendu », là aussi, qui conduit à avoir de plus en plus de raisons de penser que le Gouvernement consacre davantage d’efforts à l’exportation d’armements.

PUR, 2015, 210 p. (actes d’un colloque pluridisciplinaire à Angers, les 10 et 11 oct. 2014)

Dans mon précédent billet, j’évoquais le Comité des droits de l’enfant à partir d’un ouvrage encourageant, il y a trois ans, leur histoire transnationale (v. ci-contre) ; une autre contribution est citée en note de bas de page 1116 (n° 3010), et deux autres encore dans ceux consacrés à la Convention qui a institué cet autre organe onusien, la CIDE (pp. 758 et s., 770 et s. pour le Comité).

Autrice de l’une d’elles, Vanessa Guillemot-Treffainguy a soutenu à Bordeaux – il y a pratiquement un an, le 1er décembre – une thèse intitulée La protection de l’enfant contre ses parents…. Il y a trente-quatre ans, celle de Claire Neirinck était publiée (v. la mienne en note de bas de page 1027, n° 2457) ; dans la conclusion de ma première partie, j’ai illustré par d’autres références la mention du « droit d’éducation » des parents (pp. 621 à 624 ; v. sa thèse, La protection de la personne de l’enfant contre ses parents, LGDJ, 1984, pp. 123, 230 à 233 et 372-373). Les versions pdf permettent un test rapide par mots-clés : la comparaison des résultats fait apparaître un rééquilibrage quasi-parfait avec le « droit à l’éducation » (des enfants), mais qui s’effondre à la lecture des formulations qui l’accompagnent ; rien de surprenant à cela compte tenu de la délimitation temporelle de cette thèse (…(1804-1958), 2017, 680 p. ; v. les pages de la mienne précitées, ou mon résumé à la RDLF 2018, thèse n° 10).

Préinscrit à l’article 26 de la DUDH, le « droit de l’enfant à l’éducation » a été consacré par l’article 28 de la CIDE, il y a maintenant vingt-neuf ans ; quelques mois plus tôt, en cette année 1989, ce droit était enfin inscrit comme tel dans une loi française (pp. 1001 et s. ; il l’avait été auparavant comme « droit à une formation scolaire », en 1975 : ce droit à figure toujours à l’art. L. 111-2, récemment cité en ouverture d’une tribune publiée sur Libération.fr le 5 nov., plaidant pour un « programme de sciences économiques et sociales éduquant à la démocratie et à la citoyenneté », au contraire de celui qui vient d’être arrêté pour les classes de première).

Pourtant, l’éducation n’est encore souvent pas pensée comme un droit, même par qui la défend le plus largement (v. ainsi Ibid. 7 nov. : Sandra Laugier, philosophe, et Albert Ogien, sociologue, reviennent sur l’« arrivée au pouvoir d’adversaires résolus de la démocratie comme forme de vie, (…) qui brûlent de mettre fin au pluralisme, au droit à l’avortement, à l’éducation pour tou.te.s, aux droits des homosexuels et trans, à l’égalité politique des femmes » ; je souligne. Concernant les « discriminations spécifiques » que subissent les élèves filles, v. l’« enquête publiée jeudi 8 » par Unicef France, Le Monde.fr avec AFP le 8 ; s’agissant de la « tenue correcte » exigée d’elles en particulier – ce que souligne l’étude d’Edith Maruéjouls et Serge Paugam –, v. mon billet du 24 avr., juste avant l’actualisation du 12 mai, en ajoutant ici que, depuis 2015, le premier jeudi du mois de novembre a lieu la « journée nationale de lutte contre toutes les formes de harcèlement »… entre élèves).

« Le 20 novembre, jour anniversaire de l’adoption par l’Organisation des Nations unies de la Convention internationale des droits de l’enfant, est reconnu Journée nationale des droits de l’enfant » depuis la loi n° 96-296 du 9 avril 1996 ; le 23 octobre dernier, la Cour administrative d’appel de Lyon a refusé la référence qui avait été faite à ce texte onusien en première instance (le maire avait reçu en 2015 le soutien de Nicolas Sarkozy : à partir de la réaction de Jean Baubérot, v. mes pp. 343-344 et, plus largement, mon billet sur le nécessaire dépassement de la référence à la « liberté de conscience ») ; l’irrégularité sanctionnée au considérant 6 sera peut-être discutée, mais devrait en tout état de cause encourager les avocat·e·s à citer la CIDE dans leurs requêtes [1]. A la suite de cette affaire, je consacre quelques développements aux jours fériés religieux ; dans un État laïque de droits, leur remplacement par des journées internationales comme celle de ceux de tous les enfants pourrait être envisagé.

Le risque serait toutefois d’alimenter les critiques des détracteurs d’une prétendue religion de ces droits ; pour un exemple de 2017 qui aurait pu être intégré à ma conclusion générale (pp. 1227-1228), v. l’un des articles cités au (billet du) renvoi précédent : Jean-Éric Schoettl va jusqu’à mentionner la « véritable nouvelle religion officielle que sont devenus les droits fondamentaux » ; à réagir en jouant avec les mots, elle m’apparaît bien moins consacrée en France – en particulier dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (v. pp. 1118 et s., spéc. 1122, ou mon résumé de thèse préc., juste avant la présentation de son dernier titre) – que La Religion de la laïcité, pour s’en tenir au titre du dernier livre de Joan Wallach Scott (traduit de l’anglais (États-Unis) par Joëlle Marelli, publié chez Flammarion et présenté par ex. par Cécile Daumas, Libération.fr 19 sept. 2018).

Parmi « ces enfants pour qui la promesse [de leurs droits] n’est pas tenue », en France, des catégories se distinguent : outre celui du 6 juin, v. mes deux premiers billets relatifs aux personnes mineures non accompagnées et à celles en situation de handicap (datés du 5 janvier ; pour alléger le présent billet, j’ai repris le 25 février 2019 les trois paragraphes initialement placés ici, pour contribuer à faire connaître le Comité européen des droits sociaux et la Charte sociale révisée, promue par lui comme « le traité le plus important en Europe pour les droits fondamentaux des enfants » : v. mes pp. 902 et s.).

S’agissant de ces dernières, Béatrice Kammerer a rédigé un article publié cette année sous le titre : « Handicap, la scolarisation à tout prix ? ». Outre Christine Philip, de l’INSHEA (v. ma thèse pp. 1048 à 1050, ainsi qu’en note de bas de page 1059 et 1064), se trouve citée Anne Gombert ; pour cette chercheuse en psychologie cognitive au centre Psyclé de l’université d’Aix-Marseille, « si l’enseignant n’est pas a minima formé, c’est une forme de maltraitance institutionnelle » (Sciences Humaines avr. 2018, n° 302, p. 18, spéc. pp. 19 et 22 ; je souligne).

Depuis le 25 octobre, « le collectif Justice pour les jeunes isolés étrangers (Jujie) [a publié sur son blog de nombreux témoignages] sur la maltraitance institutionnelle dont ces enfants sont victimes ainsi que chaque lundi un dessin et un texte destinés à lutter contre les idées reçues au sujet des [Mineurs Isolés Etrangers (Mineurs Non Accompagnés selon la terminologie officielle)] » (concernant leurs parcours, v. aussi Alizée Vincent, « Le destin des jeunes migrants », Sciences humaines.com nov. 2018 ; s’agissant des difficultés rencontrées après le dix-huitième anniversaire, v. le II. A. de Delphine Burriez, « Mineurs isolés situés sur le territoire : une atteinte au droit de solliciter l’asile en France », RDLF 2018, chron. n° 21, et mon billet du 25 mars 2019[2]).

Le 5 octobre, une décision intéressante a été rendue par le TA de Nancy (n° 1802680), à propos d’un enfant de treize ans venu d’Albanie ; s’il n’est pas le plus important d’un point de vue concret, je me limiterai ici à l’un de ses apports : reprenant des formulations antérieures – v. ma thèse, pp. 1116-1117 –, cette ordonnance procède dans son considérant 5 à une simplification du discours du droit défendue page 1118, au terme de ces développements consacrés au référé-liberté.

Posté le 14 nov. 2017 par Lala

La veille de cette journée (inter)nationale, trois annonces étaient faites : la publication d’un rapport du Défenseur des droits sur ceux « des enfants de la naissance à six ans », la création d’un poste de délégué interministériel à l’enfance et… une augmentation des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur, le Premier ministre ayant confirmé que les étudiant.e.s dit.e.s « hors Union européenne » vont « dès la rentrée prochaine payer beaucoup plus cher » (Camille Stromboni, Le Monde 20 nov., p. 10 ; deux pages plus loin, Jean-Baptiste Jacquin cite le courrier adressé à Edouard Philippe par « l’organe de gouvernance de la CNCDH » : au-delà du rappel des « qualités requises pour présider cette institution », le journaliste note qu’il est insisté sur sa mission « auprès de l’ONU ») ; à défaut d’être au rendez-vous, l’ouverture peut servir à conclure : le droit à l’éducation, c’est aussi celui des adultes.

[1] Ajouts au 28 février 2019, complétés le 23 octobre, après avoir déplacé dans le billet de ce jour la présentation plus générale de cet arrêt rendu il y a tout juste un an.

Le 25 octobre 2002, faisant semblant de ne pas voir ce qui avait animé la commune d’Orange – pour établir un régime différencié (chrétien) –, le Conseil d’État préférait sanctionner une requête « abusive », après n’avoir répondu qu’implicitement – et négativement – à l’invocation du droit à l’éducation ; c’était rater l’occasion de relayer l’obligation internationale de faciliter l’exercice de ce droit (v. ma page 1180), qui n’avait cependant – semble-t-il – été invoqué qu’à partir de l’article 3 § 1 de la CIDE (Mme X., n° 251161). En 2014, redevenu député, le maire Jacques Bompard interpellait le ministère de l’Éducation, en assurant qu’il y aurait « exclusion de plus en plus fréquente de la viande de porc et de ses dérivés dans les menus des cantines scolaires françaises » ; le 18 mars, les services de Vincent Peillon tenaient à rassurer ce membre fondateur du Front national (FN).

