L’étudiant devenu paraplégique, la CEDH et « l’éducation inclusive »

Dans la page consacrée aux « personnes en situation de handicap » par RTE (Right to Education Initiative), l’onglet « Jurisprudence » renvoie à deux décisions rendues en Argentine et au Canada ; celle de la Cour européenne se développe aussi : le 30 janvier dernier, elle s’est ainsi prononcée dans l’affaire Enver Şahin contre Turquie (n° 23065/12).

Résidant à Diyarbakır, resté paralysé après un accident, M. Enver Şahin avait sollicité en vain l’aménagement des locaux pour pouvoir reprendre ses études à l’université Fırat. Plus de dix ans plus tard, la Cour a condamné la Turquie.

Au § 25, elle renvoie aux « textes internationaux pertinents (…) décrits dans l’arrêt Çam » (v. aussi le § 60 et ma thèse, p. 874, spéc. la note n° 1501), soit la Charte sociale européenne révisée (pp. 875 et s.) et la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (pp. 794 et s.) ; au paragraphe suivant, l’article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (pp. 746 et s.) est ajouté.

Selon le § 28, le requérant invoquait « l’article 2 du Protocole n° 1 [2 PA 1] à la Convention pris isolément ou combiné avec l’article 14 » de cette dernière (était aussi invoqué l’article 8, mobilisé dans le raisonnement de la Cour aux §§ 59 et 72) ; le « droit à l’instruction » fait partie de l’ensemble conventionnel depuis 1952 (pp. 801 et s.). Depuis 2005, il est certain qu’il concerne l’enseignement supérieur (pp. 839-840). Fréquemment combiné avec le droit à la non-discrimination, il peut en ressortir occulté (pp. 854 et s.).

Ce n’est pas le cas ici, où il est même reformulé dans les conclusions de la Cour, qui sont que « le Gouvernement n’a pas démontré que les autorités nationales, dont notamment les instances universitaires et judiciaires, ont réagi avec la diligence requise pour que le requérant puisse continuer à jouir de son droit à l’éducation sur un pied d’égalité avec les autres étudiants et pour que, en conséquence, le juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents en jeu ne soit pas rompu. Partant, il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention » (§ 75 ; concernant la « satisfaction équitable » prévue à l’article 41, v. les §§ 80 et s.).

Ce cadrage est cependant discuté par le juge Lemmens. Au § 62, la majorité traite de « l’éducation inclusive » à partir de l’article 14, en s’inscrivant dans la continuité de l’arrêt précité Çam contre Turquie (en citant son § 64, à propos duquel v. pp. 981 à 983). Le juge belge commence son assez longue Opinion dissidente, reproduite au terme de la décision, en affirmant que « le problème soulevé par le grief n’est pas (seulement) un problème de discrimination : il touche au droit à l’instruction même » (point 2) et à son accessibilité.

Il cite l’Observation générale (OG) n° 2 du Comité des droits des personnes handicapées (CoDPH) : portant sur cette notion (v. pp. 798 et 1189), cette OG la rattache aux « groupes, alors que les aménagements raisonnables concernent les individus » (§ 25). Paul Lemmens se réfère aussi à celle n° 4 sur le droit à l’éducation inclusive (article 24), mais avec prudence (point 4 in fine) et que pour conclure que l’article 2 PA 1 n’a pas été méconnu, même combiné avec l’article 14 (point 13). A son avis, lesdits aménagements étaient envisageables, « mais le requérant semble avoir placé les instances universitaires devant un fait accompli en rompant les discussions avec elles et en introduisant une action en justice » (point 11).

En France, à la mi-mars 2018, un étudiant désireux de devenir journaliste sportif n’a pas été contraint de le faire ; selon Jean-Gabriel Fernandez (Le Monde.fr le 16), la médiatisation de cette affaire a permis une solution non contentieuse.

Le 16 janvier, Jean-Marc Borello remettait son Rapport à la Ministre du Travail ; centré sur l’emploi, son titre illustre la diffusion de la référence inclusive : Donnons-nous les moyens de l’inclusion (101 p.). Le mois suivant était remis à Jean-Michel Blanquer le Rapport n° 2017-118 de Martine Caraglio et Christine Gavini, L’inclusion des élèves en situation de handicap en Italie (54 p., là aussi avec les annexes).

Envoyées en mission dans ce « pays pionnier » en la matière, ces inspectrices générales de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche montrent que la garantie du « droit à l’éducation » passe par la prise en considération « des bisogni educativi speciali (besoins éducatifs particuliers) » et le recours à des « enseignants de soutien (docente per il sostegno) » ; elles reviennent aussi sur « l’aggiornamento psychiatrique » sans lequel il n’est pas possible de comprendre « la logique dé-ségrégative » italienne (pp. 1, 2, 6, 15 et 24-25). Traçant en conclusion des « perspectives pour un jardin à la française », elles « envisagent cinq axes d’évolution possibles qui s’appuient sur l’analyse des leviers de réussite de la scolarisation des élèves en situation de handicap dans le système italien » (p. 29, avant de les énumérer ; là aussi souligné dans le texte).

Cette expérience italienne est évoquée au seuil de mes développements sur l’inclusion dans les textes français, en note de bas de page 1056 (n° 2623) ; je reviens plus loin sur le concept de besoins éducatifs particuliers (ou spécifiques), qui est d’origine anglaise (p. 1201). A propos du droit à l’éducation des personnes en situation de handicap, v. aussi mon premier billet.

Ajouts, pour renvoyer à ce billet du 20 nov. 2018 et, surtout, à – trois semaines après CEDH, Publié le , G.L. c. Italie, n° 59751/15