Construire le « problème de l’abaya » peut bien préoccuper Genève, tant que cela conduit à Matignon…

Photo d’Alain Jocard/AFP, reprise depuis l’article d’Antoine Masset, « Amélie Oudéa-Castera ajoute le ministère de l’Éducation nationale à son périmètre », livreshebdo.fr 12 janv. 2024 ; pour un exemple de réaction syndicale immédiate à ce cumul, fsu50.fsu.fr

Au début de cette nouvelle année, une ancienne inspectrice de l’Éducation nationale pointait « l’analphabétisme [du] ministre en matière de sciences et d’histoire de l’éducation (…) [et] ses piètres talents en maths – hors du simple calcul politique »1Monique Picaud, « Le retour du redoublement à l’école, crime contre l’individu et hérésie budgétaire », lemonde.fr/blog 5 janv. 2024. Quelques jours plus tard, Gabriel Attal devenait Premier ministre, suite à « la démission forcée d’Élisabeth Borne »2Ariane Vidal-Naquet, « Les comportements des acteurs politiques sont en contradiction avec ce que prévoient les normes juridiques », lemonde.fr 10 janv. 2024. La fin de la semaine allait être consacrée à commenter ce remaniement3Pierre Jacquemain, « Gabriel Attal, l’homme qui “piquait” les idées du RN », politis.fr 9 janv. 2024 et, pour ce qui concerne le domaine scolaire, la première sortie de celle appelée à lui succéder rue de Grenelle (v. ci-dessus)4Thibaud Le Meneec, « Des révélations de Mediapart aux accusations de “mensonge”, on vous résume la polémique qui touche la ministre de l’Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra », francetvinfo.fr avec AFP 13-15 janv. 2024 (à propos des absences d’enseignant·es non remplacé·es, v. mon billet du 20 mai 2018 et, concernant l’établissement catholique Stanislas, ma thèse, 2017, pp. 612 et 1000)..

Caricature de Colm, reprise depuis le communiqué publié par le snudifo02.fr 10 sept. 2023 ; « Comment effacer vite fait les problèmes de la rentrée ? Le tour de magie d’Attal : “Abayacadabra !” », titrait Le Canard enchaîné du mercredi 30 août. Telle était aussi l’analyse, deux jours plus tard, de l’hebdomadaire allemand Die Zeit, ainsi que l’a relaté courrierinternational.com

Le jour de la nomination de Gabriel Attal, Mediapart revenait sur une lettre adressée au Gouvernement français le 27 octobre dernier ; six titulaires de mandats des procédures spéciales du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies se saisissaient de la mesure agitée5V. le billet de Cécile Bourgneuf, « Abaya : la douteuse opération de com du cabinet d’Attal », liberation.fr 4 sept. 2023 lors de la rentrée : « la décision du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, exprimée notamment par une note de service relative au respect des valeurs de la République publiée le 31 août 2023 au bulletin officiel de l’éducation nationale, d’interdire le port de l’abaya dans l’enceinte des établissements scolaires »6CE Ord., 25 sept. 2023, Association la Voix Lycéenne et a., n° 487896, cons. 4 (en référé-suspension) ; v. déjà (en référé-liberté) CE Ord., 7 sept. 2023, Association Action Droits des Musulmans, n° 487891, cons. 2, en ajoutant le terme « notamment ». Dans ma thèse préc., j’évoquais déjà le cas des « jupes longues ou d’abayas », pp. 456 et s., spéc. 459-460.

Juridicisant une allusion remarquée du secrétaire général Antonio Guterres7« Le patron de l’ONU s’en prend implicitement à la France et à l’interdiction de l’abaya à l’école », nouvelobs.com 20 sept. 2023 : « À travers le monde, les droits des femmes, y compris les droits sexuels et reproductifs, sont réduits, voire supprimés, leurs libertés restreintes. Dans certains pays, les femmes et les filles sont punies parce qu’elles portent trop de vêtements. Dans d’autres, parce qu’elles n’en portent pas assez »., cette lettre conjointe réagissait aux témoignages rapportant « que des élèves présumées musulmanes ont été empêchées d’accéder aux cours parce qu’elles portaient d’autres types de vêtements jugés trop couvrants ou trop amples. Des étudiantes portant des kimonos se sont vu refuser l’accès à l’éducation sous prétexte que cette tenue était similaire à une abaya ». Avant de s’intéresser aussi aux décisions des « instances dirigeantes sportives », les six signataires – dont Farida Shaheed (v. ci-dessous) – s’affirmaient notamment « gravement préoccupés par les atteintes faites au droit des filles et des femmes portant le hijab à l’éducation et au travail, de même qu’à leur droit de participer à la vie culturelle »8AL FRA 13/2023, lettre de 13 p. du 27 oct. 2023 (jointe à l’article de David Perrotin, « “Profilage racial” : l’interdiction de l’abaya par Attal “préoccupe” des rapporteuses de l’ONU », Mediapart 10 janv. 2024), spéc. pp. 3 et 6, rappelant entretemps – page 5 – l’annonce de la ministre des Sports, le 24 septembre 2023, « que les athlètes françaises ne seraient pas autorisées à porter un hijab aux Jeux Olympiques d’été de Paris 2024 ». Comptant également treize pages et datée du 20 décembre, la réponse du Gouvernement français a été adressée deux jours plus tard par la Mission Permanente de la France auprès de l’Office des Nations Unies à Genève et des autres organisations internationales en Suisse (LF/cda/2023-0555181, 22 déc. 2023, 13 p. Ce document se retrouve lui aussi à l’aide du moteur de recherches des communications : https://spcommreports.ohchr.org/)..

Capture d’écran d’une vidéo de Farida Shaheed publiée sur X, twitter.com/UNGeneva 30 juin 2023 ; ayant succédé en août 2022 à Koumbou Boly Barry, elle est la troisième femme rapporteure spéciale sur le droit à l’éducation, la première ayant été Katarina Tomaševski (v. le dernier de mes cinq portraits).

Cette mise en cause onusienne9V. déjà les décisions et observations rappelées dans mon billet intitulé « Foulard et enfance : la position des institutions onusiennes », 26 août 2018 n’a pas fait les gros titres10D’autant que le courrier précité a dû être rendu public en décembre, même s’il est possible de comprendre qu’il soit relayé avec un certain délai ; mutatis mutandis, « Un élève peut-il recevoir un signe religieux d’un membre de l’établissement alors qu’il est dans une école publique ? », nicematin.com (avec AFP) 12 janv. 2024, signalant Crim., 5 déc. 2023, n° 22-87459, arrêt lui-même fondé sur la décision de non-renvoi de QPC de la même chambre de la Cour de cassation (20 juin 2023, n° 22-87459). ; il a pourtant été question des Nations Unies cette semaine, avec la tenue des audiences de la Cour Internationale de Justice (CIJ) relative à la plainte pour génocide déposée par l’Afrique du Sud contre Israël11V. « l’édito médias » de Pauline Bock, « Israël-Gaza : plaidoirie sudafricaine et silence médiatique », arretsurimages.net 13 janv. 2024 (sur le même site, v. le billet de Daniel Schneidermann, « Gaza : Génocide, ou crime contre l’humanité ? », le 11, à partir du Retour à Lemberg de Philippe Sands – que j’évoquais in fine le 30 juillet 2018).. C’est l’occasion de rappeler que la CIJ a pu aussi affirmer le droit à l’éducation, précisément dans son Avis du 9 juillet 2004, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé12Disponible ici, cet Avis de la CIJ est brièvement mentionné dans ma thèse ; il fait l’objet de ma note de bas de page 954, n° 1998

Notes

1 Monique Picaud, « Le retour du redoublement à l’école, crime contre l’individu et hérésie budgétaire », lemonde.fr/blog 5 janv. 2024
2 Ariane Vidal-Naquet, « Les comportements des acteurs politiques sont en contradiction avec ce que prévoient les normes juridiques », lemonde.fr 10 janv. 2024
3 Pierre Jacquemain, « Gabriel Attal, l’homme qui “piquait” les idées du RN », politis.fr 9 janv. 2024
4 Thibaud Le Meneec, « Des révélations de Mediapart aux accusations de “mensonge”, on vous résume la polémique qui touche la ministre de l’Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra », francetvinfo.fr avec AFP 13-15 janv. 2024 (à propos des absences d’enseignant·es non remplacé·es, v. mon billet du 20 mai 2018 et, concernant l’établissement catholique Stanislas, ma thèse, 2017, pp. 612 et 1000).
5 V. le billet de Cécile Bourgneuf, « Abaya : la douteuse opération de com du cabinet d’Attal », liberation.fr 4 sept. 2023
6 CE Ord., 25 sept. 2023, Association la Voix Lycéenne et a., n° 487896, cons. 4 (en référé-suspension) ; v. déjà (en référé-liberté) CE Ord., 7 sept. 2023, Association Action Droits des Musulmans, n° 487891, cons. 2, en ajoutant le terme « notamment ». Dans ma thèse préc., j’évoquais déjà le cas des « jupes longues ou d’abayas », pp. 456 et s., spéc. 459-460
7 « Le patron de l’ONU s’en prend implicitement à la France et à l’interdiction de l’abaya à l’école », nouvelobs.com 20 sept. 2023 : « À travers le monde, les droits des femmes, y compris les droits sexuels et reproductifs, sont réduits, voire supprimés, leurs libertés restreintes. Dans certains pays, les femmes et les filles sont punies parce qu’elles portent trop de vêtements. Dans d’autres, parce qu’elles n’en portent pas assez ».
8 AL FRA 13/2023, lettre de 13 p. du 27 oct. 2023 (jointe à l’article de David Perrotin, « “Profilage racial” : l’interdiction de l’abaya par Attal “préoccupe” des rapporteuses de l’ONU », Mediapart 10 janv. 2024), spéc. pp. 3 et 6, rappelant entretemps – page 5 – l’annonce de la ministre des Sports, le 24 septembre 2023, « que les athlètes françaises ne seraient pas autorisées à porter un hijab aux Jeux Olympiques d’été de Paris 2024 ». Comptant également treize pages et datée du 20 décembre, la réponse du Gouvernement français a été adressée deux jours plus tard par la Mission Permanente de la France auprès de l’Office des Nations Unies à Genève et des autres organisations internationales en Suisse (LF/cda/2023-0555181, 22 déc. 2023, 13 p. Ce document se retrouve lui aussi à l’aide du moteur de recherches des communications : https://spcommreports.ohchr.org/).
9 V. déjà les décisions et observations rappelées dans mon billet intitulé « Foulard et enfance : la position des institutions onusiennes », 26 août 2018
10 D’autant que le courrier précité a dû être rendu public en décembre, même s’il est possible de comprendre qu’il soit relayé avec un certain délai ; mutatis mutandis, « Un élève peut-il recevoir un signe religieux d’un membre de l’établissement alors qu’il est dans une école publique ? », nicematin.com (avec AFP) 12 janv. 2024, signalant Crim., 5 déc. 2023, n° 22-87459, arrêt lui-même fondé sur la décision de non-renvoi de QPC de la même chambre de la Cour de cassation (20 juin 2023, n° 22-87459).
11 V. « l’édito médias » de Pauline Bock, « Israël-Gaza : plaidoirie sudafricaine et silence médiatique », arretsurimages.net 13 janv. 2024 (sur le même site, v. le billet de Daniel Schneidermann, « Gaza : Génocide, ou crime contre l’humanité ? », le 11, à partir du Retour à Lemberg de Philippe Sands – que j’évoquais in fine le 30 juillet 2018).
12 Disponible ici, cet Avis de la CIJ est brièvement mentionné dans ma thèse ; il fait l’objet de ma note de bas de page 954, n° 1998

…quand la laïcité repose sur une croyance (Rev.jurisp. ALYODA 2020, n° 1, janv.-mai)

Note sous CAA Lyon, 23 juill. 2019, n° 17LY04351 ; « Interdiction des mères voilées dans les locaux scolaires : quand la laïcité repose sur une croyance » 1La présente note, dans cette version du 12 décembre 2019, a été publiée en janvier dans la Rev.jurisp. ALYODA 2020, n° 1, puis supprimée dans les premiers jours de juin (entretemps, le 31 janvier en note n° 8, j’avais renvoyé aux commentaires relatifs à cet arrêt). Les illustrations ont été ajoutées le dimanche 7 juin 2020, lors de la première publication de ce billet (la dernière légende a été complétée ce 3 septembre)..

Ferdinand Mélin-Soucramanien et Fabrice Melleray (dir.), Le professeur Jean Rivero ou la liberté en action, Dalloz, 2012, univ-droit.fr

Croire à « un manquement à la laïcité dans tout acte susceptible d’apprendre à l’enfant ce qu’il sait par la vie quotidienne, à savoir l’existence historique et actuelle des religions, ce serait condamner l’enseignement à édifier, pour y instruire les enfants, une cité chimérique, en marge du monde réel » (Jean Rivero, S. 1949, III, 41, spéc. p. 44).

Le 27 novembre 1989, saisi par le ministre de l’Éducation nationale, le Conseil d’État estimait que le « principe de laïcité de l’enseignement public » n’impliquait d’obligations de « neutralité » qu’en ce qui concerne les programmes et les enseignant·e·s ; près de trente ans après, la Cour administrative d’appel de Lyon a décidé de reprendre ces termes – ainsi que la référence à « la liberté de conscience des élèves » (pourtant redéfinie depuis) –, avant de les compléter pour imposer cette laïcité-neutralité à de nouvelles « personnes » (CAA Lyon, 23 juill. 2019, n° 17LY04351, cons. 3).

En l’espèce et parce qu’elles portaient un voile, deux mères d’élèves se savaient visées par ce que le rapporteur public qualifie de « règlement scolaire des écoles maternelle et primaire adopté le 10 novembre 2014 », et qui n’apparaît dans l’arrêt que comme « un échange » lors de cette « réunion du conseil d’école » (cons. 4 ; je remercie Samuel Deliancourt pour m’avoir transmis ses conclusions – publiées depuis au JCP A 2019, 2307, avec une note approbatrice de Mathilde Philip-Gay). Selon les témoignages publiés par le journal Le Monde le 24 octobre dernier (p. 10), il leur aurait été indiqué que « la loi » les obligeait à s’en délester, puis qu’elles n’avaient qu’à, pour participer, faire « des gâteaux » (« Madame, vous ne partirez pas avec votre foulard ! », Aurélie Collas présentant l’une d’elles comme « [a]vocate de formation » ; ici comme ailleurs, le contentieux ne reflète qu’une partie des cas litigieux). Le directeur refusant de leur donner raison, elles décidèrent – avec une mère d’élève d’une autre école de la ville de Meyzieu (Marcel Pagnol) – de saisir la rectrice de l’académie de Lyon. Moins d’un mois plus tard, cette dernière répondait en se rangeant à la « position qui été retenue pour assurer le bon fonctionnement [de ces deux] écoles maternelles ».

Photo prise personnellement il y a quelques mois (dans une autre ville ; illustration déjà mobilisée dans mon billet du 29 février, en note n° 86)

Cette décision rectorale du 2 avril 2015, dont les termes ne figurent que dans les conclusions, semble n’avoir été attaquée qu’à propos de la première école (Condorcet). À la suite du tribunal administratif de Lyon, le 19 octobre 2017, la CAA a rejeté leur recours en annulation. L’arrêt du 23 juillet 2019 adopte néanmoins une nouvelle motivation, en suivant cette fois son rapporteur public ; après l’avoir d’abord en elle-même contestée (1.), une attention prêtée aux sources d’inspiration de ce dernier conduira à pointer le paradoxe qui consiste à prétendre enrichir le principe de laïcité à partir d’une croyance (2.). Quelques lignes seront enfin consacrées à la portée de cet arrêt, qui devrait permettre au Conseil d’État de se prononcer en formation contentieuse (3.).

1. Une motivation renouvelée

La CAA confirme un jugement qui avait été rendu sur des conclusions contraires (TA Lyon, 19 oct. 2017, Mmes B. et C., n° 1505363 ; Rev.jurisp. ALYODA 2018, n° 2, concl. Joël Arnould et obs. Nicolas Charrol ; l’un et l’autre reviennent sur les jugements antérieurs). Elles s’inscrivaient dans la voie tracée par le Conseil d’État le 19 décembre 2013, au motif que l’étude alors adoptée par l’assemblée générale visait « tant les sorties que les « activités scolaires » » (v. en effet la page 34). Informé de ce que « les rapports de l’observatoire [de la laïcité] ont témoigné de l’accueil contrasté de l’étude », Joël Arnould en déduisait qu’« en ne se fondant sur aucun fait concret, la rectrice n’a pas légalement fondé sa décision » ; il proposait donc d’accueillir ce moyen. Confirmant la plasticité des formules suggérées fin 2013, le tribunal les avait reprises pour – au contraire – rejeter le recours (cons. 6 et 7).

Ignorant l’indication de son homologue au TA, Samuel Deliancourt affirme quant à lui devant la CAA que cette étude « n’envisage pas le cas » ici résolu. Le rapporteur public se réfère alors – entre parenthèses – au « propos tout à fait juste de la professeure Mme S. Hennette-Vauchez commentant le jugement du TA de Montreuil ». L’autrice déplorait dans cette note un contresens de la rapporteure publique (à propos de l’arrêt du 27 juillet 2001, Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière – Direction et a., n° 215550 et 220980, admettant le concours de sœurs d’une congrégation au fonctionnement de ce service public). Dans ses propres conclusions, Samuel Deliancourt la cite à contre-emploi, Stéphanie Hennette-Vauchez pointant précisément « l’inconséquence qui s’attache au raisonnement juridique qui prétend systématiquement étendre la portée utile de certaines catégories », à savoir « les principes de laïcité/neutralité du service public » (« Discrimination indirecte, genre et liberté religieuse : encore un rebondissement dans les affaires du voile », AJDA 2012, p. 163).

C’est ainsi qu’il avance un « double critère matériel tiré de la nature des activités exercées par les parents avec les enfants et du lieu d’exercice de celles-ci ». Préalablement, il suggère que ce dernier pourrait provoquer leur incapacité à distinguer leurs parents de leurs « enseignants » ; cette hypothèse surprenante a été reprise le 24 octobre 2019 par Xavier Bioy, soucieux d’éviter aux enfants – de mamans non voilées – « de se poser des questions »… Le rapporteur public tente de juridiciser sa position en mobilisant un article (L. 212-15 du Code de l’éducation) et un arrêt (CE, 8 nov. 1985, MÉN, n° 55594), qui présentent toutefois un défaut dirimant : ils ne concernent pas des activités scolaires (ou « des activités assimilables à celles des personnels enseignants », selon le considérant 3 de la CAA ; « similaires » selon le suivant). Pareille interprétation, téléologique (pour ne pas dire théologique !), s’explique sans doute par l’une de ses autres affirmations, selon laquelle l’école serait « fondée », au profit des enfants, sur une « neutralité scolaire exigée (…) depuis le 19e siècle » qui tendrait « à « sanctuariser » ces dépendances [les locaux scolaires] pour les épargner de toutes pressions et convictions ». Autrement dit, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, la laïcité repose ici sur une croyance.

2. Une croyance dissimulée

Colloque organisé par la Libre Pensée et le Conseil Départemental de la Haute-Garonne, lp37.over-blog.com 7 oct. 2019 ; illustration déjà mobilisée dans ce billet (portrait)

Dissimulée par l’arrêt, cette croyance est révélée dès la « citation bien connue » placée en exergue des conclusions : « Les écoles doivent rester l’asile inviolable où les querelles [des] hommes [sic] n’entrent pas ». En citant ainsi Jean Zay, Samuel Deliancourt annonçait une nouvelle illustration de la conception de l’école publique comme un sanctuaire républicain « laïque » (v. ma thèse en ligne – à laquelle renvoie le précédent lien –, 2017, pp. 493 et s.).

La croyance du rapporteur public a probablement trouvé son inspiration dans une étude qu’il cite, celle de Pierre Juston (« La laïcité à l’épreuve des parents d’élèves accompagnateurs des sorties scolaires », in Hiam Mouannès (dir.), La laïcité à l’œuvre et à l’épreuve, Presses de l’université Toulouse 1 Capitole, 2017 [192 p., mis en ligne sur OpenEdition Books le 12 octobre 2018], pp. 145 et s.). Il convient de remarquer que ce dernier y plaide la « solution d’une interdiction textuelle de manifester les convictions religieuses, philosophiques et politiques des parents accompagnateurs » (§§ 34 et s. Je souligne ; v. aussi « Mères voilées aux sorties scolaires : c’est à la loi de trancher, pas au Conseil d’État », marianne.net 13 déc. 2017). Au § 13, en la qualifiant en note n° 45 d’« illustre », l’auteur mobilise la circulaire Zay du 31 décembre 1936 pour… trouver un fondement à la loi du 15 mars 2004 (en d’autres occasions, il concède que « cette loi est bien une extension du principe de laïcité » ; cela ne l’empêche pas d’opposer quelques lignes plus loin « une méconnaissance de la construction du modèle français du service public de l’éducation » : v. « “Droits des musulmanes” : quelques réponses au manifeste de Rokhaya Diallo », marianne.net 7 août 2018). Au § 22, Pierre Juston suggère à juste titre qu’un arrêt mobilisé dans l’étude de 2013 n’a pas été alors bien choisi (CE, 22 mars 1941, Union nationale des parents d’élèves de l’enseignement libre, Rec. 49), selon lui parce que cette décision mériterait d’être « envisagé à la lumière [du contexte de Vichy] » ; abordant auparavant la circulaire de Jean Zay, il l’extrait de son propre contexte : « en plein front populaire, elle vise à faire cesser les agissements de propagande des Ligues d’extrême droite dans et aux abords des lycées et ne concerne aucunement les signes religieux » (Olivier Loubes, « Interdire les signes religieux et politiques dans les lycées publics depuis Jules Ferry : contribution à l’histoire réglementaire du tempérament républicain », Historiens et Géographes mai 2007, n° 398, p. 71, spéc. p. 76, avant de renvoyer à son article de 2004 – cité dans ma thèse pp. 502-503 et, encore plus récemment, par Stéphanie Hennette-Vauchez dans ses obs. sous CE, 2 nov. 1992, Kherouaa, n° 130394, in Thomas Perroud (dir., avec Jacques Caillosse, Jacques Chevalier et Danièle Lochak), Les grands arrêts politiques de la jurisprudence administrative [GAPJA], LGDJ/Lextenso, 2019, p. 460, spéc. §§ 818 à 820).

Patrick Rayou (dir.), ouvr. cité ci-contre, 2019

Dans ses conclusions, Samuel Deliancourt se réfère aussi au texte d’un autre rapporteur public évoquant « une sorte de sanctuaire laïque » (Frédéric Dieu, « Des questions que les femmes posent au juge », JCP A 2018, 2216, § 4 ; v. déjà le titre d’une de ses notes, « L’école, sanctuaire laïque », RDP 2009, p. 685). « [L’]école sanctuaire » est effectivement une entrée fréquente, y compris dans les écrits de sciences de l’éducation (v. récemment la première page du livre dirigé par Patrick Rayou, L’origine sociale des élèves, éd. Retz, 2019, extraits en ligne, p. 4). Pour ce qui concerne les signes considérés comme manifestant une appartenance religieuse, l’idée selon laquelle « l’école doit être sanctuarisée » avait été exprimée par François Baroin en 2003, favorable à l’expérimentation de l’uniforme (v. mes pp. 493 et s., avec la note n° 3295 2 Le lien vers l’entretien cité étant lui aussi devenu inactif, je l’ai ici supprimé. ) ; il venait de remettre au Premier ministre un rapport significativement intitulé Pour une nouvelle laïcité, lequel préfigurait une seconde évolution législative majeure – en 2004, après celle de 1959 – de la compréhension de ce principe constitutionnel – depuis 1946 (v. mes pp. 435 et s., puis 583 à 588 pour les Constitutions de 1946 et 1958 et la loi Debré).

Toutefois, cette brève loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 n’a consacré cette conception qu’à propos des « élèves » des établissements publics, à l’exception de leurs parents. Cela n’empêcha pas qu’après avoir exclu des filles, le plus souvent – d’abord sans base légale, puis avec –, il se soit vite agi de s’en prendre aux mères ; l’Association des maires (de France et des présidents d’intercommunalité), par exemple, l’a encouragé : présidée depuis la fin 2014 par le même François Baroin, l’AMF publie l’année suivante un Vade-mecum Laïcité (Hors-série nov. 2015, 34 p.), dans lequel il est écrit que le « milieu scolaire est un cadre qui doit être particulièrement préservé », en particulier de ces participations « à des déplacements ou des activités scolaires » (p. 11, en allant jusqu’à affirmer que « la circulaire Chatel de 2012 », pourtant ignorée dans l’étude du Conseil d’État fin 2013, aurait été « valid[ée] » par lui ; suit un encadré qui présente le livret « Laïcité » de septembre 2015 comme une « réponse » à sa saisine du « ministre en charge de l’Éducation nationale »).

Dans la période contemporaine, loin d’être un produit de la recherche historique en éducation, l’école sanctuaire relève donc avant tout de la proposition politique ; et s’il est possible de faire confiance à Antoinette Ashworth lorsqu’elle affirme que « c’est très tardivement qu’une collaboration a été institutionnalisée entre l’administration et les parents d’élèves » (L’École, l’État et la société civile en France depuis le XVIe siècle, thèse Paris II, 1989, tome 1, p. 1131), il existe désormais des fondements juridiques à cette construction de « la communauté éducative » (v. infra).

Rénovation de l’école Barthelon, en 1994-1995, avec en arrière-plan un préau idéal pour le « ballon prisonnier » (ac-grenoble.fr 24 oct. 2008 ; v. déjà l’une des illustrations de mes travaux de recherche)

À propos des « enseignants » et « sur la “neutralité scolaire” qui leur est imposée », le rapporteur public croit pouvoir renvoyer à un arrêt Connet (en ligne). Rendu le 4 mai 1948, il avait été annoté par Jean Rivero, lequel remarquait – près d’une décennie après le texte de Jean Zay… – que cet arrêt « ne dégage pas, au moins de manière explicite, les traits qui définissent le véritable manquement à la neutralité » ; il était en effet donné raison à Monsieur Connet, qui n’en avait commis aucun, alors même que l’un des faits reprochés peut être rapproché – et distingué – de la situation ici envisagée : l’auteur commençait cette note (précitée en exergue) en indiquant que, selon « les observations présentées par le ministre sur le recours formé contre sa décision », cet « instituteur aurait dû s’opposer à la réception [d’un] évêque sous le préau de l’école » (« seul bâtiment municipal susceptible de l’abriter » de la pluie, d’après le maire à l’origine de cette « cérémonie patriotique » ; prévenu seulement « au matin du jour prévu », Monsieur Connet avait négocié pour « que le préau fut seul affecté »). En 2019, l’affectation d’une partie d’une cour de récréation aurait pu donner l’occasion au juge administratif d’identifier un manquement à l’article L. 212-15 cité par Samuel Deliancourt, relatif à la laïcité-neutralité (v. au détour de ce billet) ; il eût fallu alors sanctionner une collectivité publique, et ce sont finalement – trois mois plus tard – deux personnes privées qui se voient opposer une interdiction sur ce fondement (implicite).

3. Une portée non maîtrisée

La motivation retenue vient fragiliser des interventions sollicitées dans les classes, telles celles de Latifa Ibn Ziaten ; son nom mérite d’être cité car il est l’un des rares qui puissent l’être par les participant·e·s aux conversations relatives aux femmes portant un voile. Dans la dernière séquence d’intense médiatisation sur la question – postérieure à la prise de position ici commentée –, la « présidente et fondatrice de l’association Imad Ibn Ziaten pour la Jeunesse et la Paix » fut la seule invitée à « s’exprimer sur LCI » (Robin Andraca – avec des 3ème année de l’école de journalisme de Toulouse, en réponse à une question de Thierry –, « Une semaine sur les chaînes d’info : 85 débats sur le voile, 286 invitations et 0 femme voilée », liberation.fr 17 oct. 2019). Dans sa note précitée, Mathilde Philip-Gay prend l’exemple de « cette célèbre mère d’un soldat victime de terroriste qui explique avoir pris le voile en signe de deuil » ; convaincue par l’arrêt 3 L’arrêt suit ici les conclusions, il en constitue en quelque sorte une version condensée ; elles comprennent un renvoi au livre de Mathilde Philip-Gay, Droit de la laïcité, Ellipses, 2016, pp. 203 à 223. Cette dernière ne cite toutefois pas Samuel Deliancourt dans sa note ; j’ai donc commis une erreur en écrivant qu’elle a été convaincue par cette personne en particulier (membre associé de l’équipe dont elle était directrice) ; je la prie de bien vouloir accepter mes excuses sur ce point (v. surtout les explications qui précèdent, à la republication de mon texte ici)., elle suggère que les « conférences » de l’intéressée, comme celles des autres « grands témoins », aient lieu – désormais et toujours – « dans un lieu distinct de la classe ». Avant même l’arrêt de la CAA de Lyon, il lui aurait été demandé, lors d’une audition devant le Conseil des « sages » de la laïcité et selon Valentine Zuber, « de bien vouloir retirer son voile lors de ses interventions bénévoles en faveur de la tolérance et des valeurs républicaines dans les écoles… » (laurent-mucchielli.org 5 nov. 2019).

Dans son édition du 9 octobre, Le Monde publiait deux tribunes, l’une signée par l’actuelle présidente du Conseil précité ; dans ce texte en soutien de celui qui l’a désignée – à savoir le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, fin 2017 –, Dominique Schnapper cite expressément l’arrêt de la CAA, juste avant d’affirmer : « Pour distincte que soit cette situation – dans la classe même – de celle d’une sortie scolaire, (…) il nous semble que l’esprit de cette décision devrait être adopté dans les deux cas ». Le passage tronqué fait référence au Vademecum « La laïcité à l’école », tout juste actualisé ; présenté comme ayant « admis la légalité d’un règlement intérieur », l’arrêt est largement reproduit, sans qu’il soit précisé qu’il pourrait être remis en cause en cassation. Comme pour son étude de 2013, le texte sert à formuler des « pistes (…) pour justifier le refus qu’un parent participe à l’encadrement de déplacements ou d’activités scolaires » (oct. 2019, 92 p., spéc. pp. 83 et 84 ; v. aussi la page 4 pour la citation de Jean Zay, en mai 1937 cette fois).

Portraits repris d’Alexandre Devecchio, « Gilles Kepel/ Jean-Michel Blanquer, le débat « Esprits libres » », lefigaro.fr 11 mars 2020 (déjà mobilisés dans mon billet du 30 avril, en note n° 43)

Avant même d’avancer son « double critère matériel », le rapporteur public déclarait écarter « les activités ludiques au sein de l’enceinte scolaire, telles que les fêtes de fin d’année et autres kermesses ». Plus loin, il faisait de même avec les « sorties scolaires car l’activité est celle d’accompagnant en dehors de l’enceinte scolaire et les enfants font alors naturellement [sic] la différence ». Début décembre, Olivia Bui-Xuan remarque que l’arrêt de la CAA de Lyon « pouvait être lu comme cantonnant étroitement la nouvelle obligation de neutralité » (« Extension du domaine de la neutralité religieuse », AJDA 2019, p. 2401 ; en ce sens, JCP A 2019, act. 575, obs. Lucienne Erstein ; AJCT 2019, p. 526, obs. Pierre Villeneuve), ainsi que l’ont compris les juristes du ministère (LIJMEN nov. 2019, n° 208) ; « il constitue au contraire une étape décisive » de la « véritable lutte » que semblent mener les « instances » de ce même ministère, et en premier lieu Jean-Michel Blanquer.

En 2017, Joël Arnould rappelait dans ses conclusions précitées qu’« avant la loi de 2004, le Conseil d’État avait jugé qu’en lui-même, le port d’un voile n’est pas nécessairement ostentatoire ou revendicatif (CE, 27 novembre 1996, [MÉN,]  n° 172787, au Lebon) » (concernant les arrêts rendus ce jour-là – sept ans après l’avis précité –, puis ceux du 10 mars 1997, v. évent. mes pp. 427 à 429) ; cette formule n’a pas été reprise dans l’étude de 2013 (v. ma page 517), mais la haute juridiction serait tout à fait fondée (juridiquement et sociologiquement) à la réitérer, ce dans le prolongement même de la loi n° 2019-791 du 26 juillet : en effet, son article 10 risque d’être invoqué, et il importe qu’il soit rapidement interprété à la lumière non seulement du rejet de l’amendement qu’avait adopté le Sénat – et qui se trouve cité dans les conclusions prononcées sur l’arrêt rendu trois jours plus tôt (v. le communiqué du groupe LR, le 15 mai) –, mais aussi du « lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation » mentionné en ouverture du texte (à propos de cet art. 1er qui « peut se lire à différents niveaux », v. Marc Debene, « L’École sous le pavillon de la confiance », AJDA 2019, pp. 2300 et s. Plus loin et sans mobiliser l’art. 10 qu’il estime « redondant », l’ancien recteur estime « ouvert le débat sur les tenues des parents accompagnant les sorties scolaires » ; il cite alors l’arrêt commenté qui ne les concerne pas… Le considérant 2 mentionne la « communauté éducative », sur laquelle l’auteur revient auparavant : v. l’art. 11 de la loi n° 89-486 du 10 juillet, dont les formules figurent depuis 2000 à l’art. L. 111-4 du Code de l’éducation et ont simplement été enrichies le 26 juillet dernier).

Dans l’entretien précité du 24 octobre, Xavier Bioy affirme qu’une « conception trop « organique » des individus et des rôles peut conduire à méconnaître les objectifs républicains de la norme autant que le droit à l’éducation des enfants et des parents » (hostiles au voile ?). Au-delà de cette confusion que je souligne – ne se trouvant pas dans les textes y relatifs, elle éclaire l’attachement à « l’intérêt de l’enfant » préalablement affiché par l’auteur –, il existe en droit international une obligation pour les États de faciliter l’exercice de ce droit (v. mes pp. 1180 et s.) ; il n’est pas servi en s’en prenant à certaines de leurs mamans : il est possible de dénier aux parents un « droit » à la participation mais, « [q]uoi qu’il en soit, la problématique d’inclusion/exclusion [en matière de laïcités] s’avère fructueuse pour ce qui est des femmes » (« Introduction. Genre, laïcités, religions 1905-2005 : vers une problématisation pluridisciplinaire », in Florence Rochefort (dir.), Le pouvoir du genre. Laïcités et religions, 1905-2005, PUM, 2007, p. 9, spéc. p. 15). Dans son avis de 1989, juste avant l’expression de ce qui allait devenir le considérant de principe l’arrêt Kherouaa et autres de 1992, le Conseil d’État rappelait au point 1 que « la République française s’est engagée : à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire le droit d’accéder à l’enseignement sans distinction aucune notamment de religion (…) ; à respecter, dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, le droit des parents de faire assurer cette éducation conformément à leurs convictions religieuses ; à prendre les mesures nécessaires pour que l’éducation favorise la compréhension et la tolérance entre tous les groupes raciaux et religieux » (n° 346893). Cette dernière formule était reprise de l’une des « conventions internationales susvisées », à savoir celle « concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement » (1960, art. 5, 1. a.). S’il était question des élèves, une réflexion de Rivero peut être relue pour son actualité : en conclusion sa note, publiée il y a trente ans à la RFDA (1990, p. 1, spéc. p. 6), le professeur (catholique) remarquait que « rejeter hors de la communauté scolaire intégratrice les porteuses de voile eût été fournir aux tenants de l’intégrisme un argument de poids, en leur permettant de présenter le rejet de leur tendance comme un rejet de l’Islam tout entier »…

Ajouts au 3 septembre 2020, en déplaçant ce billet au 30 août, avec en guise d’explications mon courrier du 22 juin, parvenu au greffe le 26. J’ai appris depuis que Régis Fraisse avait été nommé, par un décret du 13, à « la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques à compter du 1er juillet 2020 » ; par un autre décret, daté du 22 (v. respectivement ces textes n° 63 et 75, publiés au JORF du lendemain, n° 0145 et 0179), Gilles Hermitte l’a remplacé à la présidence de la Cour, au 1er septembre.

Je le remercie pour avoir pris le temps de me faire parvenir une réponse, datée du 10 juillet – assez curieusement à mon adresse grenobloise, ce qui fait que je n’ai pu la lire qu’à la fin du mois. Le conseiller d’État ne devrait pas être surpris de sa mise en ligne, puisqu’il n’a pas souhaité « donner un effet utile » à ma demande (pour le dire en reprenant des mots d’un contributeur très régulier de sa revue, cités dans la première de mes notes y publiées).

Dans ma lettre, je m’étais abstenu d’indiquer le motif qui m’avait été communiqué indirectement le 2 juin, pour voir s’il serait maintenu (et faciliter sa substitution, le cas échéant) ; je me bornerai ici à trois séries de remarques et renvois :

  • à la note n° 32 de mon billet du 30 avril (antérieur à la suppression de ma note, donc), concernant ma citation non sourcée, qui reprend une formule célèbre, extraite des… conclusions d’Édouard Laferrière sur un arrêt du Conseil d’État (finalement non saisi de l’arrêt rendu par la CAA de Lyon l’été dernier, ce qu’il convient de déplorer) ;
  • à mon tout premier billet, qui renvoie lui-même à ma toute première note de jurisprudence, publiée à la Revue du droit public (RDP 2010, n° 1, p. 197) ; en effet, j’aurais pu reprendre une formule que j’avais employée en introduction, puisqu’il s’est bien agi pour moi, là encore, de commenter une décision éclairée par les conclusions du rapporteur public : parce qu’elles étaient « riches d’enseignement » (alyoda.eu), je m’y référais autant de fois qu’ici, et le comité de rédaction de la RDP n’avait pas tiqué, il y a dix ans ; mes deux relecteurs pour ALYODA pas davantage, le 3 puis le 12 décembre 2019 (un professeur de droit – devenu depuis doyen de faculté –, et le rédacteur en chef, président honoraire à la Cour) ;
  • à (au moins) une note dont l’auteur s’est senti autorisé, lui aussi, à critiquer des conclusions (TA Lyon, 19 nov. 2019, Association Oasis d’amour, n° 1808848 ; Rev.jurisp. ALYODA 2020, n° 2, concl. Isabelle Caron, note Christophe Testard) ; ne pouvant croire que la règle qui m’a été opposée le 10 juillet soit à géométrie variable (selon la juridiction concernée, le statut de l’auteur, et/ou le nombre de citations autorisées), j’invite les personnes qui ont protesté de façon anonyme contre mon texte – en contribuant ainsi à sa suppression –, à me faire part de leurs propres critiques directement (à défaut de le faire publiquement) : cela me permettrait de les comprendre, et même peut-être un échange intéressant. Bien que préférant les règles classiques, ainsi qu’en témoigne mon texte, je terminerai par ces mots : je « n’ai trompé personne », en tout état de cause ; « Certains n’ont que des prétextes et veulent en faire des causes »…

Latifa Ibn Ziaten à la rencontre de jeunes dans une école primaire
« Latifa Ibn Ziaten à la rencontre de jeunes dans une école primaire • Crédits : PASCAL PAVANI AFP » (émission animée par Caroline Broué, franceculture.fr 30 sept. 2017 ; v. aussi, découvert en cette période où l’on craint notre envie de nous embrasser, le très beau clip de Christophe Willem, « Madame », 10 sept. 2018)

Notes

1 La présente note, dans cette version du 12 décembre 2019, a été publiée en janvier dans la Rev.jurisp. ALYODA 2020, n° 1, puis supprimée dans les premiers jours de juin (entretemps, le 31 janvier en note n° 8, j’avais renvoyé aux commentaires relatifs à cet arrêt). Les illustrations ont été ajoutées le dimanche 7 juin 2020, lors de la première publication de ce billet (la dernière légende a été complétée ce 3 septembre).
2 Le lien vers l’entretien cité étant lui aussi devenu inactif, je l’ai ici supprimé.
3 L’arrêt suit ici les conclusions, il en constitue en quelque sorte une version condensée ; elles comprennent un renvoi au livre de Mathilde Philip-Gay, Droit de la laïcité, Ellipses, 2016, pp. 203 à 223. Cette dernière ne cite toutefois pas Samuel Deliancourt dans sa note ; j’ai donc commis une erreur en écrivant qu’elle a été convaincue par cette personne en particulier (membre associé de l’équipe dont elle était directrice) ; je la prie de bien vouloir accepter mes excuses sur ce point (v. surtout les explications qui précèdent, à la republication de mon texte ici).

« La liberté de conscience, elle est absolue » (L3 Sciences de l’éducation)

« Marguerite Soubeyran devant des élèves » (1943 ; Jean Sauvageon, museedelaresistanceenligne.org). Intervenant à l’occasion de la deuxième édition du festival « Trouble ton genre ! », le 9 mars 2020, Sophie Louargant (UGA-PACTE) avait retenu comme illustration le bâtiment de la Faculté de droit de Valence : en écho à notre unique séance en présentiel – à Grenoble, dans un « bâtiment Simone Veil » –, v. la deuxième illustration ici ; pour une vue aérienne du campus en cette période de confinement, telegrenoble 21 avr.).

Cette citation de Patrick Weil, extraite d’une brève vidéo présentant « la » laïcité en cinq minutes, me sert de sujet de dissertation en troisième année de licence en Sciences de l’éducation (L3 SDE). L’objectif est de réfléchir au droit des laïcités scolaires, en vue de l’évaluation d’un cours que j’ai bâti à la hâte, en parallèle de mes travaux-dirigés à la faculté de droit de Grenoble (mais aussi à son antenne – un mot approprié, en cette période de confinement – de Valence ; v. ci-contre).

En explicitant là encore au passage des remarques de méthode, ce billet vise à illustrer comment répondre à un tel sujet avec ce cours, composé de quatre supports numériques (portant successivement sur les enseignant·e·s, les élèves, leurs parents[1] et quelques particularités des établissements privés) ; j’ajoute les références mobilisées en note pour les personnes qui voudraient remonter ces sources[2], avec des compléments plus ou moins importants et critiques, notamment en (histoire du) droit administratif de l’éducation.

Les étudiant·e·s à qui ces développements sont prioritairement destinés ne sont pas juristes : au moment de retenir ce sujet, je l’ai testé en adressant l’extrait sus-indiqué à un ami ne l’étant pas non plus, et qu’il est possible de présenter comme un professionnel de l’éducation par ailleurs pratiquant (au plan religieux) ; sa réaction illustre assez bien l’intérêt que je trouve, en tant qu’enseignant-chercheur (contractuel), à parler de droit en dehors des facultés y relatives.

En effet, la vidéo l’a ainsi amené – après avoir rappelé qu’il interprète sa religion comme l’obligeant à respecter la loi[3] – à mettre en regard l’assez grande tolérance à l’exposition des enfants à la vue des agents publics en train de fumer[4], avec l’obligation de neutralité qui pèse sur ces derniers ; n’ayant pas retenu dans le cours de quoi approfondir le cas auquel il songeait – l’impossibilité de faire ses prières pendant ses pauses[5] –, je n’avais pas prévu de l’évoquer avant que cela me conduise jusqu’au Japon[6], une dizaine de jours après lu cet entretien accordé dans Le Monde du 4 avril 2020 (p. 25, titré en reprenant l’une des phrases employées : « Nous faisons l’expérience que la Terre peut se débarrasser de nous avec la plus petite de ses créatures »). Philosophe à l’EHESS[7], Emanuele Coccia faisait observer qu’« on a laissé ouvert les tabacs, mais pas les librairies[8] : le choix des « biens de première nécessité » renvoie à une image assez caricaturale de l’humanité »[9]

1er avertissement. Les propos ont été recueillis par le journaliste Nicolas Truong, ce qui me permet d’en venir à notre sujet, car ce dernier a réalisé en 2015 un livre d’entretiens avec Patrick Weil (Le sens de la République, Grasset, 2015) ; c’était le premier des petits galets semés dans mon cours en pensant à la citation retenue[10] : avant de s’intéresser aux mots employés, il convient d’en dire quelques-uns de l’auteur : s’il y affirmerait, page 80, que « la laïcité, c’est d’abord du droit »[11], il s’y intéresse en tant qu’historien et politologue. Le situant politiquement, sa page Wikipédia[12] signale qu’il a été « chef de cabinet du secrétariat d’État aux immigrés en 1981 et 1982 »[13] ; l’histoire de l’immigration domine dans ses publications et interventions.

Patrick Weil n’est donc pas seulement un chercheur, c’est aussi un acteur de la vie publique ; dans la vidéo du média en ligne Le Vent Se Lève – lui aussi engagé à gauche, créé fin 2016 –, il se présente comme directeur de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et président de Bibliothèques Sans Frontières (BSF)[14], une ONG qu’il a contribué à faire naître en 2006. Trois ans auparavant, en tant que membre de la Commission Stasi, il avait participé activement[15] à une évolution majeure du droit des laïcités scolaires, dont le point de départ sera la loi du 15 mars 2004 ; il est intéressant de remarquer qu’il ne le rappelle pas, et qu’il n’évoque pas non plus ce texte qu’il défendra (v. infra). En mettant en scène un échange avec un enfant, il se veut pédagogue ; cet effet est renforcé par les titre et format retenus le 6 février 2020, où il apparaît seul face caméra. À cet égard, l’hebdomadaire Marianne le présentait, le 2 mars 2018, comme « initiateur de (…) programmes d’éducation sur la laïcité »[16].

Daniel Favre, Éduquer à l’incertitude. Élèves, enseignants : comment sortir du piège du dogmatisme ?, dunod.com 2016 ; v. évent. l’une de mes conclusions de thèse (2017), en note de bas de page 1224, n° 3655, renvoyant aussi à l’intervention de ce professeur en sciences de l’éducation dans l’émission Du Grain à moudre du 18 octobre 2016, « Comment enseigner le doute sans tomber dans le relativisme ? », disponible sur franceculture.fr

2. « Voir, c’est repérer partout les liens, les contradictions, les complémentarités, les tensions ». Cette citation d’Eugénie Végleris, découverte grâce à Edgar Morin[17], peut aider à cerner la démarche idéale, en général, pour penser. En l’occurrence, l’objectif n’est pas d’attaquer Patrick Weil, mais de voir à partir de ses propos, avec et contre eux. N’ayant que quelques minutes, il se livre à des choix qu’il convient d’apprécier de manière critique ; l’attitude la plus habile – car prudente – est d’éviter de les discuter frontalement, pour mener sa propre démonstration, sans s’interdire de s’appuyer sur ses affirmations, celle sélectionnée ou d’autres de la vidéo ou du cours, citées à cette fin. En la visionnant, il apparaît qu’il procède à des citations liées à la loi de 1905 (dont « il suffit », nous dit-il, d’en lire l’article premier) ; son récit est – implicitement – celui d’une continuité entre l’état du droit d’alors et celui d’aujourd’hui (ce serait toujours la même laïcité, tant et si bien que sa préconisation, pour la comprendre, est de lire le Journal Officiel de l’époque).