Le 27 juillet 2017, le tribunal administratif d’Orléans avait rejeté la demande adressée par un couple à la directrice de « la halte-garderie collective « Trott’Lapins », proposée par la commune » de Saint-Cyr-en-Val (Loiret), « tendant à ce que leurs enfants puissent bénéficier de repas végétariens » ; le 19 octobre 2018, la Cour administrative d’appel de Nantes rejetait leur recours, en refusant notamment d’y voir une atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant protégé par l’article précité (M. et Mme E., n° 17NT03030, cons. 1 et 7) ; celle de Lyon se prononçait différemment, quatre jours plus tard, tout en supprimant le fondement onusien retenu par le TA de Dijon, le 28 août 2017 (CAA Lyon, 23 oct. 2018, Commune de Chalon-sur-Saône, n° 17LY03323, cons. 6 ; v. mon billet).

Pour Baptiste Bonnet, « sur ce point, la juridiction a manqué d’audace et aurait été bien inspirée de tenter de faire infléchir une jurisprudence datée (…) et de plus en plus incompréhensible au vu de l’état des rapports de systèmes. Cette affaire aurait été la bonne occasion pour soulever d’office un moyen tiré de la violation du droit international, le fondement d’un moyen d’ordre public comme celui-là étant aisé à trouver dans l’autorité du droit international telle qu’expressément consacrée par la Constitution du 4 octobre 1958 » (AJDA 2019, p. 117, spéc. p. 120). La jurisprudence à laquelle il est fait allusion remonte à un arrêt SA Morgane du Conseil d’État, rendu le 11 janvier 1991 en Section aux conclusions contraires de Marie-Dominique Hagelsteen : v. la thèse d’Émilie Akoun, soutenue à Grenoble le 2 décembre 2013 (mise à jour le 4 avril 2015), Les moyens d’ordre public en contentieux administratif, Mare & Martin, 2017, pp. 124-125, 176 à 182 et 329 (v. aussi pp. 155 et 241). Maryse Deguergue termine sa « Préface » en s’interrogeant, plus généralement : la « liberté du juge est-elle bien utilisée, c’est-à-dire mise au service des justiciables ? » (p. 13, spéc. p. 16).

[2] Légère modification au 25 mars 2019, pour intégrer au billet de ce jour des références initialement signalées ici.

Brésil : « la famille » des militaires contre l’héritage de Freire

Le succès de Jair Bolsonaro ne repose pas seulement sur un anticommunisme tous azimuts (v. Tristan Pereira, 12 oct.) et des « fausses informations » massivement diffusées sur WhatsApp (Michaël Szadkowski, Le Monde.fr les 25-27). L’une d’elles mérite néanmoins d’être évoquée ; elle a porté sur le matériel utilisé « dans les écoles primaires » (Dorian Girard, Ibid. le 25 : il est renvoyé dans cet article à une « Analyse du système éducatif brésilien », réalisée à l’Université de Fribourg en mai 2015, 25 p., spéc. p. 10, avant une présentation des projets du candidat, au nom de la défense « des valeurs chrétiennes et de la famille » ; il se termine sur les menaces pesant sur les droits des personnes autochtones, à propos desquelles v. la tribune dans l’édition papier de ce jour, « Il faut défendre le peuple krenak au Brésil », p. 20).

Jair Bolsonaro « a ainsi brandi la traduction de la BD française Le Guide du zizi sexuel d’Hélène Bruller et Zep, prétendant que l’ouvrage faisait partie d’un « kit gay » distribué dans les écoles à l’époque où Haddad était ministre de l’Éducation (2005-2012) et visant à inciter les enfants à l’homosexualité. Si dans les faits tout ceci est une manipulation, que le programme mis en place par Haddad était un programme de lutte contre les discriminations, que ce livre n’en a jamais fait partie et qu’il est bien innocent et lu par une bonne part des adolescents en France, il semble que les supporters de Bolsonaro aient diffusé en boucle cette [fake news] » (Etienne Sauthier, « La nuit tombe sur Rio », AOC 26 oct.) au point d’avoir un impact sur le scrutin (v. ainsi Daniel Schneidermann, ASI le 29, liant ce « fameux livre de Titeuf » aux « balivernes sur l’éducation sexuelle », notamment en France ; v. aussi mon billet du 24 avr., en particulier l’actualisation du 1er sept. et celui-ci à propos de sa chronique du lendemain, à propos de la maternité du Blanc, ainsi que le compte rendu d’une conférence pour « révolutionner l’éducation à la sexualité » – Chaire Unesco du Ministère des affaires sociales et de la Santé, le 26 sept. –, par Manon Lu le 23 oct.).

« Nous ne retournerons pas aux senzalas (lieux où dormaient les esclaves) ; …aux sous-sols (allusion aux lieux de torture) ; …aux placards ;
…en prison » (photographie prise lors de la manifestation de São Paulo le 30 octobre, 1/3)

« Sur le temps court, la vague de fond qui a porté l’extrême droite au pouvoir apparaît comme le résultat d’une conjonction inédite », économique, religieuse et politique (« dégagis[t]e ») ; « Sur le temps long, cette élection met au jour les fractures historiques de la société brésilienne, à commencer par la mémoire non soldée du régime militaire (1964-1985) » (Antoine Ackeret et Silvia Capanema, « Brésil : la solidarité internationale s’impose », Le Monde le 31, p. 22). Des regards français peuvent être portés sur chacun des points soulignés.

« expérience brésilienne » et inspiration française

Autrice d’une thèse publiée sous le titre La politique en uniforme. L’expérience brésilienne, 1960-1980 (PUR, 2016), Maud Chirio est intervenue dans plusieurs médias ce dernier mois. « Entre les États-Unis et la France : à l’école de la contre-insurrection », tel est l’un des intertitres de son premier chapitre. Elle y écrit ceci : « Confrontée à l’échec indochinois et aux combats algériens, l’armée française élabore dès le milieu des années 1950 une analyse du comportement d’un ennemi idéal-typique, qu’il soit indépendantiste, subversif, terroriste ou communiste. Rapidement, la théorie est conçue comme un produit d’exportation » ; elle donne notamment l’exemple d’un article du colonel Jacques Hogard, « alors officier de renseignement en Algérie, traduit dans le Mensário [de Cultura Militar, édité par l’état-major de l’Armée de terre] de juillet 1959 » (pp. 34 et 36 ; à propos de la répression ayant eu lieu deux ans plus tard à Paris, v. mon précédent billet).

© Ricardo Moraes – Reuters (article du 30 nov. 2017, à propos des favelas de Rio)

Alors que « le niveau des écoles », dans l’ancienne capitale, « se dégrade encore », le journaliste Nicolas Bourcier rappelle que le « golpe (« coup d’Etat ») avait commencé ici même, le 31 mars 1964 » (« Rio de Janeiro, la ville colère », Le Monde 27 oct., p. 14). Paulo Freire en sera l’une des cibles ; il y a là l’une des manières peu glorieuses par laquelle les autorités françaises ont contribué à l’émergence d’une riche pensée sur l’éducation (v. infra).

Cette importation « est devenue une manière de penser une guerre interne en Amérique du Sud et a porté des États militaristes » (au Brésil d’abord, puis en Uruguay, au Chili et en Argentine). La chercheuse se montre inquiète de constater « une base sociale que ne connaissait pas l’Argentine des années de plomb » (un soutien encouragé par des stars du football, dont la marchandisation laisse peu d’espoirs d’une nouvelle page de son histoire populaire dans l’immédiat, pour citer Mickaël Correia, auteur à partir de son ouvrage de ce thread Twitter). Elle rappelle aussi que le brésilien Ustra « a été le responsable d’un des appareils militaires les plus barbares, créé ad hoc par la dictature en 1969 dans l’État de São Paulo, qui faisait assister les enfants aux sévices de leurs parents ou encore recourait à des animaux sauvages pour torturer » (Maud Chirio (entretien avec, par Rachida El Azzouzi), « Au Brésil, l’élection de Bolsonaro serait « pire qu’un retour aux années de plomb » », Mediapart 24 oct.).

Jair Bolsonaro « s’est fait connaitre de manière particulièrement ignoble en dédiant son vote » à ce dernier lorsqu’il votait au Congrès brésilien, le 17 avril 2016, la destitution de Dilma Rousseff – elle-même torturée sous la supervision de ce militaire (E. Sauthier, art. préc. le 26 ; Claire Gatinois, Le Monde le 6, p. 4 : « à Dieu », « à la famille », « aux forces armées », « contre le communisme » et « à la mémoire du ­colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra ») ; son élection était peu probable jusqu’à ce que l’inéligibilité de Luiz Inácio Lula da Silva soit entérinée par une « une majorité de juges », au mépris d’une décision du Comité des droits de l’Homme (Ibid. le 3 sept., p. 2, citant Luiz Edson Fachin qui, seul contre les six autres juges, « ne se sentait « pas autorisé à désobéir » aux Nations unies » ; j’évoquais cette prise de position onusienne au détour de ce billet). Ainsi qu’a pu le remarquer Etienne Sauthier, ce choix s’est inscrit « dans le prolongement du coup d’État institutionnel de 2016, ou du moins dans la même logique ».

