Flora Tristan

Flora Tristan (1803-1844) Portrait issu de l’encyclopédie Larousse.fr

« Bien souvent, les médecins n’informent pas les patientes sur ce droit et l’application se fait de manière restrictive ». Rapporté par Amanda Chaparro, le propos est d’Eleana Rodriguez, du Centro de la Mujer Peruana Flora-Tristan, la « principale organisation de défense des droits des femmes » au Pérou ; il n’est alors pas question de celui à l’éducation – ou à l’instruction –, mais du « débat sur l’avortement thérapeutique » qui a lieu dans ce pays (Le Monde.fr 3 avr. 2019).

Dans un portrait de « la voyageuse indignée (1803-1844) », 170 ans après sa mort, il est écrit de ses Pérégrinations d’une paria : « Aujourd’hui, ce livre assure la popularité de Flora au Pérou, où elle est probablement plus connue qu’en France, considérée comme une héroïne, en partie grâce au grand écrivain péruvien Mario Vargas Llosa » (Michelle Perrot, Des femmes rebelles. Olympe de Gouges, Flora Tristan, George Sand, Elyzad, 2014, pp. 83 et s., spéc. 104) ; diffusé en 2018, le documentaire Simone, Louise, Olympe et les autres : la grande histoire des féministes la classe parmi les « pionnières », en retenant ses combats pour le « droit au divorce » et « l’émancipation des femmes ».

En 1790, Condorcet affirmait pour les femmes un « même droit que les hommes à l’instruction publique ». Dans ma thèse (2017, pp. 678 et s.), je note qu’Olympe de Gouges concluait pour sa part sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne avec un surprenant hommage à Talleyrand (pour son Rapport sur l’instruction publique, en septembre 1791). Figurant parmi Les grands discours de la culture juridique (Dalloz, 2017, avec un commentaire – n° 37 – de Diane Roman, pp. 442 et s.), cette célèbre déclaration est « à rapprocher des textes contemporains de Condorcet (Sur l’admission des femmes au droit de cité, 1790) et de Mary Wollstonecraft (A Vindication of the Rights of Woman, 1792), qui chronologiquement l’encadrent » (Michelle Perrot, ouvr. préc., 2014, p. 59, dans le cadre des développements intitulés « Citoyenne Olympe de Gouges (1748-1793) », pp. 23 et s.).

Quant à elle critique de Talleyrand, l’anglaise Wollstonecraft (1759-1797) voit son parcours retracé dans un article publié dans Le Monde diplomatique mars 2018, p. 27 (Marion Leclair, « Une aurore du féminisme »). Il est rappelé que ses « sœurs et elle ont reçu une éducation très superficielle dans une petite école du Yorkshire, alors que leur frère aîné poursuivait des études de droit (…). En 1784, elles ouvrent avec une amie proche, Fanny Blood, une école pour filles, mais doivent la fermer deux ans plus tard à cause de difficultés financières. L’enseignement inspire à Mary Wollstonecraft un premier ouvrage, Pensées sur l’éducation des filles (1787) ». Trois ans plus tard, elle « écrit, avant Paine, une Défense des droits de l’homme » puis, en 1792, « sa Défense des droits des femmes » ; « il y a plus, entre les deux Défenses, qu’un simple transfert ».

Flore Célestine Tristan-Moscoso, dite Flora Tristan, « sera l’héritière de Wollstonecraft au XIXe siècle » (Béatrice Gurrey, « Quand une féministe s’inspire de la Révolution », Le Monde 8 mars 2016) ; elle la cite dans Promenades dans Londres (v. ma thèse page 689, avant d’en venir à l’Union ouvrière, où elle affirme le « droit à l’instruction (…) pour tous et pour toutes »).

Quand il ne considérait pas le féminisme comme « l’ennemi le plus résolu de la littérature » (El País.com 18 mars 2018 ; signalé et traduit par Nestor Romero, le 19), l’écrivain péruvien précité s’enthousiasmait devant « Florita l’Andalouse », qui militait pour « l’égalité absolue de droits entre hommes et femmes » (Mario Vargas Llosa (traduit de l’espagnol (Pérou) par Albert Bensoussan, avec la collaboration d’Anne-Marie Casès), Le Paradis – un peu plus loin, Gallimard, 2003, pp. 25 et 124 : ouvrage qui se termine par des remerciements à Stéphane Michaud, défenseur, « depuis tant d’années, de la figure de Flora Tristan »).

Dans ce passionnant roman en forme de portrait croisé avec son petit-fils Paul Gauguin, dit « Koké le Maori », on apprend que le célèbre peintre fut inscrit pendant « dix ans, de 1854 à 1864, au petit séminaire de La Chapelle-Saint-Mesmin, près d’Orléans, avec pour guide spirituel monseigneur Dupanloup » (p. 408). Ce dernier est évoqué à plusieurs reprises (pp. 190 et 453), notamment pour « son enseignement religieux, quand il exaltait les héros de la chrétienté » (p. 532). On apprend aussi que, plus tard dans les îles Marquises, Gauguin allait s’attirer quelques ennuis en s’en allant « informer les Maoris qui confiaient leurs enfants aux curés et aux bonnes sœurs qu’ils n’étaient pas obligés de le faire s’ils habitaient dans des hameaux éloignés » (p. 467 ; les entrées Dupanloup et Polynésie conduisent à plusieurs résultats dans ma thèse, et cette dernière anecdote peut être reliée à la question de l’accessibilité de l’enseignement, pp. 1190-1192).