Introduisant son manuel de Droit de la laïcité, Mathilde Philip-Gay précise ne pas se limiter à ce texte législatif[18]. Centré quant à lui sur les laïcités scolaires, mon cours propose une approche par les droits[19], dont celui à la liberté de conscience ; une première mention en est faite – en se référant également à la loi de 1905 –, en citant des conclusions sur un « grand arrêt » de 1912, Abbé Bouteyre, qui aurait cependant pu être remplacé aux GAJA[20] par l’avis contentieux de 2000, (Julie) Marteaux. Pour ajouter ici – en complément du cours – une première citation de Bruno Garnier, ce professeur de sciences de l’éducation écrit fin 2019 que « certains au Conseil d’État voudraient voir modifier [cette position de 1912[21], qui n’a] jamais fait l’objet de confirmation législative » ; et d’évoquer au paragraphe suivant, « concernant les élèves, (…) le maintien d’aumôneries dans les collèges et lycées », en citant notamment la loi de 1905 (Le système éducatif français. Grands enjeux et transformations. Concours et métiers de l’éducation. Professeurs, CPE, personnels de direction et d’inspection, Dunod, 3ème éd., 2019, p. 194).

Parce qu’il s’agit d’une des rares dispositions de cette loi – relative à la séparation des Églises et de l’État –, qui concernent l’école, il m’a semblé pertinent de l’aborder d’emblée, en remontant toutefois aux premières lois laïques pour délimiter le sujet temporellement. Spatialement centrée sur la France par le cours, cette délimitation mérite en effet d’être adaptée à la large période qu’il couvre : il vaut mieux éviter d’en retenir une trop resserrée qui obligerait, pour être cohérent, à n’aborder qu’en introduction certains éléments ; en l’occurrence, sans que cela ne signifie qu’il faille toujours procéder ainsi, j’ai opté pour la nourrir avec ce qui cadre le mieux avec le propos de Patrick Weil, pour ensuite m’en émanciper.

Pour lui, la liberté de conscience est, en vertu de la loi de 1905, « absolue »[22] ; il est d’abord possible de se demander ce qu’elle apporte de nouveau par rapport à l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789[23] : il leur assure une protection de leurs « opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » [réflexe du recours aux textes, celui-ci permettant une définition en même temps qu’une problématisation matérielle et approche historique du sujet]. S’il faudra attendre une décision de 1977 (v. infra) pour que le Conseil constitutionnel (ci-après CC) mobilise cet article, Corneille présentait cette Déclaration, soixante-dix ans plus tôt, comme « au frontispice des Constitutions républicaines » (concl. sur l’arrêt Baldy du 10 août 1917)[24].

Couverture de Samuel Pruvot, Monseigneur Charles, aumônier de la Sorbonne (1944-1959), editionsducerf.fr 2002 (livre extrait de sa thèse sur cet abbé Maxime Charles (1908-1993), soutenue l’année précédente à l’IEP de Paris). « Comme pour les hôpitaux, l’État est tenu, par la loi de séparation de 1905, d’assurer le libre exercice du culte dans les prisons, ce qu’il fait par les aumôneries. Mais plus encore que les hôpitaux, les prisons se sont fermées aux aumôniers » (Cécile Chambraud, « Les aumôniers débordés par l’ampleur du drame », Le Monde 9 avr. 2020, p. 13).

Après avoir affirmé la liberté de conscience, l’article 1er de la loi de 1905 prévoit que la République « garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées [par les articles suivants,] dans l’intérêt de l’ordre public »[25]. L’article 2 envisageant à cette fin des « services d’aumôneries », notamment dans les collèges et les lycées, le Conseil d’État (CE) donnera raison à l’abbé Chaveneau (et autres) dans un arrêt de 1949 ; quelques années plus tard, l’Association professionnelle des aumôniers de l’enseignement public n’obtiendra pas gain de cause : le CE estimera qu’en l’espèce, la suppression de ce service n’avait pas compromis la « liberté cultuelle des élèves » (selon le résumé des auteurs de la première édition des GAJA[26], en précisant que cet arrêt, et un autre du 28 janvier 1955, « pourraient constituer en quelque sorte la charte de la laïcité de l’État »[27]). En 1969, dans ses conclusions sur un arrêt Ville de Lille, le commissaire du gouvernement Guillaume suggérera que « la liberté de conscience de tous » se trouve sauvegardée, du moment que les activités religieuses et scolaires se trouvent « nettement » séparées.

Si ces solutions confirment la distinction entre les libertés de conscience et de culte, d’autres montrent qu’elle n’est pas si étanche, précisément parce que la manifestation religieuse peut relever de la conscience de chacun·e, y compris pour des activités non religieuses : le port des signes dits ostensibles ou ostentatoires, qui focalise l’attention depuis plus de trente ans (actualité), en témoigne.

3. « Qui peut le plus peut le moins ». Attribué à Aristote, je mentionne ce proverbe simplement pour préciser, avant d’en venir à la problématique retenue, et au plan correspondant, qu’il est ici développé en reprenant plus d’informations qu’il n’en faudrait ; autrement dit, si j’avais retenu ce sujet pour l’évaluation, il n’aurait pas été nécessaire de les reprendre toutes pour obtenir une bonne note : ces éléments de correction remplaçant le dernier support de cours, il s’agit d’essayer de montrer comment organiser les connaissances partagées d’une autre manière, pour se les approprier.

Dans les lignes qui suivent, j’ai opté pour une première partie qui permette d’aller au-delà de la seule loi de 1905, un écueil à éviter étant alors une énumération descriptive en lieu et place d’une véritable démonstration ; pour la seconde partie, j’ai fait le choix – ce plan n’était évidemment pas le seul possible – d’axer le propos sur une tendance forte de la laïcité française actuelle, en montrant d’une part en quoi elle renouvelle celle d’hier en s’appuyant implicitement sur la liberté de conscience des enfants (mon dernier titre se situe à la limite d’un éloignement excessif par rapport au sujet ; n’ayant qu’une sous-partie à rédiger, j’aurais pu stratégiquement choisir celle-ci pour lever le doute à cet égard).

Dans quelle mesure la liberté peut-elle être sans limites ? Cet exemple type d’un sujet de dissertation de philosophie aurait pu me servir en accroche, en faisant immédiatement le lien avec l’affirmation de Patrick Weil. Plus loin, je n’aurais eu qu’à reprendre cette interrogation de façon indirecte, pour formuler la problématique à laquelle je suis parvenu en suivant les étapes de l’introduction (v. supra, à placer après la phase de définitions qui suit) : le terme « absolu » renvoie à l’absence de limites ; d’un point de vue juridique, ce sont plutôt elles qui s’imposent au regard, tant elles se développent précisément au motif de préserver les enfants et leur « liberté de conscience » – l’autre expression essentielle du sujet.

Le terme « laïcité » n’a pas été retenu dans l’extrait choisi mais, quoiqu’il en soit, mon cours repose sur un refus d’une définition présupposée ; elle est en elle-même un enjeu[28], si bien qu’il vaut mieux suspendre cette opération en introduction, en construisant par contre un plan qui donne à voir des lignes de force du droit des laïcités scolaires. Il s’agira ainsi de montrer que la liberté de conscience constitue une finalité laïque incontournable (I.), mais que la laïcité-neutralité apparaît comme un motif de restriction de la liberté de conscience (II.) [annonce du plan].

Au plan linguistique, peut-être existe-t-il un mot pour désigner la façon qu’a Patrick Weil d’insister sur le sujet (« la liberté (…), elle »…). D’un point de vue formel également, mon propos est intégralement rédigé alors que vous – étudiant·e·s de L3 SDE – pourrez, sans exagérer, recourir à des phrases nominales (autrement dit sans la présence d’un verbe conjugué, au moins)[29] dans la copie que vous avez à me rendre bientôt.

I. La liberté de conscience, une finalité laïque incontournable

La liberté de conscience est une référence privilégiée en droit de l’éducation. Cette liberté laïque a été progressivement intégrée dans les lois françaises (A.). Elle figure en outre parmi les principaux droits de valeur supra-législative (B.).

A. Une référence progressivement intégrée dans les lois françaises

Affiche représentant Jules Ferry (ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts à plusieurs reprises, entre 1879 et 1883) et Ferdinand Buisson (directeur de l’Enseignement primaire, sans discontinuité pendant dix-sept ans, de 1879 à 1896), amisdesmuseesdelecole.fr 2019

Dans les premières lois laïques – relatives à l’éducation –, la « liberté de conscience » n’apparaît pas expressément ; il est cependant possible de considérer que « l’esprit » de la législation, pour reprendre une formule de Gaston Jèze sous l’arrêt Abbé Bouteyre de 1912, y renvoie : c’est en tout cas ce qui ressort des conclusions du commissaire du gouvernement, qui allait même jusqu’à lier « liberté de conscience » des élèves et « neutralité absolue » de l’enseignement[30]. Helbronner ne manquait pas de s’appuyer sur l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905. Dès lors, cette dernière pouvait être située dans le prolongement de la loi Ferry du 28 mars 1882.

Reprenant des termes prononcés le 24 juin 1883 par Ferdinand Buisson[31], la célèbre Lettre aux instituteurs du ministre – adressée sous forme de circulaire le 17 novembre – affirmait que le législateur de 1882 « a eu pour premier objet de séparer l’école de l’église, d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves ». Cette circulaire sera citée notamment par le commissaire du gouvernement Tardieu[32] (concl. sur TC, 2 juin 1908, Girodet c. Morizot[33]).

Dans les établissements d’enseignement privés sous contrat, la loi Debré de 1959 préserve leur « caractère propre » et, en même temps, « la liberté de conscience » des enfants ; sans développer ici le fait que cela « n’est pas toujours conciliable, au quotidien » (Jean-Paul Costa in Les laïcités à la française, PUF, 1998, p. 98), le législateur reprenait donc cette référence traditionnelle, en contribuant à la rendre encore plus incontournable (sans qu’il soit toujours perçu, avec le temps, qu’il s’est bien gardé de lui conférer un sens identique à celui qu’elle conservait dans les établissements publics).

Elle l’est toujours avec la « nouvelle laïcité » (selon le titre du rapport Baroin de 2003), quarante-cinq ans plus tard, même si elle est là aussi apparue progressivement : tout comme la laïcité historique ne reposait initialement pas sur des lois faisant référence à ladite liberté, elle ne se retrouve que dans la circulaire Fillon du 18 mai 2004[34], là où la loi n° 2004-228 du 15 mars se bornait à mentionner le « principe de laïcité » ; il faut attendre l’article 10 de la loi n° 2019-791 du 26 juillet (dite Blanquer) pour voir apparaître « la liberté de conscience des élèves », que l’« État protège »[35]. Auparavant, loin d’avoir remis en cause les premières lois laïques, l’affirmation de droits à un niveau supra-législatif avait permis de rehausser la valeur de cette liberté.

B. Une place assurée parmi les principaux droits de valeur supra-législative

Jean Houssaye, Janusz Korczak. L’amour des droits de l’enfant, enseignants.hachette-education.com, 2000, 159 p. (l’éditeur suggère, à la suite de l’auteur, que celui « à l’éducation » était affirmé, en son temps, par Henryk Goldszmit – son nom en 1878, avant qu’il se choisisse un pseudonyme à l’âge de vingt ans ; en sens contraire, v. ma note de bas de page 761, n° 812) ; « le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion » est proclamé par l’article 14 de la CIDE – v. ci-contre -, adoptée en 1989).

Dans sa décision Liberté de l’enseignement du 23 novembre 1977 (n° 77-87 DC), le CC a conféré une valeur constitutionnelle à cette liberté, mais aussi à une autre, celle « de conscience » ; si les juges la rangeaient également parmi les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (PFRLR), ils citaient aussi l’article 10 de la DDHC. Elle prenait donc place dans le « bloc de constitutionnalité ».

Trois ans plus tôt, la France avait enfin ratifié la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) ; ce texte de 1950 protège le « droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion » (art. 9 ; v. aussi, au plan onusien, l’art. 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le PIDCP, en signalant sa reprise à l’article 14 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, la CIDE).

La seconde phrase de l’article 2 du premier protocole (1952) à la Convention protège les parents dans « leurs convictions religieuses et philosophiques » ; la Suisse n’ayant pas ratifié ce texte additionnel, la Cour a appliqué sa jurisprudence Kjeldsen (1976), relative à l’éducation à la sexualité, en précisant que l’article 9 ne permet pas de s’y opposer[36], mais interdit seulement « d’endoctriner les enfants par le biais de cet enseignement » (18 janv. 2018, A.R. et L.R. contre Suisse, § 49).

En 2010, la Cour rappelait que cette liberté (religieuse, selon un raccourci fréquent) protège « les athées, les agnostiques, les sceptiques et les indifférents » et que « la liberté de manifester ses convictions religieuses comporte aussi un aspect négatif, à savoir le droit pour l’individu de ne pas être obligé de faire état de sa confession ou de ses convictions religieuses et de ne pas être contraint d’adopter un comportement duquel on pourrait déduire qu’il a ou n’a pas de telles convictions (§§ 85 et 87 de cet arrêt Grzelak contre Pologne[37], selon une traduction de Nicolas Hervieu[38]). Pour le dire avec Jean Baubérot, introduisant son ouvrage Les 7 laïcités françaises, c’est dans « ses divers rapports avec la liberté de religion » que celle de conscience constitue une finalité laïque (éd. MSH, 2015, p. 18).

S’ils affirment le droit à la liberté de conscience, ces textes supra-législatifs – en particulier la CEDH – envisagent aussi sa restriction ; pour eux, elle n’est donc pas absolue et un motif d’intérêt général, notamment, peut servir de justification. Depuis 2004, le principe de laïcité joue surtout ce rôle en droit, en étant compris dans le sens d’une laïcité-neutralité.

II. La laïcité-neutralité, un motif de restriction de la liberté de conscience

Jusqu’à une période assez récente, la liberté de conscience des enfants était indirectement protégée ; il s’agissait essentiellement d’y voir l’une des justifications aboutissant à la restriction de celle des enseignant·e·s : en plus d’avoir été renouvelée, d’une part (A.), elle a été, d’autre part, retournée contre une partie des élèves avec la loi n° 2004-228 du 15 mars ; alors que la liberté de conscience constituait antérieurement un fondement explicite pour ne pas exclure celles qui portaient un foulard, elles ne peuvent plus s’en prévaloir contre la laïcité-neutralité, qui fait d’ailleurs l’objet depuis d’une extension non maîtrisée (B.).

A. Une restriction renouvelée de la liberté de conscience des enseignant·e·s

Helbronner affirmait en 1912 que, « pour respecter la liberté de conscience », les fonctions de l’enseignement secondaire peuvent « ne pas être compatibles (dans l’esprit qui domine la législation de l’instruction publique depuis 1882), avec les fonctions de ministre du culte, d’ecclésiastique, de prêtre d’une religion quelconque ». Rétorquant à l’une des affirmations de ces conclusions, Maurice Hauriou fera alors remarquer qu’« en réalité, toute une catégorie de citoyens se trouve frappée ». C’était encore « le temps (…) des séparations (1880-1914) » (Julien Bouchet, en 2019[39]).

« Jacques-André Boiffard, prêtre marchant sur le pont Alexandre III, Paris, vers 1928, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Ancienne collection Christian Bouqueret (Mme Denise Boiffard) » (Photo reprise depuis la notice de Josselin Tricou, « Hommes d’Église, masculinités et idéal sacerdotal », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l’Europe 2016, mis en ligne le 5 mars 2020

Cette laïcité-séparation va progressivement être remise en cause : par la loi Debré d’abord qui, en conférant à la liberté de conscience un sens distinct dans les établissements privés sous contrat – essentiellement catholiques –, ne pouvait que permettre à des prêtres de continuer à y enseigner. Sept ans après un jugement du TA de Paris statuant en ce sens, en 1970 (Spagnol, à propos de l’agrégation d’anglais), le CC protégeait dans sa décision précitée la liberté de conscience des « maîtres » des établissements privés, mais en la conciliant avec leur « devoir de réserve ».

Ensuite et surtout, le CE a procédé au renouvellement de la restriction dans les établissements publics. Après qu’en 2000, Rémy Schwartz a ressuscité un « devoir de stricte neutralité » manifestement non réaffirmé au contentieux depuis cinquante ans (pour l’opposer à Julie Marteaux ; v. infra), le retournement est complet en 2018 dans les conclusions du rapporteur public Frédéric Dieu : « le principe de laïcité lui-même [lui] semble s’opposer à toute incompatibilité de principe entre l’état religieux et l’accès aux fonctions publiques » ; un prêtre est présenté comme subissant aujourd’hui « un soupçon de méconnaissance par état » (ecclésiastique), et il n’est cette fois pas pensé qu’il y a là « un acte ». L’abbé Bouteyre n’avait pas bénéficié de cette distinction ; il n’était pas nécessaire qu’il porte une soutane pour s’être placé dans une situation incompatible avec celle d’un enseignant[40].

Selon l’arrêt SNESUP du 27 juin 2018, l’essentiel est pour l’agent public de « ne pas manifester ses opinions religieuses dans l’exercice de ses fonctions » (en l’occurrence de président d’Université) ; cette formule constitue une reprise de l’avis contentieux Marteaux du 3 mai 2000 qui, tout en assurant à une surveillante intérimaire qu’elle bénéficie de la « liberté de conscience », postule que son foulard est « destiné à marquer son appartenance à une religion », ce qui ne saurait désormais être admis dans la fonction publique (pas seulement enseignante ; v. depuis l’article 1er de la loi n° 2016-483 du 20 avril). Il ressortait des conclusions de Rémy Schwartz un passage de la « neutralité absolue » de l’enseignement (Helbronner en 1912) à celle des « services publics et de leurs agents » (RFDA 2001, p. 146, spéc. 149).

Palais des Droits de l’Homme, siège de la Cour de Strasbourg ©, accueillant la 25ème édition du Concours de plaidoiries René Cassin (ceuropeens.org 2010), « dont le jury était présidé par Noëlle Lenoir ».

L’année suivante, raisonnant différemment, la CEDH rappelait que cette liberté, selon l’article 9 de la Convention, « implique [celle de] manifester » sa religion sous réserve de « restrictions [nécessaires] prévues par la loi » ; dans son arrêt Dahlab c. Suisse, elle admettait en 2001 une telle restriction.

Pendant encore trois années, la situation des élèves était différente. Dans le prolongement de son avis de 1989, et suivant la jurisprudence Kherouaa (1992)[41], leur « liberté de conscience » leur conférait le droit de porter un foulard – mais pas celui de se livrer à un acte avéré de prosélytisme, sur le même fondement de la même liberté des (autres) élèves. Cette distinction n’aura été difficile à comprendre que par les personnes postulant une pression sur autrui par le seul port d’un signe manifestant une appartenance religieuse, présomption sur laquelle repose la loi du 15 mars 2004. Ce n’était pas le cas de Patrick Weil qui, au contraire, a assumé très vite l’exclusion « des jeunes musulmanes [qui] n’exercent[42] aucune pression sur les autres » (« Lever le voile », Esprit janv. 2005, p. 45, spéc. p. 50) ; à ce moment-là, il pouvait envisager le recours à un établissement privé mais, très vite, même cette solution – coûteuse – ne pourra plus l’être avec certitude. En effet, dès le 21 juin 2005, la Cour de cassation admettait que le foulard y soit aussi interdit, sur un autre fondement que la laïcité-neutralité[43], cependant qu’elle commençait à se trouver pour sa part étendue dans les établissements publics.

B. Une extension non maîtrisée de la laïcité-neutralité

Après avoir validé la circulaire d’application du 18 mai (CE, 8 oct. 2004), le CE a admis plusieurs exclusions, dont celle d’une élève portant un bandana – le 5 décembre 2007, dans l’arrêt Ghazal ; en 2013, le port d’un bandeau et d’une jupe longue rentreront aussi parmi les signes pouvant être considérés comme prohibés par la loi du 15 mars[44].

Entre les circulaire Fillon et la loi Blanquer ont été adoptées celles dites Peillon, en 2013 ; là où la loi ajoute aux missions de l’Éducation nationale (art. L. 111-1 du Code) l’apprentissage « de la liberté de conscience et de la laïcité », la « Charte de la laïcité à l’École » est sous-titrée « Valeurs et symboles de la République ». Au terme de sa présidence du Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL), Philippe Portier remarquait que celle française « s’agence désormais en un dispositif de diffusion de la valeur, en essayant de ramener les citoyens au bien que l’État définit »[45]. L’une des difficultés tient au fait que la « liberté de conscience » reçoit des significations différentes : outre la contradiction entre le point 14 et les points 3 et 5 combinés de la Charte-circulaire précitée, elle n’a manifestement pas le même sens selon les lieux scolaires.

La tendance est celle d’une extension non maîtrisée de la laïcité-neutralité ; au préalable, il convient de remarquer un premier contraste, avec un arrêt antérieur à la loi du 15 mars 2004 : cinq ans auparavant, tout en affirmant que « l’apposition d’un emblème religieux sur un édifice public, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905, méconnaît la liberté de conscience », la Cour administrative d’appel de Nantes refusait de sanctionner l’installation par un département d’un logotype (deux cœurs entrelacés surmontés d’une croix) sur le fronton de deux collèges publics[46].

Dans un autre contexte, celui de l’Alsace-Moselle, l’État français impose aux élèves une obligation qu’il ne s’impose pas lui-même[47], puisque la laïcisation des personnels et des locaux n’est pas imposée par le droit local, et qu’il appartient aux (parents d’)élèves de faire valoir leur propre liberté de conscience pour obtenir une dispense de l’enseignement religieux (non musulman, l’islam ne faisant pas partie des cultes reconnus). Si la Cour a exigé cette possibilité, en 2007, en condamnant successivement la Norvège et la Turquie[48], elle n’a posé aucun obstacle, en 2009, à l’application de la loi française de 2004, y compris sur ce territoire. Auditionné dans des conditions controversées par la Commission Stasi en 2003[49], Jean-Paul Costa[50] siégera en 2008 dans une chambre de la Cour, dont les formules allaient préfigurer ces six décisions relatives à la loi de 2004 (dont CEDH, 2009, Ghazal ; v. supra) ; dans l’une d’entre elles, l’élève était scolarisée à Mulhouse ce qui ne l’a pas empêchée d’être exclue (Aktas contre France). Plus récemment, lorsqu’il s’est agi de savoir si un prêtre pouvait présider l’Université de Strasbourg, le CE a par contre suivi son rapporteur public n’y voyant pas d’inconvénient, alors même que cette « probabilité (…) est plus forte dans les territoires de la République où ne s’applique pas la loi du 9 décembre 1905 » (F. Dieu, concl. sur CE, 27 juin 2018[51]).

Au contraire de la Cour, le Comité des droits de l’Homme n’avait pas admis – en 2012 et sur la base de l’article 18 du PIDCP –, la restriction de la liberté de conscience dans les établissements scolaires ; cette position, qui rejoint celle de deux autres comités onusiens (pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes d’une part, des droits de l’enfant d’autre part) n’a pas suffi à freiner la tendance ici décrite : elle a en effet été étendue depuis à plusieurs catégories d’adultes, suivant des formations dispensées dans les lycées – que ce soit en qualité de stagiaires des GRETA (pour groupement d’établissements ; 2016, pourvoi en cassation non admis)[52] ou d’élèves en instituts de formation paramédicaux (CE, 2017)[53].

« Afroféminisme : Ndella Paye met les points sur les i », lallab.org 22 nov. 2016

Pour ce qui concerne les mères portant un foulard, les tribunaux administratifs ont rendu des solutions contradictoires à propos de l’accompagnement des sorties scolaires : après que celui de Montreuil a donné tort à Sylvie Osman, en 2011, celui de Nice a tranché en faveur de Mme Dahi, en 2015. Récemment, le contentieux a porté sur des activités en classe ; la Cour administrative d’appel de Lyon a décidé, le 23 juillet 2019, d’étendre la laïcité-neutralité à des personnes (là encore musulmanes) qu’elles ne concernait pas jusqu’ici[54] ; auparavant, cette tension a fragilisé les interventions de quelques aumôniers (catholiques).

En définitive, outre cette extension en elle-même, ses effets de genre n’apparaissent pas maîtrisés non plus, ce qui constitue l’un des paradoxes de la laïcité française du moment : postulant qu’il suffit de l’affirmer pour réaliser l’égalité entre les sexes – et les sexualités –, elle se déploie en imposant toujours plus d’obligations à des filles, et des femmes.

En guise d’ouverture (ou de complément, plutôt), « il ne faut pas réécrire l’histoire »[55] : la laïcité française d’hier était indéniablement encore moins sensible aux droits des femmes, ainsi qu’en témoigne l’entrée « Femme » du Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (1911) ou les conclusions Helbronner (l’année suivante) ; en effet, le seul moment où « les femmes » apparaissent alors, c’est pour rappeler qu’elles sont l’objet d’« une mesure bienveillante » (d’une faveur donc, et non d’un droit). À ce moment-là d’ailleurs, les filles étaient « confinées à [dans ?] l’enseignement élémentaire »[56] [pour ajouter une seconde citation de Bruno Garnier, qui trouve aujourd’hui un écho particulier], et le remplacement des sœurs enseignant pour elles dans les écoles publiques n’était pas encore achevé partout[57].

En 1912, le CE admettait toutefois que le ministre craigne l’influence des prêtres, eu égard à la séparation récente de l’Église catholique et – de l’école publique, puis – de l’État ; à partir de l’année 2000, les juges administratifs consentent à l’exclusion d’une surveillante intérimaire, puis n’hésitent pas, parfois, à étendre le raisonnement à des mères pour la même raison (le port d’un foulard) : tout se passe alors comme si (l’école de) la République était aujourd’hui menacée d’être renversée par ces femmes, là où il s’agissait hier de se méfier surtout d’hommes au pouvoir institutionnalisé.


Illustration liée à l’annonce du colloque dirigé par Gweltaz Eveillard, Quentin Barnabé et Steven Dutus, L’enseignement scolaire saisi par le droit. Étude sur la juridicisation du secteur de l’enseignement, idpsp.univ-rennes1.fr/agenda 10 avr. 2020

[1] Cette leçon sur les parents d’élèves était introduite à partir de la structuration de la seconde partie d’un colloque qui devait se tenir à Rennes, le vendredi 10 avril dernier (v. ci-contre ; merci à Denis Jouve de m’en avoir informé). C’est aussi en rédigeant ce cours que j’ai complété la note 6 de mon précédent billet (pour « mes » M1 de droit public), où je précisais en introduction aborder les bases constitutionnelles du droit des laïcités scolaires ; du point de vue plus général du contentieux constitutionnel de l’éducation, et tout comme trois contributions annoncées dans les Mélanges Rousseau (LGDJ, 2020, à paraître), le titre de la communication de Patricia Rrapi avait forcément attiré mon attention. Était également invité à ce colloque Yann Buttner, co-auteur avec André Maurin d’un ouvrage de droit de la vie scolaire (v. évent. l’introduction de ma thèse, fin 2017, en notes de bas de pages 30 et 50-51 – où je situe ma proposition de contribution à l’étude du droit de l’éducation ; si le droit des laïcités recouvre un ensemble de textes plus large, envisager celles scolaires se révèle plus spécifique).

[2] Les sources du droit, quant à elles, confirment largement la pertinence d’une démarche consistant à envisager les rapports entre laïcités et droits. Si l’annexe de l’arrêté du 30 avr. 1997 (« relatif au diplôme d’études universitaires générales [ex. DEUG] Droit et aux licences et aux maîtrises du secteur Droit et science politique ») ne vise toujours que le « droit des libertés fondamentales », celle de celui du 17 oct. 2016 (« fixant le programme et les modalités de l’examen d’accès au centre régional de formation professionnelle d’avocats [CRFPA] ») se réfère aux « libertés et droits fondamentaux ». Dès lors, l’abréviation DLF pourrait se décliner autrement : Droits, Libertés, Fondamentalité. Ce dernier concept est lié à celui d’État de droit(s) ; il fonde un refus de se limiter aux seules libertés, qui sont d’ailleurs toutes des droits.

[3] À la réflexion, et s’il est permis un peu de légèreté sur les sujets les plus graves, les attentats terroristes sont d’une certaine manière un problème de hiérarchie des normes : à la loi (religieuse) imposant de respecter les lois du pays où l’on vit, il est quelques personnes qui préfèrent les « circulaires » d’un prétendu « État islamique » (a fortiori ni réglementaires ni impératives, pour poursuivre ce par halal avec la jurisprudence Duvignères) ; en ce sens et parce qu’il vient de commencer, « bon ramadan Patrick ! » (Haroun, youtube.com 8 juin 2017).

Cette touche d’humour me fournit un prétexte pour :

  • faire observer d’une part que la jurisprudence antérieure reposait sur un arrêt de 1954, qui concernait l’article 69 de la loi Falloux du 15 mars 1950 : en 1994, faute d’avoir eu le courage de recadrer ce ministre cherchant à dissimuler sa « catho-laïcité » – tout juste sanctionnée par le Conseil constitutionnel – sous une circulaire anti-voile, le CE n’a pu l’empêcher de pousser les établissements scolaires « à la faute » ; cela contribuera à une autre loi du 15 mars, cinquante ans après l’arrêt Institution Notre-Dame du Kreisker (v. évent. ma thèse, pp. 1097 et 421, en citant Jean Baubérot : ou quand l’évolution des laïcités françaises se lit rétrospectivement dans le droit administratif de l’éducation ; sur le fondement de la même jurisprudence, v. aussi CE, 29 juill. 1998, Confédération nationale des associations familiales catholiques et a., n° 180803, après avoir annulé « l’inscription de séquences obligatoires d’éducation à la sexualité » ; il faudra attendre une circulaire du 19 novembre pour qu’elles ne soient plus facultatives) ;
  • citer d’autre part Achille Mbembe qui, conduit « à relire un certain nombre de textes de théologiens, chrétiens mais aussi juifs », sans oublier les religions traditionnelles africaines et les « dispositifs animistes où le monde est un théâtre de résonances et de vibrations », a pu remarquer : « Nous avons vécu une partie du confinement durant la semaine pascale soit le moment, du moins pour les chrétiens, au cours duquel nous nous remémorons l’épreuve du calvaire, de la crucifixion et de la résurrection » (philomag.com 20 avr. 2020) ; à l’approche du ramadan, Mohamed Bajrafil s’est adressé à tout public soucieux de n’être pas complètement ignorant de ce rite qui concerne entre cinq et six millions des personnes vivant en France (franceculture.fr le 23).

[4] « Une étude chinoise publiée fin mars dans le New England Journal of Medicine et portant sur plus de 1 000 personnes infectées a montré que la proportion de fumeurs était de 12,6 %, bien inférieure à la proportion de fumeurs en Chine (28 %). D’autres études vont dans le même sens » ; « Aucun doute pour les médecins, le tabac reste un risque majeur pour la santé, le premier facteur de mortalité en France (75 000 morts par an) » (Pascale Santi, « Une faible proportion de fumeurs parmi les malades du Covid-19 », Le Monde 23 avr. 2020, p. 3 ; v. aussi, à la même page le lendemain, l’entretien avec Arnaud Fontanet – épidémiologiste à l’Institut Pasteur, par Paul Benkimoun et Chloé Hecketsweiler –, « L’immunité collective est un horizon lointain »).

[5] CAA Lyon, 28 nov. 2017, M. A., n° 15LY02801, cons. 5 ; AJFP 2018, p. 167, reproduit in Jean-Marc Pastor et Erwan Royer (dir.), Laïcité, Dalloz, 2019, pp. 139-140

[6] Près d’un an avant que les JO de Tokyo soient « décalés » – ils pourraient d’ailleurs ne pas « se tenir du 23 juillet au 8 août 2021 », en l’absence de vaccin contre le Covid-19 selon « Devi Sridhar, qui dirige le département sur la santé mondiale à l’université d’Édimbourg » (d’après lequipe.fr 18 avr. 2020) –, plusieurs réglementations ont été adoptées, cependant qu’une université japonaise annonçait « une stricte interdiction de fumer sur le campus » : « “Nous pensons que le fait de fumer ne va pas avec celui de travailler dans l’éducation”, a déclaré un porte-parole de l’Université de Nagasaki (sud-ouest), Yusuke Takakura » (« Les enseignants qui fument ne seront plus recrutés dans une université du Japon », SudOuest.fr avec AFP 23 avr. 2019).

Concernant les laïcités japonaises, Jean-Pierre Berthon, « Une sécularité ancienne, une laïcité récente : l’exemple du Japon », in Franck Laffaille (dir.), Laïcité(s), Mare & Martin, 2010, p. 13 ; Kiyonobu Daté, « De la laïcité de séparation à la laïcité de reconnaissance au Japon ? », in Jean Baubérot, Micheline Milot & Philippe Portier (dir.), Laïcité, laïcités. Reconfigurations et nouveaux défis (Afrique, Amériques, Europe, Japon, Pays arabes), éd. MSH, 2014, p. 169 ; François Nicoullaud, « La laïcité en France… et ailleurs », in « dossier : La laïcité », Après-demain 2018/4, n° 48, NF, p. 7, spéc. p. 9 : « si rites et croyances circulent comme ailleurs, elles le font sur un mode discret. La Constitution de 1946 a introduit une séparation radicale entre Églises et État, qui est toujours scrupuleusement respectée » (dans la même revue, v. Christian Vigouroux, « Le Conseil d’État et la laïcité », p. 22, spéc. p. 23 sur la notion de culte, citant « pour la nouvelle religion japonaise Sukyo Mahikari » l’arrêt du 26 juillet 2018, n° 403389, cons. 5-6) ; Philippe Pons, « L’empereur du Japon, « maître du Ciel » garant des institutions laïques », Le Monde 30 avr. 2019, p. 27 ; « L’impossible accession des femmes au trône, un anachronisme japonais », le 2 mai, p. 5

[7] C’est à cette École des hautes études en sciences sociales (EHESS), « en son antenne de Marseille, ville qui lui était chère », que Jean-Claude Chamboredon « fut directeur d’études » : il est mort fin mars et son « nom figurait, entre ceux de Pierre Bourdieu et de Jean-Claude Passeron, sur la couverture d’un ouvrage culte pour plusieurs générations, Le Métier de sociologue » ; « il fut aussi un enseignant déterminant, à l’origine de la création d’une agrégation de sciences sociales », et il « militait en acte pour [leur] unité [et] cumulativité. (…) Si son œuvre s’est peu exprimée sous la forme de livre, elle n’en est pas moins considérable, et touche à des domaines très variés : la sociologie de l’éducation d’abord » (Jean-Louis Fabiani, « Jean-Claude Chamboredon, grand sociologue de métier », AOC 2 avr. 2020 ; en cette période de confinement, v. aussi les nécrologies de Stéphane Beaud, liberation.fr le 5 et Pierre-Paul Zalio, Le Monde le 7, p. 21 : « Son article publié en 1970 avec Madeleine Lemaire, « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », est parmi les plus cités des études urbaines »). Il ressort de cet hommage que c’est en 1977 qu’a été accueillie à l’École normale supérieure (ENS) la première promotion de l’agrégation sus-évoquée. « Qu’est-ce donc que l’agrégation ? », telle était l’une des questions abordées par Helbronner, dans ses conclusions sur l’arrêt Abbé Bouteyre (v. infra et Rec. CE 1912, p. 553, spéc. pp. 558-559 ; ces extraits sont reproduits dans mon cours).

[8] V. depuis Nicole Vulser, « Les libraires dans le sas de déconfinement », Le Monde 24 avr. 2020, p. 22

« Saint Jérôme », francois-bhavsar.com 21 sept. 2016

[9] Le philosophe Emanuele Coccia d’ajouter, immédiatement, qu’« [i]l y a un sujet iconographique qui a traversé la peinture européenne : celui de « saint Jérôme dans le désert », représenté avec un crâne et un livre, la Bible qu’il traduisait. Les mesures font de chacune et chacun de nous des « Jérôme » qui contemplent la mort et sa peur, mais auxquels on ne reconnaît même pas le droit d’avoir avec soi un livre ou un vinyle » (« La Terre peut se débarrasser de nous avec la plus petite de ses créatures », Le Monde 4 avr. 2020, p. 25 : « cette pandémie est la conséquence de nos péchés écologiques : ce n’est pas un fléau divin que la Terre nous envoie. Elle est juste la conséquence du fait que toute vie est exposée à la vie des autres »).

[10] Il y a près de deux ans, j’avais déjà publié sur ce site un billet à partir d’une citation de l’intéressé : « La laïcité, c’est d’abord la liberté de conscience » (Le Monde 15 mai 2018, page 19 : Patrick Weil se revendiquait déjà d’« une lecture précise et informée de la loi de 1905 »).

[11] Cité par Mathilde Philip-Gay, Droit de la laïcité. Une mise en œuvre pédagogique de la laïcité, Ellipses, 2016, p. 3, sans que l’auteur de la phrase ne soit alors précisé. « C’est d’abord du droit », l’affirmation est reprise par Patrick Weil au terme d’une présentation de l’ouvrage, le 17 mars 2016 (animant la rencontre, Magali Della Sudda le présente comme juriste, aussi) ; elle se retrouve dans un entretien publié le 5 décembre (nonfiction.fr, avec le même titre, « Le sens de la République ») ; recensant la première édition – dont des extraits du premier chapitre « Immigration : les faits sont têtus », peuvent être lus sur books.google.fr –, v. Alexandre El Bakir, le 28 août 2015 (Le sens des couleurs retenu surprend, pour qui suit une recommandation de Jean-Michel Blanquer : « Il faut avoir le sens de l’histoire » ; figurant parmi les ressources signalées par Canopé, v. la petite vidéo consacrée aux « symboles » par Les Clés de la République, avec Thomas Legrand, « narrateur d’un récit incarné et enthousiaste sur le fonctionnement de nos institutions ». « La laïcité » renvoie à la même vidéo : tant mieux, car celle que l’on peut trouver par ailleurs n’aborde l’école que pour relayer la contre-vérité selon laquelle elle serait « obligatoire » en France depuis Ferry ; celle relative à la Constitution comprend quant à elle a minima deux approximations : l’utilisation du terme « universelle » pour la DDHC de 1789, qui entraîne un risque de confusion avec la DUDH de 1948 ; l’affirmation de ce que le Préambule de 1946 affirmerait le « Droit à l’instruction », alors que le CC s’en tient à « l’égal accès » prévu par l’alinéa 13, comme je le souligne dans mon précédent billet).

[12] v. Léo Joubert, « Le parfait wikipédien. Réglementation de l’écriture et engagement des novices dans un commun de la connaissance (2000-2018) », Le Mouvement social 2019/3, n° 268, recensé par Adèle Cailleteau, scienceshumaines.com mai 2020

[13] Page actualisée au 6 août 2019 ; le secrétaire d’État était François Autain : mort le 21 décembre, il n’avait alors pas cessé d’être maire de Bouguenais (de 1971 à 1993) ; deux ans avec l’élection de François Mitterrand, il avait attaqué des décisions du préfet de la Loire-Atlantique devant le CE, en obtenant partiellement gain de cause le 19 juin 1985 (Commune de Bouguenais, n° 33120 et 33121, cité dans ma thèse, en note de bas de page 110).

[14] En une minute et vingt secondes, le 24 septembre 2018 ; récemment, le 19 mars 2020, Muy-Cheng Peich l’avait invité à une conférence en ligne sur le traité de Versailles, « inspiré » mais « non ratifié » par les États-Unis (pour citer Patrick Weil, qui indique à la fin travailler à un livre sur la question ; Claire Mermoud prépare à l’UGA une thèse d’histoire du droit actuellement intitulée La contribution de la Société des Nations à l’internationalisation des droits de l’homme).

[15] Patrick Weil, « Marceau Long, un réformateur républicain », in Le service public. Mélanges en l’honneur de Marceau Long, Dalloz, 2016, p. 491, spéc. pp. 493-494, revenant sur la tribune qu’ils ont cosignée début 2004, « aux fins de convaincre le maximum de parlementaires encore réticents » ; v. évent. ma thèse, p. 485

[16] Patrick Weil (entretien avec, par Stéphane Bou et Lucas Bretonnier), « Il y a un abîme de méconnaissance sur la laïcité », Marianne 2 mars 2018, n° 1094, p. 38 ; les propos tenus dans l’enregistrement publié le 6 février 2020 en reprennent certains alors retranscrits (dont cette affirmation : « Quand on parle de laïcité, il est intéressant de noter que l’on en vient toujours à rappeler ce fait qu’il faut apprendre à débattre, à s’affronter sur le terrain des idées… »).

« Le philosophe Edgar Morin dans sa maison de Montpellier, en novembre 2018. Ian HANNING/REA » (Photo reprise d’Edgar Morin (entretien avec, par Francis Lecompte), « Nous devons vivre avec l’incertitude », lejournal.cnrs.fr 6 avr. 2020)

[17] Via ce tweet ; v. aussi Edgar Morin (entretien avec, par Nicolas Truong), « Cette crise devrait ouvrir nos esprits depuis longtemps confinés sur l’immédiat », Le Monde 20 avr. 2020, p. 28 (ayant lu son livre Les souvenirs viennent à ma rencontre, Fayard, 2019, pp. 11-12, le journaliste l’interroge in fine sur sa mère, Luna, qui « a elle-même été atteinte de la grippe espagnole » ; sur l’origine de cette expression, v. infra) : « C’est [aussi] l’occasion de comprendre que la science n’est pas un répertoire de vérités absolues (à la différence de la religion) mais que ses théories sont biodégradables sous l’effet de découvertes nouvelles ».

[18] Mathilde Philip-Gay, ouvr. préc., 2016, p. 5

[19] Là où elle envisage « l’émergence d’une nouvelle branche du droit (…)[,] s’émancipant du droit des libertés fondamentales » (pp. 4 et 9 : ces dernières sont traditionnellement enseignées en L3 dans les facultés de droit, et encore parfois qualifiées de « publiques »).

[20] CE, 10 mai 1912, Abbé Bouteyre, Rec. 553, concl. J. Helbronner ; RDP 1912, p. 453, note G. Jèze ; S. 1912, III, 145, note M. Hauriou ; Les grands arrêts de la jurisprudence administrative (ci-après GAJA), Dalloz, 22ème éd., 2019, n° 22, p. 134 : « Fonction publique – Accès. Pouvoir d’appréciation ».

[21] Quand ils n’affirment pas, avec leurs co-auteurs universitaires, qu’« il est douteux que [cette] position (…) soit toujours représentative de l’état du droit » (GAJA 2019 préc., § 3).

[22] Dans le même sens, et également en cinq minutes, v. cette vidéo de l’Union des FAmilles Laïques (UFAL), 7 sept. 2017

[23] Dans ses conclusions sur l’arrêt Abbé Bouteyre, Helbronner rappelait que « les ministres sont responsables de leurs actes devant le Parlement, qui donne ou refuse son approbation à la politique qu’ils suivent » (v. parmi les extraits reproduits par Jèze dans sa note préc., p. 467, avant de se montrer critique sur ce point, deux pages plus loin). En 2018, Benoît Plessix écrit dans son ouvrage de Droit administratif général, après avoir cité l’article 15 de la DDHC : « dans une démocratie représentative, la formule (…) sert surtout de fondement au pouvoir du Parlement [qui] se confond avec la responsabilité ministérielle » (LexisNexis, 2ème éd., 2018, pp. 1291-1292, § 1038). En mobilisant cet article, le CC vient de consacrer « le droit d’accès aux documents administratifs » (3 avr. 2020, Union nationale des étudiants de France [Communicabilité et publicité des algorithmes mis en œuvre par les établissements d’enseignement supérieur pour l’examen des demandes d’inscription en premier cycle], n° 2020-834 QPC, cons. 8, avec une réserve d’interprétation au cons. 17 ; Camille Stromboni, « Vers une transparence sur les critères de Parcoursup », Le Monde 4 avr. 2020, p. 11, laquelle conclut en envisageant des recours « en direction des universités mais aussi des formations officiellement sélectives »). Claire Bazy-Malaurie n’a pas siégé, sans qu’il ne soit indiqué pourquoi.

À la note 6 de mon précédent billet, je notais que Rivero ne mentionnait pas l’arrêt de 1912 dans sa célèbre chronique de 1949 (v. infra) ; dix ans plus tard, lors de la sixième session du Centre de sciences politiques de Nice, ce qu’il écrit à ce propos (v. ma thèse page 328) est sans doute inspiré de la note d’Hauriou, qui reprochait au CE de n’avoir pas « statué sur toute la question qui lui était soumise » ; il aurait « eu tort de ne pas » affirmer que « l’incompatibilité entre l’état ecclésiastique et la fonction d’enseignement public secondaire doit, au préalable, être établie par décret règlementaire ». Selon Didier Jean-Pierre, un nouvel arrêt de rejet aurait été rendu concernant le même prêtre en 1920 (« Les religions du fonctionnaire et la République », AJFP 2001, p. 41, citant A. Guillois, « De l’arrêt Bouteyre à l’arrêt Barel. Contribution à l’étude du pouvoir discrétionnaire », Mélanges A. Mestre, Sirey, 1956, p. 297 ; en note également, l’auteur signale le prolongement de l’avis contentieux Marteaux : TA Châlons-en-Champagne, 20 juin 2000 ; LIJMEN 2000, n° 48, p. 34). Lors de cette même session de 1959 sur La laïcité, dont les actes ont été publiés aux PUF en 1960, Jean-René Dupuy l’envisageait « dans les déclarations internationales des droits de l’homme » (pp. 145 et s. ; v. infra le I. B.).

[24] Recueil Lebon 1917, p. 637, cité par Denis Baranger, « Comprendre le « bloc de constitutionnalité » », Jus Politicum. Revue de droit politique juill. 2018, n° 20-21, p. 103, spéc. pp. 111-112 (j’ajoute la majuscule à Constitutions).

[25] Le texte de 1905 peut être lu ici ; son « objet central est essentiellement patrimonial » (Pierre-Henri Prélot, « Les transformations coutumières de la loi de 1905 », Droit et religion en Europe. Études en l’honneur de Francis Messner, PU Strasbourg, 2014, p. 519, spéc. p. 521 : « il existe un droit de la laïcité qui se déploie bien au-delà de [s]a lettre immobile »). L’article 2 alinéa 2 fait référence aux « écoles », mais il ressort du rapport du sénateur Maxime Lecomte que « cette dernière expression doit s’appliquer aux grandes écoles, à de nombreux internats et non aux écoles primaires, pour lesquelles il existe une législation à laquelle il n’est pas dérogé » (Dalloz 1906, IV, 7 ; prévu par la loi Ferry de 1882, ce système de la « journée réservée » figure aujourd’hui à l’article L. 141-3 du Code de l’éducation).