Parmi les premiers signataires d’un appel à la « solidarité internationale » face « au risque imminent d’un retour à l’ordre autoritaire en Amérique latine » (Le Monde.fr le 19 oct.), l’économiste Thomas Piketty rappelait que « l’ancien ouvrier tourneur » – ce depuis l’âge de 14 ans (il y perdra un doigt) –, « avait été [beaucoup] moqué pour son manque d’éducation » (« Brésil : la Ire République menacée », édition papier le 15, p. 23, repris sur son blog le 16 ; à propos de l’un des termes de la comparaison par laquelle il commence, v. mon billet sur l’arrêt Brown).

« Dictature : plus jamais » (photographie prise lors de la manifestation de São Paulo le 30 octobre, 2/3)

Dans l’émission Du grain à moudre (« Brésil : la fin d’un modèle ? », 29 oct.), le chercheur Christophe Ventura proposait – un peu après la 33ème minute – comme élément d’explication du vote Bolsonaro le ressentiment d’une partie de la population, qui n’aurait pas supporté le renforcement des droits des personnes les plus dominées (notamment l’accès à l’Université pour celles afro-descendantes). Depuis l’entre-deux-tours, ils sont particulièrement menacés par « une révolution néolibérale » (Maud Chirio (entretien avec, par Angeline Montoya), « Bolsonaro va mettre en place un régime fascisant », Le Monde.fr ; en version papier sous le titre « On a un potentiel beaucoup plus meurtrier que la dictature », le 27, p. 2).

« Nous avons besoin du mot « néolibéralisme » »…

… « parce qu’il a changé la face du monde et que nous devons comprendre comment ». Ainsi s’exprimait Wendy Brown dans un texte récent (« Le néolibéralisme sape la démocratie », AOC 15 sept., à l’occasion de la traduction en français (par Jérôme Vidal) de son dernier livre Défaire le dèmos. Le néolibéralisme, une révolution furtive, éd. Amsterdam) ; menant l’entretien, Christian Salmon notait que « les spécialistes du néolibéralisme sont incapables de se mettre d’accord sur la définition du terme ».

Il y a quelques années, Alain Laurent faisait observer qu’« Hayek, Mises et M. Friedman (…) ne se présentent jamais comme « néolibéraux » » (« Néolibéralisme », in Les penseurs libéraux, Les Belles Lettres, 2012, pp. 873-874 ; v. aussi la recension par son coauteur Vincent Valentin du livre de Serge Audier, Néo-libéralisme(s) – publié la même année chez Grasset –, La Vie des idées 3 juill.) ; dans Notre histoire intellectuelle et politique. 1968-2018, Pierre Rosanvallon y voit un mot « en caoutchouc » (entretien avec, par Serge Audier et Florent Georgesco, « L’impuissance naît de l’impensé », Le Monde des Livres 31 août ; v. aussi la recension de Ludivine Bantigny, « Pierre Rosanvallon : une histoire à angles morts », Terrestres 15 oct., pour qui « l’ouvrage ne tient pas compte des foisonnantes élaborations qui ont vu le capitalisme remis sur le métier de la critique et le néolibéralisme pensé comme une phase avancée de ce système, qu’on utilise ou pas ce terme » ; parmi elles, celle de Wendy Brown, notamment).

Avant de convenir sous quelques réserves qu’il y a avec le terme néolibéralisme une « expression fort commode », Alain Laurent citait quant à lui un certain Mario Vargas Llosa, dont je mobilise le roman pour présenter Flora Tristan. Début octobre, au Palais Garnier, l’écrivain péruvien – Prix Nobel de littérature en 2010 –, avait fait l’« apologie du libéralisme », tout en considérant que « l’élection de Jair Bolsonaro au Brésil serait « une tragédie » » (Raphaëlle Rérolle, « Aimer, le choix de la vie contre la résignation », Le Monde 9 oct., p. 22).

Pendant la campagne, Jair Bolsonaro avait déclaré s’être « marié » avec Paulo Guedes (v. par ex. Delphine Liou, Bfmtv.com le 5) ; seule figure à être apparue aux côtés du candidat d’extrême-droite « après son écrasante victoire au premier tour » (Thierry Ogier, Les Echos le 9, n° 22798, p. 6), ce dernier a sans surprise été « nommé à la tête d’un superministère de l’économie » (Le Monde.fr 1-2 nov.).

Avant le second tour, la journaliste Claire Gatinois dressait le portrait de ce « « Chicago Boy » qui inspire Jair Bolsonaro » : « Cet admirateur de Milton Friedman ne partage guère l’extrémisme de l’ancien parachutiste, nostalgique de la dictature militaire (1964-1985). Mais la promesse du pouvoir aura eu raison des pudeurs initiales de Paulo Guedes » (Le Monde Économie & Entreprise 23 oct., p. 2). Si « l’ultralibéralisme annoncé du programme de son gourou économiste le rapproche sans doute davantage du projet de Pinochet » (Frédéric Vandenberghe et Jean-François Véran, « Brésil : la fin de la nouvelle République (1985-2018) », Libération.fr le 12), je n’ai jusqu’à présent pas trouvé – dans les articles publiés en langue française – de référence à des projets s’apparentant au « chèque éducation » (en portugais, v. El País.com de ce 5 nov., où se trouve évoquée une certaine « Elizabeth Guedes, irmã do [la sœur] futuro ministro da Economia »).

Dans mon billet y relatif, j’abordais néanmoins le débat terminologique que je reprends ici : je notais en effet que l’analyse de la professeure de sciences politiques à Berkeley risquait de trouver une illustration, ayant remarqué qu’elle pointait « des attaques à l’encontre du principe d’égalité, principe que les néolibéraux opposent à la liberté et à la morale, voire à la liberté comme moralité exclusive. Ces attaques visent les droits LGBT, les droits reliés à la reproduction [notamment,] au nom de la liberté et contre les acceptions « totalitaires » du Bien. Le but est de reconstruire une sphère sociale organisée par des principes moraux traditionnels, c’est-à-dire des principes qui sous-tendent des hiérarchies et des exclusions fondées sur le genre, la race et le sexe » (entretien préc. Pour une autre citation de Wendy Brown, v. ma note de bas de page 1228, n° 3687, en conclusion de ma thèse ; et à partir de son livre précité, un autre texte d’Éric Fassin, « Le moment néofasciste du néolibéralisme », Le Monde.fr 29 juin, avec une version longue. Dans une tribune intitulée « Face au risque du fascisme au Brésil, la neutralité ne saurait être un choix », publiée dans l’édition papier du 26 oct., page 22, les historiennes Juliette Dumont et Anaïs Fléchet lient les « revirements idéologiques » de Jair Bolsonaro au « parcours du fascisme italien : opposé aux réformes néolibérales dans les années 1990, [il] a réussi à s’allier les milieux d’affaires à la veille du scrutin, grâce à un programme qui prône le démantèlement des droits sociaux et de l’éducation publique »).

José Murilo de Carvalho, « l’un des plus grands spécialistes des relations entre les forces armées et la politique au Brésil », est surtout préoccupé par « la nomination possible du général Aléssio Ribeiro Souto au ministère de l’éducation. Pressenti pour le poste, il avait déclaré en septembre, dans une interview, que la « vérité » sur 1964 devait être dite, et qu’il fallait « une nouvelle bibliographie pour les écoles », insinuant un enseignement de la dictature à l’école injuste vis-à-vis des militaires » ; avec le vice-président Hamilton Mourão, il faisait partie du « Groupe de Brasilia », qui « se réunissait régulièrement dans un hôtel de la capitale brésilienne » (Aglaé de Chalus, « Derrière Jair Bolsonaro, l’ombre de l’armée », La Croix 2 nov., n° 41244, p. 12, à partir du quotidien Folha de Sao Paulo ; dans un article antérieur – titré « Ces Brésiliens qui voteront Bolsonaro », 26 oct., n° 41239, pp. 2-3  –, cette correspondante au Brésil donnait l’exemple de Raquel, 31 ans : « Je ne crois pas que Bolsonaro soit parfait, mais le fait qu’il défende la famille traditionnelle suffit pour que je vote pour lui »).

Au-delà de ce « potentiel ministre de l’éducation », « viscéralement attaché à supprimer l’« idéologie de gauche » qui polluerait, dit-il, les collèges », les membres du groupe ont estimé Jair Bolsonaro à même de « mettre en exergue les forces armées et faire valoir la « défense de la famille » face aux revendications LGBT » (C. Gatinois, « Les généraux en embuscade », Le Monde 27 oct., p. 3).

Se trouve ainsi illustrée « l’une des expressions possibles de la mixité idéologique qui a le plus souvent dominé l’espace sous-continental latino-américain » : alors que « les militaires brésiliens » – tout en étant « aussi anticommunistes que leurs voisins » –, n’avaient pas suivi le « libéralisme radical » des « élèves chiliens de Milton Friedman, issus de l’Université catholique de Santiago », ceux d’aujourd’hui les rejoignent ; ils prônent cependant une forte intervention de l’Etat s’agissant des mœurs, de manière à capter les suffrages des « adeptes évangélistes pentecôtistes de la théologie de la prospérité », à la « présence de plus en plus visible » (Jean-Jacques Kourliandsky, « Amérique latine. Va-et-vient idéologiques du libéralisme. Aux sources des programmes populistes », Le Monde Économie & Entreprise 29 oct.).

