A Mayotte, alors qu’il « faudrait créer une classe par jour »…

Le 6 mars dernier, la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, déclarait à l’Assemblée nationale : « Pour être au rendez-vous, il nous faudrait créer une classe par jour » (la1ere.francetvinfo.fr). Remarquant la formule, le chercheur Christophe Rocheland commentait : « On touche aux limites des obligations constitutionnelles françaises d’enseignement public obligatoire et gratuit » (« Le gouvernement fait une erreur d’analyse à propos de Mayotte », Le Monde 21 mars 2018, p. 20 ; à propos de cette tribune, v. en ligne d’autres extraits sur le blog de Michel Abhervé).

Près de trois mois plus tard, le 5 juin, la Section de l’intérieur du Conseil d’Etat rendait un avis – publié par le Sénat le 7 – contenant entre autres considérations ce constat suivi d’une déduction : « Sont notamment constatées une saturation des services sanitaires et une sur-occupation des établissements scolaires, conduisant à une scolarisation par rotation, dont pâtit l’ensemble de la population résidant à Mayotte. Le Conseil d’État estime que ces éléments constituent des caractéristiques et contraintes particulières au sens de l’article 73 de la Constitution » (avis n° 394925, § 10). Autrement dit, parce que les alinéas 11 et 13 du préambule ne sont pas respectés, les situations de fait qui en résultent pour les enfants, loin d’être analysées comme des atteintes à leurs droits à la santé et à l’éducation, justifient que celui de devenir français.e soit à son tour restreint.

Le terme Mayotte comprend une trentaine de mentions dans ma thèse ; l’une d’elles signale les pages pertinentes du Rapport annuel du Défenseur des droits (DDD), consacré en 2016 à celui « fondamental à l’éducation » ; il rappelait s’être inquiété de la situation au début de l’année (v. aussi S. Slama, « Chasse aux migrants à Mayotte : le symptôme d’un archipel colonial en voie de désintégration », La Revue des Droits de l’Homme 2016, n° 10, mis en ligne le 7 juill., en note n° 3). Deux ans plus tard, à l’opinion d’un « observateur de l’aggravation du climat délétère qui règne sur l’île » (Al-watwan.net 21 mars 2018) faisait écho l’expression de la « préoccupation majeure » du DDD le 25 mai, mais là encore « dans l’indifférence (métropolitaine) quasi générale » (pour reprendre la formule de Serge Slama, § 2) ; annexé, son rapport du 9 (5 p.) se termine en rappelant en particulier les « droits fondamentaux des enfants d’être protégées contre toute forme de violence, de vivre en famille et d’accéder à l’éducation ».

 

Ajouts au 12 juillet 2018 : condensant les formules précitées de la ministre et du Conseil d’Etat, la députée LRM Ramlati Ali a rejoint la proposition du sénateur LRM Thani Mohamed Soilihi, soutenue par Emmanuel Macron (« Les députés approuvent la limitation du droit du sol à Mayotte », Le Monde.fr 11 juill. 2018). Dans un article publié récemment à la Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, Vincent Mazeau rappelle que la première femme députée de Mayotte fut l’été dernier la cible d’une « micro-polémique malveillante ayant pris pour objet [s]a photographie officielle (…), qui la représente coiffée du kishali, le châle traditionnel des Mahoraises » (« La cravate et le voile. Réflexions sur les règles relatives aux tenues vestimentaires à l’Assemblée nationale », RDP 2018, n° 3, p. 763, spéc. p. 765) ; dans l’hémicycle, soucieuse de se fondre « dans la masse » (selon son expression), l’auteur note qu’elle décidait « de rabattre le châle de la discorde sur ses épaules, dégageant totalement sa tête » (p. 778). Quelques mois plus tard, le 24 janvier 2018, « le Bureau de l’Assemblée nationale a adopté, dans une remarquable discrétion, une modification de l’article 9 de son instruction générale » (J.-B. Chevalier, « A l’Assemblée, tenue correcte et expression neutre exigées : une (très) contestable restriction de la liberté d’expression des députés », Le blog Droit administratif 23 févr. 2018).