Cet article confère une « légitimité laïque à ce qui pourrait sembler une atteinte à la séparation matérielle. C’est une liberté individuelle qui est soutenue, pas une croyance ou une église. L’État reste neutre et séparé ; il se contente de reconnaître la nécessité d’une organisation particulière de l’accès à l’exercice du culte là où le croyant est placé dans la dépendance de l’État, dans les hôpitaux, asiles, armées et prisons [cite ensuite CE Ass., 6 juin 1947, Union catholique des hommes du diocèse de Versailles, Rec. 250, en ligne]. On est donc dans la logique des droits de l’homme, pas dans celle d’un État confessionnel ; la séparation entre le spirituel et le temporel est respectée » (Vincent Valentin, « Le principe de laïcité et la prison », in Aurélien Rissel (dir.), « Les religions en prison. Entre exercice serein et exercice radicalisé. Regards croisés », Revue Juridique de l’Ouest (RJO), n° spécial 2018, p. 23, spéc. p. 25).

[26] Avec un autre du même jour, il fait partie de ces 114 premiers GAJA (CE Ass., 1er avr. 1949, Chaveneau et a. et Comité catholique des parents des élèves des lycées et collèges de Seine-et-Oise ; 1ère éd., 1956, rééd. 2006, p. 283, n° 84, intitulé « Laïcité de l’enseignement »). Abbé Bouteyre était le n° 29, p. 93 ; s’y trouvait déjà mentionné (page 95) le « principe de l’égale admission de tous aux emplois publics posé par la Déclaration des droits de l’homme (et repris aujourd’hui par le préambule de la Constitution de 1946) ». En 1912, Helbronner s’était manifestement emmêlé les pinceaux : il mentionnait en effet « l’art. 6 de cette même déclaration », alors qu’il venait de citer celle de 1793 ; l’article 5 qu’il reproduit est toutefois quasiment identique, l’un et l’autre affirmant un droit d’égal accès aux emplois publics.

[27] Le second de ces deux arrêts du 28 janvier 1955 s’intitule Aubrun et Villechenoux.

[28] Dans le même sens, Émile Poulat (1920-2014) écrivait, dans le Rapport public 2004. Un siècle de laïcité : « Notre expression « liberté de conscience » est fortement codée et susceptible de bien des sens » (p. 450).

[29] Laélia Véron, « [Leïla Slimani dans Le Monde, et Marie Darrieussecq dans Le Point] : romantisation du confinement », ASI 24 mars 2020 ; de la même autrice, avec Maria Candéa, « Qui a peur de la langue française ? », AOC 4 juin 2019 : « Quand Christophe Castaner parle (en mars 2019) des proviseurs des établissements scolaires comme de « patrons » qui doivent le convaincre en tant qu’« investisseur », il contribue lui aussi à banaliser une vision néolibérale du monde qui délaisse les notions de service public et d’intérêt général pour leur préférer celles d’entreprise et de rentabilité ». « Qui faisait provision de cartouches de LBD, de gaz lacrymogènes et de grenades de désencerclement au lieu de reconstituer les stocks de masques ? Réponse : l’État, ou plus exactement, ses représentants », rappellent Christian Laval et Pierre Dardot « à l’adresse [de ce]s amoureux amnésiques » ; « il faut prendre garde à la vision de l’État qu’on défend », en particulier celui « néolibéral et souverainiste, tel qu’il semble rejaillir aujourd’hui dans les discours. (…) Il suffit de prêter attention aux mots employés par Macron, mais qui pourraient se retrouver dans la bouche d’autres dirigeants » (« Souveraineté d’État ou solidarité commune », AOC 21 avr. 2020 ; italiques des auteurs ; v. aussi Bénédicte Chéron, « À trop mobiliser le registre militaire face à toute crise, les mots perdent leur sens », Le Monde le 23, p. 26).

Capture d’écran d’un tweet de Pierre Monégier, 19 mars 2020

Pour une initiative réconfortante, v. les petites chroniques de philosophie, dont celle du 6 avril relative à Gratitude (Bourgeois) d’Oliver Sacks, par Laure Adler (déjà citée dans mon billet du 24 avril 2018, (le droit à) « l’éducation à la sexualité », dont j’ai repris certaines formules pour ma leçon relative aux parents d’élèves).

Parmi mes découvertes fortuites sur la base de données Europresse, Alexandre Pauze, « À Riocreux, un confinement à la campagne pour les mineurs isolés », Le Progrès (Lyon) 3 avr. 2020, p. 15 (Firminy-région) : leur hébergement a lieu dans un foyer « en pleine nature dans le Pilat », à Saint-Genest-Malifaux (près du « 1er col à plus de 1000 mètres franchi par le Tour de France cycliste le 5 juillet 1903 », le col de La République ; v. l’une des photos de Gillou, le 26 avr. 2014) ; eux – et elles ? – aussi « sont empêchés de circuler librement : « C’est compliqué puisque ce sont déjà des jeunes qui n’ont pas accès à grand-chose, et notamment pas à la scolarité, car ils ne sont pas encore considérés comme mineurs non accompagnés, souligne Jean-Charles Guillet [directeur du pôle insertion, inclusion, justice à Sauvegarde 42, lequel nuance plus loin en saluant l’inventivité des éducateurs/trices ?] pour adapter les règles de promiscuité durant les temps de repas ou les parties de foot ». V. toutefois Olivier Epron, « Les mineurs isolés, encore plus isolés avec le confinement », solidarite-laique.org 16 avr. 2020, avec l’article lié.

[30] Dans son ouvrage précité (2019, p. 198), Bruno Garnier rappelle toutefois une formule de Jaurès : « il n’y a que le néant qui soit neutre » (« La valeur des maîtres », Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur 25 oct. 1908, reproduit in Jean Jaurès, De l’éducation. Anthologie, Nouveaux Regards, 2005, p. 184) ; pour en lire d’autres, v. la deuxième illustration légendée de mon billet du 9 décembre 2018, « Les laïcités-séparation ».

[31] Pour la référence à ce discours de Buisson – bien moins cité que la Lettre de Ferry –, v. ma thèse p. 311

[32] J. Tardieu, concl. sur TC, 2 juin 1908, Girodet c. Morizot, D. 1908, III, 83 (note M. Hauriou), spéc. p. 85 ; ces conclusions comprennent aussi cet extrait : « quand, au lieu d’un exposé de principes, fait de manière sérieuse et décente, nous rencontrons des propos grossiers et injurieux, des définitions irrévérencieuses ou grotesques, des railleries malséantes ou de basses plaisanteries sur Dieu, sur les religions, sur les ministres des cultes, et des propos blessants à l’adresse des croyants, nous voyons apparaître non plus le fonctionnaire accomplissant un service d’État, non plus l’instituteur, mais l’homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences. En un mot, nous n’avons plus en face de nous une faute administrative, mais une faute personnelle » (je souligne).

Édouard Laferrière (1841-1901), conseil-etat.fr

C’était reprendre une allitération aussi célèbre que son auteur (v. ci-contre), généralement citée en L2 DAG (droit administratif général) : concl. sur TC, 5 mai 1877, Laumonnier-Carriol, Rec. 437, citées in GAJA 2019 préc., n° 2 : « Responsabilité. Faute personnelle et faute de service. Distinction » (30 juill. 1873, Pelletier), p. 8, spéc. p. 11, § 2. Dans ses « Propos introductifs », in AFDA, La doctrine en droit administratif, Philippe Yolka remarquait que « bon nombre de rapporteurs publics devant la juridiction administrative conservent une discrétion pudique sur leurs sources d’inspiration. Mais leur reprocher serait faire un mauvais procès : leur propos (…) n’est pas d’ordre scientifique et les règles du jeu sont, de fait, différentes » (Litec, 2010, p. XVII, spéc. p. XXI, en note de bas de page).

Avocat à la cour, Éric Sagalovitsch fait observer à propos des conclusions qu’il n’est pas plus obligatoire qu’hier « de les publier » (« Pour une évolution du statut juridique des conclusions du rapporteur public », AJDA 2018, p. 607) ; plus loin, il rappelle aussi que Pascale Gonod, « qui a consacré sa thèse à Édouard Laferrière, souligne dans l’avant-propos de son travail qu’elle s’est heurtée à la principale difficulté tenant à ce que « sa recherche n’a pas pu être nourrie de ses nombreuses conclusions de commissaire de gouvernement qu’elle n’a pu retrouver dans des archives publiques ou privées » (Édouard Laferrière, un juriste au service de la République, LGDJ, mai 1997, page XVII). Elle relate même « qu’il ne reste aujourd’hui que de très rares traces d’activités de Laferrière comme commissaire du gouvernement […] Si son nom figure en qualité de commissaire du gouvernement dans 2 603 décisions reproduites au recueil des arrêts, les conclusions de Laferrière contrairement notamment à celles de son collègue David sont peu publiées tant au Lebon que dans les principales revues juridiques de l’époque : seules quatre d’entre elles ont été intégralement publiées » (préc., p. 35) ».

L’année suivante, Thomas Perroud ouvre Les grands arrêts politiques de la jurisprudence administrative [GAPJA] en renvoyant à un enregistrement audio de Jean-Jacques Bienvenu, mis en ligne le 26 mars 2015 (LGDJ/Lextenso, 2019, p. 16, spéc. p. 18 ; dans le même ouvrage, v. Stéphanie Hennette-Vauchez, obs. sous CE, 2 nov. 1992, Kherouaa, n° 130394, p. 460, spéc. p. 478, concluant pour sa part que « l’affirmation de la liberté d’expression des élèves paraît fournir un élément de recadrage intéressant » ; comparer ma thèse, p. 1211). « Catholique très fervent, David était le père de Mgr David, camérier [chargé du service personnel] du pape » (Vincent Wright, Revue d’histoire de l’Église de France 1972, n° 161, p. 259, spéc. p. 280 ; v. aussi son article « L’épuration du Conseil d’État en juillet 1879 », Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine 1972, n° 19-4, p. 621, mentionnant déjà Edmond David, « mis à la retraite », pp. 635-636, avant de le citer).

[33] En 1916, Jèze critiquera sa mobilisation dans une autre affaire, ce qui ne la fera pas cesser pour autant (v. évent. ma thèse page 320).

[34] Il est question de « garanti[r] la liberté de conscience de chacun » ; v. infra pour la circulaire Peillon, cette « Charte » étant mobilisée au risque d’inverser la hiérarchie des normes. Lors du colloque précité – qui devait avoir lieu le 10 avril à Rennes (note n° 1) -, Éric Péchillon devait traiter du « recours incontournable au pouvoir réglementaire et para-réglementaire ».

[35] Cet article L. 141-5-2 du Code de l’éducation applique aux « abords immédiats [des établissements] et pendant toute activité liée à l’enseignement » une peine d’amende déjà prévue par l’article 31 de la loi de 1905.

[36] Dans le contexte français, ainsi que l’avait montré Aurore Le Mat à l’occasion du colloque annuel de l’Association française de science politique, en 2013, c’est souvent dans « le registre de la “liberté de conscience” » que des mouvements catholiques s’opposent à certains programmes d’éducation à la sexualité.

[37] Jeudi 16 avril, les autorités de ce pays ont envisagé de « profite[r] de la crise pour détruire [le]s droits » des femmes polonaises, selon une formule d’Anna Zaradny (citée dans cet article de liberation.fr les 15-16). D’après Justine Salvestroni, correspondante à Varsovie, le projet de loi, qui visait « l’interdiction totale de l’avortement en cas des graves malformations de l’embryon [plus de 95% des cas,] est finalement retourné en commission parlementaire, sans date de vote prévue » ; l’autre texte à l’ordre du jour était « la criminalisation de l’éducation sexuelle, un projet également porté par Ordo Iuris, et intitulé « Arrêtons la pédophilie » ». Pour le magazine LGBT suisse 360.ch, Antoine Bal indique qu’il aurait connu le même sort.

Il y a près d’un an, la presse française s’était déjà faite l’écho des réactions à la « signature, fin février, par le maire de Varsovie, Rafal Trzaskowski, d’une « charte LGBT+ » en faveur des droits des homosexuels » ; depuis, « de nombreuses fausses informations sur des « cours de masturbation » dans les écoles, la « sexualisation des enfants dès l’âge de 4 ans » circulent dans les médias progouvernementaux » (Jakub Iwaniuk, « La communauté LGBT, bouc émissaire des ultraconservateurs polonais », Le Monde 10 mai 2019, p. 4 ; v. aussi le 23 juill., p. 4).

[38] Le 20 avril, Nicolas Hervieu indiquait sur son compte twitter : « le juge islandais Robert #Spano a été élu Président de la Cour européenne des droits de l’homme. Successeur du grec Linos-Alexandra Sicilianos, il a vocation à assumer cette présidence jusqu’en 2022 ».

[39] Julien Bouchet, La laïcité républicaine, Presses universitaires Blaise Pascal, 2019, p. 9 ; l’année précédente, dans Les ennemis de la laïcité (Lemme éd., 2018), la quatrième de couverture cite Jaurès dans L’Humanité 2 août 1904, mentionnant relativement à l’enfant « le droit essentiel que lui reconnaît la loi, le droit à l’éducation » ; il ne l’est ainsi que depuis la loi Jospin de 1989, venue élargir le « droit à la formation scolaire » prévu seulement en 1975 par la loi Haby. Un an avant l’adoption de la loi de 1905, alors que le culte était encore un service public, le ministère avait écarté des prêtres sans qu’aucun de ces derniers ne forment de recours en justice ; cela ressort des conclusions d’Helbronner dans l’affaire Abbé Bouteyre : le « petit père » Combes n’entendait pas rompre avec la tradition gallicane, non-séparatiste (v. ma note de bas de page 367, n° 2286, ainsi que la conclusion de ma première partie : Entre absence du droit à l’éducation et références aux droits d’éducation, p. 615, spéc. 619) ; en 2016 a été publiée par l’Institut universitaire Varenne une thèse de droit public – soutenue en octobre 2015 à Paris II – que je signale, bien que je ne l’ai pas – encore – lue, celle de Nicolas Sild, Le gallicanisme et la construction de l’État (1563-1905).

[40] Comparer Bernard Toulemonde, « La laïcité de l’enseignement : que dit le droit ? », in Ismail Ferhat et Bruno Poucet, La laïcité, une passion française ? Perspectives croisées, Artois Presses Université, 2019, p. 89, spéc. p. 96, en présentant l’affirmation qui suit en lien direct avec l’avis de 1972 : « il est vrai que les prêtres ne portent plus habituellement les habits et signes ostentatoires d’autrefois » ; tout se passe comme si le problème de confier des fonctions d’enseignement – primaire et secondaire – à des prêtres serait venu de la soutane qu’ils portaient (et, précisément, ils pouvaient alors enseigner – à l’Université – en les portant)…

[41] Au terme des obs. sous le GAJA 2019, n° 22 (Abbé Bouteyre préc.), les auteurs concluent qu’« il n’était pas exclu que des pressions soient exercées sur des jeunes filles pour les obliger à porter des signes religieux » (p. 139, § 5). Cela n’a donc pas été prouvé, en servant à l’interdire pour toutes, même celles dont il pourrait être prouvé au contraire que les pressions dont elles ont été l’objet aura consisté à leur demander de les ôter.

[42] J’avais envisagé d’écrire : celles qui ne subissent ni « n’exercent aucune pression sur les autres » ; en effet, l’un des arguments a été de prétendre protéger les premières, alors même qu’il est réversible : des filles forcées de porter un foulard ont ainsi pu être exclues et renvoyées là où elles subissent ces pressions (le cas échéant)…

[43] La restriction de son droit à la liberté de conscience (religieuse) a été admise, alors même que cette même liberté n’implique pas l’interdiction de signes religieux dans les locaux de ces établissements (sa signification se décline selon chacun d’eux, en fonction de leur « caractère propre ») ; il s’agissait d’une collégienne d’un établissement catholique de Tourcoing ; dans son ouvrage précité, Bruno Garnier en évoque un qui porte le même nom, « le collège Bienheureux Charles de Foucauld à Puteaux, construit sur un terrain de l’ÉPAD (Établissement public d’aménagement de la Défense) », pour illustrer le cas « des établissements privés non mixtes sous contrat avec l’État » (2019, p. 121).

Portraits repris d’Alexandre Devecchio, « Gilles Kepel/ Jean-Michel Blanquer, le débat « Esprits libres » », lefigaro.fr 11 mars 2020 ; comparer Claire Beaugrand et al., « Islam : reconquérir les territoires de la raison », blogs.mediapart.fr le 19 févr., ainsi que mon billet du 29, en particulier la note n° 55

Depuis son ouverture, en 2012, s’y trouve pratiquée une « mixité partagée », autrement dit très limitée : v. Marie Huret, « Séparer les filles et les garçons à l’école : progression ou régression ? », madame.lefigaro.fr 28 oct. 2019 (contrairement à ce qui est affirmé, les décrets relatifs à la mixité ne sont pas applicables dans les établissements privés ; v. ma thèse, pp. 997 à 1001, avec la fin de la note n° 2302) ; v. aussi l’entrée « tenue » du règlement (c’est seulement à propos des « congés » qu’il est fait mention du « contrat d’association avec l’État », signé selon l’éditorial de Laurence de Nanteuil en septembre 2018. Le 12, une circulaire n° 2018-111 était signée par Jean-Michel Blanquer à propos de l’éducation à la sexualité ; aucune référence directe n’était faite, dans ce texte, aux établissements sous contrat.

[44] Dans une série de petites vidéos réalisées par le rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, intitulée « Idées fausses sur la #laïcité », l’épisode n° 3 est : « Un signe ostensible et un signe ostentatoire, c’est pareil » (tweet du 22 avr. 2020). Quand Nicolas Cadène dit « etc. », faut-il intégrer les jupes longues ? Selon Gwénaële Calvès, il ne faudrait pas « [i]roniser [sur] la prétendue « jupe longue » » (Territoires disputés de la laïcité. 44 questions (plus ou moins) épineuses, PUF, 2018, p. 140, n° 27 : « Manifestation ostensible d’une appartenance religieuse », spéc. p. 141 ; v. à cet égard infra).

[45] Philippe Portier, « L’inclination identitaire de la laïcité française. Retour sur une controverse (1988-2018) », Vie sociale 2018, vol. 21, n° 1 : « Laïcité et travail social. Du principe aux pratiques », p. 35, spéc. p. 44 (italiques de l’auteur).

[46] « Une laïcité vendéenne ? », 25 févr. 2018

[47] Je reprends ici une phrase employée page 451 de ma thèse (en renvoyant en note n° 2881 à Jean Baubérot, Les 7 laïcités françaises. Le modèle français de laïcité n’existe pas, éd. MSH, 2015, pp. 50-51). C’est l’occasion de deux remarques : j’évoquais alors une « obligation de neutralité » ; contra Gwénaële Calvès, ouvr. préc., 2018, p. 141 : effectivement, il faut être précis… ; en ce sens, se revendiquer de Jean Rivero, comme elle le fait page 16 – en évoquant un « scrupule de laïcité » –, ne l’est guère : en effet, le professeur de droit poitevin (et catholique) entendait dénoncer les cas où « la laïcité en vient à renier elle-même ses maximes essentielles, ou, plus simplement, porte son scrupule à un point qui frise l’absurde » (« La notion juridique de laïcité », D. 1949, p. 137, spéc. p. 139).

Deuxièmement et parce qu’il présuppose un sens aux bases constitutionnelles de « la Laïcité », Mathieu Touzeil-Divina s’indigne de ce qu’« il fau[drait] nier la valeur positive pleine et entière du principe et n’en faire qu’une norme législative acceptant les exceptions. C’est très exactement l’objectif que se fixent deux des plus grands promoteurs français (chrétiens catholique et protestant de la Laïcité ; René Rémond (1918-2007) et Jean Baubérot (…)) [qui, assure-t-il à propos de celle qu’il prône, la] qualifient « d’extrême » (…) car elle exclurait trop de croyants » (« Un mythe républicain : « La Laïcité est un principe constitutionnel » », Dix mythes du droit public, LGDJ/Lextenso, 2019, p. 53, spéc. p. 82). C’est surtout là « très exactement » le genre d’amalgames qu’il n’est possible de faire qu’en s’autorisant des remarques beaucoup trop rapides, faute d’avoir vraiment lu l’auteur du livre de référence précité (entre autres sur la question laïque). À moins qu’il se soit agi d’illustrer l’une des 7 laïcités françaises identifiées, celle « antireligieuse » (ouvr. préc., 2015, p. 27) ; v. aussi Une si vive révolte, éd. de l’Atelier, 2014, p. 227, où il reprend un extrait d’un texte paru sur son blog, « Éloge du doute et d’une certaine manière de croire », 28 mai 2010 (au-delà de Jean Baubérot, bien qu’il soit évoqué – juste avant Jean Carbonnier –, v. Patrick Cabanel, « Lieux et moments de la contestation protestante », in Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel (dir.), A la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Seuil, 2012, p. 353, spéc. pp. 357-358 ; pour un entretien de Jean Lebrun avec cet auteur, rediffusé récemment et qui revient plus largement sur la critique – notamment catholique ! – de l’apport protestant aux laïcités françaises, écouter « Ferdinand Buisson, père de l’école laïque », 25 janv. 2017 (quant à René Rémond et s’il a pu avoir des « états d’âmes » après la remise du rapport de la commission Stasi, il ne s’est pas opposé à ce qui allait devenir la loi de 2004, laquelle a conduit à des exclusions – mais pas de catholiques il est vrai… : v. ma page 484).

[48] Concernant ce pays, l’exclusion d’une étudiante en médecine voilée a été admise ; parce qu’elle « était donc simplement usager et non agent public », Jean-Paul Costa et Rémy Schwartz ont cru pouvoir écrire – dans Les grands avis du Conseil d’État, sous celui de 1972 et – à propos de celui contentieux Marteaux, que ce dernier « a été, a fortiori, entièrement validé » par cet arrêt Leyla Sahin contre Turquie ; et de préciser qu’il a été « rendu en grande chambre par seize voix contre une » (Dalloz, 3e éd., 2008, p. 101, spéc. 105), sans toutefois aller jusqu’à renvoyer à l’Opinion dissidente de la juge belge Françoise Tulkens (v. ma longue note de bas de page 959, n° 2034).

[49] V. ma thèse, p. 441, avec les références citées (dont celles reprises dans le cours : André Legrand, L’école dans son droit, Michel Houdiard éd., 2006, p. 118 ; Jean Baubérot (entretien avec Mustapha Belbah et Claire de Galembert, le 14 juill. 2006), « Dialogue avec l’abstentionniste de la commission Stasi », Droit et société 2008/1, n° 68, p. 237, spéc. p. 245).

Guy Bedouelle et Jean-Paul Costa, PUF, 1998 (archive.org) Selon la quatrième de couverture, la « « laïcité » dans le contexte français n’est nullement un concept univoque, mais complexe et varié. [Et d’en évoquer plus loin trois, la première étant] celle du passé avec ses combats et ses raideurs (…) ».

[50] Dans un ouvrage intitulé Les laïcités à la française (PUF, 1998), co-écrit avec un professeur d’histoire de l’Église à la Faculté de théologie de Fribourg-en-Suisse (Guy Bedouelle), Jean-Paul Costa s’était notamment chargé du sixième chapitre (« La laïcité et l’école », p. 91), mais aussi du neuvième (« La laïcité en Alsace et en Moselle », p. 143)…

[51] À propos de cet arrêt n° 419595, v. encore mes billets du 9 juillet 2018 et du 29 septembre 2019, en note n° 20, ainsi que la note critique d’Emmanuel Aubin, AJFP 2019, p. 51, à partir notamment du « régime d’incompatibilités lui interdisant de cumuler sa fonction avec d’autres responsabilités au sein de l’établissement » (contra les conclusions de Frédéric Dieu, JCP A 2018, 2331). Un autre arrêt date de ce même 27 juin 2018, Union des associations diocésaines de France et Monseigneur Pontier, n° 412039, cons. 8 ; rendu quant à lui sur les conclusions de Gilles Pellissier, il s’éloigne aussi de la laïcité historique (v. en ce sens l’article de Philippe Portier cité dans le présent billet) : « Suivant le rapporteur public, le droit de l’État d’imposer une formation particulière aux aumôniers trouve son fondement « dans la spécificité de l’exercice des cultes au sein des services publics et dans l’intérêt général qui s’attache à ce que les représentants des religions qui interviennent dans ces services soient sensibilisés aux valeurs qui sont les leurs (…)[,] celles de la République telles qu’elles sont proclamées par la Constitution, au nombre desquels figurent l’égalité et la laïcité. Les aumôniers n’investissent pas seulement un espace de liberté religieuse absolue qui leur serait ménagé à l’intérieur des établissements fermés. (…) » » (Caroline Bugnon, « L’application du principe de laïcité au sein des établissements pénitentiaires », RDP 2019, p. 913, spéc. p. 934 ; je souligne ; à propos des aumôniers, v. aussi les notes liées à l’illustration supra).

[52] v. Frédéric Dieu, « Laïcité et services publics : service public, service laïque ? », in Béligh Nabli (dir.), Laïcité de l’État et État de droit, Dalloz, 2019, p. 89, pp. 111-112, en note de bas de page n° 70 (2 mai 2016, n° 395270), avant de suggérer l’extension aux « personnes participant à une activité scolaire » par l’esprit de la loi de 2004, formule qu’il explicite en note de bas de page en visant les « parents accompagnateurs des sorties scolaires ». Le maître des requêtes au CE de terminer son texte sur le cas des avocats, jurés de cours d’assises et experts judiciaires, « soumis à une obligation d’impartialité (art. 237 du Code de procédure civile), aussi stricte que celle qui pèse sur le juge » ; « pour prévenir tout risque de récusation, les experts judiciaires doivent s’abstenir, lors de l’audience, de manifester leurs convictions religieuses ». Une telle déduction devrait surtout conduire des requérantes à récuser ce juge aux convictions anti-religieuses si manifestes.

« Les étudiants de médecine sur le terrain », univ-grenoble-alpes.fr 2 avr. 2020

[53] « Dans la crise due au coronavirus, nous avons eu la chance d’être touchés trois à quatre semaines plus tard que l’Italie » ; « Les étudiants en médecine ont été appelés, mais aussi des médecins et des infirmières à la retraite, des réfugiés disposant d’une formation médicale, notamment des Syriens » (Michael Stolpe, expert en santé publique à l’institut économique de Kiel, cité par Cécile Boutelet et Thomas Wieder, « Forces et faiblesses des hôpitaux allemands face au virus », Le Monde 30 avr. 2020, p. 10 : « il ne suffit pas d’avoir des lits en soins intensifs, encore faut-il avoir le personnel formé capable de soigner les patients. C’est justement là que l’Allemagne accuse un déficit chronique, qui n’a été levé, depuis le début de l’épidémie, que grâce à un dispositif exceptionnel »).

[54] Dans mon cours, j’évoque le non-recours en la matière, illustré dans l’agglomération grenobloise ; au début de ma note sous cet arrêt n° 17LY03323 (Rev.jurisp. ALYODA 2020, n° 1), je précise que celui formé dans celle lyonnaise s’explique par la formation d’une des deux requérantes. Amal, elle aussi, « veut devenir avocate » ; pour une version de concert, celui pour Arte n’étant malheureusement plus disponible, je renvoie à celui du 2 décembre dernier à Bercy (où il est accompagné de plusieurs voix. Cette chanson est alors dédiée par Kery James « à toutes les familles de violences policières » ; à la sœur d’« Amine Bentounsi [qui fut] le plus jeune incarcéré de France, pendant six mois à Fleury-Mérogis, pour un incendie » (Mehdi Fikri le 11 janv. 2016 à partir de ce lien le 7 nov. 2018 ; v. aussi l’entretien de Kery James avec Nadir Dendoune, lecourrierdelatlas.com le 28 ; v. auparavant Françoise Vergès (entretien avec, par Marion Rousset), « Sœurs de lutte », Le Monde Idées 4 mars 2017, p. 2, rappelant qu’il a été « tué en 2012 par un policier à Noisy-le-Sec »).

« Des incidents ont éclaté à la suite d’un accident de moto impliquant la police, samedi [18 avril 2020], à Villeneuve-la-Garenne » (Hauts-de-Seine) ; l’application lancée par Amal Bentounsi, Urgence violences policières, « a été téléchargée 3 600 fois depuis » le 10 mars (Nicolas Chapuis et Louise Couvelaire, « Regain des tensions dans plusieurs quartiers défavorisés », Le Monde le 23 avr. 2020, p. 11). « De fait, les interpellations violentes ou les « accidents » comme celui du 18 avril sont loin d’être inédits » (Ilyes Ramdani, « À Villeneuve-la-Garenne, retour sur une colère raisonnée », bondyblog.fr le 25) ; v. depuis le billet de Daniel Schneidermann, ASI le 27 : après avoir rappelé le 17 octobre 1961, le journaliste écrit : « Les racistes d’aujourd’hui (…) procèdent par sous-entendus contre l’islam. Ils se camouflent sous l’étendard de la “laïcité” ». Ils « expriment leur racisme[,] sous couvert de laïcité », rappait Kery James dans sa Lettre à la République (2012).

Ajout au 30 mai 2020 de ses tweets des 21 avril et 27 mai.

Cecilia Beaux, Portrait de Clemenceau (1920, Washington, Smithsonian American Art Museum), culture.gouv.fr ; il fût l’un des « malades célèbres » de La Grande Grippe. 1918. La pire épidémie du siècle (Vendémiaire, 2018, selon la recension d’Annie De Nicola, 23 oct.) ; pour l’auteur,qui explique qu’elle est qualifiée d’« espagnole » parce que cette presse « en a parlé avant les autres », il « y a aussi eu des fermetures de cinémas, de théâtres, d’écoles, mais ce qui est très différent de la situation actuelle, c’est qu’il n’y avait aucune mesure nationale. Tout se faisait à l’échelon local, à la discrétion des préfets » (Freddy Vinet (entretien avec, par Florent Georgesco), Le Monde des Livres 20 mars 2020, p. 8). Je remercie les deux étudiantes de L2 qui, par leurs accroches originales, m’ont fait découvrir cette peintre franco-américaine, le médecin espagnol qu’était Gregorio Marañón et, par suite, cette anecdote en lien avec l’actualité.

[55] Joan W. Scott (propos traduits de l’américain par Joëlle Marelli et recueillis par Anne Chemin ; entretien avec Dominique Schnapper), « Laïcité, de la théorie à la pratique », Le Monde Idées 29 sept. 2018 (je reprends ici une citation ne figurant pas dans le cours ; l’historienne d’ajouter alors que « l’inégalité de genre a été fondamentale pour la formulation de la séparation des Églises et de l’État qui inaugure la modernité occidentale »). De l’utilité du genre, pour reprendre le titre de son recueil publié chez Fayard (2012), en cette période de confinement :

Stéphanie Hennette-Vauchez, « L’urgence (pas) pour tou(te)s », La Revue des Droits de l’Homme ADL 2 avr. 2020 ; « Dans le genre confiné·e·s », Les couilles sur la table le 27 : intervenant en alternance avec Thomas Rozec, Victoire Tuaillon remarque : « les “grands hommes”, ce sont de Gaulle ou Clemenceau » (v. ci-contre) ; « Inégalités femmes-hommes : y a-t-il une lecture de genre de la crise ? », Le Temps du débat d’Emmanuel Laurentin le 29, avec Hélène Périvier, Laure Murat et Laura Freixas.

Ajout au 30 mai, en citant Cécile Chambraud, « Une femme candidate pour succéder au cardinal Barbarin comme évêque de Lyon », Le Monde le 27, p. 12 : « Anne Soupa, une théologienne de 73 ans, s’est portée candidate, lundi 25 » ; « elle propose de distinguer les fonctions de gouvernement du diocèse, qui pourraient être confiées à une femme, de celles liées à la prêtrise ».

[56] Bruno Garnier, ouvr. préc., 2019, p. 61, entre deux affirmations discutables, même s’il nuance la première en rappelant que la loi de 1886 « s’applique progressivement, compte tenu du nombre important de religieuses dans l’enseignement féminin » : « il s’agissait surtout de soustraire l’instruction primaire des filles à l’influence dominante des congrégations religieuses qu’avait favorisée la loi Falloux (…). Jules Ferry constitue l’instruction en service public, ce qui permet tout particulièrement, la laïcisation de l’enseignement primaire des filles » (souligné par l’auteur ; contra ma thèse, respectivement pp. 83 à 98 et 135).

[57] V. les articles 17 et 18 de la loi Goblet (30 oct. 1886), puis l’article 70 de la loi de finances du 30 mars 1902, cité à l’entrée « Laïcité » du Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (1911) ; Claude Lelièvre, « La laïcisation du personnel de l’enseignement public… », 2 nov. 2016 (ces références pour préciser la page 326 de ma thèse, 2017) ; en version condensée, v. aussi la page 214 du Code de l’éducation 2020 qui, depuis 2000, « substitue aux mots « écoles publiques de tout ordre » l’expression plus moderne mais non dénuée d’ambiguïté juridique d’« établissements du premier degré publics » (art. L. 141-5). À noter que pour les écoles de filles la substitution du personnel laïque au congréganiste décidée en 1902 (L. de finances du 30 mars 1902, art. 70) ne fut effective qu’en 1913 ». Et pour refermer la boucle de ce billet, en revenant aussi à la première illustration, v. Bérengère Kolly, « L’Action Féministe et les institutrices : un « événement de parole » au début des années 1910 », La Pensée d’Ailleurs oct. 2019, n° 1 (209 p.), p. 49, spéc. p. 60

Billet invité : en Mauritanie, un système éducatif en péril

Il y a tout juste un an était publié un article d’Achille Mbembe, écrivant que l’Afrique « aura été – l’escalade technologique en moins – l’un des laboratoires privilégiés » de « ce que l’on appelle « l’État néolibéral autoritaire » » (Le Monde.fr 18 déc. 2018). Quelques jours plus tôt, une vidéo était postée par le GIESCR (Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights) ; l’organisation Right to Education Initiative (RTE) y renverra dans son e-Bulletin d’avril : intitulée « Privatisation et marchandisation de l’éducation en Mauritanie », cette vidéo comprend un « appel à (…) toute la diaspora » d’Aminetou Mint Al-Moctar[1].

Ces quelques minutes m’avaient fait penser à la thèse de Youssouf Ba : j’avais assisté à sa soutenance – à Grenoble, le 16 juin 2015 –, et je l’évoque en introduction de la mienne (2017, en note de bas de page 55, n° 249). Je lui avais soumis l’idée de ce deuxième « billet invité », quand il pourrait compte tenu de ses activités d’enseignement à Nouakchott (où il a lancé un établissement d’enseignement supérieur privé, l’École Supérieure Professionnelle et Interdisciplinaire : ESPRI) ; nous le publions en cette journée internationale des migrant·e·s, qui marque aussi le quarantième anniversaire de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes[2].

Mes remerciements à Youssouf pour avoir rédigé ce billet, en l’élargissant à d’autres problèmes du système éducatif mauritanien[3].

Carte situant la Mauritanie en Afrique (ascoma.com)

Il y a quelques mois, le Ministère de l’éducation nationale devenu Ministère de l’enseignement primaire et de la réforme, annonçait le concours de recrutement de cinq mille enseignants contractuels pour en finir avec la pénurie d’enseignants et les classes multigrades. Si cette annonce a été globalement bien accueillie, il n’en demeure pas moins que des interrogations et des inquiétudes demeurent.

C’est dans ce sens que le Comité des droits de l’enfant, dans ses observations préliminaires lors de la Soixante-dix-neuvième session tenue du 17 septembre au 5 octobre 2018, demandait à la Mauritanie de « fournir de plus amples renseignements sur les mesures prises pour améliorer la qualité de l’éducation ainsi que les infrastructures scolaires, pour éliminer tous les frais scolaires y compris les frais cachés, pour augmenter les taux d’achèvement du cycle primaire et pour développer des installations scolaires » (CRC/C/MRT/CO/3-5, 26 nov. 2018).

Cette préoccupation est d’autant plus pertinente qu’il est fait constat, ces dernières années, d’une forte dégradation liée à la baisse du niveau des élèves, la vente tous azimuts des écoles publiques situées en plein centre ville (sans une réelle politique de remplacement), la mauvaise qualité des infrastructures éducatives, la prolifération des écoles privées et la pénurie d’enseignants. À cet effet, le taux de réussite au Baccalauréat de l’année scolaire 2018-2019 – qui n’atteint pas 8% sur l’ensemble du territoire national – est révélateur de l’échec du système éducatif mauritanien et justifie les inquiétudes des ONG. Trois problèmes méritent d’être successivement abordés : l’un est actuel (I), les deux autres sont structurels (II).

I : Un problème actuel, la marchandisation de l’éducation

Un groupe d’organisations formé par l’Association des Femmes Chefs de Famille (AFCF), la Coalition des organisations mauritaniennes pour l’éducation (COMEDUC) et de l’Initiative mondiale pour les droits économiques, sociaux et culturels (GI-ESCR) a soulevé plusieurs difficultés. Elles sont liées d’une part à la politique de privatisation de l’éducation (A), entreprise par les différents gouvernements qui se sont succédé. D’autre part, est apparu plus récemment un autre phénomène beaucoup plus inquiétant : la vente des écoles publiques (B), transformées en commerce sans pour autant que l’État mauritanien ne mette en place des politiques d’accompagnement et de réorientation des enfants qui sont issus de ces écoles.

A : La prolifération des écoles privées

L’école publique mauritanienne est malade. En effet, les carences en manuels scolaires, les lacunes de l’éducation dans les langues nationales et surtout le statut des enseignants et le faible niveau de leurs qualifications sont les caractéristiques essentielles du système éducatif mauritanien. Nous le soulignions dans notre thèse consacrée au droit à l’éducation en Mauritanie (p.155) : « La situation des infrastructures éducatives publiques est telle que les couches moyennes et supérieures ont tendance à tourner le dos à l’enseignement public pour inscrire leurs enfants dans le privé. L’inégalité des chances devant l’instruction se manifeste par l’exclusion des enfants qui ne peuvent pas accéder à l’école, mais aussi par la mise sur pied d’une école à deux vitesses ». Ainsi, la part des élèves qui fréquentent les écoles privées prend de plus en plus d’importance en Mauritanie.

Une école primaire, dans le département de M’Bout (sud de la Mauritanie), ©Photononstop (jeuneafrique.com 23 juin 2017)

La dégradation de l’éducation publique ayant entraîné l’augmentation du nombre d’inscription dans les établissements scolaires privés, accentue les inégalités entre les citoyens mauritaniens. L’inscription dans ces établissements étant conditionnée au paiement des frais de scolarité, ceux qui n’en ont pas les moyens se voient obligés de rester dans le circuit scolaire public. Selon Philip Alston, rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, « seulement 380 des 4 430 établissements d’enseignement primaire de Mauritanie avaient l’électricité en 2014/15. Il convient de noter que, sur ces 380 écoles, 289 étaient des écoles privées » (A/HRC/35/26/Add.1, 8 mars 2017). Or, il est communément admis qu’en l’absence de qualité des infrastructures, le droit à l’éducation est compromis.

Se désengageant de plus en plus de l’éducation, les dirigeants mauritaniens ont mis en danger l’école publique. En effet, la privatisation de l’enseignement s’est particulièrement exacerbée ces dernières années. S’inscrivant dans le cadre des politiques d’ajustement structurel imposés par la Banque Mondiale et le Fond Mondial International, la Mauritanie s’est lancée dans une politique de privatisation de l’enseignement sans pour autant qu’il y ait une réelle politique de régulation. Cette préoccupation avait été relevée dans le cadre de notre thèse (p.240) : « En Mauritanie, les écoles privées se multiplient un peu partout dans le pays, non dans une optique de satisfaire la liberté d’enseignement, mais elles deviennent de véritables entreprises privées tournées vers la recherche de profit ». Le système éducatif mauritanien s’est rapidement privatisé durant les vingt dernières années, suite à l’autorisation et la promotion de l’enseignement privé par le gouvernement, et en raison du manque de régulation et d’encadrement des acteurs privés dans l’éducation. S’il agit d’une liberté éducative, cette prolifération ne doit pas conduire à la décadence de l’éducation publique.

Entre manque cruel d’enseignants, absence d’infrastructures, l’accès à l’éducation est plus que jamais compromis. Se désolant de cette situation, Madame Aminetou Mint Al-Moctar – présidente de l’Association des Femmes Chefs de Famille à l’initiative du rapport sur la privatisation de l’éducation – note que les « autorités mauritaniennes ont une obsession mercantiliste. On a l’impression qu’elles n’aiment pas ce qui marche. Elles cultivent la médiocrité et combattent l’excellence. La transformation des écoles publiques en centres commerciaux est révélatrice de l’intérêt qu’elles portent à l’éducation ». Or, il est admis que l’obligation de l’État subsiste, même en cas de privatisation de l’éducation, ce qui passe par la mise en place d’un cadre réglementaire concernant les normes, la qualité et les contenus de l’enseignement et, surtout, garantissant un plein respect du principe fondamental de non-discrimination dans l’éducation ; autrement dit, « l’éducation privée doit être convenablement règlementée » (« Avantages et inconvénients de l’éducation privée et publique en Afrique », unesco.org 12 nov. 2018 ; citant également Ann Skelton, avec Koumbou Boly Barry à propos des nouveaux Principes d’Abidjan, right-to-education.org 14 févr. 2019 ; de cette dernière, Rapporteure spéciale des Nations Unies sur le droit à l’éducation – depuis août 2016, v. A/HRC/41/37, 10 avr. 2019

En Mauritanie, la part des élèves dans le privé a été multipliée par plus de huit en seulement seize ans selon le rapport sur la privatisation et la vente des écoles publiques. Si l’efficacité interne d’un système éducatif se mesure par sa capacité à retenir à l’école le plus d’élèves possible qui accèdent à chacun de ses niveaux d’enseignement, et sa qualité par le niveau moyen des acquisitions des élèves qu’il scolarise, le système mauritanien est loin de s’inscrire dans cette dynamique. En plus de cette prolifération anarchique des écoles privées, le bradage des écoles publiques à des hommes d’affaires pour les transformer en commerces montre à quel point l’éducation publique en Mauritanie n’est pas prête de s’aligner sur les standards internationaux.

B : La vente des écoles publiques

En Mauritanie, nombre d’enfants ne sont scolarisés ni dans le primaire ni dans le secondaire.  Le système en place s’est livré au bradage du domaine public éducatif par la vente de plusieurs bâtiments qui faisaient office d’écoles sans pour autant qu’il y ait une politique de substitution, en mettant ainsi en péril un système éducatif qui avait, déjà, du mal à décoller. L’ensemble de ces bâtiments a été transformé en commerce. À cet effet, lors de la présentation du Rapport de la Mauritanie sur les droits de l’enfant, le Comité avait exprimé dans ses observations de novembre 2018 « sa profonde préoccupation face à la fermeture récente sans remplacement apparent de six écoles publiques à Nouakchott, le taux élevé d’analphabétisme, la faible disponibilité de l’éducation préscolaire et primaire, et la prolifération des écoles privées qui rendent l’enseignement de qualité à un coût prohibitif pour les enfants vivants dans des situations défavorisées ou vulnérables ». Et d’ajouter : « L’État n’a pas été en mesure de préciser pourquoi de telles mesures ont été prises ou si des mesures de précaution ont été adoptées pour éviter la perte de l’accès à l’éducation de ces enfants » (CRC/C/MRT/CO/3-5, préc.). Le Comité part des préoccupations soulevées par le collectif d’ONG dont AFCF qui met l’accent sur la politique que le gouvernement mauritanien était en train de mener en matière éducative.

Démolition de l’« École justice » à Nouakchott (mauriweb.info 2 févr. 2016)

L’obligation de l’État consiste en la mise en place d’une offre scolaire suffisante et de qualité, à veiller à ce que l’accès à cette éducation ne fasse l’objet d’aucune discrimination entre tous les enfants. Ne se considérant « aucunement » liées par ces impératifs, les autorités mauritaniennes se sont livrées à une marchandisation croissante du domaine public éducatif ayant « entrainé la fermeture de six écoles qui se trouvaient dessus, ce qui pourrait avoir mené à la déscolarisation permanente de milliers d’enfants : aucune autre école ayant été ouverte par les autorités publiques en substitution et de nombreuses familles n’ont pas les moyens de scolariser les enfants dans les écoles privées proches » (rapport préc.).

Considéré comme un droit fondamental dans ses multiples facettes, le droit à l’éducation souffre en Mauritanie d’une effectivité relative. La réception de ce droit en tant que droit issu du droit international des droits de l’homme, droit qui s’impose aux États en raison de son caractère objectif, fait face à de nombreux obstacles. « Sur le plan international, la Mauritanie se situe dans la moitié inférieure des pays en ce qui concerne les dépenses consacrées à l’éducation en pourcentage du PIB » selon le Rapport Alston précité. Aujourd’hui encore, plusieurs interrogations restent sans réponses parmi lesquelles, les raisons ayant conduit à la fermeture des écoles, les mesures prises pour donner accès à une école publique équivalente aux enfants affectés, et s’assurer qu’aucun enfant ne soit touché à l’avenir par la commercialisation des terrains d’écoles, la diminution des salles de cours dans les écoles publiques, bien qu’il y aient encore de nombreux enfants non-scolarisés, et l’augmentation très forte et très rapide d’écoles privées peu régulées. Or, comme le souligne ce rapport, la « marchandisation et la privatisation de l’éducation de facto nourrie par ce désengagement de l’État pourrait être source de discriminations, d’inégalités, et nourrir de nombreux autres problèmes liés aux droits humains tels que la participation aux affaires publiques et le droit à l’éducation ».

Si cette marchandisation croissante a remis le système éducatif mauritanien au centre des débats, il a toujours été confronté dans son développement à deux problèmes structurels.

II : Deux problèmes structurels

L’école mauritanienne a été et reste l’objet d’une forte instrumentalisation de la part des autorités. Les débats se sont souvent cristallisés sur des questions d’ordre identitaire (A) ainsi que sur les inégalités économiques et sociales (B).

A : La prégnance des questions identitaires

« La politique linguistique est un moyen qui permet de pratiquer la discrimination. Un État a tout à fait le droit de désigner une seule langue officielle, ce que la Mauritanie a fait en choisissant l’arabe. Cependant, dans un État multilingue, dans lequel de nombreuses personnes ne parlent pas la langue officielle, il incombe au Gouvernement de faire preuve de flexibilité raisonnable plutôt que d’exiger que toutes les communications officielles soient en arabe. Il n’est pas difficile de déterminer qui profite et qui pâtit d’une telle politique ». Si ces propos ressortent du rapport Alston sur l’extrême pauvreté en 2017, cette problématique a toujours été au cœur des débats sur le système éducatif mauritanien.