« sortir Paulo Freire de là-dedans » : une menace grave contre les droits des enfants

Irène Pereira, Paulo Freire, pédagogue des opprimé-e-s. Une introduction aux pédagogies critiques (Libertalia, 2017)

Le 9 juin dernier était inauguré l’Institut bell hooks – Paulo Freire (France), qui « vise à développer les pédagogies féministes et critiques » ; « de la race (éducation anti-raciste aux Etats-Unis) » et « des normes (Education à la sexualité en Suède) », par exemple, rappelle sa co-fondatrice Irène Pereira, dans un des deux textes en ligne sur ce site depuis peu : elle y affirme d’abord que Paulo Freire, « prix de la Paix de l’Unesco en 1986 », est « le troisième auteur le plus cité dans le monde dans le domaine des sciences humaines et sociales pour son ouvrage : Pédagogie des opprimés » (« selon une étude » d’il y a deux ans).

Il l’est aussi dans le monde associatif, comme en témoigne le texte publié par le président de Solidarité Laïque à l’occasion de la rentrée scolaire, il y a deux ans : « l’éducation ne change pas le monde, elle change les gens qui eux vont changer le monde » (Paulo Freire, cité par Dominique Thys, le 31 août 2016) ; dans mon billet renvoyant aux écrits que j’ai mobilisés de Philippe Meirieu, l’actualisation au 12 septembre 2018 s’en tient à l’une de ses sources d’inspiration : outre Janusz Korczak, la même recension citait six autres pédagogues qui « se sont fréquemment retrouvés en pleine tourmente », dont Paulo Freire.

Parmi les déclarations de Jair Bolsonaro qu’elle cite, l’une touche aux questions de laïcité : « L’État est chrétien et que celui qui n’est pas d’accord s’en aille. Les minorités doivent se plier aux majorités » (Meeting à Paraíba, dans le Nord-Est, février 2017 ; v. aussi Michel Leclercq, « Au Brésil, les évangéliques ont voté Jair Bolsonaro », Le Figaro le 29 oct., n° 23082, p. 6, rappelant la formule – « Le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tous » – de celui « qui était catholique comme l’immense majorité des Brésiliens », mais qui depuis son baptême en Israël, en 2016, « entretient le flou et se dit simplement chrétien »). Une autre est directement sourcée dans la version remaniée pour la revue AOC (1er nov., avec le même titre « Le président Jair Bolsonaro contre le pédagogue Paulo Freire ») : sa promesse d’« entrer dans le ministère de l’Education avec un lance-flamme et sortir Paulo Freire de là-dedans » (Déclaration aux chefs d’entreprise à l’Espirito Santo, août 2018) ».

Irène Pereira renvoie au Manifeste des femmes unies contre Bolsonaro, rappelant le soutien apporté par ce dernier au « projet « d’école sans parti » » (pt 5 ; au pt 14 est défendue au contraire « la plus grande liberté d’enseigner et d’apprendre », autrement dit le droit à l’éducation – le premier des « droits sociaux » reconnus par la Constitution du 5 octobre 1988), « un mouvement conservateur » s’étant donné pour objectif de « faire interdire aux enseignants des références aux études de genre et à l’œuvre de Paulo Freire, alors décédé depuis 1997 » (v. aussi la dernière question posée à la secrétaire adjointe aux Droits de l’Homme de São Paulo, Djamila Ribeiro : El País.com 23 juill. 2016). Lors des manifestations de l’entre-deux tours, elle relève qu’un slogan était de « voter avec un livre, plutôt qu’avec une arme » ; celui titré L’importance de lire était « mis en avant ». Les efforts de son auteur étaient plus largement « de réfléchir aux conditions d’une éducation capable de consolider l’esprit de démocratie et à partir de 1985 d’empêcher le retour de la dictature au Brésil » ; le pédagogue brésilien, qui « avait été mandaté par le gouvernement antérieur [à 1964] pour mettre en œuvre une campagne nationale d’alphabétisation dans un pays caractérisé par un très faible niveau d’éducation », en avait été l’une des « premières cibles » (« arrêté trois mois et torturé », il avait été « ensuite expulsé de force » de son pays ; il ne pourra y retourner qu’en 1980).

Il était ainsi partisan d’une éducation à l’autonomie (comparer la brève recension de Victor Garcia Hoz, « La educación liberadora de Paolo Freire », Educadores mars-avr. 1974, p. 161, publiée dans la Revue française de pédagogie, vol. 28, p. 57, spéc. 117 : « Position de l’enseignement catholique espagnol face [à ses théories], à travers l’opinion [du] directeur de l’Institut « San José de Calasanz » », lequel lui reproche « de confondre action éducative et action politique et de faire du processus éducatif un instrument au service de la révolution et de la lutte des classes (…) ». A partir de son ouvrage Pédagogie de l’autonomie, v. le second texte d’Irène Pereira ; rapprocher aussi de l’une de mes conclusions, page 1224, avec une citation de Cécile Laborde).

La « clameur du « Ele Não  » [« pas lui »] » (Claire Gatinois, « Au Brésil, les femmes se mobilisent face à Bolsonaro », Le Monde le 23 oct. 2018, p. 4) n’aura pas suffi à empêcher « l’avancée de l’extrême droite et la percée de Jair Bolsonaro », lesquelles « ont aussi été facilitées par la perte d’influence d’une grande force modératrice et parfois progressiste, l’Eglise catholique. Pendant la dictature militaire, elle joua un rôle décisif dans la protection des mouvements sociaux et des libertés, en contraste avec ce qui se passait dans les autres dictatures d’Amérique du Sud » (Luiz Felipe de Alencastro, « Le vote des fidèles évangéliques a été déterminant », Le Monde le 31, p. 22 ; dans le même sens, M. Leclercq, art. préc., notant à partir du livre de la journaliste Lamia Oualalou que les Églises évangéliques « ont offert des lieux de rencontres et des réseaux de solidarité, un rôle que jouaient autrefois les syndicats ou l’Église catholique (…). En échange de ces « services », tous les fidèles reversent 10 % de leurs revenus »).

« Ninguém solta a mão de ninguém » (« Personne ne lâche la main de personne » ; photographie prise lors de la manifestation de São Paulo le 30 octobre (3/3), avec des remerciements à mon informatrice brésilienne pour l’envoi et la traduction)

La toute dernière page (1229) de ma thèse comprend une citation de Pauli Dàvila et Luis Maria Naya (« Le Comité des droits de l’enfant et le droit à l’éducation en Amérique latine (1989-2014) », in Yves Denéchère et David Niget (dir.), Droits des enfants au XXe siècle. Pour une histoire transnationale, PUR, 2015) ; il y a près d’un an, une recension de l’ouvrage par Dominique Dessertine a été mise en ligne : à propos de la contribution précitée, elle retenait que « les défenseurs des droits des enfants n’ont ni les moyens financiers, ni les appuis politiques espérés de régimes souffrant de déficit démocratique » (Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière » 2017, n° 19, § 3). Cette défense risque d’être encore plus difficile demain.

« Aujourd’hui à la tête du Haut-Commissariat pour les droits de l’homme des Nations unies, l’ancienne présidente chilienne Michelle Bachelet a signalé que ses services resteraient « très attentifs » à la situation brésilienne » (Christine Legrand et Marie Delcas, Le Monde.fr le 30 oct. 2018).

Ajout au 7 novembre 2018, avec l’article de Raphaëlle Rérolle, « Au Brésil, la détresse des gays et des trans », Le Monde, p. 15 : avant de retracer comment Jair Bolsonaroe – qui « devrait être intronisé le 1er janvier 2019 » – a puisé dans les « courants [évangéliques] radicaux » l’« expression fantasmatique » de « kit gay », elle rappelle que le Brésil « est le pays qui compte le plus grand nombre de crimes contre les personnes LGBT. Les trans, à 80 % des hommes noirs ou métis issus des classes défavorisées, sont les premières victimes de ces meurtres ».

Ajout au 8, pour signaler – grâce aux « Brèves du CRJ » – un colloque franco-russe intitulé Où en est l’État sous le néolibéralisme ?, organisé à Clermont Ferrand sous la direction de Marie-Élisabeth Baudoin et Karine Bechet-Golovko, les 19 et 20 novembre prochain.

Ajout au 17 : dans un entretien avec Julie Clarini de l’anthropologue Oscar Calavia Saez, publié ce jour dans Le Monde Idées, ce chercheur au GSRL rappelle un élément qui pourrait être oublié, à savoir que les gouvernements du PT (Parti des travailleurs, gauche) « entretenaient de solides relations politiques avec les évangéliques » ; rappelant le « profil typique » actuel de leurs Eglises (« enthousiasme pour un modèle économique d’extrême libéralisation et d’hostilité à l’égard de l’interventionnisme étatique, allié à un conservatisme musclé dans le domaine des mœurs »), il souligne que, « dans la pratique, les attitudes peuvent varier ».

17 octobre 1961

Dans deux jours, ce sera à la fois la Journée mondiale du refus de la misère (« créée en 1987 par Joseph Wresinski », comme le rappelait l’année dernière la CNCDH) et, au plan national, la commémoration du 17 octobre 1961 : ce jour-là, à Paris, « des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression » (communiqué de l’Élysée du 17 oct. 2012, la reconnaissance de « ces faits » constituant une des promesses de campagne du candidat François Hollande).

Capture d’écran d’une brève vidéo réalisée par Le Monde Afrique, à partir de la nécrologie de « Pierre Audin, fils de Maurice Audin (…) », lemonde.fr 29 mai 2023 : « Depuis 2018, M. Macron a également reconnu la responsabilité de l’armée française dans la mort de l’avocat nationaliste Ali Boumendjel durant la bataille d’Alger », notamment (v. respectivement les notes 8 et 11, complétées à l’occasion de cet ajout d’illustration en avril 2024, quelques jours après celui de la dernière du présent billet)

Le 13 septembre dernier, le président Emmanuel Macron reconnaissait « au nom de la République » la responsabilité de cette dernière dans l’assassinat, en 1957, du thésard en mathématiques Maurice Audin, militant communiste et anticolonialiste ; cette déclaration officielle est venue établir un lien clair avec la torture, qui « appartenait à l’arsenal disponible pour les militaires chargés de mener une guerre aux formes inédites, dans une population qu’ils connaissaient mal », en prenant « acte de ce que la recherche historique a établi depuis longtemps maintenant » (Raphaëlle Branche [1]).