Il est question du Portrait d’Aline Gauguin (sa mère ; v. ci-contre), ainsi que de « la plainte qu’avait déposée sa grand-mère Flora contre André Chazal, pour viol et inceste» ; « malgré les indices le condamnant, le juge avait décrété qu’on “n’avait pu prouver de façon catégorique le fait matériel de l’inceste” ». Les tribunaux lui donnaient aussi raison pour la garde des enfants, parce qu’il « était le mari, celui qui détenait le pouvoir et les droits » (pp. 201-202 et 438 ; v. aussi cet extrait des débats judiciaires). Il fut certes condamné lorsqu’il tenta d’assassiner son épouse, mais le jury lui accorda des circonstances atténuantes.

Mario Vargas Llosa revient sur le premier texte de Flora Tristan, « plein de bonnes intentions » (« une brochure de quelques pages : Nécessité de faire un bon accueil aux femmes étrangères ») ; au contraire de Wikipédia, il ne passe pas sous silence sa relation avec la polonaise Olympe Chodzko (en se limitant – au 9 avril 2019 – à un lien externe). On suit l’andalouse sur les routes de l’esclavage, au Cap-Vert, avant de comprendre pourquoi elle n’a pu « devenir une petite bourgeoise prospère », à Arequipa, où s’originent ses « énergiques interventions contre les préjugés raciaux, culturels et religieux » (pp. 428, 486, 216 à 220, 317 et 328).

L’auteur emmène aussi son lectorat en Angleterre : « sans ce pays, sans les travailleurs anglais, écossais et irlandais, [elle] ne serai[t] probablement jamais arrivée à [s]e rendre compte que la seule façon d’émanciper la femme et d’obtenir pour elle l’égalité avec l’homme était de lier sa lutte à celle des ouvriers, les autres victimes, les autres exploités, l’immense majorité de l’humanité ». Si les « antres ouvriers » lui apparurent plus inhumains que les prisons qu’elle a visitées, elle fut surtout horrifiée par les « finishes londoniens », ces maisons de prostitution où elle était sûre qu’« il y avait des fillettes et des garçons de dix, voire de huit ans, des gosses à la mine ahurie, au regard stupide, qui semblaient ne rien comprendre à ce qui leur arrivait ». Elle était alors « déguisée en homme » ; « elle n’aurait jamais pu explorer ces antres sans dissimuler son sexe sous un pantalon et une redingote d’homme » (pp. 492 à 506).

Pour publier L’Union ouvrière, dans lequel elle revendique le « droit au travail et à l’instruction », elle aurait reçu l’appui de George Sand (1804-1876 ; pp. 280 et 555). En décembre 2017, dans un dossier sur ces « pionnières qui ont fait l’histoire », Michelle Perrot rappelait qu’elle lui reprochait son pseudonyme masculin, lié au refus par cette dernière du « statut décrié de « femme auteure » » (« George Sand. Une autre manière d’être femme », Les Grands Dossiers des Sciences Humaines n° 49, p. 18. L’historienne était invitée par Laure Adler dans L’Heure bleue, le 28 août 2018 ; elle venait de faire paraître George Sand à Nohant. Une maison d’artiste (Seuil). Un hors-série lui a aussi été consacré par Le Monde, en juillet).

L’ouvriériste peut paradoxalement se faire connaître grâce au « très libéral Mario Vargas Llosa » (Serge Audier, « La gauche réformiste et le libéralisme », L’Économie politique 2008/4, n° 40, p. 83, § 18), comme l’illustrait le conseil de son livre par la chroniqueuse Charline Vanhoenacker, le 13 mars 2017. Le 29 août de cette même année, invité avec Gilles Manceron et Karfa Diallo par Hervé Gardette, Etienne Liebig citait dans l’émission Du grain à moudre l’une de ses propres chroniques pour Siné Hebdo (« Débaptisons les » ; écouter à partir de 8-9 min.) ; il y proposait de renommer la place Johnston à Bordeaux, en suggérant le nom de Tristan qui y est décédée (à 41 ans). Outre une bibliothèque, depuis octobre 2013 seulement, il a été retenu dans le cadre de la rénovation, pour 2019, de l’un des « deux grands ensembles de bâtiments qui sont au cœur de l’Université Bordeaux Montaigne à Pessac ». Une rue porte aussi son nom à La Rochelle ; était-ce déjà le cas, en 2012 ? Alors qu’y était présentée la « biographie romancée » de Nicole Avril, ce n’était en tout cas pas rappelé.

En lien avec cette émission de France Culture, pour conclure, cet extrait d’un article de Lauren Elkin – illustré par une photo de Pierre et Marie Curie –, « Il est temps que les femmes réclament leur juste représentation dans l’espace public », Le Monde 18 juill. 2018, p. 28 : « Pourquoi ne pas consacrer une statue à Eugénie Eboué (1891-1972), la première femme noire élue au Conseil de la République ? Il n’y a pour le moment qu’un cul-de-sac du 12e arrondissement qui porte son nom. (…) Dans une préface au livre de l’historienne Malka Marcovich Parisiennes : ces femmes qui ont inspiré les rues de Paris (Balland, 2017), Anne Hidalgo [revient sur les deux rues débaptisées depuis 2001] : « La rue Richepanse est devenue la rue du Chevalier-de-Saint-George, et la rue Alexis-Carrel a été changée en rue Jean-Pierre Bloch. Celui qui avait rétabli l’esclavage en Guadeloupe, à la demande de Napoléon, et un zélé promoteur de l’eugénisme ne pouvaient avoir leur place dans la capitale ». Joseph Bologne, chevalier de Saint-George, était un abolitionniste, compositeur et escrimeur émérite né d’un père propriétaire de plantation à la Guadeloupe et de son esclave guadeloupéenne. Lors de leurs discussions, les membres du Conseil de Paris, que préside Mme Hidalgo, ont-ils considéré comme nom Solitude (1772-1802), une résistante à l’esclavage née en Guadeloupe, qui a payé de sa vie son combat ? ».