Dès la veille de l’accession de la Mauritanie à l’indépendance (28 novembre 1960), il a été pris en otage par les antagonismes politiques et communautaires. Ils opposaient, d’une part, la Communauté arabo-berbère qui prône « la réhabilitation de l’identité culturelle du pays » qui passe, nécessairement, par la reconnaissance de la langue arabe dans la Constitution et son introduction dans le système éducatif, et la communauté négro-mauritanienne favorable au maintien du français car, majoritairement, formée dans cette langue. Ainsi, entre 1959 et 1999, il y a eu cinq réformes controversées qui avaient été mises en chantier dans la passion et la précipitation. Elles avaient été guidées, essentiellement, pour une partie de la communauté mauritanienne, par une idéologie dont la motivation exclusive a été et demeure l’utilisation de la langue arabe.

Photo-reportage de Mohamedou B. Tandia au lycée de Kaédi (24 janv. 2014, cridem.org 1/2)

La première réforme date de 1959 et avait été mise en place dans le but de « réajustement » c’est-à-dire accordé davantage d’heures de cours à l’arabe à côté du français qui était la principale langue d’enseignement. Il s’agissait d’accorder une place plus importante à l’arabe. Cette volonté sera concrétisée à travers la réforme de 1967 qui consacre le bilinguisme français/arabe. La réforme qui s’en suivra en 1973 achève le processus d’arabisation en instauration l’unilinguisme arabe. Hormis de timides efforts entrepris vers la fin des années 1970 – qui ont permis l’introduction des langues dites nationales dans l’enseignement et la création d’un Institut supérieur ayant pour vocation de les promouvoir –, aucune mesure d’envergure, aucune politique publique n’a été menée pour la prise en compte des spécificités linguistiques et culturelles du pays. Après cette petite parenthèse consacrant l’intégration des langues nationales (Pularr, Soninké, Wolof) – via la réforme de 1979 –, le bilinguisme français/arabe est restauré.

Dès lors, les débats se sont cristallisés sur le socle sur lequel doit reposer le système éducatif mauritanien. La Mauritanie est un pays multilinguistique et ce caractère a, d’ailleurs, été reconnu dans la Constitution de 1991. L’Arabe est reconnu comme étant la « langue officielle », à côté des « langues nationales » précitées. Ce statut n’a toujours pas eu un impact significatif dans la reconnaissance effective et la promotion de ces langues. Depuis la dernière réforme de 1999 qui a unifié le système éducatif mauritanien, deux langues sont utilisées pour l’enseignement. Le français pour les matières dites « scientifiques » et l’arabe pour les matières dites « culturelles ».

Le débat sur la nécessité de faire de l’arabe l’unique langue d’administration et d’enseignement se pose, aujourd’hui encore, avec acuité. De nombreux députés et défenseurs de la langue arabe appelle à en finir avec l’usage du français afin de « respecter l’identité du pays ». C’est pourquoi, depuis bientôt une dizaine d’années, on parle des états généraux de l’éducation pour procéder à une réforme en profondeur du système éducatif mauritanien.

Ce débat a occulté et continue encore d’occulter les questions essentielles concernant l’éducation à savoir la qualité et la nécessité de la mise en place d’une infrastructure suffisante pour répondre au besoin des mauritaniens d’avoir accès à l’éducation. La qualité et la disponibilité des infrastructures et des équipements éducatifs satisfaisants ont été reléguées au second plan des préoccupations. Or, la situation d’extrême pauvreté que vit la grande majorité des mauritaniens ne permet pas de couvrir les dépenses liées à l’éducation des enfants. C’est ainsi que se sont exacerbées les inégalités économiques et sociales en termes d’accès à l’éducation.

B : Les inégalités économiques et sociales

Il est communément admis aujourd’hui que la décision d’inscrire un enfant à l’école, de lui faire poursuivre les études ou de les abandonner, est tributaire, pour partie, des conditions socio-économiques du ménage et de son appréciation de l’école.

Photo-reportage de Mohamedou B. Tandia au lycée de Kaédi (24 janv. 2014, cridem.org 2/2)

La population mauritanienne est majoritairement pauvre. Selon le Rapport sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement en 2015, en Mauritanie, « 55,6 % de la population serait concernée par la pauvreté multidimensionnelle, ce qui signifie que les ménages sont confrontés à des difficultés multiples qui ont trait, non seulement au niveau de vie, mais aussi à l’éducation et à la santé, et on compterait par ailleurs 16,8 % de ménages proches de la pauvreté multidimensionnelle. De ce fait, seule une minorité de mauritaniens peut inscrire ses enfants dans des écoles privées de bonne qualité. En effet, même si les coûts sont parfois considérés comme étant bas, ceux-ci restent un obstacle à l’accès à ces écoles pour beaucoup de familles qui n’arrivent même pas à subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Les frais de scolarité constituent un obstacle majeur à la scolarisation des enfants issus des milieux défavorisés. Ainsi, on constate de grandes disparités éducatives au détriment des groupes marginalisés et ceux vivant dans les zones rurales.

Face à la dégradation du système éducatif traditionnel, les autorités mauritaniennes se sont lancées dans un politique de création et de promotion des « écoles d’excellence ». Ces écoles qui répondent aux normes en termes de qualité d’enseignement et d’infrastructures constituent un nouveau facteur de discrimination dans la mesure où ce sont les enfants des tenants du système qui en bénéficient presque exclusivement. L’État a injecté énormément d’argent dans ces écoles parallèles au lieu de résoudre le problème auxquels sont confrontées les écoles « traditionnelles ».

Aujourd’hui encore, beaucoup de voix s’élèvent pour dénoncer cette pratique qui exacerbe les disparités, tout comme les tensions entre les différentes communautés, en mettant l’avenir du pays en danger. L’accent devrait être mis sur la nécessité d’un financement public qui permette le développement d’une offre scolaire suffisante et l’amélioration de la couverture scolaire et qui prenne en compte les attentes de l’ensemble des communautés pour bénéficier du droit à l’éducation.

Youssouf Ba


Notes du texte introductif, par Thomas Bompard :

[1] V. ce portrait de Christophe Châtelot, « En Mauritanie, une femme en lutte contre toutes les injustices », Le Monde.fr 26 nov. 2017, précisant notamment qu’elle « a commencé à se battre dès son plus jeune âge », et été « exclue de l’école ».

Appel grenoblois à manifester (le-tamis.info)

[2] Extrait de l’appel ci-contre : « Nous marcherons pour la ratification par la France de la « convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille », adoptée par l’ONU le 18 décembre 1990 ; v. ma note de bas de page 723 (n° 596). La CEDEF (CEDAW en anglais) fête quant à elle ses quarante ans : v. mes pp. 785 et s., puis 1185 à propos de CAA Nancy, 2 oct. 2018, n° 18NC00536, cons. 1 et 8 (invocation par un homme, « ressortissant de la République de Guinée né le 19 mai 1998 », avec d’autres dispositions liées à l’article 26 de la DUDH ; la réponse n’en est pas moins curieuse : comparer avec les cons. 7 et 9, concernant respectivement l’article L. 111-1 du Code de l’éducation – reconnaissant le « droit à l’éducation » au plan national – et l’article 8 de la CEDH).

[3] Trois séries de remarques à partir du billet de Youssouf :

  • La « privatisation de l’éducation » était explicitement dénoncée depuis un mois, fin novembre, par les étudiant·e·s de l’université Jawaharlal-Nehru (JNU), à New Delhi. La revendication liée était, selon une autre citation (traduction), « une éducation abordable et accessible ». La journaliste Sophie Landrin de préciser qu’« un député du BJP [Bharatiya Janata Party], Subramanian Swamy, a proposé de fermer la JNU pour deux ans, le temps de la débarrasser des « éléments antisociaux » et de la rebaptiser pour effacer le nom de Nehru, premier chef de gouvernement de l’Inde indépendante, homme de gauche et ardent défenseur du sécularisme, honni des nationalistes hindous. (…) Elle [est l’une de leurs cibles depuis] leur arrivée au pouvoir, en 2014 » (« Inde : le combat pour préserver l’université Nehru », Le Monde 29 nov. 2019, p. 5 ; la Jamia Millia Islamia, une autre université de la capitale, a quant à elle « lancé le mouvement de protestation » – violemment réprimé ce dimanche – contre la réforme de la loi sur la nationalité : lire l’éditorial « Menace sur la laïcité indienne », Le Monde.fr 17 déc. 2019 et, annoncé à la Une de demain – le 19 –, deux articles en page 2).
  • Le mot « langue » renvoie à une cinquantaine d’occurrences dans ma propre thèse, mais ce n’est pas une entrée que j’ai privilégiée pour aborder l’émergence du droit à l’éducation dans le contexte des laïcités françaises. Dans la décision rendue cet été par le Conseil constitutionnel, l’un des deux articles déclarés « contraires » à la Constitution prévoyait « une information des familles sur l’« intérêt » et les « enjeux » des offres d’apprentissage des langues et cultures régionales » (article 33, selon CC, 25 juill. 2019, Loi pour une école de la confiance, n° 2019-787 DC, cons. 14 et 12). Le 6 août 2015 (Loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, n° 2015-717 DC), les juges constitutionnels n’avaient pas vu d’obstacle à ce qui allait devenir l’article 101 de la loi NOTRe (n° 2015-991 du 7 août). Depuis le 23 juillet 2008, les « langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » (art. 75-1 de la Constitution). D’un point de vue historique, v. Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, La découverte, 2012, en note de bas de page 58 : « certaines langues régionales ont été traitées avec une relative tolérance (l’occitan, par exemple), d’autres beaucoup plus durement (le breton, le basque), comme le montre Jean-François Chanet dans L’école républicaine et les petites patries (Aubier, 1996) » ; pour un titre en écho, Les hussards noirs de la colonie. Instituteurs africains et « petites patries » en AOF (1913-1960), éd. Karthala, 2018 (signalé par Céline Labrune-Badiane et Étienne Smith, « Idées reçues sur l’école coloniale », AOC 14 mars 2019).
  • Enfin, je tiens à signaler en tant que citoyen français qu’avant l’été, la porte-parole du quai d’Orsay a tenu à « félicite[r] » le candidat élu à l’issue de l’élection présidentielle ; et de « salue[r son] bon déroulement », en la qualifiant de « moment démocratique historique » (citée par Marie Verdier, « En Mauritanie, l’élection du président est un « nouveau coup d’État » pour l’opposition », La Croix (site web) 26 juin 2019) ; ayant succédé le 1er août à Mohamed Ould Abdelaziz (2009-2019), Mohamed Ould Ghazouani s’est vu offrir un entretien exclusif dans Le Monde du 4 décembre, dans lequel il soutient que le « G5 est un regroupement [d’armées sahéliennes] qui réussit bien. [Au plan intérieur, il récuse l’existence d’]une situation qui nécessite un dialogue inclusif » avec l’opposition, demandeuse d’un tel dialogue (p. 4, entretien avec Christophe Châtelot, auteur le 11 d’un article titré « Clarification post-électorale au sommet de l’État mauritanien », p. 32)…

Laïcités françaises et « communautarisme »

Couverture de la version poche du livre d’Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed (La Découverte, 2016), l’une des références citées page 457 de ma thèse, à propos de l’islamophobie. À la page 245 de cette version de 2013 se trouve évoqué le mouvement Mamans Toutes Égales (MTE), avant des développements intitulés « Un courant féministe contre l’islamophobie » ; ils mobilisent l’intervention à l’EHESS, le 15 février, de Michelle Zancarini-Fournel (« Étude de cas : des féministes islamophobes »). « Délinquant ! », a réagi – avec l’humour qui le caractérise – l’un des co-auteurs du livre, à l’annonce le 20 septembre dernier d’une condamnation définitive d’Éric Zemmour ; d’un point de vue historique, v. aussi Gérard Noiriel (entretien avec, par Nicolas Truong), pour qui le polémiste « légitime une forme de délinquance de la pensée », Le Monde le 10, p. 24, annoncé à la Une).

À en croire le président de la République, « émerge dans notre société » un sujet, le « communautarisme », qui « ne doit pas être un marqueur mais un pan assumé de notre action »[1]. S’agirait-il de s’attaquer au « communautarisme régionaliste », pour remettre en cause l’une des laïcités françaises, celle « concordataire » (v. ma thèse, pp. 349 et 449) ? Il n’en est rien : pour Emmanuel Macron, si le « problème en France, ce n’est pas la laïcité, ce sont les communautarismes » (« ce ne sont pas les religions, c’est le communautarisme »), celui « le plus visible est (…) lié à l’islam »[2]. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman » (v. ci-contre) ? Certaines en mobilisant « la laïcité », notamment, mais cela a fini par se voir un peu ; Emmanuel Macron réussit cette fois à le faire en prétendant ne pas parler de la laïcité.

L’essentiel est le retour aux fondamentaux[3], non pas les droits mais « l’islam » qui, selon une professeure de droit, « revendique une « resignalisation » religieuse de l’enseignement »[4]. Si l’islam est envisagé comme une personne (morale ?), ne devient-il pas difficile de séparer la critique de cette religion de celle des personnes qui s’y reconnaissent ? Un tel glissement est-il vraiment exceptionnel et, surtout, ne se combine-t-il pas souvent avec la référence au « communautarisme », ce mot qui sert si fréquemment à parler de l’islam sans directement en parler ?

Jean-Michel Blanquer (entretien avec, par Sébastien Le Fol), « Je suis un républicain social », Le Point 25 avr. 2019, n° 2434, pp. 36 à 42 : il y assénait notamment que la « dérive identitaire et communautariste est l’un des sujets les plus graves de notre époque », avant de passer des « initiatives nauséabondes du syndicat SUD93 » à « la montée du fascisme dans les années 1920 » ; le sens de l’histoire, selon le « nouveau « cerveau » de Macron »… ; cette Une de l’hebdomadaire constitue quant à elle l’aboutissement d’une « représentation médiatique » qui remonte à sa nomination ; sur le « contrôle vertical renforcé » qu’elle a « sans doute » contribué à permettre, v. Philippe Champy, « Jean-Michel Blanquer en président de l’Éducation nationale », AOC 23 sept. 2019

Trouvant « le temps » de commenter une affiche de la FCPE, ayant selon lui le tort de lier « laïcité » et accueil « à l’école tous les parents », le ministre Jean-Michel Blanquer l’accuse ainsi de « flatter le communautarisme »[5]. Suggérant une répartition des rôles entre « le chef de l’État » et ce « bon élève de la Macronie » – une hypothèse sérieuse, à mon avis –, un observateur anonyme y voit un positionnement strict « sur la laïcité »[6]. C’est là reprendre une idée discutable, mais tellement rebattue ; la plupart des usages reviennent surtout à se montrer « intransigeants vis-à-vis de l’Islam »[7].

Réagir à cette nouvelle sortie (scolaire ?), c’est prendre le risque de sauter à son tour « à pieds joints dans la polémique » (Frantz Durupt, liberation.fr 24 sept. 2019). Ayant signalé ce que j’en pensais dans l’un de mes premiers billets (26 janv. 2018, aujourd’hui actualisé), j’éviterai donc de faire le lien avec la précédente, provoquée par un philosophe de gauche, répétant alors lui aussi cette position hostile – de fait – à certaines accompagnatrices ; je ne m’étonnerai pas non plus de l’avoir vu citer en exemple le principal avec qui cette histoire a commencé[8], ni ne remarquerai qu’Henri Peña-Ruiz s’est ensuite référé – au terme de cette même émission (RT France 2 sept. 2019) – au « très beau rapport » de Gilles Clavreul.

Le 15 mai 2018, je commençais par citer un commentaire d’un autre avis ; j’ai repris ce billet, auquel je renvoie in fine, en rapatriant ici quelques développements, essentiellement des références pour qui se questionne à propos de ce prétendu[9] « communautarisme » ; entre les efforts pour justifier le refus de parler d’islamophobie – par exemple – et les nombreuses mentions du « communautarisme »[10], le contraste est saisissant : là, philosophes et autres « « élites » administratives, politiques, médiatiques et scientifiques »[11] ne s’embarrassent plus d’un minimum de distinctions.

Cet emballement conduit logiquement à des résultats curieux : qu’une porteuse de foulard accompagne des élèves en « voyages scolaires » à Auschwitz, par exemple, en relèverait ; heureusement, cette position n’est pas partagée partout[12]. Et quand Nathalie Loiseau portait des jupes longues à l’école, non seulement personne ne le lui reprochait (v. bfmbusiness.bfmtv.com, pendant 30 secondes autour de la 15ème min.)[13], mais cela n’était pas considéré comme du « communautarisme ».

Il y a deux ans, le mot revenait ainsi deux fois chez le conseiller d’État Jean-Éric Schoettl[14] ; de 1997 à 2007, il a été secrétaire général du Conseil constitutionnel[15]. Alors même qu’il n’avait pas été saisi de la loi du 15 mars 2004 (v. ma page 439), ce dernier décidait le 19 novembre de faire « prévaloir le principe de laïcité sur la liberté de religion » ; « au sens où l’énonce la Convention européenne », poursuit Pierre-Henri Prélot, elle représente pour ses membres « le cheval de Troie du communautarisme »[16]. Selon Sylvie Tissot, c’est « en 2005, à l’issue d’une année dominée par la polémique sur le « voile à l’école », puis par celle sur l’« œuvre positive » de la tutelle coloniale, que le terme s’impose dans le débat public »[17].

Couverture du livre Communautarisme ?, PUF/Vie des idées, 2018 (présentation et table des matières, le 26 sept.)

Il y a près d’un an, Marwan Mohammed et Julien Talpin annonçaient la publication ci-contre, dans un texte intitulé « Communautarisme ? – Banalité de l’entre-soi et stigmatisation des minorités », AOC 19-20 sept. 2018 : « du fait de l’explosion de son usage ces dernières années il mérite d’être à la fois déconstruit et analysé » par des « travaux sociologiques – tels ceux de Patrick Simon, Bruno Cousin et Jules Naudet dans l’ouvrage ». Il est informé des sciences sociales s’intéressant aux « mouvements issus de groupes minorisés » ; elles enseignent qu’ils « visent d’abord l’égalité des droits et de traitements, davantage que la reconnaissance d’un quelconque particularisme ou des droits spécifiques »[18].

Le « communautarisme » est beaucoup plus souvent dénoncé qu’il n’est défini ; lorsqu’il l’est, sa mobilisation peut encore poser problème : professeur honoraire à l’Institut catholique de Paris, Bernard Hugonnier a ainsi pu proposer – en 2016, dans la revue de l’Association Française des Acteurs de l’Éducation (AEFE) – quelques éléments de définition (dont celle « récemment donnée dans un rapport au Ministre de l’intérieur »…) ; le lien tissé ensuite avec la loi de 2004 n’a rien d’évident, mais il se comprend à la lumière de l’affirmation qui suit – elle aussi discutable –, selon laquelle « l’expression dans la sphère publique de certaines [sic] appartenances à une religion (…) remet fortement en cause le principe de laïcité »[19].

Ayant réalisé une « généalogie » de ce mot, Fabrice Dhume écrit : « Fondé sur le bien-entendu majoritaire, et exploitant les préjugés racistes, sexistes, islamophobes, ce discours idéologique « parle » de lui-même (du point de vue majoritaire), sans nul besoin de définition, de faits ou de démonstration empirique » ; « Au fond, ce discours se moque des faits (…). Il permet, par un étonnant tour de passe-passe intellectuel, d’affirmer que le mot « ne renvoie à aucune institution ni aucun fait social précis […mais que] le terme recouvre et renvoie à des réalités » qui seraient menaçantes (Laurent Bouvet, Le communautarisme. Mythes et réalités, Lignes de repères, 2007, pp. 10-11) »[20].

« Sortir des faux débats », telle était l’intention affichée, en mars-avril 2007, de l’auteur cité ; présenté comme le « gladiateur de la laïcité » en 2018[21], Laurent Bouvet devrait faire l’objet d’une plainte « pour incitation à la haine contre les parents musulmans », selon une annonce cette semaine[22]. La précédente, il avait tenu – avec d’autres – à dénoncer une « propagande pro-burqini »[23]… En critiquant essentiellement l’idée « sous-entend[ue] que l’interdiction [soi]t la seule façon de défendre la liberté de conscience », Alain Policar ne conteste pas cette réduction des droits impliqués selon les laïcités[24], comme s’il n’était question de ladite liberté.

Ils sont avant tout ceux des femmes[25], les hommes étant – en France[26] – rarement visés par ces restrictions. Le Défenseur des droits a pu en citer un qui est rarement mentionné, le « droit de participer aux activités récréatives, aux sports et à tous les aspects de la vie culturelle », tel que reconnu à l’article 13 c) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes[27]. Pourtant, et comme à propos des plages[28] ou des cours de natation[29], d’aucuns répéteront : « La laïcité, c’est d’abord la liberté de conscience » ; et ensuite ?


[1] Emmanuel Macron, cité par Valérie Hacot et Pauline Théveniaud, « Sur l’immigration, Macron chasse à droite », leparisien.fr 16 sept. 2019 ; le 10 décembre 2018, avant d’appeler à « affronter » la « question de l’immigration » – au nom de l’« identité profonde » de « la Nation », il avait évoqué « une laïcité bousculée » et « des modes de vie qui créent des barrières, de la distance ». V. l’analyse de Cécile Alduy, « La laïcité dans le « grand débat » : ou comment entendre les silences », AOC 4 févr. 2019 : « Alors que les « gilets jaunes » parlaient pouvoir d’achat, ISF, fins de mois difficiles et RIC, Emmanuel Macron (…) recadre les discussions d’en haut et substitue à la question sociale la question identitaire (immigration et place du religieux étant habilement placés l’un à la suite de l’autre dans la lettre du président et le questionnaire en ligne) » ; à partir d’enquêtes, la chercheuse en littérature affirme que « la « majorité silencieuse » n’est pas celle qu’avait en tête un Nicolas Sarkozy lorsqu’il affirmait que les Français attendent qu’on leur parle d’identité, de lutte contre le communautarisme et l’immigration ».

[2] Emmanuel Macron, « lundi [16 au] soir devant les parlementaires de la majorité réunis au ministère des Relations avec le Parlement » (« Profession de foi », Le Canard enchaîné le 18, p. 2, sous l’encadré intitulé « Immigration : le bourgeois Macron s’en prend aux bourgeois ! »).

[3] En même temps, ou presque, il « assume de parler calmement d’immigration » (europe1.fr 25 sept. 2019 ; il ne faudrait pas « antagoniser » la société, là aussi… Faite la veille sur RMC-BFMTV, la réponse de Jean-Michel Blanquer à Greta Thunberg vaut encore plus le détour : « La France est une locomotive contre le réchauffement climatique » ; « Elle roule au charbon ou au diesel ? », Le Canard enchaîné à la Une, lui remettant « La noix d’honneur »). Dans une tribune publiée le même jour (Le Monde, p. 30), François Héran suggère qu’il pourrait être plus important, pour « nos dirigeants [, de] tenir une parole de raison » sur cette question ; quelle idée saugrenue…

[4] Roseline Letteron, « Préface. La laïcité de tous les combats », ouvrant l’ouvrage – publié sous sa direction – La Laïcité dans la tourmente, SUP, 2019, p. 7, spéc. p. 12, résumant la contribution de Patrick Cabanel, « Le principe de laïcité à l’école », p. 167, spéc. pp. 183 et 185 (186) : mentionnant « l’islam » et « des revendications de « resignalisation » religieuse qui évoquent à l’historien des batailles passées », celui-ci écrit à propos de la loi de 2004 (« un bon texte ») qu’elle « vise en fait les voiles musulmans des jeunes filles, comme [sic] jadis elle visait les crucifix du catholicisme. Et ce n’est pas là de l’islamophobie, mais la pure tradition laïque, attentive à ce que l’espace de tous soit vidé de ce qui n’appartient qu’à quelques-uns [re-sic] » (je souligne ; contra Véronica Thiéry-Riboulot, « Cinq questions sur l’histoire du mot laïcité », p. 39, spéc. p. 49, ainsi que ma thèse, pp. 504 à 507, spécialement pour la citation du livre de Pierre Kahn).

[5] Faïza Zerouala, « Blanquer joue (encore) les apprentis sorciers avec la laïcité », Mediapart 24 sept. 2019, citant ensuite – l’affiche puis – le ministre de l’éducation nationale, qui a également affirmé : « Il faut avoir le sens de l’Histoire » : ce billet fournit des références pour qui voudrait retracer celle du mot « communautarisme » ; l’histoire est aussi riche d’enseignements par rapport aux ministres qui font semblant d’ignorer l’état du droit (v. par ex. mes pp. 415-416, 420, 459-460, 467-468 et 520). La journaliste rappelle les travaux préparatoires de « loi dite pour une école de la confiance », durant lesquels « un amendement LR, adopté au Sénat [v. le communiqué du groupe] puis retoqué en commission mixte paritaire, préconisait une interdiction de l’accompagnement des sorties scolaires par les mères voilées ». Le 25 septembre, alors que Valentine Zuber lui rappelle certains de ces éléments, Guillaume Erner oppose significativement ses « rêves nostalgiques »…

Les cinq affiches distribuées par la FCPE (lejdd.fr 24 sept. 2019, pour essayer « de flatter le communautarisme » selon Jean-Michel Blanquer).

[6] Cité par Mattea Battaglia, laquelle s’en détache en s’interrogeant : « Plus strictement ? » ; certainement pas concernant la plupart des établissements d’enseignement privés, catholique·s. Après avoir évoqué des « logiques communautaristes », le ministre a pointé un risque de « dérives communautaires » lié… « au développement d’écoles hors contrat » (« Laïcité : Blanquer s’en prend à une fédération de parents d’élèves », Le Monde 26 sept. 2019, p. 14).

[7] Pascale Le Néouannic, Petit manuel de laïcité à usage citoyen, éd. Bruno Leprince, 2011, p. 41, tout en concédant à la même page qu’il n’y a pas qu’une seule « lecture du Coran » (c’est juste, mais contradictoire avec l’essentialisation de « l’Islam » qui précède) ; moyennant quelques réserves, il est possible de la rejoindre quand elle dénonce, dix pages plus loin, une « communautarisation de l’argent public » (p. 51). Pour son préfacier Henri Peña-Ruiz, la « République laïque et sociale (…) évite l’enfermement communautariste » (p. 7, spéc. p. 19).

[8] Ernest Chénière – en 1989 –, pour ne pas le nommer, dont la trajectoire politique peut être rappelée : élu député RPR en 1993, avec l’année suivante un désistement – infructueux – en sa faveur de l’extrême-droite, lors d’élections locales (v. Frédéric Normand, « L’étonnant retour d’Ernest Chenière », leparisien.fr 23 mai 2002) ; « trente ans jour pour jour » après qu’il a « dit non au voile à l’école » (… et exclu de cours trois élèves qui le portaient, sans aucune base légale), v. son entretien avec Laurent Valdiguié, « J’ai eu affaire à la première brèche dans la laïcité par un islamisme conquérant », marianne.net 13 sept. 2019 ; je renvoie à mes pp. 412 et s., spéc. 437 (et, plus loin, 604 et 1206) ; une Journée scientifique se tiendra le 4 octobre, à Amiens (Université de Picardie Jules Verne), autour de l’ouvrage d’Ismail Ferhat et alii, Les foulards de la discorde. Retours sur l’affaire de Creil, 1989 (l’Aube, 2019 : v. jean-jaures.org le 21 août).

[9] Il ne s’agit pas de nier qu’il puisse y avoir, ça et là, des revendications ou pratiques manifestant un repli sur sa « communauté », mais de souligner, avec le membre du groupe de travail « Laïcité » de la LDH, que « le danger du « communautarisme » vient surtout de l’ignorance de nos institutions chez celles et ceux qui le dénoncent » (Alain Bondeelle, « Pourquoi il ne faut pas modifier la loi de 1905 », Hommes & Libertés mars 2019, n° 185, p. 27, spéc. p. 28). Dans un communiqué du 25 septembre, l’association a « réaffirm[é] sa pleine solidarité avec la FCPE » (« Jean-Michel Blanquer : l’excommunicateur de parents d’élèves »).

[10] Assez rare est la situation où des guillemets de précaution accompagnent la mention du mot ; pour un exemple, Anne Rinnert (entretien avec, par Brigitte Esteve-Bellebeau et Mathieu Touzeil-Divina), « Le principe de laïcité est plus que jamais d’actualité », in laï-Cité(s) et discrimination(s). Les Cahiers de la LCD. Vol. 3, L’Harmattan, 2017, p. 127 ; Journal du Droit Administratif (JDA) 2017, n° 3, Art. 113, visant « les quartiers « communautaristes » ».

[11] Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », La Découverte, 2013, p. 103, avant de préciser employer « le terme d’« élites » au pluriel pour signifier qu’il ne s’agit pas d’un groupe social homogène et que, bien au contraire, il existe de multiples fractions divisées et concurrentes, évoluant dans des espaces sociaux différenciés ».

[12] V. le beau reportage d’Annie Kahn, publié dans Le Monde 30 mai 2018, p. 22, précisant à propos d’une des « mères d’élèves » accompagnatrices qu’elle est « voilée ».

[13] Elle déclare que les jupes longues n’ont « jamais été un signe religieux » ; comparer mes pp. 458 à 460

Jean-Éric Schoettl, Portrait repris du site sansapriori.net (2018)

[14] « La laïcité en questions », Constitutions 2017, pp. 19 et s. Jean-Éric Schoettl ne répugne pas à signer des tribunes polémiques : entre autres, v. « Stage en non-mixité raciale : une simple polémique ? Non, un vrai scandale ! », Le FigaroVox.fr 20 déc. 2017 ; « Affaire Baby Loup : la Cour de cassation ne doit pas se plier au diktat de l’ONU », Le Figaro 14 sept. 2018, n° 23044, p. 18, en tant que membres du Cercle Droit et débat public, « présidé par Noëlle Lenoir (ancienne ministre et membre honoraire du Conseil constitutionnel) ». ll est l’un des sages de la laïcité… C’est également le cas de Laurent Bouvet, avec qui il partageait une tribune (d’hommes) lors de la table ronde « La laïcité à l’épreuve de l’Islam », à l’occasion d’une convention organisée le 27 juin 2018 par Force Républicaine (un mouvement confié par François Fillon à Bruno Retailleau, en novembre 2017). L’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel se réfère à la décision précitée pour définir juridiquement « la laïcité » ; dans une inversion remarquable, il fait part son « impression que nous avons que l’autre nous rejette », avant d’enchaîner des questions rhétoriques résumées comme suit : « En un mot, l’islam n’a-t-il pas un très ancien problème avec l’altérité ? »… (vidéo mise en ligne le 6 juillet ; je souligne).

[15] V. l’article – issu d’une communication prononcée à Paris I, le 9 juin 2006 – d’Alexandre Ciaudo, « Un acteur spécifique du procès constitutionnel : le secrétaire général du Conseil constitutionnel », RFDC 2008/1, n° 73, p. 17

[16] Pierre-Henri Prélot, « La loi de 1905. Hier et aujourd’hui », in Roseline Letteron, ouvr. préc., 2019, p. 53, spéc. p. 54, avant de préciser que « le Conseil constitutionnel semble avoir lui-même fini par se défaire » de « cette vision sacralisée de la laïcité ».

[17] Sylvie Tissot, « Qui a peur du communautarisme ? », La cassure. L’état du monde 2013, La Découverte, reproduit sur lmsi.net 23 mars 2016

[18] Éric Fassin affirmait dans le même sens : « En France, dès que les minorités se font ­entendre, on les taxe de communautarisme ; aux États-Unis, on se récrie : « politique identitaire ». Mais pourquoi l’égalité demandée par des minorités ne serait-elle pas universaliste ? (…) Ce ne sont pas les revendications des minorités qui fragmentent la société ; c’est leur relégation » (Le Monde 2 oct. 2018, p. 22 ; entretien croisé avec Mark Lilla, par Marc-Olivier Bherer).

[19] Bernard Hugonnier, « Les relations entre laïcité et communautarisme », Administration & Éducation 2016/3, n° 151, p. 83, spéc. pp. 84 et 85

[20] Fabrice Dhume, « Communautarisme, une catégorie mutante », La Vie des idées 25 sept. 2018, précisant avoir mobilisé les archives du journal Le Monde avant 1989 (lesquelles n’étaient pas disponibles – en version numérisées – au moment de l’écriture de son livre Communautarisme. Enquête sur une chimère du nationalisme français, Demopolis, 2016 ; dans ma thèse, je cite son article de 2010, en ligne) ;  il situe cette année-là le début de la focalisation « sur l’islam, nouvelle cible du discours articulant l’essentialisation des « communautés » au thème de menace sur la civilisation » ; « Comme l’indique l’analyse de sa dynamique, la construction de ce discours découle d’une entreprise politique menée par des réseaux d’intellectuels (dont une bonne part s’est réunie aujourd’hui dans quelques officines prétendant avoir le monopole de représentation de la république, telles le Comité laïcité république, le Printemps républicain, etc.), utilisant l’arène médiatique, avant que ce mot ne soit repris comme justification (et insulte) politique ».

[21] Zineb Dryef, M Le Magazine du Monde 17 févr. 2018

[22] v. Mattea Battaglia et Samuel Laurent, « La FCPE va déposer une plainte contre Laurent Bouvet », Le Monde 26 sept. 2019, p. 14, citant Rodrigo Arenas, son coprésident.

[23] Laurent Bouvet et alii, « Piscine et « burqini » : va-t-on nous dire qu’il est raciste de défendre la liberté de conscience ? », Ibid. le 18, p. 32, en précisant entre parenthèses : « plutôt que « burkini », qui évoque l’innocent bikini au lieu de l’indigne burqa » ; comparer l’appel à faire évoluer les règlements intérieurs des piscines, défendant – au nom du Planning Familial 38 – « la liberté en maillot de bain couvrant, maillot de bain une pièce, bikini, short, jupette, topless » (« Nos corps dérangent ! Jetons-nous à l’eau ! », planning-familial.org le 11 juillet). Les piscines publiques, lieux pour s’adonner « au communautarisme et au repli identitaire », autrement dit au « repli communautaire » ? C’est l’avis de Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur (Réponse à la question d’actualité de Michel Savin (Isère – Les Républicains), JO Sénat le 10, p. 10922).

[24] Celle « des pétitionnaires » et la sienne n’étant manifestement pas les mêmes, cette dernière se présentant comme « instituée par la loi de 1905 [, en n’étant] ni d’émancipation ni de coopération, mais d’abstention » (Alain Policar, « En prétendant combattre l’obscurantisme, on fait de la laïcité une arme contre la religion », Ibid. le 21, p. 30).

[25] Présentant « l’assignation à un statut inférieur à celui des hommes » comme la « menace la plus grave qui menace les droits des femmes », Joël Andriantsimbazovina ne précise pas lesquels et se réfère en réalité implicitement au dernier sens du mot statut ; pour lui, justifier par des obligations de laïcité la « neutralisation de certaines manifestations extérieures de convictions religieuses », c’est « faire progresser les droits des femmes » (« Laïcité et droits des femmes. Quelques éléments de réflexion à partir du droit positif », in Roseline Letteron, ouvr. préc., 2019, p. 225, spéc. pp. 233, 235 et 240, en conclusion).

[26] À propos des « hommes d’un certain âge », v. le billet de blog « Le « bikini pékinois » menacé par les autorités chinoises », lemonde.fr 8-9 juill. 2019

[27] v. DDD, 12 déc. 2018, n° 2018-297, 18 p., p. 5, § 22, avant toutefois de retenir comme « cadre juridique [celui] des limitations à la liberté religieuse » (p. 8 ; mêmes pages ou presque le 27, n° 2018-301, 11 p. et n° 2018-303, 12 p.), puis de conclure à des « discriminations fondées sur la religion et le genre, au sens des articles 8 et 9 de la Convention européenne des droits de l’homme combinés avec son article 14 (…) » (p. 18).

[28] Ibid., p. 9, le DDD citant les ordonnances rendues par le Conseil d’État les 26 août (n° 402742) et 26 septembre 2016 (n° 403578), retenant «  une  atteinte  grave  et  manifestement illégale  aux  libertés fondamentales que  sont  la  liberté  d’aller  et  venir,  la  liberté  de conscience  et  la  liberté  personnelle  » (cons. 6 ; je souligne). Le DDD prend soin de développer « l’analyse de la compatibilité de ce vêtement avec les normes d’hygiène et de sécurité des piscines » (v. pp. 16-17, §§ 85 à 94). V. la « Mise au point sur les règlements intérieurs relatifs aux tenues de bain dans les piscines publiques », publiée par l’Observatoire de la laïcité le 3 juin 2019, et dans un autre registre le billet de Mérôme Jardin, « Non, Mme Ndiaye, le burkini ne pose pas de problème d’hygiène », le 2 juillet.

[29] V. l’arrêt Osmanoğlu et Kocabaş contre Suisse, mentionné Ibid., pp. 11-12, et présenté comme relatif à la « Liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9) » (chronique de « Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et droit administratif », RFDA 2018, pp. 697 et s. Je souligne à nouveau ; comparer mes pp. 1209-1210) ; alors que sa lecture pourrait bien provoquer une syncope chez certain·e·s militant·e·s de « la laïcité », Henri Labayle et Frédéric Sudre affirment qu’il serait propre à satisfaire « ceux que les développements du communautarisme religieux préoccupent »…

Ajout au 9 octobre 2019 (également opéré dans mon billet du 26 janvier 2018, relatif aux sorties scolaires) : Le Monde publie page 27 deux tribunes : alors que Véronique Decker, qui a été directrice d’école publique (à Bobigny), estime que « merci » est « la seule chose » que cette dernière peut dire aux bénévoles qui lui viennent en aide, Dominique Schnapper tient à exprimer un espoir, nonobstant « l’état actuel du droit » : « que le principe de neutralité qui régit l’école publique prévaudra sur les tentatives de dévoiement communautariste » ; l’ex-membre du Conseil constitutionnel (2001-2010) est actuellement présidente du Conseil des sages de la laïcité, depuis que Jean-Michel Blanquer l’a désignée (fin 2017)…

La Charte sociale et le Comité européen des droits…

Photo issue de lyonpremiere.com 5 mai 2018

Ces dernières semaines, l’un des droits ajoutés dans la version révisée de Charte sociale européenne (CSERev)[1] fait l’objet d’une protection par des conseils de prud’hommes. Souvent promptes à s’indigner des atteintes aux droits pointées ailleurs – par exemple en Europe centrale –, certaines élites[2] ont estimé bienvenu de jeter le discrédit sur les personnes qui ont rendu ces jugements[3].

En France, l’universalisme a souvent ses frontières, celles qui avaient déjà conduit le Ministère de l’Europe et des affaires étrangères à mettre en doute les « compétences en droit » des membres du Comité des droits de l’Homme des Nations unies[4]. Pour qui s’intéresse (vraiment) à la garantie des droits, les raisonnements tenus par ces quasi-juridictions retiennent l’attention.

Concernant le Comité européen des droits sociaux (CEDS), après sa décision sur la recevabilité du 11 septembre 2018[5], celle sur le bien-fondé est particulièrement attendue[6] ; les jugements sus-évoqués[7] rejoignent sa position du 8 septembre 2016, Finnish Society of Social Rights c. Finlande[8], tout comme l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle italienne le 26 septembre 2018[9].

CSERev – Site du Conseil de l’Europe

Le texte interprété par le CEDS ne concerne pas que les « travailleurs »[10], et ce dernier a su dans certaines de ses décisions se montrer sensible aux questions de genre ; il y a bientôt dix ans, le 30 mars 2009, il rendait ainsi sa décision Interights c. Croatie, consacrant le « droit à l’éducation sexuelle et génésique » (v. mon billet du 24 avril 2018).

Cinq années plus tôt, sa décision Autisme-Europe contre France devenait publique. L’affirmation du « droit à l’éducation » était faite à partir du cadre juridique français[11], en contribuant à son évolution avec l’adoption de la loi du 11 février 2005 (dite « pour l’égalité des droits (…) des personnes handicapées »). Dans l’un des jugements évoqués précédemment, les conseillers prud’homaux « de Lyon avaient à juger du cas de l’employée d’une association de familles de personnes handicapées, salariée à plusieurs reprises en contrat à durée déterminée (CDD) entre 2015 à 2017 »[12]. Participant de la réalisation des droits de ces dernières, une telle association ne saurait méconnaître ceux de ses salarié-e-s.

De la même manière, si « le service public de l’éducation garantit le droit » à l’éducation des enfants[13], « l’attractivité de la rémunération proposée [aux personnels] » fait partie des éléments « déterminants » à prendre en considération ; elle semble pourtant échapper à « l’attention du Gouvernement »[14].

Sans approfondir ici « la problématique de la rencontre des droits »[15], ce billet vise à prolonger les développements de ma thèse, pp. 875 et s., d’abord à partir d’une actualité : présentée comme « vieille comme l’école obligatoire [sic[16]] », une solution employée « par le passé (…) pour lutter contre l’absentéisme[17] » pourrait resurgir « pour lutter ­contre les violences en milieu scolaire »[18]. Cette « piste des allocs » avait déjà été évoquée fin octobre en Conseil des ministres[19].

EUROCEF – site de l’association

Critiqué par les députés LRM Hugues Renson, Aurélien Taché et Guillaume Chiche, ce « projet s’est trouvé un défenseur actif : le député LR des Alpes-Maritimes »[20]. Avec le ministre consentant à recycler cette mesure, Éric Ciotti ignore la décision rendue par le CEDS le 19 mars 2013 (rendue publique le 10 juill., § 42 sur le bien-fondé de cette réclamation d’EUROCEF n° 82/2012) : dans ma thèse, page 902, je cite son paragraphe 37 ; je précise ici que l’absence de « violation de l’article 16 de la Charte [sociale européenne révisée[21]] du fait de l’abrogation de la mesure litigieuse[22] par la loi du 31 janvier 2013 » avait été discutée par deux membres du Comité[23].

Celui-ci, avant d’affirmer cette mesure non « proportionnée à l’objectif poursuivi », concédait qu’elle « poursuit un but légitime celui de réduire l’absentéisme et de faire retourner les élèves à l’école, ce qui vise à garantir le respect des droits et des libertés d’autrui, en l’occurrence des enfants soumis à l’obligation de scolarité »[24]. Il était ainsi fait référence à leurs droits (et libertés), bien qu’en mentionnant aussi cette prétendue obligation.

Cette dernière a pu être étendue de 16 à 18 ans au bénéfice des enfants « étrangers non accompagnés », selon une interprétation discutable du Défenseur des droits en novembre 2016, à partir d’une simple circulaire de la même année (v. p. 61) ; cela est rappelé en 2018 par Petros Stangos sous une autre décision provoquée par EUROCEF (n° 114/2015)[25]. Il est préférable de s’en tenir, ainsi que l’a fait le Comité, à leur « droit à l’éducation »[26].

Fin 2017, j’exprimais l’espoir que le Comité vienne transposer son raisonnement inclusif à la situation des personnes contraintes de vivre en bidonvilles (v. ma page 917) ; dans la décision du 5 décembre (Forum européen des Roms et des Gens du Voyage (FERV) c. France, n° 119/2015, rendue publique le 16 avr. 2018), les nombreux constats de violation sont en soi éloquents, mais l’affirmation du droit à l’éducation (inclusive) manque de mon point de vue de netteté.

« Validity » – site de l’ex-MDAC

Il en va différemment dans la décision sur la recevabilité et le bien-fondé du 16 octobre 2017 (Centre de Défense des Droits des Personnes Handicapées Mentales (MDAC) c. Belgique, n° 109/2014, rendue publique le 29 mars 2018) : « Le droit des enfants atteints d’une déficience intellectuelle à l’éducation inclusive » ouvre l’appréciation du Comité (§§ 61 et s. ; je souligne). Après s’être référé à l’Observation générale n° 4 du Comité (onusien) des droits des personnes handicapées[27], celui européen des droits sociaux conclut à l’unanimité à plusieurs violations de l’article 15§1 de la CSERev[28]. S’agissant de l’article 17§2, s’il refuse là aussi sa combinaison avec l’article E relatif à la non-discrimination[29], il renoue de façon bienvenue avec sa précédente décision MDAC (c. Bulgarie)[30].

En effet, le 11 septembre 2013, dans sa décision Action Européenne des Handicapés (AEH) c. France[31], le CEDS ne s’était fondé que sur l’article 15 (v. mes pp. 910 et s.) ; cela ne l’avait pas empêché de rendre déjà une intéressante décision, en particulier « en ce qui concerne l’absence de prédominance d’un caractère éducatif au sein des institutions spécialisées prenant en charge les enfants et les adolescents autistes »[32].

À une requérante indiquant à la Cour européenne « que son fils était toujours placé en IME [Institut médico-éducatif] à Rennes sans, selon elle, « bénéficier d’instruction » », celle-ci n’a récemment pas vraiment répondu sur ce point : il faut dire qu’était surtout contesté « le refus d’admettre le fils de la requérante en milieu scolaire ordinaire », dans une requête « rejetée comme étant manifestement mal fondée » ; bien que limitées, les citations par la CEDH de la décision précitée du CEDS n’en sont pas moins remarquables[33].

Inclusion Europe – site de l’association

Parmi les décisions attendues, il convient de mentionner celle sur le bien-fondé relative à la réclamation n° 141/2017 de la Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) et Inclusion Europe c. Belgique[34] ; concernant la Communauté non plus flamande mais française – Fédération Wallonie-Bruxelles –, elle se trouvait déjà évoquée en conclusion de mes développements sur la Charte sociale et le Comité européen des droits (pp. 920-921)[35].

[1] Il s’agit du droit « à une » (ou « à la ») « protection en cas de licenciement » (art. 24 nouveau, inspiré de la Convention n° 158 de l’OIT, datée de 1982 ; v. le Rapport explicatif de la Charte sociale européenne (révisée), 3 mai 1996, 17 p., spéc. pp. 9-10, § 86).

[2] Contra la tribune du magistrat Denis Salas, saluant pour sa part ces décisions (« La justice doit garder sa dimension démocratique », Le Monde 15 janv. 2019, p. 23).

[3] v. B. Bissuel, Le Monde.fr 14-15 déc. 2018, in fine : « La décision prononcée à Troyes (…) pose à nouveau « la question de la formation juridique des conseillers prud’homaux », affirme-t-on au ministère du travail ». Outre un communiqué de presse de Patrice Huart (du collège salarié du CPH) et Alain Colbois (pour la partie patronale), cette phrase a provoqué une tribune de « représentantes syndicales de la magistrature et des avocats » (SM et SAF), « Les juges ne sont pas des ignorants qu’il faudrait remettre dans le droit chemin », Le Monde.fr le 19 (« ni les parties au procès, qui défendent leurs droits », précisaient Laurence Roques, Judith Krivine et Katia Dubreuil ; je souligne).