L’information avait fait les gros titres, en marginalisant à la Une du « quotidien de référence » l’autre annonce de la veille, celle du plan pauvreté (à propos duquel v. mes billets du 15, ici et , ainsi que la première édition du Rapport sur la pauvreté en France, édité aujourd’hui par l’Observatoire des inégalités). L’historienne précitée était invitée Du Grain à moudre le 24, avec le professeur Iannis Roder et la romancière et metteuse en scène Alice Zeniter ; la question posée par Hervé Gardette : « Faut-il revoir l’enseignement de la guerre d’Algérie ? ».

« enseignement du passé colonial » : une « progressive problématisation et politisation » (Laurence De Cock, 2018)

Le 18, Olivier Le Cour Grandmaison annonçait à l’APS que le « collectif pour la reconnaissance des massacres du 17 octobre à Paris et sa banlieue se réunira[it], comme tous les ans, sur le Pont Saint-Michel pour « exiger la reconnaissance de ce crime comme crime d’État et l’ouverture de toutes les archives » » (à l’initiative de l’association « 17 octobre contre l’oubli », v. l’ouvrage sous sa direction, sous-titré Un crime d’État à Paris, La Dispute, 2001 [2] ; Yves Royer y traite de « L’Algérie dans nos manuels », pp. 113 et s.).

La République française « n’a produit en tout et pour tout que quatre lignes de communiqué présidentiel », manquant de précision, déplorait l’année dernière un autre historien ; Fabrice Riceputi affirmait alors : « Au lycée, rien n’interdit aux enseignants d’évoquer cet événement, mais rien dans les programmes ne les oblige, ni ne les encourage à le faire. (…) Notre époque est à une régression politico-mémorielle : le désir de roman historique national édifiant, charriant tous les négationnismes, est l’une des modalités de « l’extrême-droitisation » de la société française » [3].

place Edmond Arnaud (quartier Très-Cloîtres)

A l’occasion d’un colloque organisé à Lyon en juin 2006 (Pour une histoire critique et citoyenne au-delà des pressions officielles et des lobbies de mémoire : le cas de l’histoire franco-algérienne), Gilles Boyer et Véronique Stacchetti mentionnaient au titre des « pratiques pédagogiques originales (…) l’étude du roman de Leïla Sebbar La Seine était rouge » (Actes Sud, 2009), dans un collège de l’académie de Lyon ([4]).

Dans cette contribution, il est renvoyé en note n° 1 à la thèse de Françoise Lantheaume (EHESS, 2002), qui a dirigé celle de Laurence De Cock (Université Lumière Lyon 2, 2016 : l’entrée « 17 octobre » conduit à un certain nombre de résultats ; v. aussi le chapitre 3 sur l’« éducation aux droits de l’homme » encouragée par l’UNESCO, pp. 161 et s.). Elle en a tiré un livre publié aux PUL en août, sous le titre Dans la classe de l’homme blanc. L’enseignement du fait colonial en France des années 1980 à nos jours (le sous-titre employé ci-dessus est tiré des extraits de son introduction, publiés par Theconversation.com le 27).

Dans une tribune publiée la veille des Rendez-vous de l’histoire de Blois 2013 ([5]), elle notait que « l’analyse des programmes ne présume pas forcément de la réalité des enseignements et de ce que savent aujourd’hui les élèves » ; et d’évoquer « une enquête lancée par l’université Lyon-II et soutenue par l’Institut français de l’éducation (IFE-ENS de Lyon) », alors « en cours de traitement ». Dans l’ouvrage qui en est issu, Églantine Wuillot souligne « le peu de place pour les conflits qui entrent difficilement dans [le cadre républicain, avec ses principes de justice, de liberté et d’égalité] (les guerres coloniales, par exemple) » ([6]).

A propos de l’enseignement du fait colonial, Laurence De Cock a cherché à comprendre « comment on a pu arriver à ce que soit possible de dire, en même temps, « il n’y en a pas », ou « il y en a trop » ». Une « large partie » de son livre est consacrée « à la question de l’enseignement de la guerre d’Algérie et sa mémoire, (…) proportionnel[le] à la place que cela a occupé dans les débats publics » ces dernières décennies (entretien avec Amélie Quentel, Lesinrocks.com 3 sept. 2018, avec cette clarification : « non, on n’en parle pas trop, et oui, on en parle »).

L’« une des surprises de [s]a thèse a été de constater que le fait colonial est abordé de façon beaucoup plus décomplexée et engagée dans les années 1970 et 1980 qu’aujourd’hui. Les manuels de terminale Nathan de 1983 par exemple parlent des responsabilités de l’armée française dans la torture pendant la guerre d’Algérie » (entretien avec François Jarraud, Le Café Pédagogique 7 sept.). Durant cette période, « cette mémoire ne posait pas tant de problème. Elle n’est pas débattue socialement [et] devient problématique lorsque la guerre d’Algérie devient un enjeu lié à l’immigration » ([7]).

Depuis lors, la « présence désormais permanente des enfants de l’immigration coloniale et post-coloniale dans les classes » est l’objet d’un traitement politique qui conduit « à faire de la mémoire coloniale un sujet politiquement sensible », en particulier « lorsque la question rejaillit dans l’espace public à propos de la torture en 2000 » ([8]). Dans l’entretien pour Les inrocks, elle revient sur sa « manière de penser l’articulation entre le racisme contemporain et la mémoire coloniale », en croisant la « question des discriminations (…) avec d’autres critères, de classe, de genre ».

Accompagnant la publication du livre de Marcel et Paulette Péju, Gilles Manceron remarque : « Lors de la manifestation du 17 octobre, beaucoup d’observateurs ont été étonnés par le nombre de femmes qui y participaient, souvent habillées des mêmes vêtements que les Françaises, et par le caractère mixte des cortèges. Dans ceux, souvent méconnus, du 20 octobre et des jours qui ont suivi, (…) elles ont massivement participé, sans presque aucun appui ni encadrement masculins du fait de la désorganisation de la structure clandestine du FLN » (La triple occultation d’un massacre, La Découverte, 2011, p. 180).

Il renvoie notamment au dernier chapitre de cet ouvrage – terminé en 1962 –, Le 17 octobre des Algériens, pp. 73 à 80, lequel commence ainsi : « Le vendredi 20 octobre, à leur tour, 90 % des femmes algériennes de la région parisienne répondirent à l’appel du FLN : « N’envoyez pas vos enfants à l’école aujourd’hui ; allez manifester contre le couvre-feu et l’arrestation de milliers d’Algériens » ».

Gilles Manceron détaille quant à lui « la négation et la dénaturation immédiates des faits de la part de l’État français, prolongées par son désir de les cacher ; la volonté de la gauche institutionnelle que la mémoire de la manifestation de Charonne contre l’OAS en février 1962 recouvre celle de ce drame ; et le souhait des premiers gouvernants de l’Algérie indépendante qu’on ne parle plus d’une mobilisation organisée par des responsables du FLN qui étaient, pour la plupart, devenus des opposants » (pp. 111-112 [9]).

documentaire (2011) de Yasmina Adi

D’autres supports ont permis de faire connaître cette histoire : entre autres, un texte du rappeur Médine (Zaouiche) en 2006, entré dans les manuels des éditions Nathan en 2012 (v. Jérémie Léger, konbini.com janv. 2018) ; le documentaire ci-contre et, l’année dernière, ce court métrage de Mohamed Ketfi (Jhon Rachid).

Un billet (30 juill., actualisé aujourd’hui) m’a déjà permis d’aborder la tension entre histoire et mémoire(s). Certaines pages de ma thèse concernent directement l’Algérie coloniale (p. 185 à propos des élèves juifs ; pp. 369-372, 546 et 548 à propos de la référence aux libertés), d’autres dressent des parallèles avec celle d’aujourd’hui (pp. 460 et 481). Après l’affirmation européenne du « droit à l’instruction » en 1952, l’une des raisons officielles à la ratification tardive de la Convention concernait l’enseignement (privé) – au nom de sa « laïcité » –, l’officieuse tenant aux atteintes aux droits garantis par ce texte commises durant cette guerre (pp. 816 et s., spéc. 818), que d’aucuns appellent encore aujourd’hui « la pénible question algérienne » ([10]).

Au terme de son histoire populaire, Michelle Zancarini-Fournel note qu’est probablement sous-estimée, notamment, « la réactivation – voire la réinvention – de mémoires familiales pour les descendant.e.s des familles ayant immigré ». Avant d’en venir au 17 octobre 1961, elle traite de l’affaire Audin (1957), juste après avoir mentionné « la protestation du professeur de droit gaulliste René Capitant » à propos d’Ali Boumendjel (Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours, La Découverte, 2016, pp 911 et 761).

« suicide » d’Ali Boumendjel (1957) : René Capitant suspend ses cours

A partir du livre d’une autre historienne, Malika Rahal, Hassane Zerrouky rappelait en 2010 (l’Humanité 2 nov.) que le « jeune avocat, membre d’un collectif de défense des militants du FLN et militant du Mouvement mondial de la paix, (…) a été basculé du sixième étage d’un immeuble abritant un centre de torture, situé à El Biar sur les hauteurs d’Alger, là où justement ont été détenus et torturés le journaliste Henri Alleg et le mathématicien Maurice Audin ».

