Le droit à « l’éducation aux droits et aux devoirs liés à l’usage de l’internet »

La loi du 3 août 2018, « relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire », peut faire l’objet de quelques observations rapides. Répondant à une « promesse de campagne du candidat Macron » (Violaine Morin, « Bientôt une loi pour interdire le portable à l’école », Le Monde 30 mai 2018, p. 11), l’annonce du texte avait suscité une tribune de Fabrice Melleray (« Le législateur et le collégien », AJDA 2018, p. 593). Rappelant que l’article L. 511-5 du Code de l’éducation trouve son origine dans la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 « portant engagement national pour l’environnement », il s’interrogeait sur l’effet pratique de la reprise de cette interdiction. Il concluait sur le contraste à voir le Parlement, « largement exclu de la réforme du code du travail et de la réforme ferroviaire », cependant « saisi de questions qui relèvent très largement de l’ordre intérieur d’établissements publics ».

L’Assemblée nationale a estimé cet encadrement renforcé « indissociable de l’éducation des élèves à un usage responsable du numérique », pour citer la rapporteure Cathy Racon-Bouzon (Rapport enregistré le 29 mai, p. 14). La députée rappelait « l’éducation aux médias et à l’information (EMI) introduite dans le socle commun de connaissances, de compétences et de culture par la loi du 8 juillet 2013 de refondation de l’école de la République » (v. infra). L’extension aux lycées résulte quant à elle de la proposition de Stéphane Piednoir, au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat (Rapport déposé le 4 juill.).

Lors de la codification en 2000, l’article L. 312-9 se limitait à affirmer : « Tous les élèves sont initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique » ; étoffée par l’article 16 de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 (« favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet »), avant que celle n° 2013-595 du 8 juillet 2013, dite Peillon, ne vienne par son article 38 mentionner « une sensibilisation aux droits et aux devoirs liés à l’usage de l’internet et des réseaux, dont la protection de la vie privée et le respect de la propriété intellectuelle ».

L’article 2 de loi n° 2018-698 substitue au terme souligné celui d’« éducation » et complète la formule citée comme suit : « , de la liberté d’opinion et de la dignité de la personne humaine. Elle contribue au développement de l’esprit critique et à l’apprentissage de la citoyenneté numérique ». Au terme de cette reformulation se trouve consacrée l’expression éducation aux droits qui sert de titre à ce site, dans le prolongement de la conclusion de ma seconde partie (thèse, pp. 1221 à 1224).

Le jour de ma soutenance, le Conseil de la Jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait un colloque intitulé « Fake news, armes de désinformation massive ? » ; le signalant, la RTC Télé-Liège 11 déc. 2017 souligne « l’importance de l’éducation aux médias ». Modifié par l’article 53 de la loi Peillon, l’article L. 332-5 prévoit : « La formation dispensée à tous les élèves des collèges comprend obligatoirement une initiation économique et sociale et une initiation technologique ainsi qu’une éducation aux médias et à l’information » (ÉMI). Rattaché au « Réseau de création et d’accompagnement pédagogiques » dit « Canopé », le CLEMI indique sur son site que cette éducation – non présentée comme un droit à – « permet aux élèves d’apprendre à lire, à décrypter l’information et l’image, à aiguiser leur esprit critique, à se forger une opinion, compétences essentielles pour exercer une citoyenneté éclairée et responsable en démocratie » (à partir des recherches récentes, v. à ce propos Claire Ravez, « Regards sur la citoyenneté à l’école », Dossier de veille de l’IFÉ juin 2018, n° 125, 40 p., spéc. pp. 10 pour l’ÉMI et 18-19 pour les « liens entre école et droit(s) »).

Dans le cadre du projet de révision constitutionnelle actuellement bloqué, des parlementaires ont pu manifester le souhait de « voir apparaître dans la charte [du numérique] un « droit à l’éducation et à la formation au numérique » » (Manon Rescan et Martin Untersinger, « Comment des parlementaires veulent inscrire la neutralité du Net dans la Constitution », Le Monde.fr 22 juin). Cette idée pourrait augurer la reformulation de l’alinéa 13 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (fréquente dans les discours sur le droit, elle n’a toujours pas eu lieu dans la jurisprudence constitutionnelle : v. respectivement pp. 644 et s. et 1092 et s.). Dans une tribune publiée le 9 juillet, Wanda Mastor invitait à ne pas introduire « dans la Constitution ce qui s’y trouve déjà » (« Nouveaux coups de canif dans la Constitution », AJDA 2018, p. 1353) ; ce ne serait pas le cas, là (concernant la volonté de constitutionnaliser la défense de l’environnement à l’article 1er, v. ici).

Ajouts au 7 septembre 2018 :

« Le smartphone à l’école, vice ou vertu ? ». Le Monde 28 août, page 19, publie les tribunes de Loys Bonod, « Il faut préserver les élèves de ces objets qui nous possèdent » et André Giordan, « Il est temps d’utiliser le portable en classe » ; pour le premier, professeur de français en lycée, « la nouvelle loi, adoptée le 30 juillet, comme la précédente [datant de juillet 2010], se défausse entièrement sur les établissements. Les collèges interdisaient localement les téléphones portables dans les cours de récréation ? Ils les autoriseront localement, dans la cour de récréation ou ailleurs ». Le second, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Genève, estime que « l’objectif de l’institution scolaire devrait être de conduire les élèves à un usage serein et pertinent de cet objet emblématique de la société présente et à venir », et la « maîtrise de l’information est un objectif important pour la formation à la citoyenneté »…

En ligne ce vendredi 7 septembre, Violaine Morin, « Les lycéens préfèrent le bénévolat à la politique », Le Monde.fr, rendant compte de l’étude « Bénévolat, projets citoyens, élections, vie du lycée… : les lycéens veulent-ils encore s’engager ? » publiée par le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) : « les connaissances civiques des lycéens semblent être en deçà de l’investissement dans l’éducation à la citoyenneté. Avec douze années d’enseignement spécifique (les cours d’éducation morale et civique commencent dès l’école primaire), la France est en effet le pays européen qui propose dans ce domaine l’enseignement spécifique le plus long ».

Soulignant notamment les différences de genre révélées par l’étude, ainsi qu’un engagement plus important au plan associatif pour les élèves de l’enseignement privé, Kim Hullot-Guiot, « Citoyenneté : les lycéens veulent être utiles mais boudent les formes traditionnelles d’engagement », Libération.fr

Ajout au 27 septembre, complété le 31 décembre 2018, avec la publication au BOEN de cette circulaire n° 2018-114 du 26 : le ministère ne se sent manifestement pas tenu par l’indissociabilité soulignée durant les travaux parlementaires de la loi (v. supra), cela n’étant pas démenti par sa réponse publiée au JO Sénat le 27 décembre, page 6774 ; le terme droit(s) ne fait même pas l’objet d’une seule mention…