[4] Réponse à la Question écrite n° 07493, JO Sénat 13 déc. 2018, p. 6446, après avoir « noté » la décision rendue publique le 23 octobre 2018 par le CoDH (v. le commentaire rédigé par six étudiantes du M2 DH de Nanterre, ADL 28 janv.), puis tenu à « préciser que les constatations du Comité des droits de l’Homme, et des autres comités en matière de protection des droits de l’Homme, ne sont pas contraignantes. Cette position a été notamment exprimée lors de l’élaboration de l’Observation générale n° 33 » (reprenant ces dernières affirmations, v. la Réponse publiée le 31 janv., p. 571) ; comparer les §§ 11 et s. de cette OG, relative aux « obligations des États parties » (CCPR/C/GC/33, 25 juin 2009), ainsi que l’une des positions antérieures du Ministère, relative à une autre institution onusienne, le Conseil des droits de l’Homme (CDH), citée au terme de mon billet du 26 août 2018. Il est enfin intéressant de rapprocher cette séquence de celle ouverte par l’annonce des noms proposés pour devenir membres du Conseil constitutionnel (Jacques Mézard, Alain Juppé et Gérard Larcher) : v. par ex. la tribune de Thomas Hochmann, Le Monde 22 févr. 2019, p. 20

[5] Confédération Générale du Travail Force Ouvrière (CGT-FO) c. France, n° 160/2018 ; v. aussi les réclamations enregistrées les 30 et 31 janvier 2019.

[6] Pour le commentaire d’une autre décision sur le bien-fondé provoquée par le même syndicat, datée du 3 juillet 2018 et rendue publique le 26 novembre (réclamation n° 118/2015), v. Benoît Petit, RDLF 2019, chron. n° 5

[7] Plus récemment, v. celui rendu à Grenoble le 18 janvier (placegrenet.fr le 25) et à Agen le 5 février (collectif d’avocat-e-s et de juristes spécialisé-e-s en droit social Les Travaillistes le 8).

[8] Réclamation n° 106/2014, décision rendue publique le 31 janvier 2017 ; 16 p.

[9] Arrêt n° 194 annoté à la Revue de droit du travail par Cristina Alessi et Tatiana Sachs (RDT 2018, p. 802).

[10] À propos des « jeunes travailleurs (de moins de 25 ans et de moins de 18 ans) », v. le billet de Michel Miné le 13 juin 2018, commentant la décision sur le bien-fondé du 23 mars 2017 (rendue publique le 5 juill.), en « réponse à la Réclamation n° 111/2014, Confédération générale grecque du travail (GSEE) c/ Grèce ».

[11] Dans cette décision du 4 novembre 2003 (rendue publique le 8 mars 2004), le Comité reformulait les articles 15§1 et 17§1 de la CSERev pour consacrer ce droit ; le premier article vise les droits (du groupe) des personnes handicapées, tandis que le second garantit à celles enfants et adolescentes un droit (individuel) « à la protection » (v. aussi l’art. 7, en rapport avec les relations de travail).

[12] D. Israel, « Indemnités de licenciement : un troisième jugement s’oppose au barème Macron », Mediapart 7 janv. 2019

[13] Ce « en vertu des dispositions des articles L. 111-1 et L. 111-2 du code de l’éducation », selon les arrêts CE, 29 déc. 2014, M. A. et Mme C., n° 371707, cons. 1 ; CAA Versailles, 15 oct. 2015, Ministre des solidarités et de la cohésion sociale, n° 15VE00364, cons. 2 (je souligne). Antérieurement, Caroline Boyer-Capelle a étudié le rapport entre le service public et la garantie des droits et libertés (thèse Limoges, 2009, 732 p. ; RFDA 2011, pp. 181 et s., chr. X. Dupré de Boulois).

[14] Avis « rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi relatif à une école de la confiance » (29 nov. 2018, n° 396047), que le « Gouvernement a décidé de rendre public » le 5 décembre, § 27 (pour reprendre un élément du titre retenu par la Cour des comptes en mars, le projet illustre à nouveau le recours croissant aux personnels contractuels). Après les annonces par Jean-Michel Blanquer d’un « observatoire du pouvoir d’achat » des professeur-e-s (en septembre), puis de leur « rémunération » (en janvier), il a pu lui être suggéré de « créer un « observatoire des bonnes excuses » pour éviter de tirer les conclusions qui s’imposent » des comparaisons européennes de la peu révolutionnaire Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE ; v. C. B., « Les profs victimes de mauvais traitements », Le Canard enchaîné 16 janv. 2019, p. 3). Avant tout pour « compenser les 2 600 postes supprimés à la rentrée prochaine au collège et au lycée », une « deuxième heure supplémentaire obligatoire » a été décidée ; cela a suscité des critiques d’enseignant-e-s : « « Le profil type du prof qui fait des heures supplémentaires, c’est l’homme agrégé », résume Alexis Torchet, secrétaire national du SGEN-CFDT » (Violaine Morin dans Le Monde le 18, p. 13, commençant par une citation de Nicolas et Delphine, professeur-e-s des écoles en Seine-Saint-Denis). La même semaine, l’AJDA signale page 23 un arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 26 juillet 2018 : un « enseignant contractuel dans la matière des sciences de la vie et de la terre au collège-lycée de l’Immaculée Conception » était parvenu en appel « à ce que l’État soit condamné au paiement » d’heures supplémentaires que l’autorité académique n’avait pas autorisées ; il est finalement jugé qu’« il n’appartient pas à l’État de prendre en charge la rémunération des heures supplémentaires effectuées, au-delà des obligations de service, à la demande du directeur d’un établissement [sous contrat] d’enseignement privé dès lors qu’elles n’ont pas fait l’objet d’une [telle] autorisation » (n° 411870, cons. 1 et 4).

[15] C. Fortier, « Le défi de la continuité du service public de l’éducation nationale : assurer les remplacements », AJDA 2006, p. 1822, spéc. p. 1823 à propos de ces « conflits de droits » ; je mobilise cette étude pp. 172 et s.

[16] Claude Lelièvre évoque quant à lui « la loi d’obligation de scolarisation de Jules Ferry » (« Blanquer ira-t-il jusqu’à « mettre la pauvreté en prison » ? », 11 janv. 2019) ; depuis cette loi du 28 mars 1882, ce n’est que l’« instruction » qui « est obligatoire » (v. ma thèse, pp. 306 à 309 – à partir des travaux parlementaires – et 1023-1024, avec les références citées en note n° 2432) ; dans son livre intitulé Jules Ferry, La République éducatrice, Hachette, 1999, p. 59, l’historien reproduisait la citation par laquelle il introduit son billet – sans doute rédigé à partir de celui publié le 30 déc. 2009 – en la datant du 20 décembre 1880 ; dans le même sens, A. Prost, Histoire de l’enseignement en France : 1800-1967, A. Colin, 1979, p. 109, en renvoyant au Journal officiel de la Chambre des députés, p. 12620).

[17] v. D. Meuret, « L’absentéisme des élèves dans les collèges et les lycées », Les notes du conseil scientifique de la FCPE févr. 2019, n° 13, 3 p.

[18] M. Battaglia et V. Morin, « Plan violence : des sanctions financières à l’étude », Le Monde 12 janv. 2019, p. 11 (je souligne), avant de citer Benjamin Moignard (« Les quelques évaluations qui existent ont montré son inefficacité »), puis de rappeler que « l’école française sanctionne plus qu’on ne le croit » ; v. ma note de bas de page 1190, n° 3466 et, rappelant que le chercheur précité « a montré que chaque jour le nombre d’élèves exclus de leur établissement en France équivaut à un collège », P. Watrelot (entretien avec, par R. Bourgois), « L’expression « stylos rouges » est malheureuse mais la mobilisation utile », AOC 19 janv. 2019

[19] Le Canard enchaîné 7 nov. 2018, p. 2 : après une assimilation très subtile du nouveau ministre de l’Agriculture (Didier Guillaume se serait demandé « pourquoi la police n’entrerait pas dans les écoles alors qu’on y laisse entrer « n’importe qui, notamment les associations »…), Jean-Michel Blanquer aurait « proposé de simplifier les conseils de discipline » scolaire, après une tentative de réinstauration d’une mesure qui, a-t-il assuré, a « conduit à responsabiliser les parents » (comparer la note précédente) ; il aurait été réfréné, notamment, par Christophe Castaner, son homologue de l’intérieur… Sur le point souligné, objet de la CIDE, art. 28, § 2, v. mes pp. 155, 159, 764, 772-773 – en note n° 873 – 835, 918-919, 956 et, surtout, 1170-1171

[20] M. Battaglia et V. Morin, « Vives réactions au sein de la majorité contre une « vieille lubie » », Le Monde 12 janv. 2019, p. 11 ; interrogé par Alexandre Lemarié sur le pourquoi du recours à cette mesure (« suppression des allocations pour les familles d’enfants violents »), notamment, Jérôme Sainte-Marie – président de l’institut de conseils et d’études Pollingvox et politologue – estime qu’Emmanuel Macron « essaie de retrouver par tous les moyens le soutien d’une partie de l’électorat de droite, (…) de plus en plus en attente de mesures pour rétablir l’ordre [et qui constitue sa « principale réserve de voix » selon les enquêtes d’opinion. Il] l’a bien compris et a donc décidé d’incarner cette demande de fermeté. Chez lui, il y a moins une volonté de rassembler que de mettre en scène le conflit à son profit : c’est le lot de tout leader porteur d’un projet fondamentalement minoritaire ». Premier ajout au 31 déc. 2023, pour renvoyer à Lucie Tourette, « Sanctionner les parents “défaillants” : une mesure dangereuse », newsletter de La Déferlante (le 22).

[21] Article 16 – Droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique, reproduit au § 24

[22] Qui était « prévue par la loi [Ciotti] (la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010, complétée par la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 portant modification au contrat de responsabilité parentale) », rappelle le § 33

[23] Comparer ce § 46 avec les Opinions dissidentes de Petros Stangos et Guiseppe Palmisano, pp. 21 et s.

[24] Ibid., §§ 42 et 34 (je souligne).

[25] Opinion séparée dissidente sous la décision sur le bien-fondé du 24 janv. 2018, rendue publique le 15 juin, pp. 42-43

[26] V. les §§ 124-125 : son « importance fondamentale » pour ces enfants a conduit le Comité à conclure, à une courte majorité (par 8 voix contre 7), « qu’il y a violation de l’article 17§2 » (mais pas de l’article E, ce qui a motivé la rédaction de l’Opinion précitée ; pour le membre grec du Comité, ce dernier aurait pu constater aussi une « violation de l’article 30 », en se référant d’ailleurs à son « appréciation sous l’angle de l’article 17§2 », l’éducation constituant « une condition essentielle pour éviter la pauvreté et l’exclusion sociale »). A propos de ces enfants, v. mon billet du 5 janvier, avec deux actualisations en 2018 ; v. aussi Luc Leroux, « A Marseille, le squat qui embarrasse le diocèse et le conseil départemental », Le Monde.fr 19 janv. 2019

[27] CEDS, 16 oct. 2017, § 72 (v. déjà le § 24) ; CoDPH, OG n° 4 sur le droit à l’éducation inclusive (article 24), CRPD/C/GC/4, 25 nov. 2016 ; v. mes pp. 794 et s., spéc. 799-800 (elle figurait dans la réclamation enregistrée début 2017 : v. mes pp. 920-921).

[28] Ibid., §§ 80 et 87

[29] Ibid., §§ 92-93 et 113-114 ; le MDAC alléguait l’existence d’une « discrimination croisée », qui expliquerait un recours plus important des familles pauvres à l’enseignement spécial.

[30] Ibid., §§ 103 et s. À propos de cette décision sur le bien-fondé du 3 juin 2008, v. mes pp. 892-893. Au § 105, « le Comité rappelle que toute éducation dispensée par les Etats doit satisfaire aux critères de dotation, d’accessibilité, d’acceptabilité et d’adaptabilité » ; c’est d’ailleurs l’organisation réclamante qui lui avait suggéré à nouveau cette référence aux « 4A » (v. évent. ma page 920 et mon portrait de Katarina Tomaševski). Parce que les « établissements d’enseignement et les programmes éducatifs ordinaires ne sont, en pratique, pas accessibles », les « enfants présentant une déficience intellectuelle ne jouissent pas d’un droit effectif à l’enseignement inclusif » (§§ 106 et 107).

[31] Réclamation n° 81/2012 (décision sur le bien-fondé rendue publique le 5 février 2014).

[32] CEDS, 11 sept. 2013, § 121, à l’unanimité (je souligne).

[33] CEDH, 24 janv. 2019, Dupin c. France, n° 2282/17, §§ 16, 33 et 21, en s’arrêtant toutefois au § 100 ; comparer l’arrêt Enver Şahin c. Turquie, rendu près d’un an auparavant (le 30 janvier 2018 ; v. mon billet du 3 avril, l’arrêt étant devenu définitif le 2 juillet) : la Cour européenne interprétait la Convention à la lumière de la Charte sociale européenne révisée, notamment, mais sans citer le CEDS.

[34] Elle a été déclarée recevable le 4 juillet 2017 (fin 2017, l’information m’avait échappé ; il y est fait référence au § 9 d’une autre décision sur la recevabilité, du 16 octobre 2018, concernant une réclamation plus générale c. France n° 168/2018, Forum européen des personnes handicapées (EDF) et Inclusion Europe). Second ajout au 31 déc. 2023, avec mon billet renvoyant en note 5 à l’une des deux décisions sur le bien-fondé, celle relative à la Belgique étant du 9 sept. 2020 (n° 141/2017, rendue publique le 3 févr. 2021).

[35] Comme indiqué dans celui du 20 novembre 2018, le présent billet reprend trois paragraphes qui s’y trouvaient inclus.

2018 : retour sur quelques anniversaires

Photo issue d’un tweet de Mathilde Larrère, le 29 avril 2018

« Commémorer les événements[1] ayant secoué la France gaulliste il y aura bientôt cinquante ans ? L’hypothèse [avait pu circuler, fin 2017,] dans l’entourage du Président »[2]. Un an plus tard, la France macroniste se trouvait confrontée aux manifestations des « gilets jaunes » ; selon les chercheurs Sebastian Roché et Fabien Jobard, le « nombre d’interpellations » et celui des blessés sont « sans précédent depuis Mai 68 »[3].

D’autres liens peuvent être établis[4]. Les 30 et 31 octobre, et pour s’en tenir à cette manifestation… scientifique, un colloque portait sur le moment 68 à Lyon en milieu scolaire, universitaire et éducatif ; l’une des contributions présentées dans le Grand amphithéâtre de l’Université Lumière Lyon 2 concernait sur ce « moment 68 »[5] à la faculté de médecine[6].

Le 10 décembre, un commentaire du décret n° 2018-838 a été publié : l’ancien recteur d’académie Bernard Toulemonde y rappelle qu’une « rupture intervient en 1968 ; le recteur perd la présidence du conseil de l’université [et] devient chancelier des universités, une fonction de contrôle administratif et juridique »[7].

Lors du colloque précité, et dans le prolongement d’un autre (en 2011[8]), Jérôme Aust est revenu sur l’« application de la loi Faure[9] à Lyon ». Il y a maintenant plus de cinquante ans, le droit « à l’instruction » était (seulement) revendiqué, comme en témoigne la photographie insérée au seuil de ce billet ; cette banderole, je l’avais déjà signalée en actualisant celui du 10 avril, jour du 170ème anniversaire de la naissance d’Hubertine Auclert.

Livre publié aux éd. du Seuil, en 2014, sous-titré Citoyenneté et représentation [en 1848]

En cette année 1848, une conception révolutionnaire de la République la veut « démocratique et sociale avec le droit au travail »[10] ; après avoir cité l’essai sur l’illusion de Clément Rosset (1939-2018), Samuel Hayat rappelle qu’« une Assemblée a bien été élue au suffrage universel le 23 avril 1848, elle a proclamé la République le 4 mai, et pourtant elle s’est trouvée, deux mois plus tard, à devoir faire face à une insurrection faite au nom de la République, c’est-à-dire au nom du régime lui-même, ou plutôt de son double. Là est toute la puissance de l’idée de République, en 1848 »[11].

Michèle Riot-Sarcey note qu’alors, « la Révolution de 1789 est à la fois proche et lointaine (…). On se souvient non pas des tensions qu’a engendrées l’évènement et dont l’essentiel est réinterprété en fonction des besoins, des nécessités ou des opinions, mais du rôle qu’ont joué les « gens du peuple » – les anonymes, comme l’écrit Lazare Carnot »[12]. Ce dernier avait participé à l’affirmation du « droit à l’instruction » en 1793, lequel se retrouve proclamé par le premier projet de Constitution en 1848 (19 juin) ; comme je le montre dans ma thèse, ce droit ne figure en revanche pas dans le Préambule de la Constitution du 4 novembre 1848 (pas plus que dans celle des 3 et 4 septembre 1791 et dans la DDHC adoptée deux ans plus tôt)[13].

Quand la République était révolutionnaire, il s’agissait « de donner une visibilité aux clivages sociaux », en les réduisant cependant à « la question de classe »[14]. C’est notamment pourquoi, quand bien même cette occasion de consécration constitutionnelle du « droit à l’instruction » n’aurait-elle pas été manquée, rien n’assurait qu’il soit reconnu de la même manière aux garçons et aux filles[15].

Eleanor Roosevelt en novembre 1949, devant l’affiche de la DUDH (version USA) © Radio France (photo issue du site franceculture.fr, listant une série d’émissions consacrées à ce 70e anniversaire du texte onusien)

« 1948. L’universalisation des droits de l’homme », tel est le titre de l’une des entrées de l’Histoire mondiale de la France, ainsi que je le rappelle dans mon portrait de René Cassin, actualisé ce jour. Dzovinar Kévonian était – avec Danièle Lochak et Emmanuel Naquet – l’invitée d’Emmanuel Laurentin et Séverine Liatard lors d’une des quatre émissions consacrées par La Fabrique de l’histoire à ce 70e anniversaire de la DUDH. Cette série se clôt en retraçant « l’ascension politique » d’Eleanor Roosevelt : à propos de cette dernière, de la ségrégation raciale – évoquée à la fin – et du droit « à l’éducation » (préinscrit à l’article 26), v. mon billet du 27 mars, in memoriam Linda Brown (et mes développements pp. 725 et s.).

Ainsi qu’a pu le faire observer Mireille Delmas-Marty « en elle-même, la déclaration n’est pas contraignante pour les États qui l’ont signée » mais, compte tenu du « nombre de dispositifs que cette déclaration a engendré, y compris toute une série de textes qui, eux, sont contraignants », le « bilan, 70 ans plus tard, (…) est impressionnant »[16].

Il s’agissait, en « ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, [de s’efforcer], par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés » ; à ce préambule fait écho celui de la Convention européenne du 4 novembre 1950, qui fait immédiatement référence à la DUDH[17]. Après une tentative de consécration sélective de son article 26, le droit « à l’instruction » s’est trouvé affirmé dans le premier protocole additionnel[18] ; à partir de ce texte de 1952, la Cour européenne l’a qualifié de « fondamental » en 1976[19].

En France, la mixité (« sexuelle ») est généralisée dans les établissements publics par trois décrets du 28 décembre de cette année-là[20]. Encourageant « une histoire « par le bas » de la mixité », Odile Roynette rappelle que pour « accéder, au cours des années 1920, aux bastions masculins de l’université, l’une en médecine et l’autre en philosophie », il a fallu à « Françoise Dolto comme Simone de Beauvoir (nées toutes deux en 1908) (…) batailler contre leur milieu d’origine, bourgeois, catholique et conservateur dans les deux cas, et notamment contre leur mère qui envisageait avec horreur la perspective d’un contact répété de leur fille avec des hommes avant le mariage »[21].

« Des principes et des hommes », titrait le supplément Idées du journal Le Monde, en page 2, le 8 décembre 2018 en publiant un entretien de Valentine Zuber avec Anne Chemin ; le même jour, le quotidien rapportait l’appel de Michelle Bachelet, la haut-commissaire de l’ONU, à « résister au recul des droits humains »[22]. Au nom d’Amnesty International, dont il est secrétaire général depuis le mois d’août, Kumi Naidoo invite à « nous attacher à [leur concrétisation] pour le plus grand nombre »[23], autrement dit pour tout·e·s.

[1] v. M. Riot-Sarcey (entretien avec, par Julie Clarini), « À quoi sert le passé ? », Le Monde Idées 30 juin 2018, p. 5, à propos « de ce qui fut appelé, par incapacité de penser la spécificité des formes de révoltes plurielles, « les événements de 1968 » ».

[2] C. Belaich, « Mai 68 : Macron ne s’interdit rien », Libération.fr 5 nov. 2017

[3] V. respectivement S. Roché, « Le dispositif policier hors norme signale la faiblesse de l’Etat », Le Monde 11 déc. 2018, p. 22 et F. Jobard (entretien avec, par M.-O. Bherer), « Face aux “gilets jaunes”, l’action répressive est considérable », Ibid. 21 déc. 2018, p. 20, en ligne, « le bilan » de ce dernier visant les « dommages » liés aux « interventions policières » ; selon Laurent Mucchielli, ce sont « probablement environ 5 000 personnes qui ont été interpellées » entre le 17 novembre et le 15 décembre (Theconversation.com 17-18 déc. 2018).

[4] V. ainsi, au détour de mon billet sur le numerus clausus.

[5] Une « expression initiée par Michelle Zancarini-Fournel », comme le rappelait l’appel à communication ; Le Moment 68, une histoire contestée, tel est le titre de son livre publié au Seuil lors du quarantième anniversaire (v. aussi J. Clarini, « Etudiants et ouvriers ont-ils fait la jonction ? », Le Monde Idées 17 mars 2018, p. 5). L’historienne a conclu le colloque, le 31 octobre.

[6] Plusieurs années avant le colloque, Bastien Doudaine avait rédigé un commentaire d’un « tract, édité et distribué par des étudiants en médecine de Lyon », publié sur le site de L’Atelier numérique de l’histoire.

[7] B. Toulemonde, « Du recteur d’hier au recteur de demain ? », AJDA 2018, p. 2393, spéc. p. 2399 (en renvoyant à la contribution de Didier Truchet au dossier publié par la même revue le 4 juin, intitulé « Mai 68 et le droit administratif », pp. 1074 et s. V. aussi, à Nanterre, le 22, « 1968 et les facultés de droit » ; ) avant de terminer sur une autre réforme – de vingt-six à treize académies ? (v. mon billet du 3 août 2018) –, laquelle n’est pas sans susciter des inquiétudes comme en témoigne cette question écrite de M. Bonhomme (JO Sénat du 13 déc. ; v. le 3 janv., à partir de la réponse ministérielle).

[8] v. B. Poucet et D. Valence (dir.), La loi Faure. Réformer l’université après 1968, PUR, 2016, pp. et 19 et 167

[9] Ma thèse cherchant à se focaliser sur le « droit à » des élèves et étudiant.e.s, cette loi contient peu de mentions : v. pp. 116, 121, 1013 – en note de bas de page n° 2370 – et 1018-1019 ; v. l’étude d’Emmanuel-Pie Guiselin (« L’Université faurienne, cinquante ans après la loi d’orientation », RFDA 2018, p. 715) et l’approche synthétique de Laure Endrizzi, « 1968-2018 : 50 ans de réforme à l’université », Édubref 22 oct. 2018

[10] S. Hayat (entretien avec, par M. Semo), « En février 1848, le peuple célébrait la République, en juin, c’était la guerre civile », Libération.fr 16 janv. 2015, rappelant qu’il s’agit de « la révolution oubliée », en référence implicite à l’ouvrage de Maurizio Gribaudi et Michèle Riot-Sarcey (La Découverte, 2008, rééd. 2009). Dans le pdf de la thèse de Samuel Hayat, « Au nom du peuple français ». La représentation politique en question autour de la révolution de 1848 en France (soutenue à Paris VIII en 2011, 702 p.), à l’entrée « droit à », celui « au travail » apparaît à de nombreuses reprises ; en lien avec « l’éducation » ou « l’instruction », v. pp. 183, 290 et 610-611 (comme « droits sociaux »). V. ses développements intitulés « Républicaniser le pays », pp. 278 à 283, en citant les noms de George Sand et d’« Hippolyte Carnot, ministre provisoire de l’Instruction publique et des Cultes » (pp. 129-130 de sa version publiée, 1848. Quand la République était révolutionnaire. Citoyenneté et représentation, Seuil, 2014 ; à propos de la première, v. mon portrait de Flora Tristan ; concernant le second, v. ma note de bas de page 279, n° 1712 – s’agissant de la « liberté de l’enseignement » – et, surtout, mes pp. 661 à 666, spéc. 664-665 où je tisse un lien entre sa pensée et le droit positif contemporain plutôt qu’avec celui des années 1880).

[11] S. Hayat, ouvr. préc., 2014, p. 24 ; italiques de l’auteur, qui fait observer page 13 que « les termes « Seconde République » ou « Deuxième République » sont étrangers au vocabulaire de 1848, ce genre de dénomination ne se répandant que plus tard, durant le Second Empire et surtout sous la Troisième République ».

[12] M. Riot-Sarcey, Le procès de la liberté. Une histoire souterraine du XIXe siècle en France, La Découverte, 2016, p. 102 ; à propos de Lazare Carnot, v. ma note de bas de page 635, n° 32 (page 650 pour le renvoi).

[13] V. respectivement pp. 648 et s. ; 631 et s. V. aussi à l’occasion de deux de mes conclusions, pp. 1183 et 1214

[14] S. Hayat, « Les Gilets jaunes et la question démocratique », 24 déc. 2018

[15] La fin de cette formule est reprise de mon résumé à la RDLF 2018, thèse n° 10

[16] M. Delmas-Marty (entretien avec, par R. Bourgois), « 70 ans après la Déclaration universelle des droits de l’homme, ce qui manque c’est le mode d’emploi », AOC 8 déc. 2018, quelques lignes avant de remarquer qu’elle « a fonctionné en faveur des peuples colonisés » ; plus loin encore figure la phrase retenue pour titrer, la suite étant : « comment faire pour concilier l’universel et le pluriel ? ».

[17] V. ma page 955, ouvrant des développements sur l’enrichissement interprétatif réalisé par la Cour européenne (de la Convention par des sources onusiennes).

[18] V. mes pp. 801 et s.

[19] CEDH, 7 déc. 1976, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, n° 5095/71, 5920/72 et 5926/72, § 50 ; v. ma page 827, avec la note n° 1224 ; contrairement à ce qu’affirment Jean-Pierre Camby, Tanneguy Larzul et Jean-Éric Schoettl dans le dernier AJDA de l’année, la « jurisprudence » de la Cour ne reconnaît pas « un droit fondamental des parents » (2018, n° 44, p. 2486, spéc. p. 2491, en citant ce § 50) ; affaiblissant leur plaidoyer (« Instruction obligatoire : pour un principe fondamental reconnu par les lois de la République »), les auteurs reprennent la position des défenseurs de l’instruction à domicile (v. ainsi mes pp. 828 et 853, avec les références citées). Sans pouvoir en faire la démonstration ici, j’estime pour ma part que le « droit à l’éducation » est tout à fait apte à constituer un motif de restriction suffisant des autres droits (et libertés), en ce compris parentaux.

Ajouts au 20 octobre 2020 : près de deux ans après la publication de ce billet, et une vingtaine de jours après l’annonce du principe de la scolarisation obligatoire en droit français, j’ajoute ici plusieurs références :

  • Bernard Toulemonde, cité par Marie Piquemal, « Fin de l’éducation à domicile : peu d’élèves concernés, mais un vrai débat », liberation.fr le 2 (quant à Jean-Paul Delahaye, ses références à « l’intérêt supérieur de l’enfant » et au « droit des enfants à l’instruction » apparaissent toutes les deux anachroniques ; le fondement de la loi Ferry était la liberté de conscience, raison pour laquelle elle fait l’objet de développements spécifiques dans la première partie de ma thèse, comme je l’explique page 59 de ma thèse (2017). V. le texte d’André D. Robert et Jean-Yves Seguy (2015), cité dans mon billet du 29 novembre, spéc. les §§ 22 et 62, en conclusion – avec toutefois une référence ambiguë au terme « droit », au paragraphe suivant ; v. évent. mes pp. 639-640) ;
  • celles de mon billet du 26 mars, en précisant qu’il aurait pu/dû comprendre un renvoi à des citations de François Luchaire, via mes notes de bas de page 1031 et 1100, n° 2481 et 2896 ;
  • enfin et surtout à l’arrêt Wunderlich c. Allemagnen° 18925/15 (rendu par la CEDH le 10 janv. 2019, définitif au 24 juin ; v. en français le Communiqué de presse du Greffier, ne liant pas la Cour, 3 p.). Dans le pdf de ma thèse (2017), entrer le nom de l’affaire conduit à quelques résultats, not. des citations des Observations écrites soumises à la Cour par le directeur de l’ONG European Centre for Law and Justice, Grégor Puppinck (elles sont évoquées dans l’arrêt, aux §§ 5 et 41 in fine).
Capture d’écran de « Rob Clarke and the Wunderlich family », ADF International 4 janv. 2019 (en avril, ladite famille avait demandé un renvoi en Grande-Chambre, en vain ; l’organisation terminait son billet en citant un soutien de longue date : Mike Donnelly, de la Home School Legal Defense Association (HSLDA) – une association chrétienne basée aux États-Unis, présidée par Mike Smith)
  • Je pensais avoir déjà signalé cet arrêt ; le faire si tardivement permet de citer largement un article à propos de « l’ECLJ, qui bénéficie également d’un statut d’ONG accréditée aux Nations unies (ONU) », et « n’est qu’une filiale européenne d’un groupe américain dont elle reprend le nom : l’American Center for Law and Justice (ACLJ) ». Il s’agit d’« une structure créée en 1990 par l’un des chefs de file du conservatisme chrétien américain, Pat Robertson », depuis lors « aux mains d’une autre famille tout aussi influente : les Sekulow », qui avaient « déjà fondé en 1988 une autre ONG, Christian Advocates Serving Evangelism (CASE) » ; « Outre la succursale européenne, il existe une branche « slave » (Slavic Center for Law and Justice), destinée à agir en Europe de l’Est, qui noue des liens étroits avec les conservateurs hongrois et soutient le président russe Vladimir Poutine dans sa lutte contre la « propagande homosexuelle ». L’ACLJ est également présente et active en Afrique. Sa filiale locale, l’African Center for Law and Justice, est ainsi intervenue très activement au Zimbabwe au début des années 2000 pour que l’homosexualité y demeure un crime » (Samuel Laurent, « Des proches de Donald Trump au secours de La Manif pour tous », Le Monde 4 mars 2020, p. 15 ; dans le même quotidien, v. aussi le 24 févr., pp. 14-15 : dans leur papier titré « Europe de l’Est. La guerre du genre est déclarée », Jean-Baptiste Chastand, Anne-Françoise Hivert et Jakub Iwaniuk s’arrêtaient notamment sur « l’institut Ordo Iuris, spécialisé dans la promotion des « valeurs catholiques » par le droit, qui est à la manœuvre [en Pologne, en particulier contre l’avortement] » ; « Cette organisation, membre du réseau européen de catholiques radicaux Agenda Europe », est également mentionnée dans l’affaire préc., l’arrêt citant cette tierce-intervention).
  • Peu de temps après l’arrêt de la Cour, le Tribunal fédéral suisse s’est positionné concernant Bâle-Ville (22 août 2019, 2C_1005/2018) : selon un décryptage paru dans la presse, cette « décision précise que le droit fondamental au respect de la vie privée et familiale (article 13 de la Constitution fédérale) ne confère pas (…) un droit à suivre des cours privés à domicile. Certes, cette disposition, qui trouve son pendant dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, article 8), englobe aussi le droit des parents [d’]éduquer leurs enfants. Mais la Cour européenne des droits de l’homme également estime dans sa jurisprudence qu’aucun droit à l’enseignement privé à domicile ne peut être déduit de l’article 8 de la CEDH [j’ajoute qu’il ne peut l’être non plus du « droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques », prévu par la seconde phrase du premier protocole additionnel – ratifié par la France, mais non la Suisse]. Constatant qu’aucun traité international n’accorde un tel droit, le Tribunal fédéral ajoute qu’il n’y a pas lieu d’accorder des droits plus étendus en vertu de la Constitution fédérale. Il en découle que même des réglementations cantonales très restrictives en matière de « homeschooling » ne violent pas le droit au respect de la vie privée et familiale » (« L’école à domicile n’est pas un droit constitutionnel », lematin.ch 16 sept. 2019).

[20] Et non « à partir » de (juillet) 1975 avec la loi dite Haby, comme l’affirme à trois reprises Odile Roynette dans un article récent – par ailleurs stimulant, lui aussi –, « La mixité : une révolution en danger ? », L’Histoire janv. 2019, n° 455, p. 13 ; v. mon billet du 24 avr. sur (le droit à) « l’éducation à la sexualité » et, plus spécialement à propos la contribution juridique que je signale dans mon résumé de thèse préc. – dans le prolongement des travaux centrés sur l’histoire de la mixité (« sexuelle ») –, mes pp. 74-75, 92 à 98 (697 à 703 et 706-707 à propos de Paul Robin), 792-793 et, surtout, 987 à 1001, où je cite la loi du 10 juillet 1989, dite Jospin : elle est à l’origine de l’article L. 121-1, qui prévoyait initialement – lors de la codification, en 2000 – que les « écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur (…) contribuent à favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes ». Cette « obligation légale », qui aura bientôt trente ans, est rappelée par la vice-présidente de Mnémosyne, réagissant aux programmes d’Histoire envisagés pour la rentrée 2019 : elle « n’a pas été consultée par le Conseil supérieur des programmes ­[CSP], ni aucune autre association travaillant sur l’égalité hommes-femmes » (Cécile Beghin (entretien avec, par Jean-Baptiste de Montvalon), « Les femmes ne font-elles jamais l’histoire ? », Le Monde Idées 15 déc. 2018, p. 5 ; à partir de Marie Skłodowska-Curie, v. mon billet du 4 février).

[21] O. Roynette, art. préc. (je souligne).

[22] Citée par Marie Bourreau (à New York) et Rémy Ourdan, « Triste anniversaire pour les droits humains », Le Monde 8 déc. 2018, p. 2

[23] K. Naidoo, « Pas de liberté politique sans égalité sociale », Le Monde diplomatique déc. 2018, pp. 1 et 10-11 (avec aussi un texte de Claire Brisset, « Un long cheminement vers la dignité »).

Journée des droits de l’enfant

Support de communication de l’UNESCO

« Le droit à l’éducation, c’est aussi le droit à un personnel enseignant qualifié ». Tel était le thème d’un rappel conjoint adressé « à la communauté internationale », le 5 octobre ; ce jour-là, « depuis 1994, la Journée mondiale des enseignant(e)s commémore la signature de la Recommandation OIT/UNESCO concernant la condition du personnel enseignant de 1966 ».

Le message est-il bien reçu partout, en France ? En Seine-Saint-Denis, par exemple, il est permis d’en douter (plus largement, v. l’« appel au secours » lancé depuis le tribunal de Bobigny, « La grande misère de la protection de l’enfance en Seine-Saint-Denis », Le Monde 6 nov. 2018, p. 22 : « des enfants mal protégés, ce seront davantage d’adultes vulnérables » ; en ligne sur le site de Laurent Mucchielli). Le 15 novembre, il a été répété que la question de l’absentéisme enseignant « constitue une priorité majeure du ministère de l’éducation nationale puisqu’elle touche à la continuité et à la qualité du service public » ; dans cette réaffirmation volontariste (« notamment de pallier les absences prévisibles, comme celles liées aux stages de formation continue »), l’absence de référence au droit à l’éducation peut être relevée.

Ce droit, c’est d’abord celui des enfants. Il voit sa réalisation contrariée quand de « violentes intempéries » frappent des territoires, en ce compris leurs établissements scolaires, comme ce fût le cas dans « 126 communes du département de l’Aude » à la mi-octobre (v. les témoignages des partenaires de l’association Solidarité Laïque, le 23) ; si elles « ont, pour une fois, épargné la vallée de la Corneilla », la continuité des services périscolaires s’y trouve quant à elle menacée par « la baisse drastique du nombre de contrats aidés », « ces emplois dont on ne peut [en l’état] pas se passer » (Elise Barthet, Le Monde Économie & Entreprise le 29). « En un an », leur nombre « est passé de 474 000 à 280 000 », une mesure brutale décidée peu de temps avant que l’île de Saint-Martin ne soit dévastée par l’ouragan Irma (v. ma thèse, pp. 115-116, les actualités de ce billet et, plus largement et récemment, cette autre réponse du ministère, le 15 nov., à propos des aides administratives à la direction d’école).

Dix jours avant une « nouvelle campagne de l’UNESCO » à propos du droit à l’éducation, Audrey Azoulay et alii rappelaient déjà qu’il figure dans un texte fêtant ses 70 ans, la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH ; pp. 727 et s.). Dans l’« enfer sur terre » qu’est devenu le Yémen – selon une formule du Fonds de l’ONU pour l’enfance (Unicef ; v. Le Monde.fr avec AFP 6-7 nov.) –, où nul.le n’est à l’abri des armes prétendument « fournies [par la France à l’Arabie Saoudite] pour se défendre » – mais qui, à la « connaissance » de la ministre des Armées, « ne sont pas utilisées au Yémen contre les populations civiles » (Florence Parly, citée par Le Canard enchaîné 31 oct., pp. 3 et 8) –, la réalisation du droit à l’éducation est moins facile à imaginer que son absence ; c’est sans doute un « malentendu », là aussi, qui conduit à avoir de plus en plus de raisons de penser que le Gouvernement consacre davantage d’efforts à l’exportation d’armements.

PUR, 2015, 210 p. (actes d’un colloque pluridisciplinaire à Angers, les 10 et 11 oct. 2014)

Dans mon précédent billet, j’évoquais le Comité des droits de l’enfant à partir d’un ouvrage encourageant, il y a trois ans, leur histoire transnationale (v. ci-contre) ; une autre contribution est citée en note de bas de page 1116 (n° 3010), et deux autres encore dans ceux consacrés à la Convention qui a institué cet autre organe onusien, la CIDE (pp. 758 et s., 770 et s. pour le Comité).

Autrice de l’une d’elles, Vanessa Guillemot-Treffainguy a soutenu à Bordeaux – il y a pratiquement un an, le 1er décembre – une thèse intitulée La protection de l’enfant contre ses parents…. Il y a trente-quatre ans, celle de Claire Neirinck était publiée (v. la mienne en note de bas de page 1027, n° 2457) ; dans la conclusion de ma première partie, j’ai illustré par d’autres références la mention du « droit d’éducation » des parents (pp. 621 à 624 ; v. sa thèse, La protection de la personne de l’enfant contre ses parents, LGDJ, 1984, pp. 123, 230 à 233 et 372-373). Les versions pdf permettent un test rapide par mots-clés : la comparaison des résultats fait apparaître un rééquilibrage quasi-parfait avec le « droit à l’éducation » (des enfants), mais qui s’effondre à la lecture des formulations qui l’accompagnent ; rien de surprenant à cela compte tenu de la délimitation temporelle de cette thèse (…(1804-1958), 2017, 680 p. ; v. les pages de la mienne précitées, ou mon résumé à la RDLF 2018, thèse n° 10).

Préinscrit à l’article 26 de la DUDH, le « droit de l’enfant à l’éducation » a été consacré par l’article 28 de la CIDE, il y a maintenant vingt-neuf ans ; quelques mois plus tôt, en cette année 1989, ce droit était enfin inscrit comme tel dans une loi française (pp. 1001 et s. ; il l’avait été auparavant comme « droit à une formation scolaire », en 1975 : ce droit à figure toujours à l’art. L. 111-2, récemment cité en ouverture d’une tribune publiée sur Libération.fr le 5 nov., plaidant pour un « programme de sciences économiques et sociales éduquant à la démocratie et à la citoyenneté », au contraire de celui qui vient d’être arrêté pour les classes de première).

Pourtant, l’éducation n’est encore souvent pas pensée comme un droit, même par qui la défend le plus largement (v. ainsi Ibid. 7 nov. : Sandra Laugier, philosophe, et Albert Ogien, sociologue, reviennent sur l’« arrivée au pouvoir d’adversaires résolus de la démocratie comme forme de vie, (…) qui brûlent de mettre fin au pluralisme, au droit à l’avortement, à l’éducation pour tou.te.s, aux droits des homosexuels et trans, à l’égalité politique des femmes » ; je souligne. Concernant les « discriminations spécifiques » que subissent les élèves filles, v. l’« enquête publiée jeudi 8 » par Unicef France, Le Monde.fr avec AFP le 8 ; s’agissant de la « tenue correcte » exigée d’elles en particulier – ce que souligne l’étude d’Edith Maruéjouls et Serge Paugam –, v. mon billet du 24 avr., juste avant l’actualisation du 12 mai, en ajoutant ici que, depuis 2015, le premier jeudi du mois de novembre a lieu la « journée nationale de lutte contre toutes les formes de harcèlement »… entre élèves).

« Le 20 novembre, jour anniversaire de l’adoption par l’Organisation des Nations unies de la Convention internationale des droits de l’enfant, est reconnu Journée nationale des droits de l’enfant » depuis la loi n° 96-296 du 9 avril 1996 ; le 23 octobre dernier, la Cour administrative d’appel de Lyon a refusé la référence qui avait été faite à ce texte onusien en première instance (le maire avait reçu en 2015 le soutien de Nicolas Sarkozy : à partir de la réaction de Jean Baubérot, v. mes pp. 343-344 et, plus largement, mon billet sur le nécessaire dépassement de la référence à la « liberté de conscience ») ; l’irrégularité sanctionnée au considérant 6 sera peut-être discutée, mais devrait en tout état de cause encourager les avocat·e·s à citer la CIDE dans leurs requêtes [1]. A la suite de cette affaire, je consacre quelques développements aux jours fériés religieux ; dans un État laïque de droits, leur remplacement par des journées internationales comme celle de ceux de tous les enfants pourrait être envisagé.

Le risque serait toutefois d’alimenter les critiques des détracteurs d’une prétendue religion de ces droits ; pour un exemple de 2017 qui aurait pu être intégré à ma conclusion générale (pp. 1227-1228), v. l’un des articles cités au (billet du) renvoi précédent : Jean-Éric Schoettl va jusqu’à mentionner la « véritable nouvelle religion officielle que sont devenus les droits fondamentaux » ; à réagir en jouant avec les mots, elle m’apparaît bien moins consacrée en France – en particulier dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (v. pp. 1118 et s., spéc. 1122, ou mon résumé de thèse préc., juste avant la présentation de son dernier titre) – que La Religion de la laïcité, pour s’en tenir au titre du dernier livre de Joan Wallach Scott (traduit de l’anglais (États-Unis) par Joëlle Marelli, publié chez Flammarion et présenté par ex. par Cécile Daumas, Libération.fr 19 sept. 2018).

Parmi « ces enfants pour qui la promesse [de leurs droits] n’est pas tenue », en France, des catégories se distinguent : outre celui du 6 juin, v. mes deux premiers billets relatifs aux personnes mineures non accompagnées et à celles en situation de handicap (datés du 5 janvier ; pour alléger le présent billet, j’ai repris le 25 février 2019 les trois paragraphes initialement placés ici, pour contribuer à faire connaître le Comité européen des droits sociaux et la Charte sociale révisée, promue par lui comme « le traité le plus important en Europe pour les droits fondamentaux des enfants » : v. mes pp. 902 et s.).

S’agissant de ces dernières, Béatrice Kammerer a rédigé un article publié cette année sous le titre : « Handicap, la scolarisation à tout prix ? ». Outre Christine Philip, de l’INSHEA (v. ma thèse pp. 1048 à 1050, ainsi qu’en note de bas de page 1059 et 1064), se trouve citée Anne Gombert ; pour cette chercheuse en psychologie cognitive au centre Psyclé de l’université d’Aix-Marseille, « si l’enseignant n’est pas a minima formé, c’est une forme de maltraitance institutionnelle » (Sciences Humaines avr. 2018, n° 302, p. 18, spéc. pp. 19 et 22 ; je souligne).

Depuis le 25 octobre, « le collectif Justice pour les jeunes isolés étrangers (Jujie) [a publié sur son blog de nombreux témoignages] sur la maltraitance institutionnelle dont ces enfants sont victimes ainsi que chaque lundi un dessin et un texte destinés à lutter contre les idées reçues au sujet des [Mineurs Isolés Etrangers (Mineurs Non Accompagnés selon la terminologie officielle)] » (concernant leurs parcours, v. aussi Alizée Vincent, « Le destin des jeunes migrants », Sciences humaines.com nov. 2018 ; s’agissant des difficultés rencontrées après le dix-huitième anniversaire, v. le II. A. de Delphine Burriez, « Mineurs isolés situés sur le territoire : une atteinte au droit de solliciter l’asile en France », RDLF 2018, chron. n° 21, et mon billet du 25 mars 2019[2]).

Le 5 octobre, une décision intéressante a été rendue par le TA de Nancy (n° 1802680), à propos d’un enfant de treize ans venu d’Albanie ; s’il n’est pas le plus important d’un point de vue concret, je me limiterai ici à l’un de ses apports : reprenant des formulations antérieures – v. ma thèse, pp. 1116-1117 –, cette ordonnance procède dans son considérant 5 à une simplification du discours du droit défendue page 1118, au terme de ces développements consacrés au référé-liberté.

Posté le 14 nov. 2017 par Lala

La veille de cette journée (inter)nationale, trois annonces étaient faites : la publication d’un rapport du Défenseur des droits sur ceux « des enfants de la naissance à six ans », la création d’un poste de délégué interministériel à l’enfance et… une augmentation des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur, le Premier ministre ayant confirmé que les étudiant.e.s dit.e.s « hors Union européenne » vont « dès la rentrée prochaine payer beaucoup plus cher » (Camille Stromboni, Le Monde 20 nov., p. 10 ; deux pages plus loin, Jean-Baptiste Jacquin cite le courrier adressé à Edouard Philippe par « l’organe de gouvernance de la CNCDH » : au-delà du rappel des « qualités requises pour présider cette institution », le journaliste note qu’il est insisté sur sa mission « auprès de l’ONU ») ; à défaut d’être au rendez-vous, l’ouverture peut servir à conclure : le droit à l’éducation, c’est aussi celui des adultes.

[1] Ajouts au 28 février 2019, complétés le 23 octobre, après avoir déplacé dans le billet de ce jour la présentation plus générale de cet arrêt rendu il y a tout juste un an.