Et d’ajouter : « Non convaincu du « suicide » de son ancien étudiant, [l’ancien ministre de l’Éducation nationale [11]] décide de « suspendre ses cours » en guise de protestation et au nom de « l’honneur de la France », et envoie une copie de la lettre adressée à ses supérieurs à plusieurs journaux ».

Photo de la manifestation © Roger-Viollet

Michelle Zancarini-Fournel aborde cinq pages plus loin le 17 octobre 1961 à Paris, en précisant que l’« une des attaques les plus sanglantes contre les manifestants a lieu sur les Grands Boulevards, devant le cinéma Le Rex » (ouvr. préc., p. 766).

« C’est seulement à partir de la loi [n° 61-1439 du 26 décembre] que l’État se préoccupe vraiment d’organiser le rapatriement » ; « l’exode des Français d’Algérie s’accentue [après les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962]. Contrairement aux idées reçues, la plupart d’entre eux appartiennent aux classes populaires » (pp. 768-769). Avant de noter que les « formes ultérieures de la rétention administrative des étrangers en France sont les héritières directes [du système d’internement] des populations coloniales, étrangères et migrantes », l’historienne s’intéresse alors aux termes employés pour désigner les harkis, en renvoyant au livre de son homologue américain Todd Shepard [12].

Ce dernier précise que « les références officielles concernant les Algériens juridiquement catégorisés comme [« musulmans »] ne s’appliquaient pas nécessairement à des pratiquants de l’islam » ([13]) ; il explique ultérieurement avoir « beaucoup travaillé sur les questions de la torture, notamment » sa justification en « taxant ceux qui critiquaient la France de pédérastes » ([14]).

En notes de bas de pages 6 et 16 de l’ouvrage posthume de Marcel et Paulette Péju, il est indiqué d’une part qu’elle est décédée en 1979 et lui en 2005, après l’évocation de la préface de Pierre Vidal-Naquet à la réédition de Paulette Péju, Ratonnades à Paris, précédé de Les Harkis à Paris (La Découverte, 2000) ; d’autre part, Gilles Manceron cite un entretien avec Marcel Péju pour la revue de la Ligue des Droits de l’Homme (Hommes et Libertés sept.-nov. 2001, n° 116, p. 20), intitulé « Du 17 octobre 1961 à la question des harkis ».

« camp de Bias » (1964-1975) : la faute de l’État dans la scolarisation des enfants des harkis

Dans ma thèse, au terme de mon premier titre sur la référence au service public pour saisir le bienfait éducation, je cite page 188 la « première décision de justice reconnaissant les fautes commises par l’État à l’égard des harkis », selon Hafida Belrhali-Bernard ; professeure à l’UGA, l’annotatrice discutait l’idée selon laquelle la « réparation aurait déjà eu lieu » ; plus loin, avant de faire référence à « d’autres contextes » en citant l’arrêt Laruelle – v. mon premier billet –, elle montrait comment « les préjudices de l’histoire brouillent les grilles d’analyse sur les mécanismes indemnitaires » (AJDA 2015, p. 114, spéc. pp. 117 et 120).

Photo d’Abdelkader Tamazount (au premier rang, 2ème en partant de la gauche) au camp de Bias : « C’était en 1975 durant les événements qui nous ont permis d’être enfin libres par la suite » ; « On nous a privés de nos droits les plus élémentaires au-delà de la dignité humaine » (cité par Joëlle Faure, ladepeche.fr 6 oct. 2018 ; illustration ajoutée en même temps que mon billet du 9 avril 2024, réagissant à la condamnation de la France par la CEDH pour ce motif).

« La haute juridiction » vient de relever « une double erreur de droit » de la part de la cour administrative d’appel de Versailles (Marie-Christine de Montecler, obs. sous CE, 3 oct. 2018, n° 410611 ; AJDA 2018, p. 1872 [15]). C’est toutefois en prenant appui sur les décisions des juges du fond qu’une indemnisation (chiffrée à 15 000 euros) est – cette fois – décidée. En plus de venir confirmer discrètement une clarification quant à l’intervention du « Comité harkis et vérité » ([16]), le Conseil d’État se réfère aux « conditions de droit commun » en matière de « scolarisation des enfants » : l’État a commis une faute caractérisée notamment par la méconnaissance de ces règles à propos des personnes dans la situation du requérant ; né au camp « Joffre » de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), ce « fils d’un ancien supplétif de l’armée française en Algérie » avait été, à l’âge d’un an, « transféré en 1964 au camp de Bias (Lot-et-Garonne), où il a vécu jusqu’en 1975 » (cons. 7 et 1).

Ajouts au 20 octobre 2018, en guise de conclusion trois jours après le 17, avec cette tribune du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (co-signée par sa présidente Natacha Coquery avec Michèle Riot-Sarcey), alors que « cette répression n’est toujours pas reconnue comme un crime d’État par la France » (Brut). V. aussi ce thread Twitter – commencé par Mathilde Larrère, terminé par Laurence De Cock sur les aspects mémoriels (ici et ) –, cet article en avril 2016/2017 : « Quand Gabriel Garcia Marquez était un algérien dans le Paris de Papon » ; enfin cette citation : « Je me souviens de son cartable et de ses livres. J’étais émerveillé à l’époque par ses gros livres et ses gros dictionnaires » (Djoudi Bedar, cité par Hana Ferroudj, « Fatima Bedar, fille de tirailleur algérien, « noyée » le 17 octobre 1961 », Bondy blog 17 oct. 2013).

Ajout au 12 novembre 2018, pour signaler la chronique publiée ce jour sous l’arrêt du 3 octobre précité, en réagissant à un extrait : « tout en se gardant de tout anachronisme et en se préservant d’analogies hasardeuses, comme le relevait A. Bretonneau dans ses conclusions [17] », Charline Nicolas et Yannick Faure citent deux décisions antérieures du Conseil d’État, concernant les personnes migrantes (AJDA 2018, p. 2187, spéc. p. 2190) ; si, pour la période allant jusqu’en 1975 évoquée supra, l’affirmation du droit à l’éducation aurait été anachronique – sauf à mobiliser le droit international –, en 2015 et 2017, c’est l’absence de toute mention de ce droit à qui surprend (v. ma thèse pp. 1115-1116 et 1224 ; la chronique alors citée l’est aussi au terme de mon tout premier billet).

Ajouts au 17 novembre 2018, avec cinq textes réagissant à l’annonce du décès de Brigitte Lainé, le 2 : de Sonia Combe le 7, de Mathilde Larrère le 11, de Fabrice Riceputi le 12 (à partir de son ouvrage précité), de Clémence Jost le 13 et de Chloé Leprince le 16 (le parcours de l’archiviste est aussi évoqué le même jour dans l’émission La Fabrique de l’histoire) ; à travers son courage se trouve soulignée l’importance de la conservation de la mémoire, laquelle passe par celle des archives, ainsi que par la possibilité de les consulter. Il est aussi fait référence à un jugement donnant l’occasion d’aborder la question de l’(in)exécution des décisions de justice, « l’administration ayant uniquement proposé à Mme Lain[é] d’assurer la responsabilité du secteur des archives privées, au sein du nouveau service des archives territoriales et privées, ce qui ne correspond[ait] pas aux fonctions qu’elle exerçait auparavant, sans établir un intérêt du service qui s’opposerait à l’exécution du jugement du 20 mars 2003 [qui lui avait déjà donné raison ; il était alors remarqué qu’« une sanction disciplinaire déguisée » avait été identifiée] » (TA Paris, 4 mars 2004, n° 0315668/5, avec injonction au maire de Paris).

[1] Raphaëlle Branche (entretien avec, par Christine Rousseau), « Il ne sera plus possible de nier le caractère systématique de la torture en Algérie », Le Monde 14 sept. 2018, p. 20

[2] Les « Réflexions » s’ouvrent par un texte de Jean-Luc Einaudi – décédé en 2014, auteur de La Bataille de Paris (Seuil, 1991) et d’Octobre 1961. Un massacre à Paris (Fayard, 2001), rééd. 2011 –, concluant qu’il s’opposera « résolument aux tentatives cherchant à opposer victimes juives et algériennes » de Maurice Papon (in Olivier Le Cour Grandmaison (dir.), Le 17 octobre 1961. Un crime d’État à Paris, La Dispute, 2001, p. 58).

[3] Fabrice Riceputi – auteur de La bataille d’Einaudi. Comment la mémoire du 17 octobre 1961 revint à la République, Le passager clandestin, 2015 –, « La bataille pour la reconnaissance du massacre du 17 octobre 1961 continue », Le Monde.fr 17 oct. 2017

[4] Gilles Boyer et Véronique Stacchetti, « Enseigner la guerre d’Algérie à l’école : dépasser les enjeux de mémoires ? », in Frédéric Abécassis et alii (dir.), La France et l’Algérie : leçons d’histoire : De l’école en situation coloniale à l’enseignement du fait colonial, ENS Éd., 2007, p. 241 ; lors du même colloque, v. le « Bilan du 17 octobre 1961 à Paris » des historiens britanniques Jim House et Neil Mac Master, résumant leur livre comme l’explique Guy Pervillé dans un billet du 18 janv. 2016

[5] Laurence De Cock, « Enseignement : des conflits sans histoire », Le Monde.fr 12 oct. 2013

[6] Églantine Wuillot, « La guerre : opérateur de l’histoire de France », in Françoise Lantheaume et Jocelyn Létourneau (dir.), Le récit du commun. L’histoire nationale racontée par les élèves, PUL, 2016, p. 83, spéc. p. 92

[7] Laurence De Cock, citée par Nicolas Dutent et Pierre Chaillan ; propos choisis de la table ronde animée par Rosa Moussaoui, avec Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, « Quel enseignement du fait colonial ? », l’Humanité 21 sept., p. 11

[8] Laurence De Cock, « Pourquoi les programmes d’histoire déchaînent-ils tant de passions ? », AOC 9 oct. ; sur le même site le 10, Karima Lazali, « L’ombre de la République – à propos de la reconnaissance du crime d’État sur Maurice Audin » : commentant ce « tournant mémoriel », l’autrice défend l’idée que « la colonialité est la part monarchique de la République » (de Laurence De Cock encore, « L’histoire de l’immigration disparaît des programmes de lycée ? », billet d’aujourd’hui). Ajout en avril 2024 du récit documentaire d’Odile Conseil, suivi d’un entretien de Fabrice Drouelle avec l’historienne Sylvie Thénault, pour le podcast Affaires sensibles (« Le cas Maurice Audin et la torture en Algérie », radiofrance.fr 18 sept. 2023).