Page 785, Vincent Mazeau rappelle aussi qu’en 1989, « deux députés décidèrent de se rendre dans l’hémicycle la tête voilée par un foulard représentant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pour protester contre la prise de position de Lionel Jospin, ministre de l’Education nationale, qui avait invité les établissements scolaires à accueillir les jeunes filles voilées « en cas de blocage » » (v. sur ce point ma thèse, pp. 412 et s.). Au terme de son article, pp. 788-789, il rejoint la position de Jean-Baptiste Chevalier, qui voit dans le texte précité de l’Assemblée une « limitation de la liberté religieuse injustifiée »… contrairement à celle résultant de loi du 15 mars 2004, qui reposerait sur la nécessaire protection des élèves ; après avoir évoqué le cas de Mayotte page 449, j’estime pour ma part que cette protection est aussi injustifiée, puisqu’elle repose sur un prosélytisme présumé (pp. 483 et s. ; v. aussi, mutatis mutandis, ce billet in fine). Surtout, plus qu’une atteinte à cette liberté, j’y vois une restriction au droit à l’éducation (pp. 26 et 1211-1212).

Ajout au 23 août 2018 : relayée par le Gisti, une « Lettre ouverte à monsieur le préfet de l’île de Mayotte » est publiée aujourd’hui. Cette actualité mérite là encore d’être reliée à l’obligation négative de ne pas porter atteinte au droit à l’éducation, laquelle pourrait être renforcée ; l’Etat doit le respecter et le protéger, il ne saurait laisser des tiers compliquer encore davantage sa réalisation (v. respectivement pp. 978, 1178 et s.).

Ajouts au 12 et 30 septembre, complétés le 23 décembre 2018 : alors que le DDD avait estimé le 26 juillet que « la dérogation au droit commun de la nationalité constituerait une atteinte injustifiée au principe d’indivisibilité et au principe d’égalité » (p. 2), le Conseil constitutionnel a rejeté son invocation devant lui : suivant l’avis précité du 5 juin, il identifie « une différence de traitement qui tient compte des caractéristiques et contraintes particulières [visées par l’article 73 de la Constitution] propres à Mayotte et qui est en rapport avec l’objet de la loi » (CC, 6 sept. 2018, Loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, n° 2018-770 DC, cons. 35 à 47 ; comparer sur ce dernier point aussi le communiqué du DDD, p. 1).

Dans une note publiée à la fin de l’année, Pierre Mouzet attire l’attention sur l’incise relative au « seizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 », en réponse – négative – aux « sénateurs requérants » (cons. 47 et 39). L’annotateur s’interroge sur la portée de cette mention de « l’antépénultième alinéa du préambule de 1946, fût-ce à son corps défendant » (AJDA 2018, p. 2401, spéc. p. 2405) ; en lien avec le début de ce billet, j’en soulignerai pour ma part une formule : « La France forme avec les peuples d’outre-mer une Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion ».

A l’occasion de son déplacement médiatisé à Mayotte, le 28 août 2018, Jean-Michel Blanquer a « plaidé pour que le bureau des étrangers rouvre « dans les plus brefs délais » » ; il « reste bloqué », indique Patrick Roger (Le Monde 11 sept. 2018, p. 12). Publié la veille, un autre article du même journaliste peut être évoqué : dans mon billet du 5 janvier, j’ai ajouté in fine une actualité à propos des titulaires du droit à l’éducation dont l’administration présume la majorité ; pour les jeunes originaires de la Nouvelle-Calédonie qui viennent étudier ici, c’est leur nationalité française qui n’est pas considérée (v. « L’atterrissage périlleux des étudiants calédoniens en métropole », Ibid. 10 sept., p. 6) : il est là aussi possible d’y voir une atteinte à l’obligation internationale de faciliter l’exercice de ce droit (pp. 1180 et s.).

Dans le numéro 47 de la revue Après-demain (2018/3, NF) est publié ce texte de l’ex-ministre et actuelle députée George Pau-Langevin, « Droit à l’instruction Outre-mer : une démarche inaboutie ». J’en reproduis trois extraits (en ordre inversé) : souvent, « la poursuite d’études passe par un départ vers l’Hexagone » (p. 30) ; « la collectivité départementale de Mayotte, parvenue à la pleine compétence depuis peu, ne dispose pas des personnels, ingénieurs ou techniciens suffisamment compétents », et il a été décidé d’« accepter le recours aux préfabriqués jusque-là récusés, pour débloquer la situation et commencer à rattraper le retard » (p. 29) ; en Guyane aussi, il « faudrait quasiment construire une classe par jour » (p. 28, avec la suite dans ce billet in fine).