Le 25 octobre 2002, faisant semblant de ne pas voir ce qui avait animé la commune d’Orange – pour établir un régime différencié (chrétien) –, le Conseil d’État préférait sanctionner une requête « abusive », après n’avoir répondu qu’implicitement – et négativement – à l’invocation du droit à l’éducation ; c’était rater l’occasion de relayer l’obligation internationale de faciliter l’exercice de ce droit (v. ma page 1180), qui n’avait cependant – semble-t-il – été invoqué qu’à partir de l’article 3 § 1 de la CIDE (Mme X., n° 251161). En 2014, redevenu député, le maire Jacques Bompard interpellait le ministère de l’Éducation, en assurant qu’il y aurait « exclusion de plus en plus fréquente de la viande de porc et de ses dérivés dans les menus des cantines scolaires françaises » ; le 18 mars, les services de Vincent Peillon tenaient à rassurer ce membre fondateur du Front national (FN).

Le 27 juillet 2017, le tribunal administratif d’Orléans avait rejeté la demande adressée par un couple à la directrice de « la halte-garderie collective « Trott’Lapins », proposée par la commune » de Saint-Cyr-en-Val (Loiret), « tendant à ce que leurs enfants puissent bénéficier de repas végétariens » ; le 19 octobre 2018, la Cour administrative d’appel de Nantes rejetait leur recours, en refusant notamment d’y voir une atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant protégé par l’article précité (M. et Mme E., n° 17NT03030, cons. 1 et 7) ; celle de Lyon se prononçait différemment, quatre jours plus tard, tout en supprimant le fondement onusien retenu par le TA de Dijon, le 28 août 2017 (CAA Lyon, 23 oct. 2018, Commune de Chalon-sur-Saône, n° 17LY03323, cons. 6 ; v. mon billet).

Pour Baptiste Bonnet, « sur ce point, la juridiction a manqué d’audace et aurait été bien inspirée de tenter de faire infléchir une jurisprudence datée (…) et de plus en plus incompréhensible au vu de l’état des rapports de systèmes. Cette affaire aurait été la bonne occasion pour soulever d’office un moyen tiré de la violation du droit international, le fondement d’un moyen d’ordre public comme celui-là étant aisé à trouver dans l’autorité du droit international telle qu’expressément consacrée par la Constitution du 4 octobre 1958 » (AJDA 2019, p. 117, spéc. p. 120). La jurisprudence à laquelle il est fait allusion remonte à un arrêt SA Morgane du Conseil d’État, rendu le 11 janvier 1991 en Section aux conclusions contraires de Marie-Dominique Hagelsteen : v. la thèse d’Émilie Akoun, soutenue à Grenoble le 2 décembre 2013 (mise à jour le 4 avril 2015), Les moyens d’ordre public en contentieux administratif, Mare & Martin, 2017, pp. 124-125, 176 à 182 et 329 (v. aussi pp. 155 et 241). Maryse Deguergue termine sa « Préface » en s’interrogeant, plus généralement : la « liberté du juge est-elle bien utilisée, c’est-à-dire mise au service des justiciables ? » (p. 13, spéc. p. 16).

[2] Légère modification au 25 mars 2019, pour intégrer au billet de ce jour des références initialement signalées ici.

Brésil : « la famille » des militaires contre l’héritage de Freire

Le succès de Jair Bolsonaro ne repose pas seulement sur un anticommunisme tous azimuts (v. Tristan Pereira, 12 oct.) et des « fausses informations » massivement diffusées sur WhatsApp (Michaël Szadkowski, Le Monde.fr les 25-27). L’une d’elles mérite néanmoins d’être évoquée ; elle a porté sur le matériel utilisé « dans les écoles primaires » (Dorian Girard, Ibid. le 25 : il est renvoyé dans cet article à une « Analyse du système éducatif brésilien », réalisée à l’Université de Fribourg en mai 2015, 25 p., spéc. p. 10, avant une présentation des projets du candidat, au nom de la défense « des valeurs chrétiennes et de la famille » ; il se termine sur les menaces pesant sur les droits des personnes autochtones, à propos desquelles v. la tribune dans l’édition papier de ce jour, « Il faut défendre le peuple krenak au Brésil », p. 20).

Jair Bolsonaro « a ainsi brandi la traduction de la BD française Le Guide du zizi sexuel d’Hélène Bruller et Zep, prétendant que l’ouvrage faisait partie d’un « kit gay » distribué dans les écoles à l’époque où Haddad était ministre de l’Éducation (2005-2012) et visant à inciter les enfants à l’homosexualité. Si dans les faits tout ceci est une manipulation, que le programme mis en place par Haddad était un programme de lutte contre les discriminations, que ce livre n’en a jamais fait partie et qu’il est bien innocent et lu par une bonne part des adolescents en France, il semble que les supporters de Bolsonaro aient diffusé en boucle cette [fake news] » (Etienne Sauthier, « La nuit tombe sur Rio », AOC 26 oct.) au point d’avoir un impact sur le scrutin (v. ainsi Daniel Schneidermann, ASI le 29, liant ce « fameux livre de Titeuf » aux « balivernes sur l’éducation sexuelle », notamment en France ; v. aussi mon billet du 24 avr., en particulier l’actualisation du 1er sept. et celui-ci à propos de sa chronique du lendemain, à propos de la maternité du Blanc, ainsi que le compte rendu d’une conférence pour « révolutionner l’éducation à la sexualité » – Chaire Unesco du Ministère des affaires sociales et de la Santé, le 26 sept. –, par Manon Lu le 23 oct.).

« Nous ne retournerons pas aux senzalas (lieux où dormaient les esclaves) ; …aux sous-sols (allusion aux lieux de torture) ; …aux placards ;
…en prison » (photographie prise lors de la manifestation de São Paulo le 30 octobre, 1/3)

« Sur le temps court, la vague de fond qui a porté l’extrême droite au pouvoir apparaît comme le résultat d’une conjonction inédite », économique, religieuse et politique (« dégagis[t]e ») ; « Sur le temps long, cette élection met au jour les fractures historiques de la société brésilienne, à commencer par la mémoire non soldée du régime militaire (1964-1985) » (Antoine Ackeret et Silvia Capanema, « Brésil : la solidarité internationale s’impose », Le Monde le 31, p. 22). Des regards français peuvent être portés sur chacun des points soulignés.

« expérience brésilienne » et inspiration française

Autrice d’une thèse publiée sous le titre La politique en uniforme. L’expérience brésilienne, 1960-1980 (PUR, 2016), Maud Chirio est intervenue dans plusieurs médias ce dernier mois. « Entre les États-Unis et la France : à l’école de la contre-insurrection », tel est l’un des intertitres de son premier chapitre. Elle y écrit ceci : « Confrontée à l’échec indochinois et aux combats algériens, l’armée française élabore dès le milieu des années 1950 une analyse du comportement d’un ennemi idéal-typique, qu’il soit indépendantiste, subversif, terroriste ou communiste. Rapidement, la théorie est conçue comme un produit d’exportation » ; elle donne notamment l’exemple d’un article du colonel Jacques Hogard, « alors officier de renseignement en Algérie, traduit dans le Mensário [de Cultura Militar, édité par l’état-major de l’Armée de terre] de juillet 1959 » (pp. 34 et 36 ; à propos de la répression ayant eu lieu deux ans plus tard à Paris, v. mon précédent billet).

© Ricardo Moraes – Reuters (article du 30 nov. 2017, à propos des favelas de Rio)

Alors que « le niveau des écoles », dans l’ancienne capitale, « se dégrade encore », le journaliste Nicolas Bourcier rappelle que le « golpe (« coup d’Etat ») avait commencé ici même, le 31 mars 1964 » (« Rio de Janeiro, la ville colère », Le Monde 27 oct., p. 14). Paulo Freire en sera l’une des cibles ; il y a là l’une des manières peu glorieuses par laquelle les autorités françaises ont contribué à l’émergence d’une riche pensée sur l’éducation (v. infra).

Cette importation « est devenue une manière de penser une guerre interne en Amérique du Sud et a porté des États militaristes » (au Brésil d’abord, puis en Uruguay, au Chili et en Argentine). La chercheuse se montre inquiète de constater « une base sociale que ne connaissait pas l’Argentine des années de plomb » (un soutien encouragé par des stars du football, dont la marchandisation laisse peu d’espoirs d’une nouvelle page de son histoire populaire dans l’immédiat, pour citer Mickaël Correia, auteur à partir de son ouvrage de ce thread Twitter). Elle rappelle aussi que le brésilien Ustra « a été le responsable d’un des appareils militaires les plus barbares, créé ad hoc par la dictature en 1969 dans l’État de São Paulo, qui faisait assister les enfants aux sévices de leurs parents ou encore recourait à des animaux sauvages pour torturer » (Maud Chirio (entretien avec, par Rachida El Azzouzi), « Au Brésil, l’élection de Bolsonaro serait « pire qu’un retour aux années de plomb » », Mediapart 24 oct.).

Jair Bolsonaro « s’est fait connaitre de manière particulièrement ignoble en dédiant son vote » à ce dernier lorsqu’il votait au Congrès brésilien, le 17 avril 2016, la destitution de Dilma Rousseff – elle-même torturée sous la supervision de ce militaire (E. Sauthier, art. préc. le 26 ; Claire Gatinois, Le Monde le 6, p. 4 : « à Dieu », « à la famille », « aux forces armées », « contre le communisme » et « à la mémoire du ­colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra ») ; son élection était peu probable jusqu’à ce que l’inéligibilité de Luiz Inácio Lula da Silva soit entérinée par une « une majorité de juges », au mépris d’une décision du Comité des droits de l’Homme (Ibid. le 3 sept., p. 2, citant Luiz Edson Fachin qui, seul contre les six autres juges, « ne se sentait « pas autorisé à désobéir » aux Nations unies » ; j’évoquais cette prise de position onusienne au détour de ce billet). Ainsi qu’a pu le remarquer Etienne Sauthier, ce choix s’est inscrit « dans le prolongement du coup d’État institutionnel de 2016, ou du moins dans la même logique ».

Parmi les premiers signataires d’un appel à la « solidarité internationale » face « au risque imminent d’un retour à l’ordre autoritaire en Amérique latine » (Le Monde.fr le 19 oct.), l’économiste Thomas Piketty rappelait que « l’ancien ouvrier tourneur » – ce depuis l’âge de 14 ans (il y perdra un doigt) –, « avait été [beaucoup] moqué pour son manque d’éducation » (« Brésil : la Ire République menacée », édition papier le 15, p. 23, repris sur son blog le 16 ; à propos de l’un des termes de la comparaison par laquelle il commence, v. mon billet sur l’arrêt Brown).

« Dictature : plus jamais » (photographie prise lors de la manifestation de São Paulo le 30 octobre, 2/3)

Dans l’émission Du grain à moudre (« Brésil : la fin d’un modèle ? », 29 oct.), le chercheur Christophe Ventura proposait – un peu après la 33ème minute – comme élément d’explication du vote Bolsonaro le ressentiment d’une partie de la population, qui n’aurait pas supporté le renforcement des droits des personnes les plus dominées (notamment l’accès à l’Université pour celles afro-descendantes). Depuis l’entre-deux-tours, ils sont particulièrement menacés par « une révolution néolibérale » (Maud Chirio (entretien avec, par Angeline Montoya), « Bolsonaro va mettre en place un régime fascisant », Le Monde.fr ; en version papier sous le titre « On a un potentiel beaucoup plus meurtrier que la dictature », le 27, p. 2).

« Nous avons besoin du mot « néolibéralisme » »…

… « parce qu’il a changé la face du monde et que nous devons comprendre comment ». Ainsi s’exprimait Wendy Brown dans un texte récent (« Le néolibéralisme sape la démocratie », AOC 15 sept., à l’occasion de la traduction en français (par Jérôme Vidal) de son dernier livre Défaire le dèmos. Le néolibéralisme, une révolution furtive, éd. Amsterdam) ; menant l’entretien, Christian Salmon notait que « les spécialistes du néolibéralisme sont incapables de se mettre d’accord sur la définition du terme ».

Il y a quelques années, Alain Laurent faisait observer qu’« Hayek, Mises et M. Friedman (…) ne se présentent jamais comme « néolibéraux » » (« Néolibéralisme », in Les penseurs libéraux, Les Belles Lettres, 2012, pp. 873-874 ; v. aussi la recension par son coauteur Vincent Valentin du livre de Serge Audier, Néo-libéralisme(s) – publié la même année chez Grasset –, La Vie des idées 3 juill.) ; dans Notre histoire intellectuelle et politique. 1968-2018, Pierre Rosanvallon y voit un mot « en caoutchouc » (entretien avec, par Serge Audier et Florent Georgesco, « L’impuissance naît de l’impensé », Le Monde des Livres 31 août ; v. aussi la recension de Ludivine Bantigny, « Pierre Rosanvallon : une histoire à angles morts », Terrestres 15 oct., pour qui « l’ouvrage ne tient pas compte des foisonnantes élaborations qui ont vu le capitalisme remis sur le métier de la critique et le néolibéralisme pensé comme une phase avancée de ce système, qu’on utilise ou pas ce terme » ; parmi elles, celle de Wendy Brown, notamment).

Avant de convenir sous quelques réserves qu’il y a avec le terme néolibéralisme une « expression fort commode », Alain Laurent citait quant à lui un certain Mario Vargas Llosa, dont je mobilise le roman pour présenter Flora Tristan. Début octobre, au Palais Garnier, l’écrivain péruvien – Prix Nobel de littérature en 2010 –, avait fait l’« apologie du libéralisme », tout en considérant que « l’élection de Jair Bolsonaro au Brésil serait « une tragédie » » (Raphaëlle Rérolle, « Aimer, le choix de la vie contre la résignation », Le Monde 9 oct., p. 22).

Pendant la campagne, Jair Bolsonaro avait déclaré s’être « marié » avec Paulo Guedes (v. par ex. Delphine Liou, Bfmtv.com le 5) ; seule figure à être apparue aux côtés du candidat d’extrême-droite « après son écrasante victoire au premier tour » (Thierry Ogier, Les Echos le 9, n° 22798, p. 6), ce dernier a sans surprise été « nommé à la tête d’un superministère de l’économie » (Le Monde.fr 1-2 nov.).

Avant le second tour, la journaliste Claire Gatinois dressait le portrait de ce « « Chicago Boy » qui inspire Jair Bolsonaro » : « Cet admirateur de Milton Friedman ne partage guère l’extrémisme de l’ancien parachutiste, nostalgique de la dictature militaire (1964-1985). Mais la promesse du pouvoir aura eu raison des pudeurs initiales de Paulo Guedes » (Le Monde Économie & Entreprise 23 oct., p. 2). Si « l’ultralibéralisme annoncé du programme de son gourou économiste le rapproche sans doute davantage du projet de Pinochet » (Frédéric Vandenberghe et Jean-François Véran, « Brésil : la fin de la nouvelle République (1985-2018) », Libération.fr le 12), je n’ai jusqu’à présent pas trouvé – dans les articles publiés en langue française – de référence à des projets s’apparentant au « chèque éducation » (en portugais, v. El País.com de ce 5 nov., où se trouve évoquée une certaine « Elizabeth Guedes, irmã do [la sœur] futuro ministro da Economia »).

Dans mon billet y relatif, j’abordais néanmoins le débat terminologique que je reprends ici : je notais en effet que l’analyse de la professeure de sciences politiques à Berkeley risquait de trouver une illustration, ayant remarqué qu’elle pointait « des attaques à l’encontre du principe d’égalité, principe que les néolibéraux opposent à la liberté et à la morale, voire à la liberté comme moralité exclusive. Ces attaques visent les droits LGBT, les droits reliés à la reproduction [notamment,] au nom de la liberté et contre les acceptions « totalitaires » du Bien. Le but est de reconstruire une sphère sociale organisée par des principes moraux traditionnels, c’est-à-dire des principes qui sous-tendent des hiérarchies et des exclusions fondées sur le genre, la race et le sexe » (entretien préc. Pour une autre citation de Wendy Brown, v. ma note de bas de page 1228, n° 3687, en conclusion de ma thèse ; et à partir de son livre précité, un autre texte d’Éric Fassin, « Le moment néofasciste du néolibéralisme », Le Monde.fr 29 juin, avec une version longue. Dans une tribune intitulée « Face au risque du fascisme au Brésil, la neutralité ne saurait être un choix », publiée dans l’édition papier du 26 oct., page 22, les historiennes Juliette Dumont et Anaïs Fléchet lient les « revirements idéologiques » de Jair Bolsonaro au « parcours du fascisme italien : opposé aux réformes néolibérales dans les années 1990, [il] a réussi à s’allier les milieux d’affaires à la veille du scrutin, grâce à un programme qui prône le démantèlement des droits sociaux et de l’éducation publique »).

José Murilo de Carvalho, « l’un des plus grands spécialistes des relations entre les forces armées et la politique au Brésil », est surtout préoccupé par « la nomination possible du général Aléssio Ribeiro Souto au ministère de l’éducation. Pressenti pour le poste, il avait déclaré en septembre, dans une interview, que la « vérité » sur 1964 devait être dite, et qu’il fallait « une nouvelle bibliographie pour les écoles », insinuant un enseignement de la dictature à l’école injuste vis-à-vis des militaires » ; avec le vice-président Hamilton Mourão, il faisait partie du « Groupe de Brasilia », qui « se réunissait régulièrement dans un hôtel de la capitale brésilienne » (Aglaé de Chalus, « Derrière Jair Bolsonaro, l’ombre de l’armée », La Croix 2 nov., n° 41244, p. 12, à partir du quotidien Folha de Sao Paulo ; dans un article antérieur – titré « Ces Brésiliens qui voteront Bolsonaro », 26 oct., n° 41239, pp. 2-3  –, cette correspondante au Brésil donnait l’exemple de Raquel, 31 ans : « Je ne crois pas que Bolsonaro soit parfait, mais le fait qu’il défende la famille traditionnelle suffit pour que je vote pour lui »).

Au-delà de ce « potentiel ministre de l’éducation », « viscéralement attaché à supprimer l’« idéologie de gauche » qui polluerait, dit-il, les collèges », les membres du groupe ont estimé Jair Bolsonaro à même de « mettre en exergue les forces armées et faire valoir la « défense de la famille » face aux revendications LGBT » (C. Gatinois, « Les généraux en embuscade », Le Monde 27 oct., p. 3).

Se trouve ainsi illustrée « l’une des expressions possibles de la mixité idéologique qui a le plus souvent dominé l’espace sous-continental latino-américain » : alors que « les militaires brésiliens » – tout en étant « aussi anticommunistes que leurs voisins » –, n’avaient pas suivi le « libéralisme radical » des « élèves chiliens de Milton Friedman, issus de l’Université catholique de Santiago », ceux d’aujourd’hui les rejoignent ; ils prônent cependant une forte intervention de l’Etat s’agissant des mœurs, de manière à capter les suffrages des « adeptes évangélistes pentecôtistes de la théologie de la prospérité », à la « présence de plus en plus visible » (Jean-Jacques Kourliandsky, « Amérique latine. Va-et-vient idéologiques du libéralisme. Aux sources des programmes populistes », Le Monde Économie & Entreprise 29 oct.).

« sortir Paulo Freire de là-dedans » : une menace grave contre les droits des enfants

Irène Pereira, Paulo Freire, pédagogue des opprimé-e-s. Une introduction aux pédagogies critiques (Libertalia, 2017)

Le 9 juin dernier était inauguré l’Institut bell hooks – Paulo Freire (France), qui « vise à développer les pédagogies féministes et critiques » ; « de la race (éducation anti-raciste aux Etats-Unis) » et « des normes (Education à la sexualité en Suède) », par exemple, rappelle sa co-fondatrice Irène Pereira, dans un des deux textes en ligne sur ce site depuis peu : elle y affirme d’abord que Paulo Freire, « prix de la Paix de l’Unesco en 1986 », est « le troisième auteur le plus cité dans le monde dans le domaine des sciences humaines et sociales pour son ouvrage : Pédagogie des opprimés » (« selon une étude » d’il y a deux ans).

Il l’est aussi dans le monde associatif, comme en témoigne le texte publié par le président de Solidarité Laïque à l’occasion de la rentrée scolaire, il y a deux ans : « l’éducation ne change pas le monde, elle change les gens qui eux vont changer le monde » (Paulo Freire, cité par Dominique Thys, le 31 août 2016) ; dans mon billet renvoyant aux écrits que j’ai mobilisés de Philippe Meirieu, l’actualisation au 12 septembre 2018 s’en tient à l’une de ses sources d’inspiration : outre Janusz Korczak, la même recension citait six autres pédagogues qui « se sont fréquemment retrouvés en pleine tourmente », dont Paulo Freire.

Parmi les déclarations de Jair Bolsonaro qu’elle cite, l’une touche aux questions de laïcité : « L’État est chrétien et que celui qui n’est pas d’accord s’en aille. Les minorités doivent se plier aux majorités » (Meeting à Paraíba, dans le Nord-Est, février 2017 ; v. aussi Michel Leclercq, « Au Brésil, les évangéliques ont voté Jair Bolsonaro », Le Figaro le 29 oct., n° 23082, p. 6, rappelant la formule – « Le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tous » – de celui « qui était catholique comme l’immense majorité des Brésiliens », mais qui depuis son baptême en Israël, en 2016, « entretient le flou et se dit simplement chrétien »). Une autre est directement sourcée dans la version remaniée pour la revue AOC (1er nov., avec le même titre « Le président Jair Bolsonaro contre le pédagogue Paulo Freire ») : sa promesse d’« entrer dans le ministère de l’Education avec un lance-flamme et sortir Paulo Freire de là-dedans » (Déclaration aux chefs d’entreprise à l’Espirito Santo, août 2018) ».

Irène Pereira renvoie au Manifeste des femmes unies contre Bolsonaro, rappelant le soutien apporté par ce dernier au « projet « d’école sans parti » » (pt 5 ; au pt 14 est défendue au contraire « la plus grande liberté d’enseigner et d’apprendre », autrement dit le droit à l’éducation – le premier des « droits sociaux » reconnus par la Constitution du 5 octobre 1988), « un mouvement conservateur » s’étant donné pour objectif de « faire interdire aux enseignants des références aux études de genre et à l’œuvre de Paulo Freire, alors décédé depuis 1997 » (v. aussi la dernière question posée à la secrétaire adjointe aux Droits de l’Homme de São Paulo, Djamila Ribeiro : El País.com 23 juill. 2016). Lors des manifestations de l’entre-deux tours, elle relève qu’un slogan était de « voter avec un livre, plutôt qu’avec une arme » ; celui titré L’importance de lire était « mis en avant ». Les efforts de son auteur étaient plus largement « de réfléchir aux conditions d’une éducation capable de consolider l’esprit de démocratie et à partir de 1985 d’empêcher le retour de la dictature au Brésil » ; le pédagogue brésilien, qui « avait été mandaté par le gouvernement antérieur [à 1964] pour mettre en œuvre une campagne nationale d’alphabétisation dans un pays caractérisé par un très faible niveau d’éducation », en avait été l’une des « premières cibles » (« arrêté trois mois et torturé », il avait été « ensuite expulsé de force » de son pays ; il ne pourra y retourner qu’en 1980).

Il était ainsi partisan d’une éducation à l’autonomie (comparer la brève recension de Victor Garcia Hoz, « La educación liberadora de Paolo Freire », Educadores mars-avr. 1974, p. 161, publiée dans la Revue française de pédagogie, vol. 28, p. 57, spéc. 117 : « Position de l’enseignement catholique espagnol face [à ses théories], à travers l’opinion [du] directeur de l’Institut « San José de Calasanz » », lequel lui reproche « de confondre action éducative et action politique et de faire du processus éducatif un instrument au service de la révolution et de la lutte des classes (…) ». A partir de son ouvrage Pédagogie de l’autonomie, v. le second texte d’Irène Pereira ; rapprocher aussi de l’une de mes conclusions, page 1224, avec une citation de Cécile Laborde).

La « clameur du « Ele Não  » [« pas lui »] » (Claire Gatinois, « Au Brésil, les femmes se mobilisent face à Bolsonaro », Le Monde le 23 oct. 2018, p. 4) n’aura pas suffi à empêcher « l’avancée de l’extrême droite et la percée de Jair Bolsonaro », lesquelles « ont aussi été facilitées par la perte d’influence d’une grande force modératrice et parfois progressiste, l’Eglise catholique. Pendant la dictature militaire, elle joua un rôle décisif dans la protection des mouvements sociaux et des libertés, en contraste avec ce qui se passait dans les autres dictatures d’Amérique du Sud » (Luiz Felipe de Alencastro, « Le vote des fidèles évangéliques a été déterminant », Le Monde le 31, p. 22 ; dans le même sens, M. Leclercq, art. préc., notant à partir du livre de la journaliste Lamia Oualalou que les Églises évangéliques « ont offert des lieux de rencontres et des réseaux de solidarité, un rôle que jouaient autrefois les syndicats ou l’Église catholique (…). En échange de ces « services », tous les fidèles reversent 10 % de leurs revenus »).

« Ninguém solta a mão de ninguém » (« Personne ne lâche la main de personne » ; photographie prise lors de la manifestation de São Paulo le 30 octobre (3/3), avec des remerciements à mon informatrice brésilienne pour l’envoi et la traduction)

La toute dernière page (1229) de ma thèse comprend une citation de Pauli Dàvila et Luis Maria Naya (« Le Comité des droits de l’enfant et le droit à l’éducation en Amérique latine (1989-2014) », in Yves Denéchère et David Niget (dir.), Droits des enfants au XXe siècle. Pour une histoire transnationale, PUR, 2015) ; il y a près d’un an, une recension de l’ouvrage par Dominique Dessertine a été mise en ligne : à propos de la contribution précitée, elle retenait que « les défenseurs des droits des enfants n’ont ni les moyens financiers, ni les appuis politiques espérés de régimes souffrant de déficit démocratique » (Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière » 2017, n° 19, § 3). Cette défense risque d’être encore plus difficile demain.

« Aujourd’hui à la tête du Haut-Commissariat pour les droits de l’homme des Nations unies, l’ancienne présidente chilienne Michelle Bachelet a signalé que ses services resteraient « très attentifs » à la situation brésilienne » (Christine Legrand et Marie Delcas, Le Monde.fr le 30 oct. 2018).

Ajout au 7 novembre 2018, avec l’article de Raphaëlle Rérolle, « Au Brésil, la détresse des gays et des trans », Le Monde, p. 15 : avant de retracer comment Jair Bolsonaroe – qui « devrait être intronisé le 1er janvier 2019 » – a puisé dans les « courants [évangéliques] radicaux » l’« expression fantasmatique » de « kit gay », elle rappelle que le Brésil « est le pays qui compte le plus grand nombre de crimes contre les personnes LGBT. Les trans, à 80 % des hommes noirs ou métis issus des classes défavorisées, sont les premières victimes de ces meurtres ».

Ajout au 8, pour signaler – grâce aux « Brèves du CRJ » – un colloque franco-russe intitulé Où en est l’État sous le néolibéralisme ?, organisé à Clermont Ferrand sous la direction de Marie-Élisabeth Baudoin et Karine Bechet-Golovko, les 19 et 20 novembre prochain.

Ajout au 17 : dans un entretien avec Julie Clarini de l’anthropologue Oscar Calavia Saez, publié ce jour dans Le Monde Idées, ce chercheur au GSRL rappelle un élément qui pourrait être oublié, à savoir que les gouvernements du PT (Parti des travailleurs, gauche) « entretenaient de solides relations politiques avec les évangéliques » ; rappelant le « profil typique » actuel de leurs Eglises (« enthousiasme pour un modèle économique d’extrême libéralisation et d’hostilité à l’égard de l’interventionnisme étatique, allié à un conservatisme musclé dans le domaine des mœurs »), il souligne que, « dans la pratique, les attitudes peuvent varier ».

17 octobre 1961

Dans deux jours, ce sera à la fois la Journée mondiale du refus de la misère (« créée en 1987 par Joseph Wresinski », comme le rappelait l’année dernière la CNCDH) et, au plan national, la commémoration du 17 octobre 1961 : ce jour-là, à Paris, « des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression » (communiqué de l’Élysée du 17 oct. 2012, la reconnaissance de « ces faits » constituant une des promesses de campagne du candidat François Hollande).

Le 13 septembre dernier, le président Emmanuel Macron reconnaissait « au nom de la République » la responsabilité de cette dernière dans l’assassinat, en 1957, du thésard en mathématiques Maurice Audin, militant communiste et anticolonialiste ; cette déclaration officielle est venue établir un lien clair avec la torture, qui « appartenait à l’arsenal disponible pour les militaires chargés de mener une guerre aux formes inédites, dans une population qu’ils connaissaient mal », en prenant « acte de ce que la recherche historique a établi depuis longtemps maintenant » (Raphaëlle Branche [1]).

L’information avait fait les gros titres, en marginalisant à la Une du « quotidien de référence » l’autre annonce de la veille, celle du plan pauvreté (à propos duquel v. mes billets du 15, ici et , ainsi que la première édition du Rapport sur la pauvreté en France, édité aujourd’hui par l’Observatoire des inégalités). L’historienne précitée était invitée Du Grain à moudre le 24, avec le professeur Iannis Roder et la romancière et metteuse en scène Alice Zeniter ; la question posée par Hervé Gardette : « Faut-il revoir l’enseignement de la guerre d’Algérie ? ».

« enseignement du passé colonial » : une « progressive problématisation et politisation » (Laurence De Cock, 2018)

Le 18, Olivier Le Cour Grandmaison annonçait à l’APS que le « collectif pour la reconnaissance des massacres du 17 octobre à Paris et sa banlieue se réunira[it], comme tous les ans, sur le Pont Saint-Michel pour « exiger la reconnaissance de ce crime comme crime d’État et l’ouverture de toutes les archives » » (à l’initiative de l’association « 17 octobre contre l’oubli », v. l’ouvrage sous sa direction, sous-titré Un crime d’État à Paris, La Dispute, 2001 [2] ; Yves Royer y traite de « L’Algérie dans nos manuels », pp. 113 et s.).

La République française « n’a produit en tout et pour tout que quatre lignes de communiqué présidentiel », manquant de précision, déplorait l’année dernière un autre historien ; Fabrice Riceputi affirmait alors : « Au lycée, rien n’interdit aux enseignants d’évoquer cet événement, mais rien dans les programmes ne les oblige, ni ne les encourage à le faire. (…) Notre époque est à une régression politico-mémorielle : le désir de roman historique national édifiant, charriant tous les négationnismes, est l’une des modalités de « l’extrême-droitisation » de la société française » [3].

place Edmond Arnaud (quartier Très-Cloîtres)

A l’occasion d’un colloque organisé à Lyon en juin 2006 (Pour une histoire critique et citoyenne au-delà des pressions officielles et des lobbies de mémoire : le cas de l’histoire franco-algérienne), Gilles Boyer et Véronique Stacchetti mentionnaient au titre des « pratiques pédagogiques originales (…) l’étude du roman de Leïla Sebbar La Seine était rouge » (Actes Sud, 2009), dans un collège de l’académie de Lyon ([4]).

Dans cette contribution, il est renvoyé en note n° 1 à la thèse de Françoise Lantheaume (EHESS, 2002), qui a dirigé celle de Laurence De Cock (Université Lumière Lyon 2, 2016 : l’entrée « 17 octobre » conduit à un certain nombre de résultats ; v. aussi le chapitre 3 sur l’« éducation aux droits de l’homme » encouragée par l’UNESCO, pp. 161 et s.). Elle en a tiré un livre publié aux PUL en août, sous le titre Dans la classe de l’homme blanc. L’enseignement du fait colonial en France des années 1980 à nos jours (le sous-titre employé ci-dessus est tiré des extraits de son introduction, publiés par Theconversation.com le 27).

Dans une tribune publiée la veille des Rendez-vous de l’histoire de Blois 2013 ([5]), elle notait que « l’analyse des programmes ne présume pas forcément de la réalité des enseignements et de ce que savent aujourd’hui les élèves » ; et d’évoquer « une enquête lancée par l’université Lyon-II et soutenue par l’Institut français de l’éducation (IFE-ENS de Lyon) », alors « en cours de traitement ». Dans l’ouvrage qui en est issu, Églantine Wuillot souligne « le peu de place pour les conflits qui entrent difficilement dans [le cadre républicain, avec ses principes de justice, de liberté et d’égalité] (les guerres coloniales, par exemple) » ([6]).

A propos de l’enseignement du fait colonial, Laurence De Cock a cherché à comprendre « comment on a pu arriver à ce que soit possible de dire, en même temps, « il n’y en a pas », ou « il y en a trop » ». Une « large partie » de son livre est consacrée « à la question de l’enseignement de la guerre d’Algérie et sa mémoire, (…) proportionnel[le] à la place que cela a occupé dans les débats publics » ces dernières décennies (entretien avec Amélie Quentel, Lesinrocks.com 3 sept. 2018, avec cette clarification : « non, on n’en parle pas trop, et oui, on en parle »).

L’« une des surprises de [s]a thèse a été de constater que le fait colonial est abordé de façon beaucoup plus décomplexée et engagée dans les années 1970 et 1980 qu’aujourd’hui. Les manuels de terminale Nathan de 1983 par exemple parlent des responsabilités de l’armée française dans la torture pendant la guerre d’Algérie » (entretien avec François Jarraud, Le Café Pédagogique 7 sept.). Durant cette période, « cette mémoire ne posait pas tant de problème. Elle n’est pas débattue socialement [et] devient problématique lorsque la guerre d’Algérie devient un enjeu lié à l’immigration » ([7]).

Depuis lors, la « présence désormais permanente des enfants de l’immigration coloniale et post-coloniale dans les classes » est l’objet d’un traitement politique qui conduit « à faire de la mémoire coloniale un sujet politiquement sensible », en particulier « lorsque la question rejaillit dans l’espace public à propos de la torture en 2000 » ([8]). Dans l’entretien pour Les inrocks, elle revient sur sa « manière de penser l’articulation entre le racisme contemporain et la mémoire coloniale », en croisant la « question des discriminations (…) avec d’autres critères, de classe, de genre ».

Accompagnant la publication du livre de Marcel et Paulette Péju, Gilles Manceron remarque : « Lors de la manifestation du 17 octobre, beaucoup d’observateurs ont été étonnés par le nombre de femmes qui y participaient, souvent habillées des mêmes vêtements que les Françaises, et par le caractère mixte des cortèges. Dans ceux, souvent méconnus, du 20 octobre et des jours qui ont suivi, (…) elles ont massivement participé, sans presque aucun appui ni encadrement masculins du fait de la désorganisation de la structure clandestine du FLN » (La triple occultation d’un massacre, La Découverte, 2011, p. 180).

Il renvoie notamment au dernier chapitre de cet ouvrage – terminé en 1962 –, Le 17 octobre des Algériens, pp. 73 à 80, lequel commence ainsi : « Le vendredi 20 octobre, à leur tour, 90 % des femmes algériennes de la région parisienne répondirent à l’appel du FLN : « N’envoyez pas vos enfants à l’école aujourd’hui ; allez manifester contre le couvre-feu et l’arrestation de milliers d’Algériens » ».

Gilles Manceron détaille quant à lui « la négation et la dénaturation immédiates des faits de la part de l’État français, prolongées par son désir de les cacher ; la volonté de la gauche institutionnelle que la mémoire de la manifestation de Charonne contre l’OAS en février 1962 recouvre celle de ce drame ; et le souhait des premiers gouvernants de l’Algérie indépendante qu’on ne parle plus d’une mobilisation organisée par des responsables du FLN qui étaient, pour la plupart, devenus des opposants » (pp. 111-112 [9]).

documentaire (2011) de Yasmina Adi

D’autres supports ont permis de faire connaître cette histoire : entre autres, un texte du rappeur Médine (Zaouiche) en 2006, entré dans les manuels des éditions Nathan en 2012 (v. Jérémie Léger, konbini.com janv. 2018) ; le documentaire ci-contre et, l’année dernière, ce court métrage de Mohamed Ketfi (Jhon Rachid).

Un billet (30 juill., actualisé aujourd’hui) m’a déjà permis d’aborder la tension entre histoire et mémoire(s). Certaines pages de ma thèse concernent directement l’Algérie coloniale (p. 185 à propos des élèves juifs ; pp. 369-372, 546 et 548 à propos de la référence aux libertés), d’autres dressent des parallèles avec celle d’aujourd’hui (pp. 460 et 481). Après l’affirmation européenne du « droit à l’instruction » en 1952, l’une des raisons officielles à la ratification tardive de la Convention concernait l’enseignement (privé) – au nom de sa « laïcité » –, l’officieuse tenant aux atteintes aux droits garantis par ce texte commises durant cette guerre (pp. 816 et s., spéc. 818), que d’aucuns appellent encore aujourd’hui « la pénible question algérienne » ([10]).

Au terme de son histoire populaire, Michelle Zancarini-Fournel note qu’est probablement sous-estimée, notamment, « la réactivation – voire la réinvention – de mémoires familiales pour les descendant.e.s des familles ayant immigré ». Avant d’en venir au 17 octobre 1961, elle traite de l’affaire Audin (1957), juste après avoir mentionné « la protestation du professeur de droit gaulliste René Capitant » à propos d’Ali Boumendjel (Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours, La Découverte, 2016, pp 911 et 761).

« suicide » d’Ali Boumendjel (1957) : René Capitant suspend ses cours

A partir du livre d’une autre historienne, Malika Rahal, Hassane Zerrouky rappelait en 2010 (l’Humanité 2 nov.) que le « jeune avocat, membre d’un collectif de défense des militants du FLN et militant du Mouvement mondial de la paix, (…) a été basculé du sixième étage d’un immeuble abritant un centre de torture, situé à El Biar sur les hauteurs d’Alger, là où justement ont été détenus et torturés le journaliste Henri Alleg et le mathématicien Maurice Audin ».

Et d’ajouter : « Non convaincu du « suicide » de son ancien étudiant, [l’ancien ministre de l’Éducation nationale [11]] décide de « suspendre ses cours » en guise de protestation et au nom de « l’honneur de la France », et envoie une copie de la lettre adressée à ses supérieurs à plusieurs journaux ».

Photo de la manifestation © Roger-Viollet

Michelle Zancarini-Fournel aborde cinq pages plus loin le 17 octobre 1961 à Paris, en précisant que l’« une des attaques les plus sanglantes contre les manifestants a lieu sur les Grands Boulevards, devant le cinéma Le Rex » (ouvr. préc., p. 766).

« C’est seulement à partir de la loi [n° 61-1439 du 26 décembre] que l’État se préoccupe vraiment d’organiser le rapatriement » ; « l’exode des Français d’Algérie s’accentue [après les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962]. Contrairement aux idées reçues, la plupart d’entre eux appartiennent aux classes populaires » (pp. 768-769). Avant de noter que les « formes ultérieures de la rétention administrative des étrangers en France sont les héritières directes [du système d’internement] des populations coloniales, étrangères et migrantes », l’historienne s’intéresse alors aux termes employés pour désigner les harkis, en renvoyant au livre de son homologue américain Todd Shepard [12].

Ce dernier précise que « les références officielles concernant les Algériens juridiquement catégorisés comme [« musulmans »] ne s’appliquaient pas nécessairement à des pratiquants de l’islam » ([13]) ; il explique ultérieurement avoir « beaucoup travaillé sur les questions de la torture, notamment » sa justification en « taxant ceux qui critiquaient la France de pédérastes » ([14]).

En notes de bas de pages 6 et 16 de l’ouvrage posthume de Marcel et Paulette Péju, il est indiqué d’une part qu’elle est décédée en 1979 et lui en 2005, après l’évocation de la préface de Pierre Vidal-Naquet à la réédition de Paulette Péju, Ratonnades à Paris, précédé de Les Harkis à Paris (La Découverte, 2000) ; d’autre part, Gilles Manceron cite un entretien avec Marcel Péju pour la revue de la Ligue des Droits de l’Homme (Hommes et Libertés sept.-nov. 2001, n° 116, p. 20), intitulé « Du 17 octobre 1961 à la question des harkis ».

« camp de Bias » (1964-1975) : la faute de l’État dans la scolarisation des enfants des harkis

Dans ma thèse, au terme de mon premier titre sur la référence au service public pour saisir le bienfait éducation, je cite page 188 la « première décision de justice reconnaissant les fautes commises par l’État à l’égard des harkis », selon Hafida Belrhali-Bernard ; professeure à l’UGA, l’annotatrice discutait l’idée selon laquelle la « réparation aurait déjà eu lieu » ; plus loin, avant de faire référence à « d’autres contextes » en citant l’arrêt Laruelle – v. mon premier billet –, elle montrait comment « les préjudices de l’histoire brouillent les grilles d’analyse sur les mécanismes indemnitaires » (AJDA 2015, p. 114, spéc. pp. 117 et 120).

« La haute juridiction » vient de relever « une double erreur de droit » de la part de la cour administrative d’appel de Versailles (Marie-Christine de Montecler, obs. sous CE, 3 oct. 2018, n° 410611 ; AJDA 2018, p. 1872 [15]). C’est toutefois en prenant appui sur les décisions des juges du fond qu’une indemnisation (chiffrée à 15 000 euros) est – cette fois – décidée. En plus de venir confirmer discrètement une clarification quant à l’intervention du « Comité harkis et vérité » ([16]), le Conseil d’État se réfère aux « conditions de droit commun » en matière de « scolarisation des enfants » : l’État a commis une faute caractérisée notamment par la méconnaissance de ces règles à propos des personnes dans la situation du requérant ; né au camp « Joffre » de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), ce « fils d’un ancien supplétif de l’armée française en Algérie » avait été, à l’âge d’un an, « transféré en 1964 au camp de Bias (Lot-et-Garonne), où il a vécu jusqu’en 1975 » (cons. 7 et 1).

Ajouts au 20 octobre 2018, en guise de conclusion trois jours après le 17, avec cette tribune du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (co-signée par sa présidente Natacha Coquery avec Michèle Riot-Sarcey), alors que « cette répression n’est toujours pas reconnue comme un crime d’État par la France » (Brut). V. aussi ce thread Twitter – commencé par Mathilde Larrère, terminé par Laurence De Cock sur les aspects mémoriels (ici et ) –, cet article en avril 2016/2017 : « Quand Gabriel Garcia Marquez était un algérien dans le Paris de Papon » ; enfin cette citation : « Je me souviens de son cartable et de ses livres. J’étais émerveillé à l’époque par ses gros livres et ses gros dictionnaires » (Djoudi Bedar, cité par Hana Ferroudj, « Fatima Bedar, fille de tirailleur algérien, « noyée » le 17 octobre 1961 », Bondy blog 17 oct. 2013).

Ajout au 12 novembre 2018, pour signaler la chronique publiée ce jour sous l’arrêt du 3 octobre précité, en réagissant à un extrait : « tout en se gardant de tout anachronisme et en se préservant d’analogies hasardeuses, comme le relevait A. Bretonneau dans ses conclusions [17] », Charline Nicolas et Yannick Faure citent deux décisions antérieures du Conseil d’État, concernant les personnes migrantes (AJDA 2018, p. 2187, spéc. p. 2190) ; si, pour la période allant jusqu’en 1975 évoquée supra, l’affirmation du droit à l’éducation aurait été anachronique – sauf à mobiliser le droit international –, en 2015 et 2017, c’est l’absence de toute mention de ce droit à qui surprend (v. ma thèse pp. 1115-1116 et 1224 ; la chronique alors citée l’est aussi au terme de mon tout premier billet).

Ajouts au 17 novembre 2018, avec cinq textes réagissant à l’annonce du décès de Brigitte Lainé, le 2 : de Sonia Combe le 7, de Mathilde Larrère le 11, de Fabrice Riceputi le 12 (à partir de son ouvrage précité), de Clémence Jost le 13 et de Chloé Leprince le 16 (le parcours de l’archiviste est aussi évoqué le même jour dans l’émission La Fabrique de l’histoire) ; à travers son courage se trouve soulignée l’importance de la conservation de la mémoire, laquelle passe par celle des archives, ainsi que par la possibilité de les consulter. Il est aussi fait référence à un jugement donnant l’occasion d’aborder la question de l’(in)exécution des décisions de justice, « l’administration ayant uniquement proposé à Mme Lain[é] d’assurer la responsabilité du secteur des archives privées, au sein du nouveau service des archives territoriales et privées, ce qui ne correspond[ait] pas aux fonctions qu’elle exerçait auparavant, sans établir un intérêt du service qui s’opposerait à l’exécution du jugement du 20 mars 2003 [qui lui avait déjà donné raison ; il était alors remarqué qu’« une sanction disciplinaire déguisée » avait été identifiée] » (TA Paris, 4 mars 2004, n° 0315668/5, avec injonction au maire de Paris).

[1] Raphaëlle Branche (entretien avec, par Christine Rousseau), « Il ne sera plus possible de nier le caractère systématique de la torture en Algérie », Le Monde 14 sept. 2018, p. 20

[2] Les « Réflexions » s’ouvrent par un texte de Jean-Luc Einaudi – décédé en 2014, auteur de La Bataille de Paris (Seuil, 1991) et d’Octobre 1961. Un massacre à Paris (Fayard, 2001), rééd. 2011 –, concluant qu’il s’opposera « résolument aux tentatives cherchant à opposer victimes juives et algériennes » de Maurice Papon (in Olivier Le Cour Grandmaison (dir.), Le 17 octobre 1961. Un crime d’État à Paris, La Dispute, 2001, p. 58).

[3] Fabrice Riceputi – auteur de La bataille d’Einaudi. Comment la mémoire du 17 octobre 1961 revint à la République, Le passager clandestin, 2015 –, « La bataille pour la reconnaissance du massacre du 17 octobre 1961 continue », Le Monde.fr 17 oct. 2017

[4] Gilles Boyer et Véronique Stacchetti, « Enseigner la guerre d’Algérie à l’école : dépasser les enjeux de mémoires ? », in Frédéric Abécassis et alii (dir.), La France et l’Algérie : leçons d’histoire : De l’école en situation coloniale à l’enseignement du fait colonial, ENS Éd., 2007, p. 241 ; lors du même colloque, v. le « Bilan du 17 octobre 1961 à Paris » des historiens britanniques Jim House et Neil Mac Master, résumant leur livre comme l’explique Guy Pervillé dans un billet du 18 janv. 2016

[5] Laurence De Cock, « Enseignement : des conflits sans histoire », Le Monde.fr 12 oct. 2013

[6] Églantine Wuillot, « La guerre : opérateur de l’histoire de France », in Françoise Lantheaume et Jocelyn Létourneau (dir.), Le récit du commun. L’histoire nationale racontée par les élèves, PUL, 2016, p. 83, spéc. p. 92

[7] Laurence De Cock, citée par Nicolas Dutent et Pierre Chaillan ; propos choisis de la table ronde animée par Rosa Moussaoui, avec Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, « Quel enseignement du fait colonial ? », l’Humanité 21 sept., p. 11

[8] Laurence De Cock, « Pourquoi les programmes d’histoire déchaînent-ils tant de passions ? », AOC 9 oct. ; sur le même site le 10, Karima Lazali, « L’ombre de la République – à propos de la reconnaissance du crime d’État sur Maurice Audin » : commentant ce « tournant mémoriel », l’autrice défend l’idée que « la colonialité est la part monarchique de la République » (de Laurence De Cock encore, « L’histoire de l’immigration disparaît des programmes de lycée ? », billet d’aujourd’hui).