[9] Sur le premier facteur identifié par Gilles Manceron – le rôle de l’État –, v. aussi son billet du 16 octobre 2017, à partir des « notes laissées par le porte-parole du général de Gaulle, Louis Terrenoire, (…) publiées dans un ouvrage émouvant de sa fille, Marie-Odile ».

[10] Philippe Ratte, De Gaulle et la République, Odile Jacob, 2018, p. 117, cité par Damien Augias, « La Ve République : une naissance aux forceps ? », nonfiction.fr 4 oct. 2018 ; recension croisée de ce livre avec celui de Grey Anderson (traduit par Éric Hazan), La guerre civile en France 1958-1962. Du coup d’État gaulliste à la fin de l’OAS, La Fabrique.

[11] L’entrée « René Capitant » conduit à une dizaine d’entrées dans ma thèse, mais mes lectures ne m’avaient jamais amené jusqu’à la rédaction de ce billet à l’élément ici rapporté ; fils d’un autre juriste célèbre, Henri Capitant, il est lui aussi né en Isère : le premier à Grenoble en 1865, le second à La Tronche en 1901. Ajout en avril 2024 d’une reconnaissance qui « fait partie des gestes d’apaisement recommandés par l’historien Benjamin Stora dans son rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie » (remis au président de la République le 20 janvier 2021), lequel avait « soulevé de vives critiques, aussi bien en France qu’en Algérie, notamment pour ne pas avoir préconisé des « excuses » de Paris pour la colonisation » (« Emmanuel Macron reconnaît que l’avocat Ali Boumendjel a été « torturé et assassiné » par l’armée française en Algérie », lemonde.fr (avec AFP) le 3 mars).

[12] Todd Shepard (traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude Servan-Schreiber), 1962. Comment l’indépendance algérienne a transformé la France, Payot, 2008 (2006), pp. 298-315 ; ces pages prennent place dans les développements consacrés au « refoulement des musulmans » ; outre ce chapitre IX, v. les premier et cinquième qui s’intitulent « Citoyens français musulmans d’Algérie : une histoire éphémère », pp. 35 et s. « Qui sera algérien ? Qui sera français ? », pp. 181 et s.

[13] Ibid., p. 23 (en introduction).

[14] Todd Shepard, entretien avec Sarah Al-Matary – à l’occasion du colloque « La guerre d’Algérie, le sexe et l’effroi » –, La Vie des idées 19 déc. 2014

[15] Marie-Christine de Montecler, obs. intitulées « L’État est responsable des conditions « indignes » d’accueil des harkis », reprises sur Dalloz-actualite.fr, en citant in fine le considérant 12. Concernant la toute dernière phrase, comparer CE Sect., 11 janv. 1978, Vve Audin, n° 99435 : cette fois, l’exception de déchéance quadriennale avait été opposée à la demande indemnitaire formulée le 22 mars 1968, soit antérieurement à la loi n° 68-1250 du 31 décembre ; le Conseil d’État la rejette, tout en déclarant la juridiction administrative incompétente pour ce « cas d’atteinte à la liberté individuelle », en juin 1957 ; la suite de la procédure n’est pas mentionnée dans la page Wikipédia consacrée à l’intéressé, qui ne renvoie qu’à une seule décision : Crim., 22 déc. 1966, n° 66-93052, déclarant l’action publique éteinte sur le fondement de la loi n° 66-396 du 17 juin 1966 « portant amnistie d’infractions contre la sûreté de l’État ou commises en relation avec les événements d’Algérie ».

[16] V. le considérant 2 de cet arrêt n° 410611, comme de celui d’appel, n° 14VE02837, et comparer avec le début de la note précitée ; Hafida Belrhali a aussi attiré mon attention sur ce point lorsque j’annotais un autre arrêt de la même CAA de Versailles, à propos duquel v. cette annonce in fine.

[17] Les conclusions d’Aurélie Bretonneau ont été publiées dans la dernière livraison de l’année de la la Revue française de droit administratif (v. RFDA 2018, p. 1131, spéc. p. 1132).

Les notes de bas de page de ce billet ont été ajoutées le 2 novembre 2019 ; elles ne font que reprendre des éléments initialement laissés entre parenthèses.

« Plan pauvreté » : un peu d’histoire des idées

A l’occasion du « Plan pauvreté », Le Monde Idées publie ce jour une mise en perspective socio-historique de Serge Paugam (entretien avec, par Anne Chemin), « Assistances publiques » : il est notamment rappelé que la « doctrine du solidarisme peut être considérée, encore aujourd’hui, comme le soubassement idéologique de l’Etat social français ». En 1945-1946 s’opère « une rupture culturelle en introduisant la notion de “droits sociaux” » (« adossé[s] à la société salariale »). Serge Paugam termine en relevant que de nombreux discours tendent à inverser la dette que la IIIe République avait proclamée : « on a parfois l’impression, aujourd’hui, que ce sont les pauvres qui ont une dette à l’égard de la nation ».

La doctrine solidariste est évoquée dans le tout premier chapitre de ma thèse, dans des développements consacrés au devoir de l’Etat en matière d’enseignement (pp. 130-131). Son principal inspirateur, Léon Bourgeois, a été président à la fois de la Ligue de l’enseignement et de la commission de 1904 sur les classes spéciales (p. 1038). Je le cite également dans l’une de mes conclusions – en note de bas de page 1214 (n° 3613) -, lorsque je reviens sur la corrélation entre les obligations et les droits, déniée en leur temps par des auteurs aussi éminents que Duguit, Hauriou ou Esmein.

La RFDA a publié dans son numéro 3 de cette année un dossier consacré à Léon Aucoc (10 sept. 1828-15 déc. 1910 ; il est cité via Hauriou en note de bas de page 142, n° 837) ; il s’agit des actes du « Printemps de la jeune recherche », qui ouvrait le colloque organisé à l’Université de Rennes I par l’Association française pour la recherche en droit administratif (AFDA), le 7 juin 2017. Dans sa contribution intitulée « Léon Aucoc, une vision actuelle du service public » (RFDA 2018, pp. 577 et s.), Quentin Barnabé souligne « sa vision d’un État libéral (…), celle qui laisse la main à l’initiative privée ». Il le fait juste après avoir noté que l’approche du conseiller d’État se séparait de « la théorie du « solidarisme » ».

Mathieu Garnesson indique quant à lui que « Léon Aucoc participa activement à la création de l’École libre des sciences politiques, fondée par Émile Boutmy en 1872. Dans l’entreprise de diffusion des idées libérales, la création de cette école eut un rôle particulier. En effet, il n’existait à l’époque aucune institution destinée à la formation des fonctionnaires de façon générale. La dernière expérience en date fut la très éphémère École nationale d’administration de 1848, qui ne reçut qu’une seule promotion, dont Léon Aucoc fit d’ailleurs partie » (« Léon Aucoc, le Conseil d’État et le capitalisme « à la française » » (pp. 587 et s.). A propos de l’ancêtre de Sciences Po, v. ma note de bas de page 276 (n° 1690) ; il y a là l’une des citations de Jean Zay.

Ajouts au 25 et 30 septembre, modifiés le 12 novembre 2018, d’une part avec cet article de Serge Paugam réagissant au discours prononcé par le président le 13 (« Macron et les pauvres : une version néo-libérale du solidarisme », AOC 18 sept. ; pour des citations d’autres articles publiés sur le site d’Analyse Opinion Critique – lancé au début de cette année –, v. not. in fine ici et , avec des développements sur le « néolibéralisme »). Le sociologue reconnaît quelques points forts, et notamment « que la philosophie de ce plan admet sans réserve que la nation tout entière a une dette à l’égard des pauvres » ; toutefois, vite « cette filiation solidariste s’arrête [c]ar les choix idéologiques d’Emmanuel Macron confortent une vision individualiste du social ». Ainsi, « [p]our prévenir la pauvreté des enfants, (…) il faut penser aussi à leurs parents », ce qu’implique nécessairement l’idée d’une « chambre à soi ».

D’autre part avec cet extrait au terme d’un entretien avec Anne Chemin de Patrick Savidan (publié dans Le Monde Idées le 10, sous le titre : « Nous sommes tous égalitaristes », en signalant la parution le 17 octobre du Dictionnaire des inégalités et de la justice sociale, aux PUF) : « depuis les années 1980, l’histoire de nos démocraties montre que quand on développe l’approche minimaliste au nom de l’individualisme, on renforce les « solidarités électives » qui mettent à mal l’universalité des droits » (dans le même sens, v. la thèse de droit social de Floriane Maisonnasse, L’articulation entre la solidarité familiale et la solidarité collective, LGDJ, 2016, p. 24 : cette dernière « repose sur une justice égalitaire et redistributive, tandis que la solidarité familiale est reproductrice des inégalités ») ; à partir de ce constat, le philosophe invite à « sortir de cette alternative et réinventer la composante solidariste de notre Etat social en nous appuyant sur les urgences sociales et environnementales ».