Maire Ménard et père fouettard

Dans son livre Le Paradis – un peu plus loin, Mario Vargas Llosa met brièvement en scène Flora Tristan dans « l’écœurante Béziers » (Gallimard, 2003, p. 481 : « à peine deux jours, les derniers d’août 1844 »). Récemment, le Conseil d’Etat vient de déclarer illégales des décisions prises par son maire, Robert Ménard, en 2014 (CE, 6 juin 2018, LDH, n° 410774 ; AJDA 2018, p. 1189, obs. Jean-Marc Pastor ; reprises sur Dalloz-actualite.fr) ; d’aucuns pouvaient estimer qu’elles méritaient, pour leur part, le qualificatif désobligeant précité, tant elles constituaient une mauvaise réponse aux problèmes qu’elles prétendaient résoudre.

En l’espèce, il est jugé que « les documents produits par la ville de Béziers n’apportent pas d’éléments précis et circonstanciés de nature à étayer l’existence de risques particuliers relatifs aux mineurs de moins de 13 ans dans le centre-ville de Béziers et dans le quartier de la Devèze pour la période visée par l’arrêté attaqué » (cons. 6, renvoyant au cons. 3). Or, la légalité de mesures de police administrative protectrices des mineurs et préventives de troubles à l’ordre public, « restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs[,] est subordonnée à la condition qu’elles soient justifiées (…), adaptées (…) et proportionnées » (cons. 2). Tel est l’apport essentiel – souligné dans les observations précitées – de cette décision par rapport aux ordonnances rendues par Daniel Labetoulle les 9 et 27 juillet 2001 (Préfet du Loiret, n° 235638 ; AJDA 2002, p. 351, note G. Armand ; Ville d’Etampes, n° 236489).

Etait alors mentionné « l’article 372-2 du code civil, selon lequel la santé, la sécurité et la moralité de l’enfant sont confiées par la loi à ses père et mère, qui ont à son égard droit et devoir de garde, de surveillance et d’éducation ». En 2018, le Conseil d’Etat vise cette fois le bon article (371-2), mais avant de reprendre un « droit (…) d’éducation » qui ne s’y trouve plus mentionné depuis l’article 3 de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002. Cette réinsertion me donne l’occasion de renvoyer dans ma thèse à la « Conclusion de la première partie. Entre absence du droit à l’éducation et références aux droits d’éducation » (pp. 615, spéc. p. 624).

Enfin, si j’ai cédé à la tentation de mobiliser, dans le titre de ce billet, le « père fouettard », c’est pour partager une découverte de cette année que je dois à Louis-Georges Tin : dans une tribune suggérant l’évolution de la « Nuit des Noirs » – prévue le 10 mars, lors du carnaval de Dunkerque (Nord) –, le président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) rappelait les termes employés en 2015 par le comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale à propos du « recours au blackface dans le cadre des cérémonies liées au Père Fouettard (« Zwarte Piet », Pierre le Noir), à Amsterdam : « Considérant que même une tradition culturelle profondément enracinée ne saurait justifier des stéréotypes et des pratiques discriminatoires, le comité recommande que l’Etat travaille à l’élimination de ces traits de caractère de Black Pete qui mettent en œuvre des stéréotypes négatifs ». Et de fait, la ville a commencé à faire évoluer cette cérémonie autrefois saturée de déguisements raciaux » (« Non aux références coloniales », Le Monde 12 févr. 2018, p. 24).

Dès 2014, sur le site de la Radio Télévision Belge Francophone (RTBF 27 oct.), Anina Meeus notait que le débat divise toujours « très sérieusement (…) la société hollandaise », entre « défense de la tradition et lutte contre le racisme » ; il y est fait référence dans la parodie de Donald Trump (« america first netherlands second »), réalisée par le talk-show néerlandais populaire Zondag met Lubach et largement partagée depuis janvier 2017 (je remercie Claske Dijkema pour m’avoir signalé cette vidéo).