[9] Sur le premier facteur identifié par Gilles Manceron – le rôle de l’État –, v. aussi son billet du 16 octobre 2017, à partir des « notes laissées par le porte-parole du général de Gaulle, Louis Terrenoire, (…) publiées dans un ouvrage émouvant de sa fille, Marie-Odile ».

[10] Philippe Ratte, De Gaulle et la République, Odile Jacob, 2018, p. 117, cité par Damien Augias, « La Ve République : une naissance aux forceps ? », nonfiction.fr 4 oct. 2018 ; recension croisée de ce livre avec celui de Grey Anderson (traduit par Éric Hazan), La guerre civile en France 1958-1962. Du coup d’État gaulliste à la fin de l’OAS, La Fabrique.

[11] L’entrée « René Capitant » conduit à une dizaine d’entrées dans ma thèse, mais mes lectures ne m’avaient jamais amené jusqu’à la rédaction de ce billet à l’élément ici rapporté ; fils d’un autre juriste célèbre, Henri Capitant, il est lui aussi né en Isère : le premier à Grenoble en 1865, le second à La Tronche en 1901.

[12] Todd Shepard (traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude Servan-Schreiber), 1962. Comment l’indépendance algérienne a transformé la France, Payot, 2008 (2006), pp. 298-315 ; ces pages prennent place dans les développements consacrés au « refoulement des musulmans » ; outre ce chapitre IX, v. les premier et cinquième qui s’intitulent « Citoyens français musulmans d’Algérie : une histoire éphémère », pp. 35 et s. « Qui sera algérien ? Qui sera français ? », pp. 181 et s.

[13] Ibid., p. 23 (en introduction).

[14] Todd Shepard, entretien avec Sarah Al-Matary – à l’occasion du colloque « La guerre d’Algérie, le sexe et l’effroi » –, La Vie des idées 19 déc. 2014

[15] Marie-Christine de Montecler, obs. intitulées « L’État est responsable des conditions « indignes » d’accueil des harkis », reprises sur Dalloz-actualite.fr, en citant in fine le considérant 12. Concernant la toute dernière phrase, comparer CE Sect., 11 janv. 1978, Vve Audin, n° 99435 : cette fois, l’exception de déchéance quadriennale avait été opposée à la demande indemnitaire formulée le 22 mars 1968, soit antérieurement à la loi n° 68-1250 du 31 décembre ; le Conseil d’État la rejette, tout en déclarant la juridiction administrative incompétente pour ce « cas d’atteinte à la liberté individuelle », en juin 1957 ; la suite de la procédure n’est pas mentionnée dans la page Wikipédia consacrée à l’intéressé, qui ne renvoie qu’à une seule décision : Crim., 22 déc. 1966, n° 66-93052, déclarant l’action publique éteinte sur le fondement de la loi n° 66-396 du 17 juin 1966 « portant amnistie d’infractions contre la sûreté de l’État ou commises en relation avec les événements d’Algérie ».

[16] V. le considérant 2 de cet arrêt n° 410611, comme de celui d’appel, n° 14VE02837, et comparer avec le début de la note précitée ; Hafida Belrhali a aussi attiré mon attention sur ce point lorsque j’annotais un autre arrêt de la même CAA de Versailles, à propos duquel v. cette annonce in fine.

[17] Les conclusions d’Aurélie Bretonneau ont été publiées dans la dernière livraison de l’année de la la Revue française de droit administratif (v. RFDA 2018, p. 1131, spéc. p. 1132).

Les notes de bas de page de ce billet ont été ajoutées le 2 novembre 2019 ; elles ne font que reprendre des éléments initialement laissés entre parenthèses.

Fermeture de la maternité de Die : une approche par les droits

Carte extraite du site de France 3 en région Auvergne-Rhône-Alpes

Plusieurs billets de ce site renvoient à celui de l’Association LYOnnaise de Droit Administratif (ALYODA) ; vient d’y être publiée ma note sous une ordonnance rendue par le tribunal administratif (TA) de Grenoble le 28 décembre 2017, Collectif de défense de l’hôpital de Die et autres, n° 1706777 ; dirigée contre un communiqué, la requête a été rejetée et, trois jours plus tard, la maternité a fermé.

Un nouveau recours a été formé (v. le communiqué du Collectif, en date du 8 juin). L’ordonnance et mon commentaire sont accessibles au bas de ce billet (j’y évoque celle rendue cet été par le TA de Limoges à propos d’une autre maternité ; envoyé spécial au Blanc, dans l’Indre, François Béguin lui consacre cet article, publié cet après-midi sur Le Monde.fr).

Pour le réaliser, je suis notamment parti du mémoire de Simon Pantel (Les agences régionales de santé, Lyon III, 2010, 55 p.). J’ai actualisé sa bibliographie sur ces ARS, qui renvoyait notamment à l’article de Cécile Castaing, « Les agences régionales de santé : outil d’une gestion rénovée ou simple relais du pouvoir central ? », AJDA 2009, p. 2212

La chercheuse a dirigé depuis deux ouvrages aux éditions Hospitalières (La territorialisation des politiques de santé, 2012, 197 p. ; La démocratie sanitaire. Mythe ou réalité ?, 2014, 110 p. ; ils résultent des actes de journées d’étude organisées par le Centre d’étude et de recherche sur le droit administratif et la réforme de l’Etat de l’université de Bordeaux, respectivement les 22 novembre 2011 et 16 avril 2013). Dans le premier, Frédéric Pierru revenait sur l’accouchement « au forceps institutionnel » des ARS (p. 77) et Marie-Laure Moquet-Anger traitait de la « réalité » (p. 173) de la démocratie sanitaire ; appelée à rédiger le rapport de synthèse du second, elle rappelait que des droits (individuels) « préexistent aux droits collectifs reconnus par la loi Kouchner aux usagers du système de santé » (p. 105, spéc. p. 106).

A partir du Rapport de synthèse des États généraux réalisé par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), Camille Bourdaire-Mignot et Tatiana Gründler notaient récemment l’attachement manifesté à la relation de soin, « laquelle s’est progressivement rééquilibrée à mesure que les droits des patients et des usagers du système de santé ont été reconnus, favorisant l’émergence d’une démocratie sanitaire » (« Feuilleton bioéthique de l’été : le bilan des réflexions citoyennes », La Revue des Droits de l’Homme ADL 24 sept. 2018, § 3). Les ressources du droit supranational permettent d’envisager le renforcement via ce concept des droits.

Panneau photographique place Jules Plan. © Sylvain Frappat pour Le Monde

La « santé » n’est envisagée par le texte de la CEDH (1950) que comme un motif de restriction des droits qu’il garantit (alors que le « droit au respect de la vie [est] rappelé notamment par l’article 2 » : CE, Sect., 16 nov. 2011, Ville de Paris et a., n° 353172). Dans une contribution rédigée le 22 octobre 2015, Frédéric Sudre a pu évoquer « un droit « caché », non encore révélé par le juge » européen (« Le droit à la protection de la santé, droit « caché » de la Convention européenne des droits de l’homme », in Etat du droit, état des droits. Mélanges en l’honneur du Professeur Dominique Turpin, LGDJ/Lextenso, 2017, p. 645, spéc. p. 647).

Je cite dans mon commentaire un arrêt rendu en Grande Chambre le 15 novembre 2016, ainsi que d’autres textes de droit : la faiblesse conventionnelle ne contraint pas à se rabattre sur des textes associatifs, comme la Charte européenne des droits des patients ; à propos de l’absence d’effet direct qui peut être opposée par les tribunaux, je renvoie à ma thèse pp. 1184-1185 (dans l’une de mes conclusions ; v. aussi, dans celle du titre, p. 1219, en citant le Conseil des droits de l’Homme – à ne pas confondre avec le Comité chargé de l’application du PIDCP). Dans l’AJDA du 6 août dernier, page 1591, une ordonnance du 27 juillet se trouve mentionnée ; elle confirme que le Conseil d’Etat devient plus ouvert pour protéger le droit à la protection de la santé en référé-liberté (n° 422241, cons. 4 et 6 ; à Die, un référé-suspension avait été formé).

Se trouve encore évoqué l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 ; un Rapport d’information récent de Mme Annick BILLON, fait le 17 juillet 2018 au nom de la délégation aux droits des femmes (n° 670, 2017-2018), rappelle qu’il « se réfère aux droits sociaux liés à la maternité » (souligné dans le texte). Dans l’entretien avec Marie-Hélène Lahaye que je cite auparavant, la juriste – qui a lancé en 2013 le blog Marie accouche là – affirme que l’information « devrait être transmise (…) dès l’adolescence. Cela fait partie des droits sexuels et reproductifs essentiels ».

La CNCDH est venue rappeler cette nécessité dans son Avis sur les violences de genre et les droits sexuels et reproductifs dans les outre-mer (21 nov. 2017, §§ 5, 50 et 58, avec la Recommandation 4) ; il « devrait aussi inspirer les acteurs de terrain en métropole » (Johan Dechepy, obs. in REGINE). Egalement signalé, le décret du 29 décembre 2017 « portant définition de la stratégie nationale de santé pour la période 2018-2022 » engage à promouvoir l’éducation à la sexualité (v. l’annexe, p. 10 ; v. aussi ce billet).

A l’approche des journées nationales du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), dont l’une des conférences en dit long sur l’écoute des patientes par une partie d’entre eux (« Ces prétendues violences obstétricales : les enjeux juridiques », remarqué par Zineb Dryef, « Pilule amère pour les gynécos », M Le Magazine du Monde 22 sept. 2018, p. 35, spéc. p. 40), je renvoie à ma conclusion (avec les références citées).

Photo d’Aurélia, réalisée par Livia Saavedra

Quelques jours après un « plan santé »… « à moyens constants » (Pierre-André Juven, AOC 3 oct. 2018), l’Association des petites villes de France avait évoqué un « rendez-vous manqué » pour la lutte contre la désertification médicale » (Marie-Christine de Montecler, « Système de santé : le gouvernement veut décloisonner », AJDA 2018, p. 1748 ; phrase non reprise dans la version en ligne, le 26 septembre).

Autres éléments d’actualité non intégrés à la version publiée :

Concernant les urgences hospitalières, extrait d’un article publié au milieu de l’été : « Après avoir dû fermer la nuit en juillet, les urgences de Saint-Vallier (Drôme) vont suspendre leur activité pendant trois semaines en août, faute de médecins urgentistes pour en assurer le fonctionnement, a annoncé la direction de l’hôpital, vendredi 27 juillet. Un phénomène qui touche chaque été des « petits » services d’urgences [et constitue] souvent le prélude à une fermeture définitive et possiblement à une transformation en centres de soins non programmés (CNSP), aux attributions et aux horaires plus réduits que les urgences. (…) En Auvergne-Rhône-Alpes, [j]usqu’à treize services d’urgence pourraient être transformés en CSNP d’ici cinq ans. « On ne ferme rien, on réadapte le système en fonction des besoins de la population », dit au Monde Jean-Yves Grall, le directeur de l’ARS » (François Béguin, « La lente transformation des urgences hospitalières », Le Monde 31 juill. 2018, p. 8, avant de préciser qu’il avait, « il y a trois ans », défini un seuil de « 10 000 passages par an (…) dans un rapport remis à la ministre de la santé, Marisol Touraine, [mais qu’il] assure vouloir faire du « sur-mesure » dans [cette] région »).

S’agissant de la maternité au Centre hospitalier de Guingamp, dans un communiqué publié le 22 mai 2018 (2 p.), l’ARS Bretagne a informé que son directeur général « a décidé de ne pas renouveler l’autorisation et d’engager la mise en œuvre d’une nouvelle organisation de la prise en charge des futures mamans et des nouveau-nés à compter du 1er février prochain ». Cela avait permis d’envisager un recours, annoncé comme pouvant être formé par l’avocat de « la maternité de Carhaix en 2008, Me Philippe Herrmann » (Ouest-France.fr 28 mai 2018 ; quelques jours plus tard, la fermeture de celle de Bernay [Eure] était confirmée pour octobre et un « bras de fer avec l’ARS » était en cours à Vierzon [Cher] : v. Francebleu.fr 4 juin et Le Figaro.fr avec AFP le 15) ; le 22 juin, les élus ont appris que le président de la République aurait lui-même « suspendu » la décision, suite à sa visite dans les Côtes d’Armor.

Le commentaire comprend l’ordonnance qui se trouve évoquée, rendue il y a dix ans ; elle vaut à l’avocat cité une certaine renommée ; le maire d’Oloron-Sainte-Marie a ainsi recouru à ses services « pour mener la bataille contre la fermeture de la maternité » (Francebleu.fr 19 oct. 2017), cette fois sans succès. Il semble avoir préféré ne pas contester le communiqué de presse annonçant la fermeture. A Die, la requête était dirigée contre ce document et le juge des référés a estimé qu’il n’y avait pas de « décision administrative » susceptible de recours (« La fermeture des services de maternité et de chirurgie du centre hospitalier de Die n’est pas une (bonne) décision », Rev.jurisp. ALYODA 2018, n° 3).

L’accompagnement des enfants en situation de handicap

Il y a dix jours, Le Monde titrait : « L’école peine à s’adapter aux enfants handicapés » (20 sept. 2018, p. 12). Violaine Morin notait alors que « comme à chaque rentrée, les associations ont alerté sur les enfants qui n’ont pu rejoindre l’école, faute d’accompagnants. Impossible de connaître leur nombre exact, qui évolue chaque jour ».

Consécutivement à des annonces faites deux mois plus tôt (v. Audrey Paillasse, « Le gouvernement souhaite améliorer l’accueil des élèves handicapés », Ibid. 20 juill. 2018, p. 10), le décret n° 2018-666 était venu le 27 juillet modifier celui n° 2014-724 du 27 juin 2014 pour assouplir les conditions de recrutement (v. le billet de Pierre Baligand, en août) ; un mois plus tard, le ministre se félicitait de la création de « 3 584 emplois d’accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) » (lettre du 31 août 2018).

Sans aborder ici le problème plus général du recours croissant aux personnels contractuels (pour reprendre un élément du titre retenu par la Cour des comptes en mars ; v. aussi les observations de Gérard Longuet, le 30 mai), je voudrais revenir sur la question des activités périscolaires : elle faisait l’objet d’une réponse ministérielle le 8 février ; elle a surtout donné lieu à une prise de position de la Cour administrative d’appel de Nantes le 15 mai (Ministre de l’Education nationale, n° 16NT02951 ; AJDA 2018, p. 1546, chr. A. Durup de Baleine).

Dans son recours, enregistré le 25 août 2016, le ministre avançait – selon la Cour – que les « activités périscolaires ne sauraient donc être regardées comme une composante nécessaire à la scolarisation des enfants et au droit à l’éducation posé par les articles L. 111-1 et 112-1 du code de l’éducation ».

Au visa de ce Code, du CASF et du CJA, la Cour reprend le considérant de principe de l’arrêt Laruelle (v. mon premier billet) et le complète : l’effectivité du droit à l’éducation implique que « la prise en charge par l’Etat du financement des emplois des accompagnants des élèves en situation de handicap [ne soit] pas limitée aux interventions pendant le temps scolaire » ; « alors même que l’organisation et le financement [des activités périscolaires] ne seraient pas de sa compétence », l’Etat est tenu « d’assurer la continuité » de ce financement « dès lors que [leur accès] apparait comme une composante nécessaire à la scolarisation de l’enfant et que ces activités sont préconisées à ce titre par la [Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH)] » (cons. 4).

Ainsi s’était prononcée celle d’Ille-et-Vilaine, selon le tribunal administratif qui avait annulé la décision renvoyant à la mairie de Bruz (TA Rennes, 30 juin 2016, M. Fabrice Brahime, n° 1600150, mis en ligne sur le forum d’ASPERANSA, cons. 4). Il avait toutefois rejeté la demande d’injonction formée par le père de Sama (cons. 6-7, parce qu’elle s’étendait à « l’accueil en halte-garderie ») ; près de deux ans plus tard, soucieuse de l’exécution de son arrêt, la Cour accueille son appel incident (cons. 7).

Rapporteur public dans cette affaire, Antoine Durup de Baleine écrit dans la Chronique de jurisprudence des cours administratives d’appel (publiée le 30 juillet à l’AJDA) : si l’arrêt évoque des « préconisations », la « décision de la CDAPH est une « vraie » décision. Elle n’est pas un point de vue ou un avis que l’administration va s’attacher à mettre en œuvre dans la limite des moyens disponibles » ; plus loin, entre parenthèses, il rappelle qu’elle peut être contestée « dans les conditions prévues à l’art. L. 241-9 du CASF mais, au cas d’espèce et comme le plus souvent, personne ne l’avait fait » (AJDA 2018, pp. 1546 et 1548, où il termine en indiquant que la « CDAPH ne doit pas oublier d’indiquer la quotité horaire », avant de signaler deux autres arrêts de la CAA Nantes le 25 juin 2018, Ministre de l’Education nationale, nos 17NT02962 et 17NT02963, eux aussi rendus sur ses conclusions).

Pour qu’il puisse ordonner la mise en œuvre de sa décision, en cas de refus de mise en œuvre, tout juste faut-il que le juge administratif soit compétent (v. ce billet, à propos d’une école privée), ce qui n’était pas douteux ici. D’ailleurs, « la solution tant du tribunal que de la cour était largement engagée par deux décisions rendues par le Conseil d’Etat le 20 avril 2011 » (p. 1547 ; v. aussi ma thèse, pp. 1129 et 1204).

Le Premier conseiller aurait pu citer le Défenseur des droits (Rapport annuel consacré au Droit fondamental à l’éducation, nov. 2016, pp. 40-42). Signalant également le jugement attaqué, Jean Vinçot indiquait dans un billet du 10 mai 2017 que la position du Conseil d’Etat « est fréquemment ignorée dans les discussions sur le sujet » (et de critiquer la circulaire du 3, en renvoyant au commentaire de l’association « Toupi »). Le 9 août 2018, il remarquait que les arrêts précités du 25 juin concernaient la commune de Plabennec, qui avaient déjà obtenu gain de cause – mais en référé – en 2011.

Il ressort de la chronique que la rédaction de la Cour « (que l’on trouve de manière assez similaire dans le jugement du TA de Rennes) est en réalité assez étroitement inspirée par un passage des conclusions (inédites) du rapporteur public, Rémi Keller, sous les deux décisions du Conseil d’Etat du 20 avril 2011 » ; pour le juge administratif, parce que « le temps et les activités périscolaires sont une compétence partagée entre l’Etat et les communes ou intercommunalités », ce dernier peut être contraint à les financer (AJDA 2018, pp. 1547 et 1548).

Avant le rendu de cet arrêt, début mai, « la communication sur le quatrième plan Autisme » était critiquée dans une tribune collective intitulée « Face aux politiques publiques, le malaise grandissant des associations » (Le Monde Économie & Entreprise 5 mai 2018) ; un autre article revenait sur les actions en responsabilité qui permettent à des parents de recevoir une indemnisation, mais pas d’obtenir la scolarisation de leur enfant (S. Ca., « C’est quoi l’autisme ? », Le Monde Science & Médecine 9 mai 2018, en citant l’avocate Sophie Janois ; à propos de l’importance de citer le droit à l’éducation dans les requêtes, v. ma thèse, spéc. p. 1052). Quinze ans après la décision Autisme Europe contre France, rendue en 2003 par le Comité européen des droits sociaux (et réitérée de façon ambivalente, dix ans plus tard : v. pp. 883, 910 et s.), l’heure est toujours à la mobilisation (v. ainsi ce billet de Jean Vinçot, le 21 septembre, pour l’association Autisme Limousin).

Citant l’avis n° 102 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE 2007, mobilisé page 1049), son ancien président (de 2012 à 2016) affirmait récemment : « Il faut du courage aux associations, aux familles et aux bénévoles pour combattre sans cesse, et si souvent en vain, afin qu’enfants et adultes puissent accéder à leurs droits fondamentaux » (Jean Claude Ameisen (entretien avec, par Catherine Vincent), « Permettre à chacun d’accéder à la liberté », Le Monde Idées 28 juill. 2018) ; et de s’appuyer sur une certaine Convention onusienne (venue inspirer, à propos d’un étudiant turc, un arrêt – devenu définitif le 2 juillet – de la Cour européenne).

Ajouts au 15 octobre 2018, avec cet article de Maud Le Rest, quelques jours après le « coup de gueule de François Ruffin » (Allodocteurs.fr) : le « Collectif AESH-AVS unis pour un vrai métier » tient à rappeler les « temps partiels imposés », alors que le ministre Jean-Michel Blanquer « se base sur des temps plein » ; la journaliste ne précise à aucun moment que le député parlait « des femmes » (en prenant soin d’écrire « accompagnant.es », là où la proposition de loi d’Aurélien Pradié reposait sur une vision limitée de « l’inclusion » par des « aidants »), ce qui est « sociologiquement vérifié dans l’énorme majorité des cas » (Antoine Durup de Baleine, chr. préc., p. 1546).

L’hypothèse n’est pas farfelue d’un lien entre l’invisibilisation de la situation professionnelle de certaines femmes et sa dévalorisation (à propos des ATSEM, v. ma page 102). Cette « grande majorité » est rappelée ce jour par Mathilde Goanec et Manuel Jardinaud (Mediapart ; de ce point de vue du genre et des élèves, v. p. 799 et en note de bas de page 1041, n° 2539) ; les journalistes remarquent aussi que la secrétaire d’État Sophie Cluzel n’avait « pas réagi sur « l’inutilité » de la proposition de loi de la majorité sur l’usage du téléphone portable », en citant plus loin et notamment Clémence Vaugelade :  la chargée de plaidoyer à l’UNAPEI s’inquiète d’une « politique à moyens constants » (v. respectivement ici et , à propos du « plan santé »).

Vers une remise en cause du numerus clausus ?

Dans la dernière édition de leur Que sais-je ? sur La santé publique, publiée en novembre dernier, Aquilino Morelle et Didier Tabuteau notaient que « les pouvoirs publics ont régulé l’offre en diminuant drastiquement le numerus clausus pour l’accès aux études médicales, au point de faire craindre une « pénurie » médicale dans les années 2020 » (PUF, 3ème éd., 2017, p. 86).

Le 13 février, à l’hôpital Simone-Veil d’Eaubonne, Edouard Philippe et Agnès Buzyn avaient promis « une réflexion sans tabou sur le numerus clausus » (selon Marie-Christine de Montecler, « La stratégie de transformation du système de santé du Gouvernement », AJDA 2018, p. 304 ; v. aussi Camille Stromboni, « Une concertation va être lancée pour réformer les études de médecine », Le Monde.fr 26 févr. 2018, mis à jour le 28, avec l’annonce par la ministre d’une « loi en 2019 »). Entretemps, Olivier Véran proposait « de remplacer le numerus clausus parce qu’on pourrait appeler un numerus apertus » (Francetvinfo.fr 11 janv. 2018).

« Le gouvernement souhaite mettre fin au numerus clausus ainsi qu’au concours en fin de première année, tel qu’il existe actuellement, révèle franceinfo mercredi 5 septembre » (Solenne Le Hen).

L’expression numerus clausus conduit à la page 953 de ma thèse, où je cite une phrase de Nicolas Hervieu, en 2013, qui demeure d’actualité ; trois ans plus tôt, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rendait, en Grande Chambre, son arrêt Bressol et Chaverot (contre Gouvernement de la Communauté française [de Belgique]) ; l’auteur commentait quant à lui l’arrêt Tarantino et autres contre Italie, rendu par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH ; pour l’analyse de ces prises de position des juridictions européennes, pertinentes pour aborder d’un point de vue juridique la question du numerus clausus, v. respectivement pp. 946 et s. et 972 et s.).

Pour finir sur un regard de droit étranger, Philippe Mesmer informait cet été que l’« université de médecine de Tokyo limite l’accès des femmes » (titre dans Le Monde p. 4) : TMU « a discrètement fixé un numerus clausus à leur admission dans ses amphithéâtres. Depuis 2011, l’établissement privé fait tout pour éviter d’avoir plus de 30 % d’étudiantes reçues à son examen d’entrée. En 2018, le taux de réussite fut de 8,8 % pour les garçons et de 2,9 % pour les filles. Révélée jeudi 2 août par le quotidien Yomiuri, l’affaire a incité une centaine de femmes à se rassembler, vendredi, devant la TMU pour appeler à la fin des discriminations » ; « la propension des femmes à se marier et à avoir des enfants », pour reprendre la formule du correspondant du quotidien, serait la cause de cette décision « [qualifiée] de « tout simplement inacceptable » » par le ministre de l’éducation, Yoshimasa Hayashi, sans qu’il remette pour autant en cause le « droit » des établissements d’en restreindre l’accès, en l’occurrence aux femmes aspirant à y étudier (v. ma conclusion générale, pp. 1225-1226).

Ajouts au 19 septembre 2018, modifiés le 22

Au lendemain de la présentation du plan Santé, précédée la veille par un entretien de la ministre Agnès Buzyn (Le Parisien.fr 17 sept. 2018), Le Monde titre page 9 : « Le numerus clausus remplacé par de nouvelles procédures sélectives ». L’article de Camille Stromboni est accompagné d’un entretien avec Marc-Olivier Déplaude, pour qui le « système a volé en éclats avec la forte augmentation du nombre de médecins venant d’autres pays de l’Union européenne, et qui ont les mêmes droits que les médecins formés en France en matière d’installation et de conventionnement. Par conséquent, le numerus clausus comme instrument de maîtrise des dépenses de santé ne fonctionne plus ». Il est l’auteur de La Hantise du nombre. Une histoire des numerus clausus de médecine (Les Belles Lettres, 2015, 408 p. ; cette enquête socio-historique est issue d’une thèse en science politique, soutenue à Paris I en 2007). Dans son dernier chapitre (« L’autre numerus clausus », pp. 311 et s.), des développements sont consacrés à cette « irruption des « médecins étrangers » sur la scène publique » (pp. 332 et s.).

Page 946 de ma thèse, je rappelle que la (Communauté française de) Belgique avait, en 2006, réformé son système en réaction à « l’afflux des étudiants français », dont l’une des principales causes résidait précisément dans le numerus clausus ; l’Etat belge mettait en avant le droit à l’éducation, ignoré dans les débats en France sur la question.

Page 69 du livre précité se trouve évoqué le refus exprimé par un fonctionnaire de l’Education nationale, devant un groupe de travail du Commissariat général du Plan au début des années 1960 (pp. 46-47) ; il serait intéressant de pouvoir consulter l’archive signalée, ce refus initial du numerus clausus étant présenté par Marc-Olivier Déplaude comme fondé sur le « droit, pour tout bachelier, de s’inscrire à l’université » (p. 69 ; la loi, en France, ne reconnaissait pas ce droit, ou cette liberté ; elle a d’ailleurs disparu comme telle le 8 mars 2018). Page 78, il note que « ce n’est pas le moindre des paradoxes que les évènements de mai-juin 1968 et les réformes qu’ils ont suscitées aient favorisé, trois années plus tard, l’adoption d’une telle mesure » (par une loi considérée comme nécessaire par le Conseil d’Etat, consulté par le Gouvernement : v. pp. 129-130). La remarque suscite l’intérêt, plus de cinquante ans après.

Ajout au 8 octobre 2018 : selon Manon Francois, Bérénice Gaudin, Camille Jaegle et Églantine Roland, la Cour Constitutionnelle fédérale allemande a déclaré, le 19 décembre 2017, l’inconstitutionnalité de « la sélection effectuée pour le cursus de médecine (…), au nom de la liberté professionnelle et du principe d’égalité » (La Revue des Droits de l’Homme ADL 2 oct. 2018, §§ 37 et s.). Les étudiantes du Master Bilingue droit de l’Europe rendent compte auparavant d’une décision du 12 juin 2018 (§§ 6 à 9), admettant l’« interdiction du droit de grève des professeurs allemands » : « Elle poursuit, selon la Cour, un but légitime, à savoir le droit à l’éducation » ; il permettrait donc de fonder une restriction, mais ne serait pas directement convoqué pour justifier la remise en cause du numerus clausus, dans la continuité de sa position du 18 juillet 1972 (v. ma note de bas de page 1148, n° 3206).

Aout au 5 janvier 2019 (en signalant le deuxième paragraphe de ce billet) : le 27 décembre dernier, le deuxième alinéa du IV de l’article 83 de la loi n° 2006-1640 prévoyait toujours que certains praticiens diplômés hors Union européenne ne « peuvent continuer à exercer leurs fonctions [que] jusqu’au 31 décembre 2018 » ; la loi n° 2018-1245 est venue, au dernier moment, prolonger ce délai jusqu’en 2020.

Carte scolaire et droit à l’éducation

Il y a quelques mois, cette note de Lorenzo Barrault-Stella a fait l’objet d’une diffusion en ligne : « La carte scolaire, une politique entretenant les inégalités », Les notes du conseil scientifique de la FCPE avr. 2018, n° 10, 4 p. Des extraits peuvent être reliés à plusieurs développements de ma thèse (l’entrée « Barrault » permet de voir comment j’ai mobilisé ses travaux, en particulier la version publiée de sa thèse de science politique soutenue à Paris I, le 2 décembre 2011).

Il rappelle que « la carte scolaire est d’abord un dispositif d’action publique, (…) [initialement institué] dans une perspective gestionnaire de planification et d’aménagement du territoire ». Toujours en première page, il relève la concomitance avec « l’abandon de la séparation filles/garçons au profit de ce que l’on nomme à l’époque la « mixité » sexuelle dans les classes ». Ensuite, il affirme que le dispositif « est présenté comme la concrétisation d’un droit à une scolarisation de proximité », ce tout en étant « peu débattu publiquement au début des années 1960 » (p. 2 ; je souligne). Ce faisant, il semble procéder à une relecture anachronique, très fréquente, anticipant – ici seulement de quelques années – la « reformulation du droit interne à partir de 1975 », objet du troisième chapitre de ma seconde partie (pp. 985 et s.).

Page 1204, la piste d’un prolongement de la réflexion sur les politiques publiques prétendant faire plus de place au « libre choix » de l’école n’est qu’évoquée, compte tenu du « cadrage dominant » familialiste souligné dans la suite du propos de Lorenzo Barrault-Stella (v. aussi Jean-Paul Delahaye, Grande pauvreté et réussite scolaire. Le choix de la solidarité pour la réussite de tous, Rapport IGEN, mai 2015, 224 p., spéc. pp. 94 et s., avec les références citées) ; elle peut être explorée à partir du « chèque éducation ».

Actualité contentieuse, dans le contexte français : mi-avril, il ressortait d’un article de presse que « le tribunal administratif de Rouen a rejeté le référé déposé par la Ville de Val-de-Reuil et des parents d’élèves du collège Pierre-Mendès-France » ; était en cause « le choix du Département [sic] de fermer le collège rolivalois – dans le cadre de la nouvelle carte scolaire –, dès la fin de l’année scolaire, en juin ». Le maire PS de la ville, Marc-Antoine Jamet, indiquait que « la cassation du référé » avait été sollicitée (Paris-Normandie.fr 17-18). Ce 16 avril, le président du tribunal avait plus précisément rendu deux ordonnances et le Conseil d’Etat s’est prononcé le 18 juillet (AJDA du 30, p. 1516, obs. Jean-Marc Pastor : « Fermeture d’un collège : litige autour d’une compétence partagée Etat-département » ; reprises sur Dalloz-actualite.fr).

Il annule la première pour « erreur de droit », sans pour autant donner raison aux requérants : s’ils pouvaient contester la délibération du conseil départemental de l’Eure du 11 décembre 2017, en ce qu’il était légalement compétent pour définir les « secteurs de recrutement de l’ensemble des collèges sur le territoire de la communauté d’agglomération Seine-Eure », les moyens développés ne sont pas, « en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la délibération attaquée » (CE Ord., 18 juill. 2018, Cne de Val-de-Reuil et a., n° 420043, cons. 3-4 et 7-8).

A propos de la seconde ordonnance, les pourvois sont directement rejetés. Par un arrêté du 12 puis du 14 décembre, le préfet a prononcé « la fermeture de l’établissement public d’enseignement Pierre Mendès France de Val-de-Reuil » (sollicitée par courrier du conseil départemental en conséquence de sa délibération précitée). La condition relative au doute sérieux n’est là non plus pas satisfaite, notamment à propos du « moyen tiré de ce que la décision du préfet de l’Eure [serait] entachée d’erreur manifeste d’appréciation » ; « le juge des référés a porté sur les faits une appréciation souveraine qui, eu égard à la couverture des besoins éducatifs dans le département, n’est pas entachée de dénaturation » (Ibid., n° 420047, cons. 3 et 8).

Signalé au bas de la décision, l’apport essentiel vient de la transposition par le Conseil d’Etat d’une position arrêtée le 2 décembre 1994 (v. ma thèse page 110, spéc. les notes 628 et 629) ; elle consiste à affirmer que « la fermeture d’un collège ne peut intervenir que dans le cadre d’une procédure [distincte de celle de sectorisation] permettant de recueillir l’accord du département », après avoir rappelé que « le législateur a entendu partager la compétence pour l’organisation du service public de l’enseignement du second degré entre l’Etat, d’une part, et, s’agissant des collèges, le département, d’autre part » (cons. 5 et 2). Alors que la décision en cause aura nécessairement des effets sur la réalisation du droit à l’éducation des ex-élèves de cet ancien collège, il convient de remarquer qu’il n’en est pas fait mention ; la référence alternative mobilisée – le service public – reste largement déterminée par les collectivités publiques (v. mon dernier chapitre, pp. 1187 et s.).

Foulard et enfance : la position des institutions onusiennes

En « onze pages », le 10 août, le Comité des droits de l’Homme (CoDH) a constaté une double violation par la France du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) dans l’affaire dite Baby-Loup ; telle est l’information rapportée par Marie Lemonnier dans L’Obs (site web) 24 août 2018, qui « s’est procuré le texte de la décision et a recueilli la réaction de Fatima Afif ».

Il convient d’abord de souligner la stratégie de ses conseils, Claire Waquet et Michel Henry, exposée comme suit par cet avocat : « Nous avons choisi de saisir le comité des droits de l’homme de l’ONU moins directement efficace mais plus constant dans ses décisions que la Cour européenne des droits de l’homme, qui a tendance à laisser une large marge d’appréciation aux Etats » (il en va de même de la Cour de justice de l’Union européenne) ; il « ne s’est pas dérobé et répond de façon très méthodique à tous les arguments échangés. Cette décision répond à une conception dévoyée et autoritaire de la laïcité, qui se pare de principes démocratiques pour en réalité viser non pas l’expression religieuse en général mais les musulmans et spécifiquement les femmes musulmanes ».

En attendant de pouvoir consulter la décision, quelques citations peuvent ensuite être reproduites à partir de cet article de presse : l’Etat français « n’explique pas dans quelles mesures le port du foulard serait incompatible avec la stabilité sociale et l’accueil promus au sein de la crèche », alors qu’il « ne saurait en soi être considéré comme constitutif d’un acte de prosélytisme ». Le Comité conclut, d’une part, que « la restriction établie par le règlement intérieur de la crèche et sa mise en œuvre constituent une restriction portant atteinte à la liberté de religion de l’auteure en violation de l’article 18 du pacte ». Est constatée d’autre part « une discrimination inter-sectionnelle basée sur le genre et la religion, en violation de l’article 26 du pacte » (tiret dans le texte, selon la version consultée ; pour d’autres citations, « Crèche Baby-Loup : l’ONU critique la France pour le licenciement d’une salariée voilée », Le Monde.fr 25-26).

Des observations rapides enfin (à propos des passages ci-dessus soulignés, v. ma thèse pp. 470 et s., ainsi que ce billet in fine) : cette décision confirme l’intérêt d’envisager les laïcités au pluriel (v. mon introduction, pp. 19 et s.), pour montrer que l’une d’elles « joue contre les droits » (Stéphanie Hennette Vauchez et Vincent Valentin, L’affaire Baby Loup et la nouvelle laïcité, LGDJ Lextenso, 2014, p. 24 ; italiques dans le texte, à rapprocher d’une déclaration de François Baroin, à qui l’on doit la paternité de l’expression que je souligne : v. ma thèse p. 435, avec les références citées). Dans cet ouvrage de 115 pages, il est fait allusion à une précédente décision du CoDH, 1er nov. 2012, Bikramjit Singh c. France (constatations rendues publiques le 4 févr. 2013, présentées pp. 455-456). Le Comité est l’organe de surveillance du respect du PIDCP, l’un des pactes onusiens de 1966 (pp. 744-745). Il peut se prononcer en urgence, comme il vient de le faire à propos de Lula, qui « doit pouvoir se présenter à l’élection présidentielle » brésilienne (Le Monde.fr 17 août 2018). Une semaine plus tôt, il se serait référé dans sa décision – selon Marie Lemonnier – à ses Observations finales à propos du cinquième rapport périodique de la France, datées du 17 août 2015.

L’été suivant, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CoEDEF) avait publié les siennes, dans lesquelles il prenait position contre le prolongement législatif des arrêts rendus dans l’affaire Baby Loup (CEDAW/C/FRA/CO/7-8, 25 juill. 2016, § 34). Ces observations ont été commentées par Diane Roman, in REGINE, chronique « Droit et genre » de janv. 2016 à déc. 2016, D. 2017, p. 935 ; tout comme à propos des sorties scolaires, l’argument tiré de la liberté de conscience des enfants a été avancé pour justifier la restriction de celle des adultes (sur ce point, v. mes pp. 405 à 410, avec la jurisprudence judiciaire sus-évoquée).

Dans les paragraphes qui précèdent, le CoEDEF émettait notamment le constat – qui reste d’actualité – d’une absence d’« évaluation récente et exhaustive de la loi n° 2004-228 interdisant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics », en particulier concernant « ses éventuels effets limitant ou déniant le droit des filles à l’éducation » (sur ce point, v. mes pp. 959 à 964).

Il arrive aux juridictions (européennes) d’enrichir leur raisonnement en se référant à la position des comités (onusiens) ; il est possible de les qualifier de « quasi-juridictions », ce qui les distingue d’autres institutions des Nations Unies comme les rapporteures spéciales sur la liberté de religion ou le droit à l’éducation, ou encore le Conseil des droits de l’Homme (CDH). Ce dernier a lui aussi pris position pour défendre les droits de « toutes les filles » (Rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, A/HRC/35/11, 5 avr. 2017, 18 p., §§ 30-31). Officiellement, comme l’a rappelé le Ministère de l’Europe et des affaires étrangères le 26 juillet 2018, la « France est très attachée au CDH, qui constitue un cadre irremplaçable pour défendre l’universalité des droits de l’Homme et le multilatéralisme ». Elle devrait donc, pour être cohérente – et crédible, au plan international –, cesser d’ignorer les prises de position onusiennes.

Ajouts au 5 septembre 2018 : signalée ce jour par Stéphanie Hennette Vauchez, cette version non éditée de la décision, mise en ligne sur le site du Défenseur des droits. Je renvoie surtout à son commentaire « Pour une lecture dialogique du droit international des droits humains. Remarques sur les constatations du Comité des droits de l’Homme dans l’affaire Baby Loup, et quelques réactions qu’elles ont suscitées », La Revue des droits de l’Homme ADL (CREDOF), spéc. les §§ 21-22 sur « la notion de discrimination intersectionnelle » ; dans l’ouvrage cité en note n° 46 figure un texte de Kimberlé Crenshaw (traduit de l’anglais par Aurélie Cailleaud), intitulé « Les “voyages de l’intersectionnalité” », p. 29 (il est aussi possible de visionner en ligne son intervention lors du TEDWomen en octobre 2016).

Au § 12, Stéphanie Hennette Vauchez traite du « but légitime » invoqué : le Gouvernement insistait sur la « vulnérabilité particulière des enfants », liée à leur liberté de conscience (§ 4.7 ; v. mes pp. 397 et s.) ; le Comité analyse cet argument aux §§ 8.2, 8.7 et 8.8 (c’est là que prend place la première citation de sa décision reproduite supra).

En notes n° 29 et 31, elle cite trois décisions du Défenseur des droits, en 2013 (le 5 mars, n° MLD-2013-7) et en 2016 (les 30 mai, n° MLD-2016-112 et 16 décembre, n° MLD-MSP 2016-299) ; ne figurant pas dans ma bibliographie – parce que je l’avais cherchée en vain pour la première, et qu’elles m’avaient échappé pour les deux autres –, elles auraient mérité d’être insérées dans le titre de ma thèse consacré aux libertés publiques comme alternatives au droit à l’éducation (v. pp. 461 à 470).

Ajout au 15 septembre 2018 : dans un entretien avec Françoise Champeaux (Semaine Sociale Lamy 13 sept. 2018, n° 1828), l’avocate Claire Waquet envisage de rechercher l’engagement de la responsabilité de l’Etat s’il refusait d’indemniser Fatima Afif (conformément au § 10 de la décision du CoDH).

Ajout au au 9 octobre 2018, modifié le 5 novembre, pour signaler mon billet à propos du Brésil (sur le sort réservé à la prise de position onusienne favorable à Lula).

De Kylian Mbappé à Olympe de Gouges

Quelques jours après la finale de la coupe du monde de football en Russie, le groupe L.E.J sort un clip intitulé « Liberté, Égalité » :

Une brève réaction pour renvoyer au plus long de mes portraits, celui consacré à Flora Tristan, au début duquel est évoquée Olympe de Gouges.

Kylian Mbappé a en effet grandi à Bondy, en Seine-Saint-Denis, comme les artistes du trio précité.

Il a été scolarisé dans l’une des écoles primaires de la ville, qui porte le nom de celle qui revendiquait, entre autres droits, « celui de monter à la tribune ».

Ajout au 30 septembre 2018 : deux jours après l’irruption de Veronika Nikoulchina (en photo ci-dessus et récemment citée dans Le Figaro.fr avec AFP, concernant la santé de Piotr Verzilov), les juges de Strasbourg rendaient l’arrêt Mariya Alekhina et autres contre Russie (n° 38004/12 ; résumé en français, rédigé par le greffe et qui ne lie pas la Cour) : pour des faits s’étant déroulés en 2012, il vient donner raison aux « trois femmes qui ont créé en 2011 le groupe punk Pussy Riot » (Laurence Burgorgue-Larsen, « Actualité de la convention européenne des droits de l’homme (janvier-août 2018) », AJDA 2018, p. 1770, spéc. p. 1778).

« La laïcité, c’est d’abord la liberté de conscience » ; et ensuite ?

Planche reprise du site ac-martinique.fr (2016)

En février, le rapport Clavreul était rendu public et faisait « polémique »[1]. Le 28, Valentine Zuber lui reprochait de mettre « en péril le droit à la liberté de croyance », au nombre des « libertés publiques les plus chèrement acquises » ; Roseline Letteron saluait quant à elle cette « pierre dans le jardin de l’Observatoire de la laïcité ».

L’ironie de cette dernière – concernant la piscine – rappelle celle dont faisait preuve Rémy Schwartz il y a près de vingt ans (pp. 432 à 434 de ma thèse, dans le titre consacré aux libertés publiques pour saisir le bienfait éducation). Selim Degirmenci a pour sa part proposé un commentaire critique[2]. En note n° 25, il est écrit : « Une recherche rapide des occurrences permet de voir que l’expression « principe de laïcité » apparait 3 fois dans le rapport, tandis que l’expression « la laïcité » apparaît elle près de 200 fois » ; le terme « liberté » bien moins et la formulation « droit à » jamais, est-il possible d’ajouter.

Commentant un autre texte remarqué, Jean Baubérot relève que le « « radicalisme irreligieux » ou « athée » » fait rarement l’objet d’investigations[3], avant de préciser en note n° 10 que tout se passe « comme si, en matière de laïcité, une démarche de connaissance n’existait pas et tout un chacun avait la science infuse ! »[4].

Il arrive aussi que des erreurs soient beaucoup trop répétées, y compris dans des textes qu’il appartient au vice-président du Conseil d’État d’assumer[5]. Cité à de nombreuses reprises par Jean-Marc Sauvé le 11 octobre 2017, Jean Baubérot l’est encore plus dans ma thèse, par exemple page 344 avec un rappel proche de celui employé pour titrer ce billet (à propos des cantines, abordées pp. 11-12 par Gilles Clavreul et dans son § 25 par Selim Degirmenci) ; cet intitulé est en réalité inspiré par une tribune d’un autre ancien membre de la Commission Stasi, Patrick Weil, publiée dans Le Monde de ce jour, page 19 : « La laïcité, c’est d’abord la liberté de conscience ».

Dessin conduisant à la première vidéo de la web-série sur « la laïcité » de l’ONG Bibliothèques Sans Frontières, créée par Patrick Weil (mise en ligne le 1er déc. 2017)

En 2006, la Commission Machelon affirmait que c’était « d’abord (…) la liberté religieuse » (citée p. 369). Commençant par une référence à la « laïcité dite « ouverte » » et se terminant par une autre – moins attendue –, à « un droit naturel », le texte de l’historien et politologue se présente comme une réaction – dans un style assez nerveux – fondée sur « une lecture précise et informée de la loi de 1905 » ; destiné à « faire prévaloir partout cette liberté de conscience, l’article 31 » est mis en avant[6].

Cette liberté au sens de la loi de 1905, d’une part, prévaut-elle vraiment « partout » ? Outre ma page 476 où je présente cet article, je renvoie surtout à mes développements pp. 483 et s. Il est montré comment cette liberté a été redéfinie[7]en 2004. Des acteurs ont permis ce retournement (parmi eux, un certain… Patrick Weil ; v. not. pp. 485, 490 et 564), accepté avec beaucoup de facilité par le Conseil d’État (pp. 442 à 444, avec une citation de Pierre-Henri Prélot, « Définir juridiquement la laïcité », in Gérard Gonzalez (dir.), Laïcité, liberté de religion et Convention européenne des droits de l’homme, Bruylant, 2006, p. 121, spéc. p. 124).

D’autre part, puisque le principe de laïcité est depuis lors, en droit et « d’abord », un motif de restriction de la liberté de conscience, qu’en est-il ensuite ? Certes, il reste possible de s’en tenir à la justification admise par les juridictions, françaises et européennes, selon laquelle ces restrictions sont commandées par la liberté (de conscience) d’autrui. Mais s’y intéresser à partir d’autres droits et libertés amène à renverser la perspective : exclure un·e élève de l’école, c’est d’abord porter atteinte à son droit à l’éducation[8].