Ajout au 28 décembre 2018 : en lien avec ce qui précède et selon Tiphaine Jouniaux, porte-parole du Snasen-UNSA, syndicat des assistants sociaux, les parents pauvres « préfèrent s’appuyer sur les solidarités familiale, communautaire ou amicale, et attendent l’« urgence », pour appeler à l’aide » (Mattea Battaglia, « L’école au défi de la pauvreté de ses élèves », Le Monde le 27, p. 8).

« Une chambre à soi »

Le 15 juillet, au stade Loujniki de Moscou, le photographe de Vladimir Poutine avait préféré à Veronika Nikoulchina et Kylian Mbappé une « image très peu protocolaire » du président français ; une dizaine de jours plus tôt, ce dernier avait décidé « le report du plan pauvreté » (Cédric Pietralunga, « Quand Macron exulte avec les joueurs », Le Monde 17 juillet 2018, p. 16). « Contrairement aux baisses d’impôts des plus aisés, la pauvreté peut attendre », remarquait Louis Maurin (« De quoi les pauvres ont-ils besoin ? », Observatoire des inégalités 10 juill. 2018, avec l’encadré ; et d’aborder la situation des élèves dont les « parents sont pauvres », en renvoyant à son billet du 14 juin 2018).

Six mois plus tôt avait lieu l’Examen périodique universel du rapport de la France à l’ONU. Autrice d’une contribution écrite, l’association ATD Quart Monde relevait dans un texte mis en ligne le 23 janvier : « Plusieurs pays, à l’instar de la Hongrie, comme le Portugal, le Timor Oriental, le Congo, la Moldavie, la Slovaquie, l’Azerbaïdjan, le Serbie, le Honduras, demandent à la France de prendre des mesures pour promouvoir une véritable culture d’égalité et de tolérance en particulier à travers le droit à l’éducation, quelle que soit l’origine sociale » (je souligne). Il y a dix jours, Marie Charrel citait sa présidente Claire Hédon, avant de noter :  « Sa crainte : que le gouvernement se contente de mesures éparpillées, à l’efficacité d’ensemble limitée. « Les actions ciblées sur les enfants n’ont de sens que si, dans le même temps, on s’attaque à la précarité et aux difficultés de logement des parents », prévient Nicolas Duvoux, sociologue à l’université Paris-VIII » (« Les enfants, victimes des déterminismes sociaux », Le Monde Économie & Entreprise 5 sept. 2018).

Ce dernier, membre de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES), a aussi indiqué : « La pauvreté touche aujourd’hui de manière disproportionnée les enfants (19,9 %), les jeunes adultes (25,2 % des 18-24 ans) et les familles monoparentales (34,9 %) » ; elles « paient le prix fort de l’instabilité croissante de la vie professionnelle et familiale, notamment les femmes les moins diplômées issues de milieux populaires » (« Pauvreté : de quoi et de qui parle-t-on ? », Ibid. le 10). Commentant le plan, il note qu’« on fait un pas non négligeable dans le sens de la lutte contre la pauvreté, mais si on remet cette stratégie dans la perspective des choix de politiques sociales et économiques du quinquennat, la dimension égalitaire, voire égalitariste, n’est pas présente » (Nicolas Duvoux (entretien avec, par Cécile Bouanchaud), « On retrouve chez Macron cette tendance à demander beaucoup à ceux qui ont peu », Le Monde.fr le 13). Et de relever, dans le discours d’Emmanuel Macron, la « dimension de sanctions et d’obligations ».

Cela vaut aussi concernant l’enfance, avec une approche en termes d’obligations, d’instruction « dès 3 ans » ou de « de se former jusqu’à 18 ans » (sur ce point, v. ma thèse pp. 1028 et s.). Une volonté de « résorber les bidonvilles » est affirmée (entrer dans le pdf le terme mis en gras conduit à une vingtaine de résultats ; dans sa tribune intitulée « Au secours, Monsieur Macron, la pauvreté ne peut plus attendre », Le Monde 11 avr. 2018, p. 23, Etienne Pinte y voyait une des questions exigeant des « gestes forts pour sortir de la précarité ») ; également annoncée, une « distribution gratuite de petits déjeuners dans les écoles des zones défavorisées » (« Les quatre axes du « plan pauvreté » de Macron : petite enfance, emploi, aides sociales et logement », Le Monde.fr les 12-13).

Dans son Rapport IGEN de mai 2015 (Grande pauvreté et réussite scolaire. Le choix de la solidarité pour la réussite de tous, 224 p.), Jean-Paul Delahaye prenait l’exemple de la Guyane, où « des élèves peuvent être amenés à réaliser des trajets importants pour se rendre à l’école, souvent sans avoir pris de petit déjeuner » (p. 40 ; je souligne. La mise en place d’une « politique de « collation pour tous », dans le premier degré », venait de commencer dans cette académie). Il « s’étonne surtout de l’absence des mots « mixité sociale » dans les annonces » (cité par Sylvain Mouillard, Marie Piquemal et Anaïs Moran, « Un plan pour s’attaquer au berceau de la pauvreté », Libération.fr 13 sept. 2018). Dans mon billet sur la carte scolaire, l’extrait de son rapport auquel je renvoyais s’insère dans ses développements sur la « mixité sociale et scolaire » (pp. 91 et s.).

L’association Droit au logement (DAL) « déplore « qu’il n’y ait rien de neuf » [sur la question] » (Isabelle Rey-Lefebvre, « Plan pauvreté : des associations saluent des avancées, mais s’inquiètent des crédits et de la mise en œuvre », Le Monde.fr 14-15 sept. ; v. aussi, du président du Samusocial Eric Pliez (entretien avec, par Isabelle Rey-Lefebvre), « Le logement et les grands exclus sont les oubliés du plan pauvreté », Ibid. le 15).

« Disposer d’une chambre à soi a longtemps été un luxe, avant de se banaliser sous les Trente Glorieuses. « C’est aujourd’hui cette démocratisation de l’intimité, cette conquête immense et minuscule, qui est menacée », alert[ait il y a plusieurs mois le rapport de la Fondation Abbé-Pierre, L’état du mal-logement en France, 2018] », selon la recension de Florine Galéron (Sciences Humaines.com avr. 2018 ; je souligne). Le 29 août, des extraits du livret pédagogique dirigé par Nina Schmidt, Les inégalités expliquées aux jeunes (éd. de l’Observatoire des inégalités, avr. 2018), étaient mis en ligne : « Ne pas avoir d’espace à soi pour faire ses devoirs, cela se ressent sur les résultats à l’école » ; à la portée des enfants, le rappel de cette évidence devrait l’être aussi des adultes.

Il y a près de quarante ans, le directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) introduisait l’ouvrage publié par cette organisation, sous la direction de Gaston Mialaret, Le droit de l’enfant à l’éducation (1979, 266 p.). Invitant à considérer « ses aspects économiques et sociaux », Amadou-Mahtar M’Bow déclarait : « Dans une large mesure, les obstacles auxquels se heurte l’exercice du droit de l’enfant à l’éducation se ramènent en effet bien souvent à la pauvreté » (p. 9, spéc. p. 13 ; je souligne ce passage, cité en introduction de ma thèse, en note de bas de page 47, n° 200). Cinquante ans plus tôt, une femme de lettres anglaise écrivait déjà : « La liberté intellectuelle dépend des choses matérielles (…). Voilà pourquoi j’ai tant insisté sur l’argent et sur une chambre à soi » (Virginia Woolf (traduit par Clara Malraux), Une chambre à soi, Poche, 2001 (1929), p. 162).

Ajout au 18 septembre 2018, avec cette tribune publiée hier sur Libération.fr, intitulée « Rentrée scolaire : de trop nombreux enfants à la porte de l’école » ; un extrait contient des estimations, dans lequel j’intègre des liens vers de précédents billets pour appuyer ce texte collectif : « 80 % des enfants vivant en bidonvilles et en squats ne sont pas scolarisés, mais c’est aussi le cas d’enfants vivant en habitat précaire, en hébergement d’urgence, ou encore accueillis temporairement avec leur famille chez des proches. De nombreux jeunes sans représentants légaux sur le territoire sont également exclus de l’école durant des mois, notamment quand leur minorité est contestée. Des milliers de jeunes handicapés se retrouvent également sans aucune solution de scolarisation. Le problème est décuplé dans les départements d’outre-mer : certaines estimations évoquent 5 000 enfants à Mayotte et 10 000 enfants en Guyane privés d’école » (outre l’extrait cité supra à propos de la Guyane, cette entrée conduit à plusieurs résultats dans ma thèse : v. par ex. les pp. 117, 754 et 1124-1125, où je cite l’Avis publié l’été dernier par la CNCDH ; sa présidente, Christine Lazerges, est la première signataire de la tribune précitée).

Ajout au 30 septembre 2018 : dans le numéro en cours de la revue Après-demain (2018/3, n° 47, NF), ce texte de l’ex-ministre et actuelle députée George Pau-Langevin, « Droit à l’instruction Outre-mer : une démarche inaboutie ». A propos de la Guyane, elle indique que le « Pacte d’accord conclu suite aux troubles urbains de 2017 a prévu la construction de 500 classes pour le premier degré, de dix collèges, de cinq lycées durant les prochaines années » ; plus loin, elle note qu’« il est malaisé de savoir si tous les enfants en âge d’être scolarisés le sont réellement », avant de s’inquiéter de leur sort dans « l’ouest guyanais où ils font de longs trajets et à Mayotte, où ils n’ont souvent guère à manger ».