Ajout au 5 novembre 2018, pour signaler la note sous cet arrêt publiée ce jour à l’AJDA (pp. 2155 et s.). J’ai connu Hugo Avvenire, son auteur, en tant qu’enseignant lorsqu’il étudiait à Grenoble ; il prépare actuellement une thèse à Toulouse 1 Capitole. Il s’appuie ici et notamment sur les actes d’un colloque s’étant tenu dans cette université le 31 mars 2017 – publiés la même année aux éd. L’Epitoge-Lextenso –, la communication d’Anthony Falgas pouvant être regardée sur YouTube (à deux reprises, juste avant d’évoquer le recours au couvre-feu en Nouvelle-Calédonie, en 1985, il mentionne celui visant les Algérien·ne·s, en 1961). Soulignant la « référence à la catégorie des libertés publiques forgée au XIXe siècle » – lors de l’examen de la recevabilité du recours –, l’annotateur relève « la force (re)structurante de la logique des droits fondamentaux » dont témoigne plus largement la décision commentée. Il conclut que si elle ne lève « pas toute ambiguïté, le Conseil d’État a souhaité un porter un coup d’arrêt, discret mais ferme, [aux] pratiques » de certains maires comme celui de Béziers (pp. 2157, 2158 et 2159).

Affaire de Ris-Orangis : que faut-il retenir du jugement du 16 mars 2017 ?

Photo issue du site du tribunal administratif de Versailles

La Revue des Droits de l’Homme de ce 6 juin 2018 publie la « Chronique de droit des discriminations » pour la période octobre 2016-mars 2017. A propos du jugement rendu par le tribunal administratif de Versailles le 16 mars 2017 (M. et Mme M.), Thomas Dumortier écrit : « En application du principe d’égalité (et non du principe de non-discrimination), un traitement différencié des enfants ne pouvait être fondé, rappelle le juge, que sur des considérations objectives en lien avec le but poursuivi par le service public de l’éducation » (§§ 33 et s., spéc. 37 ; je souligne).

Le droit à l’éducation (ou à l’instruction) n’est pas visé par le chroniqueur, ce qui n’est pas surprenant compte tenu de la rédaction de ce jugement n° 1300665 ; v. les notes de bas de pages 870, 909 et 1132, n° 1472, 1717 et 3130 (taper le numéro de requête dans le pdf de la thèse permet d’y accéder directement). Cela n’avait pas empêché le Défenseur des droits (DDD) de faire référence à celui à l’éducation dans ce communiqué du 14 avril 2017 ; comparer Asefrr, ERRC, GISTI et LDH, « Classe spéciale « roms » de Ris Orangis : rupture d’égalité ou discrimination ethnique ? », communiqué du 2 mai 2017

L’ERRC – European Roma Rights Centre – était parmi les associations autrices avec le MRAP (représentées par Me Lionel Crusoé) d’une intervention en demande devant le TA (16 p.) ; rendue quant à elle en 2009-2010 par le Comité européen des droits sociaux (CEDS), la décision Centre européen des droits des Roms (CEDR) c. France (n ° 51/2008) est présentée pp. 903-904. Concernant cette association, v. aussi la note n ° 1465 à propos de la « tension » soulignée par Eric Fassin dans « La « question rom » » (in E. Fassin, C. Fouteau, S. Guichard et A. Windels, Roms & riverains. Une politique municipale de la race, La Fabrique, 2014, p. 7, spéc. pp. 16-17) ; cet article est encore cité à propos de Romeurope, dont est issu le Collectif pour le droit des enfants roms à l’éducation (le CDERE, entrée qui conduit notamment à la page 1142).

Photo issue du site de la CGT FERC, 1er octobre 2014

Cette association a saisi plusieurs fois le DDD (pp. 1130 et s.) ; dans un entretien avec Matthieu Bonduelle, réalisé le 29 septembre 2017 et publié au début de l’année, Jacques Toubon affirme : « quand nous enjoignons à des maires de scolariser des enfants étrangers et qu’ils persistent à refuser de le faire, il peut se passer du temps avant que nous obtenions gain de cause » (« La “réalité” est devenue une excuse », Délibérée févr. 2018/1, n° 3, p. 75, spéc. p. 77 ; à propos d’injonctions prononcées cette année par le même TA de Versailles, v. ce billet).