De la même manière, empêcher une femme de travailler avec un foulard mériterait d’être analysé comme une ingérence dans son « droit d’obtenir un emploi » (alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946 ; à propos de l’alinéa 13, v. mon portrait d’André Philip in fine) ou « de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée », avant d’être considérée comme une atteinte à sa liberté « de pensée, de conscience et de religion » (articles 15 et 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[9]).

Couverture de la revue Constitutions ; publié le 24 mai 2017, soit l’été dernier, un entretien avec Jean-Éric Schoettl, « La laïcité en questions », n° 1, pp. 19 et s., avec in fine la critique de son « invocation brouillonne, parfois même dans des enceintes réputées sérieuses ».

Publié cette fois dans une revue spécialisée, un autre texte se rapproche de la tribune précitée par leur prétention commune affichée : clarifier les choses, sans y parvenir dès qu’il est question de l’école (publique, celle privée – essentiellement catholique – faisant le plus souvent l’objet d’un silence pudique ; v. mes conclusions de chapitres précitées, pp. 521 à 523 et 609-610). Dans cet entretien (v. ci-contre), Jean-Éric Schoettl y évoque les « tenants d’une laïcité dite « ouverte » [procédant à un] retournement de sens de la loi [qui] contredit l’esprit d’un texte dont l’objet est de régler les rapports entre la République et les cultes non en instituant des « droits créances » dans le chef des croyants ».

Sur ce point, je ne suis pas en désaccord fondamental mais je n’emploie pas et plus, pour ma part, ces expressions qui relèvent du discours sur le droit et m’apparaissent piégées. L’auteur évoque « le tracé d’une « ligne rouge » aisée à comprendre, simple à contrôler et effectivement sanctionnée (prohibition de la dissimulation du visage dans l’espace public, interdiction des signes religieux à l’école) » ; comme si les bandanas et les jupes longues étaient incontestablement des « signes religieux »… (v. pp. 452 et s.).

S’il se réfère à deux reprises à la « barrière des droits », la jurisprudence de la Cour n’est envisagée que par rapport à « l’article 9 de la Convention ». Au-delà du « noyau juridique, si dense soit-il », existerait un « pacte de non ostentation » (ou « de discrétion »). Il précise qu’il a en tête, si l’on peut dire, le « niqab » (donc pas « le seul port du voile (s’il demeure discret) », pour reprendre une formule qu’il emploie plus loin, pour envisager une solution à propos des sorties scolaires). Et d’évoquer la jurisprudence relative au « burkini », la plus récente étant européenne et scolaire (CEDH, 10 janv. 2017, Osmanoğlu et Kocabaş c. Suisse, n° 29086/12 ; v. mes pp. 1209-1210).

À propos des crèches de Noël, il décèle « une casuistique subtile, comme dans la jurisprudence sur le voile à l’école à la fin du siècle dernier » ; également évoquée au terme de l’entretien, elle l’était à mon avis bien moins (même si elle avait aussi ses défauts ; l’un d’entre eux est précisément de n’avoir été fondée que sur la liberté de conscience, et non sur le droit à l’éducation : v. supra). Avec l’auteur et plus encore au regard de décisions plus récentes (v. ce billet), il convient aussi de « se demander si le Conseil d’État n’aurait pas mieux fait d’appliquer strictement les termes clairs de l’article 28 de la loi de 1905 ».


[1] v. Cécile Chambraud, Le Monde 24 févr. 2018, p. 14, le titre le présentant comme « plaid[ant] pour une laïcité renforcée »

[2] Selim Degirmenci, « Le rapport Clavreul ou les errements d’un certain discours sur la laïcité », La Revue des Droits de l’Homme ADL 27 mars 2018

[3] Jean Baubérot, « L’ouvrage « La tentation radicale » d’O. Galland et d’A. Muxel : une enquête défectueuse », 10 avr. 2018, précisant publier ce billet avant d’avoir pris connaissance du discours du président au collège des Bernardins.

[4] Ibid. « Employer le même terme de « radicalisation » pour la laïcité et le fanatisme religieux est blessant pour les défenseurs de la laïcité », estime pour sa part le philosophe Henri Peña-Ruiz, « Si M. Macron privilégie une religion, il bafoue la laïcité », Le Monde 12 avr. 2018, p. 22

[5] V. ainsi les textes de Jean-Marc Sauvé, écrits « en collaboration avec » Sarah Houllier : « Liberté de conscience et liberté religieuse en droit public français », 11 oct. 2017, et « Audition par l’Observatoire de la laïcité », 10 avr. 2018, avant les appels de notes n° 74 et 52 ; l’erreur du Conseil d’État – relevée page 447 de ma thèse – se trouve aggravée puisqu’il est cette fois affirmé que la CEDH aurait, dès cet arrêt Dogru de 2008, déclaré la loi de 2004 « conforme à l’article 9 de la Convention » européenne (v. aussi pp. 448, 425, 434, 843 et – à propos de la décision Karaduman également citée, une fois encore prêtée à tort à la Cour –, 441-442).

[6] V. déjà, implicitement l’entretien accordé par Patrick Weil à Stéphane Bou et Lucas Bretonnier, « Il y a un abîme de méconnaissance sur la laïcité », Marianne 2 mars 2018, n° 1094, pp. 38, 39 et 40 : « M. Clavreul ne connaît pas cette disposition de la loi de 1905, pas plus que les ministres qu’il a servis. Ils n’ont donc jamais songé à la faire appliquer ».

[7] Terme qui conduit aussi à mes pp. 618 et 1211, respectivement dans la conclusion de ma première partie et non loin de celle de la seconde, en évoquant un rendez-vous manqué du droit à l’éducation et du principe de laïcité, dès 1992.

[8] V. mon introduction p. 26 ; ce droit de l’enfant peut justifier la restriction de la liberté religieuse de ses parents : v. ainsi ma page 1208, à partir de la jurisprudence de la CEDH, étudiée pp. 821 et s.

[9] V. ma note de bas de page 975, n° 2137, concernant les arrêts rendus par la Cour de justice le 14 mars 2017.

Laïcité à l’école – Dessin d’Azam, repris du blog argoul.com (2016)

Ajout au 30 mai 2018 : dans un entretien publié hier par L’Express.fr, Jean-Michel Blanquer « parle cash » : « La laïcité est la laïcité »… Interrogé sur la « multiplication des écoles confessionnelles catholiques, juives, musulmanes », il répond que… « la France a plusieurs principes constitutionnels à considérer, dont la liberté d’enseignement » (v. mon chapitre 3, pp. 525 et s., spéc. 562 à 570 et 575 à 588 ; pour contextualiser et revenir sur la constitutionnalisation de cette liberté, pp. 201 et s., spéc. 258 à 273).

Ajout au 28 juillet 2018, avec ce billet, en réaction (délibérément retardée) à François Cormier-Bouligeon, « Faire vivre la liberté de conscience », L’express.fr 16 mai 2018, le député du Cher ayant précisé sa place dans l’hémicycle : « le siège n° 300 qui est celui que Jean Zay a occupé ».

Ajouts au 15 octobre 2018, d’abord avec une chronique sous un arrêt récent (v. ce billet, avec in fine une première réaction à ce texte publié lundi dernier à l’AJDA), Charline Nicolas et Yannick Faure tiennent à « rappeler que l’histoire de la laïcité n’est pas seulement une histoire de l’État et des religions, mais une histoire de la liberté de conscience » (p. 1884, spéc. 1887) ; les responsables du centre de recherches et de diffusion juridiques du Conseil d’État croient alors pouvoir s’appuyer sur l’une des contributions à son Rapport public 2004, intitulée « Pour une véritable culture laïque », p. 336.

Émile Poulat, « Il y a la laïcité dans les têtes et la laïcité dans les textes », meltingbook.com 9 déc. 2017 ; portant la contradiction à Laurent Bouvet, Jean Baubérot a pu relever le contresens du rapport Clavreul (févr. 2018, page 6, précisant emprunter la référence à Denis Maillard), franceculture.fr 6 mars 2018

Au-delà de l’erreur de pagination, Émile Poulat n’est plus là pour réagir ; s’il affirmait effectivement que « la question laïque ne se réduit pas à la question religieuse », c’était après avoir déploré « une inculture laïque généralisée qui va de pair avec une inculture religieuse souvent dénoncée » (p. 445, spéc. pp. 447 et 446). Plus loin, surtout, il ajoutait : « Notre expression « liberté de conscience » est fortement codée et susceptible de bien des sens » ; « ce qui fait la substance de notre laïcité : un espace public ouvert à tous, sans exclusion » (p. 450 ; italiques de ce « pionnier dans l’étude de la laïcité » (v. ci-contre), selon la formule de Jean Baubérot. V. les pages précitées, en particulier mes conclusions de chapitres). Page suivante, il terminait en renvoyant à son ouvrage Notre laïcité publique (v. mon introduction, p. 45 ; v. aussi la note de bas de page 21, n° 29).

Ensuite, dans le prolongement de son entretien du 29 mai (v. supra), Jean-Michel Blanquer a indiqué jeudi dernier qu’en matière de laïcité, « 402 cas ont été traités, entre avril et juin, par les équipes dédiées des rectorats » (cité par Mattea Battaglia, « Quand l’éducation nationale se confronte aux atteintes à la laïcité », Le Monde 13 oct., p. 10) ; « des tenues vestimentaires qui posent question », ainsi commence l’énumération des « atteintes » mentionnées par le ministre, selon la journaliste (pour s’en tenir à commenter ce seul point, qui suffit à attester des bégaiements de l’institution, v. mes pp. 458-459).

Enfin, je signale le dossier intitulé « Situations de la laïcité », publié dans numéro 4 de la Revue française de droit administratif (RFDA), pp. 613 et s. Mathilde Philip-Gay écrit : « Entre 1989 et 2004, en dépit de la cohérence de l’avis du Conseil d’État, les chefs d’établissement ont rencontré des difficultés d’interprétation de l’ostentatoire » ; si « le législateur a préféré le critère de l’ostensible » qui, selon elle, « facilitait le respect de l’article 9 de la Convention », elle propose l’« abandon explicite de toute référence à l’ostentatoire dans le contentieux administratif », en particulier « pour évaluer les signes placés par des personnes morales de droit public » (« L’ostentatoire dans l’application du principe de laïcité », p. 613 ; je souligne). Ils sont l’objet de l’étude qui suit (Mathilde Heitzmann-Patin, « Entre crèches et croix : à la recherche d’une cohérence dans l’application de la loi de 1905 », p. 624) ; la contribution de Victor Guset (« Les aumôniers entre les Églises et l’État », p. 639), si elle s’intéresse surtout à l’actualité de la question en milieux pénitentiaire, hospitalier et militaire, me donne l’occasion de renvoyer à mes développements sur les aumôneries dans l’enseignement du second degré, à partir de l’article 2 alinéa 2 de la loi du 9 décembre 1905 (pp. 334 et s.).

Ajout au 29 septembre 2019 : d’une part pour signaler cet article de Cécile Chambraud, « La mémoire retrouvée du diocèse de Pontoise » (en version papier dans Le Monde de demain, p. 11), montrant « que l’autorité ecclésiastique avait été alertée à plusieurs reprises, à la fin des années 1960, sur les « comportements inquiétants » de l’aumônier catholique du lycée public d’Enghien-les-Bains (Val-d’Oise) envers des collégiennes et lycéennes » ; d’autre part pour renvoyer à mon billet de ce jour, à l’occasion duquel j’ai :

  • inséré les illustrations et notes de bas de page qui précèdent,
  • légèrement modifié le texte, pour l’alléger et,
  • repris surtout les références au prétendu « communautarisme ».

(le droit à) « l’éducation à la sexualité »

« Lutter contre le harcèlement de rue est un objectif louable mais ne relève-t-il pas davantage de l’éducation, de la sensibilisation (…) ? ». Ainsi s’interrogeait la professeure de droit pénal Audrey Darsonville, fin 2017 (« Appliquons la loi sur les violences sexuelles », Libération.fr 19 nov.).

Vernor Muñoz Villalobos (rapporteur spécial sur le droit à l’éducation, 2004-2010), escuela.entreculturas.org 2020 ; le citant en 2014, au nom de l’ONG Plan International, v. ma thèse, 2017, p. 792

A peu près au même moment était rendu public le Rapport annuel droits de l’enfant 2017 (Au miroir de la Convention internationale des droits de l’enfant), nov. 2017, 119 p. ; « l’éducation à la sexualité » retenait « particulièrement » l’attention de Jacques Toubon et Geneviève Avenard (« Editorial », p. 2, spéc. p. 3), justifiant d’avoir consacré à sa « mise en œuvre » la partie 3 du texte (pp. 90 et s.). Il est cependant remarquable que le Défenseur des droits (DDD) et son adjointe ne l’abordent pas comme tel (comparer l’intitulé de la partie 2, à propos de celle du « droit à la santé », pp. 42 et s.).

Page 91, le lien est pourtant établi avec le droit à l’éducation, en citant le dernier rapport du premier successeur de Katarina Tomaševski, Vernor Muñoz Villalobos ; s’il est possible de l’interpréter comme une victoire posthume de Paul Robin et Madeleine Pelletier (v. les pages signalées à son propos dans ce billet), l’écho de ce texte onusien de 2010 reste très limité : le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE) le citait, en 2016, mais en publiant les résultats d’une enquête soulignant surtout les insuffisances de cette éducation à la sexualité en France.

Établissement d’enseignement secondaire Georges-Pompidou, ville-claix.fr, cité en exemple ci-contre, en renvoyant à Laurence Communal, « Éducation à la sexualité dans les collèges en France : la place du genre », La santé en action sept. 2017, n° 441, 51 p. (spéc. pp. 26-27)

Si certaines expériences sont saluées par le DDD (v. ci-contre), l’approche a lieu de manière « encore trop sanitaire » et sans « généralement » aborder le concept de genre : « L’éducation à la sexualité devrait permettre, au-delà du rappel du cadre pénal qui borne les relations interpersonnelles et la condition du consentement, de questionner les normes sociales entourant la sexualité » (pp. 100-101).

Dans l’un de ses derniers entretiens (avec Annick Cojean), Françoise Héritier déclarait qu’« il faut que l’école y aille fort si l’on veut contrer ce qu’entendent les enfants à la télévision, dans la rue, la pub, les BD, les jeux vidéo et même à la maison » (« Il faut anéantir l’idée d’un désir masculin irrépressible », Le Monde.fr 5 nov. ; dans le même sens, Maryse Jaspard (entretien avec, par Anaïs Moran), « Il faut lutter contre les pseudo-valeurs masculines liées à la virilité », Libération.fr 26 oct.). Loin du « nouveau paradigme » également appelé de ses vœux par l’historien Claude Lelièvre (v. son billet du 27 nov.), le ministre de l’Education nationale articule sa réponse en termes de « lire, écrire, compter et respecter autrui » (« Stéréotypes sexistes : Blanquer contre Macron ? », Le Café Pédagogique 1er déc.)…

D’un point de vue juridique, le Comité européen des droits sociaux a, dans une décision Interights contre Croatie du 30 mars 2009, procédé à une consécration habile du « droit à l’éducation sexuelle et génésique » pour sanctionner des stéréotypes homophobes (ma thèse, pp. 893 et s.). Outre la mobilisation du concept de genre par les comités onusiens (pp. 790 et s.), mes développements pour un droit à l’éducation « inclusive sensible au genre » figurent pp. 1066 et s. (spéc. 1078 à partir de la thèse de sociologie d’Élise Devieilhe, sur la France et la Suède ; v. aussi la conclusion de ma seconde partie, pp. 1221 et s., spéc. p. 1223). Cette question révèle l’utilité de ce droit par rapport à la référence alternative à la liberté de conscience (à propos des établissements privés sous contrat, v. pp. 596-597 ; 1194-1195 surtout, en citant Stéphanie Hennette Vauchez dans l’une des chroniques du projet REGINE – v. ci-dessous).

regine.u-paris10.fr

Le 18 janvier, la Cour européenne a communiqué sa décision d’irrecevabilité A.R. et L.R. contre Suisse, n° 22338/15 : une mère avait sollicité une dispense des leçons prévues à l’école primaire pour sa fille, sur la base d’un texte prévoyant une participation « obligatoire, car tous les enfants et adolescents ont droit à une éducation sexuelle » (reproduit au § 17) ; à la requérante qui contestait l’existence d’un « but légitime dans la présente affaire », pour « des enfants âgés de 4 à 8 ans », se trouve opposée la « protection » de leur « santé physique et morale » : elle justifie « la prévention des violences et de l’exploitation sexuelles » par l’éducation, dans l’« intérêt » de la société (§§ 34 et 35).

La Cour s’inscrit ensuite dans la continuité de son arrêt Osmanoğlu et Kocabaş (v. le § 38), rendu un an plus tôt à propos de cours de natation (v. mes pp. 1209-1210) ; parce que « convaincue que les leçons d’éducation sexuelle en cause ne poursuivaient pas un but d’endoctrinement des enfants », elle conclut que « les autorités suisses ont respecté la marge d’appréciation qui leur est reconnue par la Convention » (§§ 42 et 46 pour l’article 8 sur la « vie privée et familiale », et 49 pour le suivant relatif à « la liberté de pensée, de conscience et de religion »).

Françoise Vouillot, membre du HCE, de 2015 à 2019, haut-conseil-egalite.gouv.fr

Cette marge d’appréciation, la France pourrait l’utiliser ; au lieu de cela, un article publié le même jour par Isabelle Dautresme fait apparaître en France des « enseignants peu formés à l’égalité » (Le Monde Universités et Grandes écoles 18 janv.) : la journaliste de citer Françoise Vouillot, regrettant l’absence de priorité donnée à ce « combat » (v. aussi son entretien avec et par Agathe Charnet, « Déconstruire ce système de genre », Ibid.), qui contraste avec l’attention prêtée à « la » laïcité.

Au terme d’un article publié à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes (« L’éducation, clé de la lutte contre le sexisme », Le Monde 8 mars 2018, p. 14), Gaëlle Dupont citait la sociologue Sylvie Ayral ; l’autrice de La Fabrique des garçons relevait « une immense panique morale de la société (…) liée à la peur de l’homosexualité » (v. aussi Irène Pereira, « Prendre en compte les questions LGBTQI* à l’école », Nonfiction.fr 6 mars). Quelques jours plus tard, les journalistes Guillaume Lecaplain et Anaïs Moran publiaient une enquête « sur le sexisme érigé en système au sein des classes préparatoires militaires par un puissant groupe d’élèves : les « tradis » » (« Lycée Saint-Cyr : une machine à broyer les femmes », Libération.fr 22 mars).

Causette 29 sept. 2020, dévoilant la couverture de son numéro d’oct., n° 115

Dans un autre entretien avec Annick Cojean, fin 2017, Laure Adler rappelait faire « partie d’une génération qui n’a fréquenté que des lycées de filles, qui se faisaient virer pour une blouse trop courte ou trop échancrée » (« L’affaire Weinstein, une révolution ! », Le Monde des Livres 1er déc.). Venant renouveler une actualité évoquée dans mon introduction (en note de bas de page 53, n° 238), Claire Courbet revient dans un article récent sur ces pratiques administratives qui, curieusement, ne concernent que les filles (Le Monde.fr 23-24 avr.).

Ajout au 12 mai 2018, avec cet arrêté du 4 relatif au prix de la pension et du trousseau des élèves des maisons d’éducation de la Légion d’honneur, JORF n° 0108 : l’article 1er du décret n° 55-1202 du 9 septembre 1955 vise bien les « élèves admises » dans ces maisons ; et pour cause, elles sont toujours non mixtes (pp. 68, 999 et 1000) – comme certaines séances d’EPS ou d’éducation à la sexualité, ou comme le sont les établissements pénitentiaires, notamment pour mineurs (EPM, à propos desquels v. ce billet) –, et c’est bien au concert annuel de ces « demoiselles » que « le président de la République » a assisté, « comme François Mitterrand aimait à le faire avant lui » (Bastien Bonnefous et Solenn de Royer, « Macron sur la voie royale », Le Monde 7 mai 2018, p. 20).

Visuel federation-lgbt.org, en 2012

Ajout au 7 juin 2018 : quelques semaines après la « Journée mondiale de lutte contre l’homophobie et transphobie » (le 17 mai), Arnaud Alessandrin revient sur les recherches récentes consacrées à la (non-)prise en compte de l’expérience transidentitaire à l’école (« Mineurs trans à l’école : épreuves et solutions », Libération.fr ; est exprimé le souci de « les protéger des discriminations »). Du point de vue du droit étudié, la question de « l’inclusion des personnes LGBT dans le milieu scolaire » (selon une formule du commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe) est abordée dans ma thèse pp. 1070 et s.

Ajout au 1er septembre 2018 : après de nombreux exercices de fact-checking (v. Le Monde.fr 16 août ; 17-18 [pour le rapport de l’OMS, v. ma note de bas de page 1069, n° 2688] ; 28 ; 29 ; Claude Lelièvre le 17), Jean-Michel Blanquer fait sa rentrée (entretien avec, par Mattea Battaglia, Nathalie Brafman et Violaine Morin), « Aller à la racine des inégalités sociales », Le Monde 1er sept., p. 8 : « Concernant l’éducation à la sexualité », chaque affirmation est à comparer avec ce qui précède, dès celle d’un respect de « la loi qui veut que trois séquences par an et par niveau soient organisées. L’école agit dans le plus grand respect des consciences ; il n’est pas question d’une éducation sexuelle explicite à l’école primaire, ou de transmettre des connaissances prématurées, mais d’insister sur les notions de respect d’autrui, de connaissance de son corps. L’enfance et la pudeur propre à l’enfance sont respectées. L’interdiction du portable, qui entre en vigueur cette année, participe de cette logique : elle vise entre autres à freiner l’accès des plus jeunes à la pornographie. Je recevrai très prochainement les associations familiales et de parents d’élèves pour éviter toute ambiguïté ».

Ajouts au 30 septembre 2018 : en réaction aux déclarations du pape François, Sylvie Chaperon rappelle que s’« accepter homosexuel reste douloureux pour beaucoup d’adolescents, dont le taux de suicide est supérieur à la moyenne » (« Le Vatican semble renouer avec une sombre histoire », Le Monde le 11, p. 22 ; v. mes pp. 1071-1072) ; le lendemain, le quotidien publie l’enquête de Mattea Battaglia, et Adrien Sénécat (« Education sexuelle à l’école : le retour des rumeurs », Ibid. le 12, p. 12 ; v. aussi Catherine Mallaval et Virginie Ballet, « La sexualité, une question d’éducation », Libération.fr le 13).

L’éducation intégrale est le titre que prendra un temps le Bulletin publié par l’orphelinat Prévost ; illustration empruntée à Bernard Vassor, blogspirit.com 26 nov. 2007

Force est de constater que, dans l’espace public devenu virtuel, certains « contre-publics subalternes sont hélas explicitement anti-démocratiques et anti-égalitaires » (Nancy Fraser, citée par Éric Fassin, « L’irruption des contre-publics », AOC 13-14 févr., à partir de son appel à « repenser l’espace public »). Dans son instructive chronique vidéo, Mathilde Larrère incite à relativiser la nouveauté de cette panique morale (ASI le 14). Plus proche de nous, le nom de Paul Robin peut être à nouveau mentionné (v. supra) ; anticipant la mixité de l’enseignement public, il avait en quelque sorte connu son épisode des « ABCD de l’égalité » (pp. 696 et s., spéc. 699-700, renvoyant à 1074 et s).

Enfin, dix jours avant cette publication au BOEN du 20 (n° 34), cette tribune « Pour l’arrêt des mutilations des enfants intersexes » (Libération.fr le 10) ; « A l’instar de l’homosexualité, l’intersexuation n’a pas à être soignée : c’est à la société d’accepter sa propre diversité ».

Ajout au 5 novembre 2018, pour signaler mon billet sur le Brésil.

Illustrations ajoutées le 7 oct. 2020

170ème anniversaire de la naissance d’Hubertine Auclert

Hubertine Auclert en 1910 (m.centre-hubertine-auclert.fr)

Née le 10 avril 1848 à Saint-Priest-en-Murat (Allier), elle fût, comme le rappelle le documentaire Simone, Louise, Olympe et les autres : la grande histoire des féministes, « la première d’entre toutes à revendiquer ce terme pour elle-même » (YouTube 13 mars 2018, à partir de 27 min.).

A l’approche de ce 170ème anniversaire, un entretien avec Françoise Soldani rappelait le livre qu’elle a publié : La Voix des femmes. Olympe de Gouges, Hubertine Auclert, Marguerite Durand, Madeleine Pelletier. La citoyenneté politique des femmes en France, textes fondateurs (éd. Le Bateau ivre, 2016, 141 p. Pour la première, je renvoie au portrait de Flora Tristan ; Marguerite Durand a donné son nom à un arrêt du Conseil d’Etat, cité en note de bas de page 93 de ma thèse, n° 503 ; s’agissant de Madeleine Pelletier, v. pp. 704 et s.).

L’autrice précise « qu’Alexandre Dumas fils est, en 1872, le premier à employer le mot féminisme et à lui donner un sens politique qui est tout aussi péjoratif que [son] sens médical [originaire] » ; il consiste à l’inverser en « désign[ant] le côté masculin de femmes qui veulent être égales aux hommes » (p. 15 ; et de reproduire la citation qu’il est possible de retrouver en note de bas de page 43 de ma thèse, n° 173, avec un passage souligné pour faire observer qu’il était alors question de droits et d’éducation…).

A propos de la « suffragiste radicale », elle indique : « Au cimetière du Père-Lachaise, où Hubertine Auclert repose, on peut lire sur sa pierre tombale « Suffrage des femmes » » (p. 45, spéc. p. 53). « Dans l’épisode 2 de la saison 2 de la série télévisée Baron noir (2018), la présidente Amélie Dorendeu se recueille après son élection sur [s]a tombe », est-il ajouté dans par Wikipédia, au titre de la postérité d’Auclert (après qu’il a été mentionné que portent son nom une place du 11e arrondissement de Paris – ville où elle est décédée, le 4 août 1914 – et un collège de Toulouse).

Figure dans l’ouvrage son discours du 28 octobre 1879, dans lequel elle « revendique les droits sociaux et politiques des femmes », au nom de l’« égalité » (pp. 54 et s. ; mis en ligne par Marie-Victoire Louis, en 2006, il l’est aussi ici, commenté par Madeleine Rebérioux, Christiane Dufrancatel et Béatrice Slama, en 1976). En introduction, Françoise Soldani évoque « le droit d’étudier (1861, Julie Victoire Daubié, première femme bachelière) », avant de préciser que son livre « ne se présente pas comme un ouvrage historique » (pp. 18 et 23). Dans son entretien précité avec Francine Sporenda, le 3 mars dernier, elle affirme : « Elle a défendu la liberté sexuelle, le droit à l’avortement, les prostituées, et bien sûr le droit à l’éducation des filles » (« leur droit à l’instruction date officiellement de 1880 », est-il écrit plus loin). Je souligne, sans partager ce point de vue, en renvoyant à mon introduction, page 40, à partir de la contribution de Nicole Arnaud-Duc dans le quatrième tome de l’Histoire des femmes en Occident, ainsi qu’à mes développements pp. 992 à 995. Il ne s’agit nullement de nier l’importance qu’elle accordait à l’enseignement des filles, illustré par exemple à propos  de la loi Sée (p. 90), mais seulement de douter de la référence au droit à (qui ne figure pas dans cette loi du 21 décembre 1880 ; v. p. 642).

Auclert était aussi critique de l’administration coloniale, en Algérie (v. la note de bas de page 371, n° 2317). Entrer son nom dans le pdf de ma thèse conduit à d’autres développements – tels ceux relatifs à l’affirmation du droit étudié sous la Commune de Paris – ainsi qu’au Centre Hubertine Auclert pour son ouvrage intitulé Manuels scolaires, genre et égalité, juill. 2014, 55 p. (v. aussi ce billet). Outre La Voix des femmes, il est possible de renvoyer enfin au livre de Joan Wallach Scott (traduit de l’anglais par M. Bourdé et C. Pratt), La citoyenne paradoxale. Les féministes françaises et les droits de l’homme, Albin Michel, 1998, 286 p. « Le « social » et ses droits : Hubertine Auclert et la politique de la Troisième République », tel est le titre du chapitre 4 (pp. 127 et s.).

Ajouts au 10 mai 2018 : la célébration de son village natal, le 28 avr. ; l’édito de Marie-Pierre Badré, présidente du Centre Hubertine Auclert, déléguée spéciale à l’égalité femmes-hommes à la Région île-de-France, daté du 3 mai ; c’est aussi l’occasion de signaler cette banderole du 1er mai 1968 – revendiquant le « droit aux vacances, à l’instruction, au métier » –, découverte grâce à l’historienne Mathilde Larrère.

Ajout de l’illustration au 29 décembre 2019.

 

« Parcoursup » : la position du Conseil constitutionnel

Dans sa décision Loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, n° 2018-763 DC, le Conseil constitutionnel a, sans surprise, rejeté le recours formé contre certaines dispositions de ce texte. Je me limite à quelques observations rapides : il est d’abord fait référence, dans les visas, à « l’arrêté du 19 janvier 2018 de la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Parcoursup » ». L’argumentation des requérants est cependant écartée rapidement ; pour le Conseil, « les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de modifier rétroactivement ou de valider » cet arrêté (cons. 4 et 7).

Il est ensuite noté que le « paragraphe I de l’article 1er de la loi déférée réécrit l’article L. 612-3 du code de l’éducation, qui détermine les règles d’inscription dans les formations initiales du premier cycle de l’enseignement supérieur dispensées par les établissements publics » (cons. 2) ; cette loi n° 2018-166 mériterait une étude à part entière ; tout juste sera-t-il noté que la liberté « de s’inscrire dans l’établissement de son choix » – prévue depuis la loi Savary (en 1984 ; v. l’un de mes chapitres sur la « liberté de l’enseignement », pp. 207 et s., spéc. 217) –, a disparu.

Enfin, dans ses considérants 11 à 13, le Conseil constitutionnel se refuse à reformuler le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 pour lui faire affirmer le droit à dont l’émergence est étudiée dans ma thèse (v. spéc. pp. 1092 et s.).

Le hasard veut que deux textes publiés ce même jour procèdent à cette affirmation. Celui d’Elena Belova d’une part, dans sa « Chronique des constatations du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, année 2017 : quelques précisions sur la compétence ratione temporis et sur le droit au logement », La Revue des Droits de l’Homme ADL 8 mars 2018). Au § 8, à propos de l’affaire Mohamed Ben Djazia et Naouel Bellili c. Espagne (communication n° 5/2015, 20 juin 2017), elle écrit que, rappelant que « les droits de l’[H]omme sont indivisibles et interdépendants » (§15.4), le CODESC a estimé qu’une interprétation large du droit au logement s’imposait et qu’il était indispensable de l’interpréter à la lumière d’autres droits de l’Homme, notamment le droit à une vie familiale (l’unité de la famille) et le droit à l’éducation des enfants ». Se reporter au texte de ce paragraphe 15.4 montre que le contraste n’est qu’apparent : « L’obligation faite à l’État partie d’agir au maximum de ses ressources disponibles pour reloger les personnes expulsées qui ont besoin de l’être suppose que l’on protège l’unité familiale, en particulier lorsque les personnes concernées ont des enfants à charge à l’éducation et aux besoins desquels elles doivent pourvoir ». Il n’empêche qu’il est auparavant bien fait référence à cette indivisibilité des droits, et l’affirmation de celui étudié est fréquente dans les textes produits par cette institution onusienne (pp. 748 et s.).

Celui du prêtre et jésuite Gaël Giraud, d’autre part, intitulé « L’éducation des jeunes filles est un défi planétaire pour le XXIe siècle », Le Monde 8 mars 2018, p. 24 : pour l’économiste en chef de l’Agence française de développement, par ailleurs directeur de ­recherche au CNRS, les « disparités sont particulièrement criantes en Afrique subsaharienne où, pour 100 garçons non scolarisés au primaire, 123 filles se voient refuser le droit à l’éducation. Dans le même temps, fait historique sans précédent, en Occident au sens large (Europe, Japon, Corée du Sud, anglosphère) le niveau ­éducatif des femmes est devenu supérieur à celui des hommes » (sur ce point, v. les pages 55 et 56 de mon introduction, précédant l’annonce de mon plan).

Ajout au 30 avril 2018, en renvoyant – dans la continuité des lignes qui précèdent – aux derniers mots d’Hubert Védrine, présentant ses « scénarios-monde » dans la seconde partie de La Grande table d’Olivia Gesbert, le 25

Ajout au 31 août 2018 : « A l’approche de la rentrée universitaire, la lenteur et l’engorgement de la nouvelle plate-forme inquiètent », note Camille Stromboni dans Le Monde du 23 (« Parcoursup : le gouvernement au pied du mur », p. 10) ; deux jours plus tard, elle cite « Jacques Toubon, dans un courrier en date du 8 août adressé à ­Stéphane Troussel, président du ­conseil départemental de Seine-Saint-Denis » : « J’entends traiter ces questions de manière prioritaire », écrit le Défenseur des droits, qui « instruit le dossier Parcoursup » (Le Monde 25 août 2018, p. 7).

Ajout au 15 septembre 2018, avec Jacques Toubon dans Politique ! Le DDD commence par évoquer Parcoursup, avant de revenir plus largement sur son action : des prises de positions « articulées et démontrées » en droit dans une perspective d’effectivité des droits. Il termine par une métaphore footballistique (reprise dans le titre de l’émission) : elle pourra susciter des objections sur ce terrain, mais son esprit ne pourra être qu’approuvé.

De Marie Curie à Paul Langevin

Crédits : LASKI/SIPA (franceculture.fr 6 oct. 2016)

En 1903, Marie Skłodowska-Curie fut la première femme à obtenir en France un doctorat de sciences physiques (v. Juliette Rennes, Le mérite et la nature. Une controverse républicaine : l’accès des femmes aux professions de prestige, 1880-1940, Fayard, 2007, p. 559, recensant les « premières »).

Dans un article intitulé « Egalité des sexes : les manuels d’enseignement moral et civique peuvent mieux faire », Violaine Morin écrit : « Sur un corpus de vingt-cinq manuels d’EMC parus après juin 2015, le centre Hubertine-Auclert (…) conclut à une ” certaine invisibilité ” des femmes célèbres, dont les occurrences constituent une liste éclectique où, à la différence des figures masculines, le nombre de mentions n’a pas de rapport avec le degré de célébrité du personnage : Marie Rose Moro, pédopsychiatre à Paris, est citée plus souvent que Marie Curie » (Le Monde 16 janv. 2018). Huit jours plus tard sortait en salle le biopic de Marie Noëlle, et il est possible aussi de visionner Marie Curie, au-delà du mythe (documentaire réalisé en 2011). Jusqu’au 4 mars, une exposition lui est consacrée au Panthéon ; invité le 6 novembre dernier par Mathieu Vidard, avec les physiciennes Elisabeth Bouchaud et Héléne Langevin Joliot (sa petite fille), le directeur du Musée Curie (Renaud Huynh) explique que l’exposition est aussi une occasion de parler de Pierre Curie (1859-1906).

« Derrière chaque grand homme se cache une femme » ; attribué à Gabriel Marie Legouvé, le père d’Ernest (v. ma thèse, pp. 79 et 992), cet adage hétéronormé pourrait-il être retourné ? A l’époque, rien n’est moins sûr, au regard de « l’affaire Langevin/Curie » (novembre 1911)[1], qui a inspiré un spectacle pensé par l’historien Gérard Noiriel et l’actrice Martine Derrier. Mais aujourd’hui ? Spécialiste des questions d’éducation pour le journal Le Monde, Mattea Battaglia rappelait – dans un article publié le même jour que celui précité – « le recours, à la Libération, à deux professeurs au Collège de France, Paul Langevin, physicien, et Henri Wallon, psychologue, pour élaborer le projet global de réforme dont on vient de célébrer le 70e anniversaire » (« Tout l’univers de Jean-Michel Blanquer »).

Image reprise sur histoires-de-sciences.over-blog.fr 10 août 2017

Un an après le décès du premier, ce plan Langevin-Wallon (1947) appelait à l’inscription dans la loi du « droit de tous les enfants, de tous les adolescents à l’éducation » (v. pp. 717 et s.) ; il faudra attendre la loi Jospin pour que ce soit le cas (pp. 985 et s., spéc. pp. 989-990 à propos du plan et de la mixité, avec une citation de Nicole Mosconi, l’une des membres de mon jury).

Ajouts au 12 mai 2018

Si la page Wikipédia consacrée à Sarmiza Bilcescu-Alimănișteanu la présente, à ce jour, comme « la première femme docteure en droit dans le monde », en 1890 (p. 1225, dans ma conclusion générale), l’encyclopédie libre rappelle qu’elle fut précédée, deux ans plus tôt, par la belge Marie Popelin (évoquant « la première femme docteure en droit » de son institution, Yvon Englert, cité par Jean-Pierre Stroobants, « L’Université libre de Bruxelles, engagée et citoyenne », Le Monde Économie & Entreprise 9 mai 2018 ; une question posée à cet « ancien doyen de la faculté de médecine et recteur, depuis 2016, de l’ULB, créée en 1834, quatre ans à peine après la naissance de la Belgique », permet de renvoyer à un autre billet : « Ce qui était décrit, il y a quelques années, comme une véritable ” invasion ” des établissements belges pose-t-il problème ? ” Non, sauf peut-être dans quelques filières qui ne sont pas extensibles. Les étudiants français sont comme les autres, bénéficient des mêmes droits et des mêmes statuts “, explique Yvon Englert »).

Ajouts au 20 juill. 2018

A l’occasion de l’entrée de Simone Veil au Panthéon, la rédaction de Mediapart rappelait, le 1er juillet : « En 1907, Sophie Berthelot n’a accompagné son mari qu’en hommage à « sa vertu conjugale ». En 1995, soit plus de soixante ans après sa mort, la scientifique Marie Curie était la première femme à pénétrer le saint des saints, pour ses qualités propres, en même temps cependant que son mari. En 2015, les deux résistantes Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz lui succèdent, poussées par les revendications grandissantes des associations féministes sur ces questions ».

Dans une tribune publiée dans Le Monde, le 8, page 28, Lauren Elkin traite de la représentation des femmes dans l’espace public : elle évoque « Marie Curie (avec son mari bien sûr) dans le 5e [arrondissement de Paris,] George Sand au jardin du Luxembourg, en robe, et non en costume d’homme, tenue qu’elle préférait [et] Maria Deraismes, seule femme ouvertement militante féministe dans le groupe, au square des Epinettes, dans le 17e » (pour une autre citation de son texte, v. ce portrait in fine).

Sarmiza Bilcescu et Jeanne Chauvin sont évoquées par l’historienne Bibia Pavard dans l’émission Les Savantes de Lauren Bastide (première diffusion le 14). L’étudiante d’origine polonaise dont le nom – français – donne son titre à ce billet n’est pas directement mentionnée dans ma thèse (à propos des étudiantes étrangères, v. par contre la note de bas de page 80, n° 418) ; tout juste est-il question de l’école élémentaire Marie Curie à Bobigny, en Seine-Saint-Denis (note de bas de page 1131, n° 3119).

Ajouts au 23 septembre 2018

Dans un entretien avec Philippe Meirieu (« Blanquer ne va pas faire progresser l’école », Mediapart 18 sept. 2018), Faïza Zerouala intègre à l’une de ses questions un lien à propos du plan Langevin-Wallon ; fin 2017, Emmanuel Laurentin invitait certains des auteurs du livre mobilisé dans mes développements y relatifs, signalés ci-dessus. L’émission commence avec un épisode de La fabrique de l’histoire scolaire, conçue par Séverine Liatard. Cette immersion au lycée Jean Zay d’Aulnay-sous-Bois (93) aborde la distinction entre histoire et mémoire ; elle donne aux intervenants l’occasion de faire le lien avec cette figure du Front populaire, à qui j’ai consacré ce billet.

Image reprise chezmamielucette.eklablog.com 17 mars 2019

Cette semaine a été difficile à Nanterre (92) : une partie du corps enseignant déplore les conditions dans lesquelles s’est opérée la fusion du lycée professionnel Paul Langevin avec celui polyvalent Frédéric et Irène Joliot-Curie ; la fille de Pierre et Marie était l’une des « trois « sous-secrétaires d’Etat » femmes » nommées par Léon Blum en 1936, « dans un pays où les femmes ne votent pas » (Michelle Perrot (entretien avec, par Anne Chemin), « Cette panthéonisation est une exception », Le Monde Idées 30 juin 2018, à l’approche de celle de Simone Veil). Le Parisien signale la mise en œuvre, ce mardi, du droit de retrait.

Ajout au 23 octobre 2019, pour signaler ce billet à propos de son actualité.

Ajout des illustrations au 29 décembre 2019, en signalant au passage :

  • une réponse ministérielle du 30 mai 2019, p. 2870, « Situation du lycée Paul Langevin de Suresnes » ;
  • cet extrait de Florence Rochefort, « Le rôle laïcisateur du Planning familial (1956-1968) », in Bard et J. Mossuz-Lavau (dir.), Le Planning familial : histoire et mémoire (1956-2006), PUR, 2007, p. 53, spéc. p. 62 : « À la démarche de vulgarisation engagée par l’aile laïque du [Planning] s’associent des mouvements laïques, notamment l’Union rationaliste (qui se trouvait déjà engagée, dans les années trente, aux côtés de Berty Albrecht pour la réforme sexuelle, en la personne de son fondateur Paul Langevin) ».
  • ce livre de Sylvain Laurens, Militer pour la science. Les mouvements rationalistes en France (1930-2005), EHESS, 2019, recensé par Régis Meyran, scienceshumaines.com en juillet.

[1] En 2020, dans sa recension du biopic de Marjane Satrapi, Charlotte Chaulin retourne la formule à propos de Pierre Curie (« Radioactive. Un film sous haute tension », herodote.net 6 mars ; extraits in fine) ; Le Monde des Livres du 15 mai proposant « 40 livres pour rêver le monde d’après » (p. 8), la neurologue Isabelle Arnulf en retenait un à propos de Marie Curie (1867-1934), ou plutôt trois : elle « n’a écrit que des articles scientifiques, mais le récit de sa vie – qu’elle soit encensée par sa fille dans la « Bibliothèque verte » (Madame Curie, par Ève Curie, réédition Folio, 1981), plus classique dans Marie Curie, par Janine Trotereau (Folio, 2011), ou que l’on découvre ses amours cachées dans Marie Curie prend un amant, d’Irène Frain (Seuil, 2015) – est un récit de courage. Courage de résister aux Russes en Pologne, de décider de sa vie avec sa sœur, de travailler, de combattre le machisme, de croire qu’éducation et science apporteront forcément, fatalement le bonheur à l’humanité. Tout en faisant du vélo avec son Pierre de mari, en nageant en Bretagne et en élevant ses filles. J’aime bien ce courage. Il m’en donne, pour le « monde d’après » (note du 30 mai, à l’occasion de ce billet).

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Foulard et accompagnatrices de sorties scolaires

Le Cercle des enseignant.e.s laïques, en partenariat avec le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), a réalisé un bref support pédagogique intitulé « Laïcité et sorties scolaires » ; il est disponible sur YouTube depuis le 16 janvier 2018. Les étapes qui y sont rappelées sont analysées dans ma thèse pp. 404-405 et 516 à 520 ; la page suivante permet de situer le propos (conclusion du chapitre 2 du titre consacré aux libertés publiques comme alternatives au droit à l’éducation).

Interdire le foulard aux accompagnatrices de sorties scolaires ne sert pas la réalisation du droit à l’éducation, dont l’affirmation fait l’objet de ma seconde partie (pp. 627 et s.) ; comme d’autres restrictions, celles que s’autorisent encore certains établissements – publics comme privés (v. l’ordonnance signalée en note de bas de page 609) – pourraient être considérées comme portant atteinte à l’obligation internationale de faciliter l’exercice de ce droit (pp. 1180 et s.).

Ajouts au 30 mai 2018, avec d’une part ces textes du président d’honneur de la LDH Michel Tubiana, le 20 avril et du chargé de mission à la LDE Charles Conte, le 28 ; d’autre part, le 17 mai, la revue de l’association lyonnaise de droit administratif rendait compte d’un jugement ambigu (TA Lyon, 19 oct. 2017, Mmes B. et C., n° 1505363 ; Rev.jurisp. ALYODA 2018, n° 2, concl. J. Arnould et note N. Charrol). Il l’a été aux conclusions timidement contraires du rapporteur public et se trouve frappé d’appel devant la CAA de Lyon (n° 17LY04351) ; était en cause l’école primaire Condorcet (et Marcel Pagnol) de Meyzieu : dans une lettre en date du 2 avril 2015, la rectrice d’académie interprétait l’étude du Conseil d’État de décembre 2013 dans le sens de l’interdiction (v. les pages préc., spéc. 519).

Ajout au 30 septembre 2018 : Dominique Schnapper, dans un entretien avec Joan Scott (propos recueillis par Anne Chemin, sous le titre « Laïcité, de la théorie à la pratique ») publié hier dans Le Monde Idées, réagit à son évocation de la circulaire Chatel : l’ancienne membre du Conseil constitutionnel ne prend aucune distance avec ce texte de… 2012 ; s’il « interdit aux femmes voilées d’accompagner les sorties scolaires, ce n’est pas parce que les signes religieux sont interdits dans la rue, mais parce que les accompagnatrices sont considérées comme des « auxiliaires » du service public ». La sociologue préside le « Conseil des sages de la laïcité » de l’Éducation nationale…

Ajout au 29 septembre 2019 (avec les dernières parenthèses le 9 octobre) : dans un arrêt du 23 juillet, la CAA de Lyon a rejeté l’appel susmentionné ; la situation litigieuse ne visant pas, à proprement parler, les sorties scolaires, la Cour s’autorise à ajouter une nouvelle implication au « principe de laïcité de l’enseignement public », remontée – par rapport au jugement précité – dans le considérant de principe (n° 17LY04351, cons. 3). Compte tenu de la position « personnelle » du ministre, il fait peu de doute que ses services défendront celle de la rectrice devant le Conseil d’État (sous réserve qu’il ait bien été saisi) : que des mères portant un foulard « participent à des activités qui se déroulent à l’intérieur des classes » (cons. 4), quel affreux « communautarisme » (Dominique Schnapper) !

Ajout au 7 janvier 2020, pour signaler ma note sous cet arrêt ; Rev.jurisp. ALYODA 2020, n° 1 : « Interdiction des mères voilées dans les locaux scolaires : quand la laïcité repose sur une croyance ».