L’implication du Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s (Gisti) concernant les « expulsions de terrains des populations roms (ou dites telles) et toutes les formes de discriminations à leur égard, à commencer par les refus de scolarisation des enfants », est quant à elle rappelée par celle qui en fut, de 1985 à 2000, la présidente (Danièle Lochak (entretien avec, par Armelle Andro, Sarah Mazouz et Patrick Simon), « Défendre la liberté de circulation », Mouvements 2018/1, n° 93, p. 181, spéc. p. 194 : à la page précédente, la professeure, qui a été aussi vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme, revient sur « la première affaire du foulard, en 1989 [, en procédant à une comparaison intéressante des] réactions qu’elle a suscitées au sein de la LDH et au sein du Gisti », où « il n’a pas été possible, à l’époque, de dégager une position consensuelle » en soutien des élèves exclues).

28/32 Alberto Campi (collectif We Report) ©

Ajouts au 26 août 2018 avec – outre ce renvoi au billet de ce jour à propos du foulard –, d’une part, cet extrait du journaliste Blaise Gauquelin, « Des Roms se mobilisent à travers l’Europe pour dénoncer le racisme », Le Monde le 13, p. 4 : « (…) Au mois de janvier, le gouvernement slovaque a présenté un plan de lutte contre la « criminalité rom ». Du pur « racisme institutionnel » émanant d’un ministère tenu pourtant par un parti social-démocrate (SMER-SD), selon le Centre européen pour les droits des Roms. (…) La Slovaquie entend aussi mettre en place un registre des délits commis spécifiquement au sein de cette communauté (…). « Mais cette loi ne passera pas (…) », assure un participant à la manifestation hongroise [qui] se félicite : « C’est plutôt nouveau de voir des Roms défiler dans toute l’Europe contre le racisme. Nous sommes en train de constituer un véritable réseau transnational » » (je souligne).

Un extrait, d’autre part, du sociologue Arthur Vuattoux (entretien avec, par Anaïs Moran), « Justice des mineurs : « Les garçons se retrouvent plus souvent en prison que les filles » », Libération.fr 23 août 2018 : il revient sur le « traitement judiciaire des adolescentes roms, appelées au tribunal « jeunes filles roumaines », alors qu’elles ne sont pas toutes roumaines ! Ces adolescentes, poursuivies à Paris pour des vols sur touristes, écopent régulièrement de peines de prison ferme. Un cas très rare pour des filles dans la justice des mineurs. En réalité, ces adolescentes ne correspondent pas à la figure que s’est forgée l’institution de la délinquance des mineures : elles ne veulent pas donner l’identité de leurs parents, certaines ont déjà des enfants… De fait, leur appartenance ethno-raciale et leur manière d’agir les font sortir, aux yeux des professionnels, de la catégorie « adolescente ». Elles sont dès lors jugées comme des adultes, ou tout au moins comme les délinquants garçons. Cela nous rappelle, d’un point de vue sociologique, l’importance d’étudier le genre sans oublier les enjeux de classe ou d’appartenance ethno-raciale ». D’un point de vue juridique, leur « vulnérabilité particulière (…) en ce qui concerne leur droit à l’éducation », a pu être soulignée par le CEDR devant le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CoEDEF ; v. page 792).

Ajout au 15 septembre, complété par cette brève vidéo le 31 décembre 2018 : dans un texte publié cette année, Éric Fassin revient sur l’« hyper-représentation de la « question rom » dans l’espace public – et en même temps la non-représentation du traitement de ces populations par les pouvoirs publics » (« Politiques de la (non-) représentation », Sociétés & Représentations 2018/1, n° 45, p. 9, spéc. p. 12). En refusant d’analyser directement la décision du maire de Ris-Orangis comme une atteinte discriminatoire au droit à l’éducation, le jugement du 16 mars 2017 participe de « l’effacement » (p. 18) critiqué par le sociologue au plan médiatique. Il termine sa présentation du dossier coordonné avec Marta Segarra par la contribution « de la jeune juriste et militante Anina Ciuciu » (p. 26) ; cette dernière remarque notamment : lorsqu’elle a lieu, « la défense de nos droits est exercée en nos nom et place par des « experts », ce qui nous entretient dans une relation de dépen­dance : même avec nos alliés, c’est reproduire une structure de domination » (« Nous représenter », p. 107, spéc. p. 112).